12. La guerre des cieux
Je relève la tête en arrière pour la sortir de l'eau. Quelques secondes se passent avant de me rendre compte que je ne suis plus au même endroit, mais dans une salle immense au pied de trois trônes géants sur lesquels siègent un trio de démons.
Celui du milieu est un géant au visage rouge et aux sourcils prononcés. Le deuxième beaucoup plus corpulent, un sabre à la main me regarde avec méfiance. Le troisième est une sorte de longue tige androgyne aux cheveux longs et à la peau bleutée. Je les connais. Ils sont Zhong kui, Yanlu et Wuchang, les trois grands chefs de cette citée maudite.
Je me relève pour les regarder.
- Salut ...
- Bonjour à toi, Samaël, me salue celui du milieu.
- Que fais-tu là, Ange déchu ? me demande Wuchang
- Vous savez très bien pourquoi je suis là ! dis-je en jetant la cigarette que je viens d'essayer d'allumer mais qui est trempée, maudit temple !
- Nous savons quelle est ta mission, ce que nous ne comprenons pas, c'est pourquoi tu as cru que tu trouverais des réponses ici.
- Je te l'avais dit, ricane la voix du petit démon agaçant derrière moi. Il est encore là celui-là ?
- Arrêtez de me prendre pour un con ! je sais que nous sommes au centre d'un passage vers l'Enfer ...
- Exact, comme celui que tu empruntes pour faire tes petites affaires ! Mais ici, ce n'est rien d'autre que le royaume que nous avons construit après la grande inondation. Tout comme toi et tes frères avaient investi celui des Enfers, nous avons décidé d'ériger le nôtre, m'interrompt Zhong kui
- Alors ce que ce crapaud visqueux m'a dit est vrai ? répliquais-je en regardant la créature verdâtre.
- Hey ! s'offusque l'intéressé.
- Il dit vrai ! Ce passage ne communique pas avec le Léthé, tu as perdu ton temps et ton énergie en venant ici ! Hurle le plus corpulent des démons.
- Alors j'ai enduré tout ça, j'ai gravi ces centaines de marches, traversé des salles cauchemardesques pour rien ?
Les quatre démons autour de moi éclatent de rire en se lançant des regards complices.
Ils trouvent ça drôle ?Mais bien-sûr ! ils ont su que j'étais là à la seconde même où j'ai posé un pied dans leur sanctuaire de pacotille.
- Vous le saviez ! Vous saviez pourquoi j'étais là et vous m'avez quand même laissé subir toute ces épreuves, dans quel but ?
Les mystificateurs ont du mal à reprendre leur respiration tant la situation leur semble hilare. Moi, tout ceci ne me déclenche qu'une contraction de la mâchoire et des poings.
Yanlu descend de son trône pour se rapprocher de moi :
- Écoute Samaël, nous sommes ici depuis tellement longtemps que nous nous ennuyons. Toujours ces pèlerins et leurs offrandes ! Au début c'était marrant mais à la longue ça devient lassant. Alors quand on a vu un des trois anges rebelle entrer à l'intérieur de notre forteresse sacrée, on s'est dit que ça changerait et que ce serait amusant !
- Amusant ? murmurais-je d'une voix hostile.
La rage, comme une plante carnivore, prend racine au creux de mes tripes. Ses feuilles venimeuses s'insinuent dans mes veines et y font couler la sève. La tige s'étend jusqu'au fond de ma gorge pour y faire éclore sa fleur.
- Allons, Samaël ne nous lance pas ce regard noir, on voulait juste se divertir un peu.
Ma colère est trop forte en cet instant pour réfléchir. La faiblesse ressentie par mon corps n'existe plus. Je veux sortir mes ailes pour me donner l'adrénaline qu'il me manque pour les écraser comme les insectes nuisibles qu'ils sont.
Mais impossible. Dans mon excès d'amertume, j'ai oublié qu'en ces lieux maudits je n'ai pas de pouvoir.
Je baisse la tête, ferme les yeux et tend le bras pour agripper le démon poisseux par la gorge, bien décidé à lui infliger mon courroux. Un son pathétique et à peine audible sort de son larynx que je presse sous mes doigts comme une vulgaire paille de carton. La créature tombe à genoux en me suppliant.
- C'est ça agenouille toi misérable, devant le frère de ton créateur.
Les trois autres démons n'ont pas l'air paniqués pour leur petit valet, mais plutôt déçus de la tournure des événements.
- C'est bon Sam, lâche-le, soupire le coton-tige androgyne.
- C'était juste une petite farce ! Holala, ces Archanges n'ont aucun humour ! renchérit Wuchang
- Ne me compare pas à ces incompétents ! dis-je en relâchant ma victime. Je me demande ce que Lucifer dirait s'il était au courant de cette petite mascarade si médiocre. Je suis sûr qu'avec son aide je pourrais appliquer une vengeance à la hauteur de votre insignifiance au sein de la communauté démoniaque.
Je leur tourne le dos, m'installe à même le sol, jambes croisées et commence l'incantation de mon frère ;
« Dresse ta flamme, Lucifer
Et apportes moi la lumière ... »
Je suis soudain interrompu dans ma transe ;
- Pas la peine de le déranger pour si peu ! Nous allons trouver une solution, n'est-ce pas mes frères ? implore Yanlu en regardant ses comparses.
