Déménagement

Ma mère reprenait son boulot à temps plein. Elle devait partir très tôt pour aller à travailler à Bruxelles en évitant tous les embouteillages. Moi, je ne serais pas là pour l'aider si je réussissais mon examen d'entrée. Avec deux petites sœurs encore à l'école maternelle, c'était plus facile si elle déménageait.


Elle avait trouvé un appartement à Bruxelles, plus précisément à Auderghem. Moi j'étais content. Non seulement j'allais avoir un kot, dans la ville étudiante de Louvain-La-Neuve mais en plus j'allais habiter dans cette ville que j'adorais.

Début août 1999, je fis adieu à cette chambre. Cette pièce isolée, à laquelle on ne pouvait accéder que par le garage dans cette maison de plain-pied. Cette chambre qui avait connu tant de souffrance. Ce fut dur de se séparer de tant d'affaires : j'allais vivre dans une chambre minuscule. Mais je m'en fichais. Changer d'air allait me faire le plus grand bien. Je n'avais pas besoin de beaucoup : il ne me fallait que mon pc, ma guitare et mes livres, c'était tout ce qui comptait.

Généralement, je suis nostalgique quand je quitte un lieu dans lequel j'ai ressenti des émotions fortes et eu des tas d'expériences. J'ai besoin de repenser à ce que j'y avais vécu, de dire au revoir à ce lieu. Bizarrement, ici, je n'ai pas eu besoin de cela. Je ne me suis pas retourné une seule fois lorsque nous avions fini de tout débarrasser. La page la plus sombre de ma vie était en train de se tourner. Un nouveau chapitre allait bientôt commencer.

Entre quelques déballages de caisses et période studieuse, je me promenais en ville. Un matin, je croisais un punk qui faisait la manche. Tout en lui filant un peu de tabac, on tapa un peu la causette. Il me proposa de passer dans l'après-midi, non loin de là, il rejoignait plusieurs de ses camarades pour passer le temps. J'acceptai sans hésiter. Je ne connaissais pas grand monde en ville, ce serait l'occasion de rencontrer de nouvelles têtes.

Je ne me sentais pas super à mon aise. J'avais quelques amis punks, mais ce n'était pas pareil. C'étaient des vrais de vrais, qui ne vivaient plus chez papa-maman. Bien que tout le monde était très accueillant, certains me faisaient un peu peur. A juste titre. On parlait de nos vécus, de nos galères et déboires. Je ne sais plus comment c'est arrivé sur le tapis, je parlais de moi et je montrai mes bras, un peu pour éviter de me lancer dans trop d'explications. Je reçus une gifle. Bien violente, tellement rapide que je n'avais rien venu venir. Le mec en face de moi était rouge de colère.

- Qu'est-ce que tu en sais toi, sur la souffrance ?

Il était prêt à me bondir dessus pour me filer une bonne correction. Ses potes le retinrent et l'emmenèrent se calmer plus loin. J'étais sonné. Je ne m'étais absolument pas attendu à ça. D'autres me demandèrent de l'excuser. Il n'avait pas une vie facile. Voir des personnes qui avaient osé baisser les bras et l'exhibaient comme cela le mettait hors de lui.

Cette intervention me fit pas mal réfléchir : ma souffrance n'est pas plus importante, n'a pas plus de valeur que celle d'un autre. Aucune souffrance n'est comparable : ce qui me paraît difficile, insurmontable sera peut-être une broutille pour un autre, et inversement. Dans un sens, j'étais quand-même un privilégié. C'est vrai que j'avais pas mal souffert, mais heureusement que des personnes telles que ma mère, mes grands-parents étaient là. J'avais toujours quelqu'un ou quelque chose à laquelle je pouvais me raccrocher. D'autres n'avaient pas cette chance, devaient se battre ne fut-ce que pour pouvoir vivre, avoir un toit. À partir de ce jour-là, je n'ai plus jamais jugé la souffrance d'autrui.

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