Sam était une petite fille de 9 ans au moment des faits. Ma fille.
Elle s'appelait en réalité Samuelle, prénom qu'avait choisi sa mère, évidemment sans m'en parler, et qui lui avait laissé en guise d'héritage en disparaissant dans des circonstances troubles peu de temps après l'accouchement.
Il va sans dire que, et Sam, et moi, nous détestions ce prénom. Elle-même a décidé, du haut de ses deux ans trois-quarts, de raccourcir le ridicule pour devenir ce petit machin en trois lettres ; S, A, M.
On en avait écrit beaucoup, des acrostiches, avec un prénom pareil. Ça allait de "Soupière A Maman" à "Salsifis Aux Morilles", en passant par "Silence Avec Murmures", "Souris, Abricot Moisi !" et "Sandwich Ananas-Mayo". Nous avions fini par découvrir le bon, la clé de mes malheurs, sans même le savoir ni y faire attention.
Sam était une enfant discrète, solitaire, parfois crainte par les autres enfants, un comportement assez mal vu par ses professeurs, et ce depuis le premier jour de maternelle.
Elle préférait aller dans un coin de la cour dialoguer avec les fourmis plutôt que de jouer à la marelle avec ses camarades. En cela, je la comprenais. Je n'avais jamais réussi à sauter à cloche-pied.
Elle n'avait pas peur du noir, pas peur de son ombre, pas non plus peur de l'araignée qui squattait nos toilettes. Pire, elle en avait fait sa meilleure amie : Arabelle, avec "ara-" pour ara-ignée et "-belle" comme... bon, là, c'est évident, non ?
Malgré ses divergences de point de vue à propos du bien et du mal avec sa maîtresse, Sam était bonne élève, studieuse et appliquée. Elle aimait particulièrement le dessin, même si ses sujets étaient pour le moins... étonnants, venant d'une si jeune enfant.
La maîtresse en question m'avait à plusieurs reprises recommandé un psychologue. Nous l'avons vu une fois, puis plus jamais. Sam ne l'aimait pas. J'avais préféré éviter de finir en prison à cause d'un enfant déchaîné plutôt que de soigner ma propre fille. Peut-être aurais-je dû persévérer quand même.
Sam n'était pas une froussarde. Quand elle m'a avoué avoir fait un cauchemar, j'ai cru à une blague. Ce n'en était pas une. Simplement, le cauchemar n'était pas passé, mais futur.
Je me suis penché pour saluer les monstres qui vivaient sous son lit. Il n'y avait là que quelques araignées et une ribambelle de fourmis qui ne faisaient que passer.
C'est alors que je l'ai vu. Enfermé dans un pot de confiture.
Ce devait être un lutin, ou une créature de ce genre. La question du comment il s'était retrouvé enfermé là passait bien après ma surprise quant au fait, difficile à admettre, qu'il existe.
J'aurais dû me poser la question. Elle aurait expliqué bien des choses. Ça aurait même pu me sauver. Peut-être.
Il martelait le verre de ses petits poings, et hurlaient ces mots que je n'entendais pas :
"Il y a un monstre sur le lit !"
Quand je réussis enfin à lire sur ses lèvres son message désespéré, il était trop tard.
En sortant de sous le lit, je vis Sam assise en tailleur sur sa couverture. Ses yeux étaient fermés, plissés par la concentration.
Elle les ouvrit alors que je me relevais.
La fenêtre était ouverte. Un vent froid balayait la pièce claire, envoyant voler quelques feuilles blanches.
Je ne sais pas si elle m'a poussé physiquement, ou si sa force était simplement mentale. Son regard me brûlait. Mais c'est son silence qui m'a le plus effrayé. Comme si jeter son propre père par la fenêtre était une colère de mauvais joueur, une obscénité d'enfant pas sage, et non un homicide pur et simple.
J'ai eu une pensée amère pour Margot qui avait choisi ce prénom ridicule, une plus douce pour ma mère qui me faisait des crêpes le samedi après-midi, et une profonde tristesse pour la bestiole dans son bocal qui allait probablement mourir elle aussi, puis j'ai laissé le vertige m'envahir.
J'ai hurlé, je pense.
Nous habitions au quatrième étage. Je n'ai jamais aimé ça. J'ai toujours eu peur du vide.
Il n'y a pas à dire. Quand on tombe de haut, au propre comme au figuré, ça fait mal. Très mal.
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J'ouvre difficilement les yeux, mes paupières me semblent cousues ensemble. Le temps que ma vue s'adapte, la blancheur de la pièce m'éblouit.
Je finis par distinguer un visage qui me fixe. C'en est presque traumatisant.
Une jeune fille me regarde, je suis persuadé qu'elle aurait pu rester là des heures, à attendre mon réveil. Je lui donne une quinzaine d'années, sans doute un peu moins par sa taille, mais sûrement plus au vu de sa maturité exceptionnelle.
Elle ressemble à Margot, en plus jeune. Mais la douleur qui irradie tout mon corps laisse à penser que je ne suis pas encore mort. Je ne suis donc pas au Paradis, ni même en Enfer, et cette fille n'est pas Margot.
Elle sourit. Une sourire presque tendre. Pourtant, je ne sais pas pourquoi, il me glace le sang.
"Sam, je suis désolé d'interrompre vos retrouvailles, mais tu as cours de français dans vingt minutes. On reviendra demain, promis.
- J'arrive, Paul. Juste un mot."
Sam ! Je voudrais crier. J'ouvre la bouche, mais quelque chose bloque. Je suis sous respirateur artificiel.
Tout me revient. J'ai peur. Je ne peux même pas avertir ce Paul du danger qui le guette.
Sam se penche vers moi et chuchote.
"Sorcière, Abomination, Maléfice. Tu avais gagné, papa."
Je ne peux pas bouger, je ne peux rien faire, je ne peux que la regarder, les yeux dans les yeux, en m'efforçant de garder le contrôle de la terreur qui pointe.
"Le monstre n'est plus sur le lit."
Je sais. C'est même pire. Quand elle était petite, elle était gentille. Maintenant...
Et puis, un détail me dérange. Pourquoi m'a-t-elle gardé en vie si longtemps ? Il est beaucoup plus facile de tuer quelqu'un pendant son sommeil.
"On reviendra demain, promis."
Elle s'en va, Paul sur les talons. Je n'ai même pas pu le prévenir...
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