Je me relève et vois les maîtres des lieux se concerter comme avant un match de basket-ball.Quelques minutes plus tard, ils reviennent vers moi ;
- Donc tu recherches une démone évadée des Enfers par le Léthé.
- Quelle perspicacité, vous êtes vraiment fort !
- Ce que tu ignores, c'est que nous savons où elle a atterri.
Tout à coup, mon envie de les anéantir diminue.
- Vous avez plutôt intérêt à me dire où se trouve cet endroit !
- Tu le verras par toi-même, bon voyage l'ami !
Les trois Yaoguais frappent dans leurs mains et je suis aspiré par un faisceau de lumière verte.
Où vais-je atterrir cette fois ?
**
Michaël stoppa Lucifer avant que celui-ci n'arrive à la hauteur du trône divin en lui appuyant la pointe de l'Ardente à la gorge.
- Écarte-toi mon fils, si c'est vraiment lui le mutin je veux savoir pourquoi, ordonna le divin.
- Oui, c'est bien moi qui ai corrompu Eve, c'est moi le serpent vicieux.
- Comment ? toi, mon porteur de lumière ! Mais pourquoi aurais-tu fais cela ? désirais-tu cette humaine ?
- Pas dans le sens où tu l'entends. Je la désirais car elle été insoumise à ton pouvoir. En dépit de ton autorité et du fait qu'elle ait été créée à partir d'un autre être humain et dans le seul but de le divertir, elle était curieuse et avide de vivre en faisant ses propres choix. Je voulais la libérer.
- Ce sont mes créatures, je suis le seul qui peut leur enseigner le bien ou le mal. Je suis là pour leur montrer le chemin de la sagesse.
- Non, tu les contrôles pour assouvir ton égo, tout comme tu nous contrôle ! s'emporta Lucifer.
- Mais vous êtes innocents, vous ne savez rien, je vous ai donné vie et vous ai façonné.
- Tu m'as donné le don de clairvoyance, je ne vois en toi qu'un manipulateur narcissique et capricieux et je ne veux plus être sous ton emprise !
- Que vas-tu faire ? partir rejoindre les bannis sur terre ? rit Michaël
- Je vais prendre ta place sur le trône, père !
Et il se retourna vers nous, debout, le torse gonflé et l'air conquérant :
- Je suis le porteur de lumière, l'étoile du matin, l'astre le plus brillant, l'être le plus parfait créé par Dieu. Mais je vais bientôt être bien plus.
Il dévisagea à nouveau notre père ;
- J'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ; Je m'assiérai sur la montagne de l'assemblée, sur ton siège, Je serai semblable au Très Haut. Je serai même plus haut que toi ! il n'y aura plus de règles absurdes sur l'instinct. Chaque créature aura son libre arbitre et ne sera plus destinée que pour ton seul plaisir. Qui est avec moi ? cria-t-il sans se retourner.
Des acclamations retentirent de toute part dans la foule. Nos alliés attendaient juste le signal de leur chef.
Une bataille épique commença.
Le fracas des lames célestes qui s'entrechoquent.
Le créateur essaya d'intervenir dans un premier temps mais se résigna en regardant le combat entre Lucifer et Michaël.
Azazel et moi nous battions dos à dos, pour mieux nous défendre contre les soldats des cieux.Je pris un malin plaisir à envoyer Gabriel à quelques mètres d'un simple coup de pieds, depuis le temps que j'en avais envie.Les guerriers de nôtre coté étaient certes jeunes mais plein de vigueur et d'assurance. Un tiers des anges nous avaient suivis dans cette guerre, nous n'étions pas nombreux mais combatifs et désireux de l'emporter, de gagner notre liberté.
Les corps tombaient les uns après les autres autour de nous sous les coups des armes angéliques. Des plumes ensanglantées volaient tout autour de nous. Le blanc immaculé du Paradis était à présent rouge du sang de nos frères. Je n'ai eu aucun mal à tuer, arracher, démembrer le corps de ceux qui étaient ma famille, car Lucifer le voulait et que je le suivrais jusqu'au bout sans me poser de question.
Pour l'étoile du matin, pour la liberté, le libre arbitre. Les droits auxquels nous ne pouvions goûter en ces lieux saints.
Tout à coup, un cri d'effroi me figea sur place.
La cacophonie agonisante cessa.
Azazel tenait Lucifer en respect.
Mon cher grand frère allongé à plat ventre par terre, le pied de son bourreau appuyé entre ses deux ailes.
Le bras droit de notre paternel souleva son épée ardente au-dessus de son dos et au moment où il allait l'enfoncer Dieu l'arrêta ;
- Arrête, il reste ton frère !
- Mais regarde ce qu'il a fait ! notre cité n'est plus qu'un champ de bataille plein de cadavres de tes enfants !
- Laisse-moi le punir moi-même.
Dieu se leva et avança jusqu'à Lucifer ;
- Tu es vaincu, tu as été renversé, toi le dompteur des guerriers. Tu voulais être semblable au Très-Haut, tu ne seras plus rien. Tu étais l'astre le plus brillant, tu ne seras plus que ténèbres dans les bas-fonds de la terre.
Et à ces mots, il souleva Lucifer au-dessus de sa tête et le lança par-dessus les rebords du Royaume avec une rage indescriptible.
Je vis Lucifer disparaitre parmi les étoiles qui étaient autrefois moins scintillantes que lui.
Michaël se tourna vers nous. Regardant les survivants de ce combat perdu d'avance avec un sourire sadique.
Nous savions que nous allions subir le même sort.
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