Chapitre 49 ⋅ Fleuretages au zénith

Mahiru détestait Atsumu.

Assise sur un banc du patio, celui perdu au fin fond du jardin intérieur où ils s'étaient déjà retrouvés pour un bento par le passé, voilà déjà un moment que la reporter l'attendait. Sa patience était mise à rude épreuve, au moins autant que son affection pour lui qui se muait petit à petit en volonté de lui arracher les cheveux au fil des minutes qui s'écoulaient sur son téléphone portable. Elle jeta un coup d'œil sur l'écran pour relire le dernier message en date du volleyeur, juste au cas où ils se seraient mal compris sur l'heure ou sur le lieu du rendez-vous, avant de le verrouiller en constatant que non, tout était bon.

Alors où était donc cet idiot ?

Et pourquoi fallait-il que la simple mention du mot « rendez-vous » enflamme ses joues et affole son cœur de la sorte ? Alors que ce n'était pas leur premier et certainement pas le dernier ?

Mahiru déglutit, comme un rien la rendait fébrile depuis leur premier baiser au sommet du Mont Maya. Elle sentait même ses jambes trembler d'appréhension autant que d'impatience à l'idée de le voir, si bien que son retard l'affectait bien plus que ce qu'elle voulait volontiers admettre. Les doutes commençaient à l'assaillir comme un banc de requins sur un naufragé en pleine mer quand deux mains se matérialisèrent devant ses yeux.

— Devine qui c'est, susurra une voix taquine tout contre son oreille, à éveiller mille frissons à la surface de sa peau.

— Un volleyeur qui n'a aucune considération pour la ponctualité ? suggéra-t-elle sans retenir son amertume, et Atsumu baissa les mains en riant pour se laisser tomber à ses côtés sur le banc.

— Ouais désolé, j'suis un petit peu en retard. Mais... j'ai une excuse !

— T'as intérêt à ce qu'elle soit bonne ton excuse.

Le ton menaçant ne l'impressionna pas, bien au contraire, puisque son sourire s'élargit subtilement quand il coulissa un regard dans sa direction, avant qu'il ne poursuive avec un regard malicieux.

— Très bonne oui, presque aussi bonne que toi.

— O.K. c'est bon, je m'en vais, décréta l'adolescente en se levant pour le laisser en plan, mais il la retint très vite par le poignet.

— Je déconne, s'empressa-t-il de dire pour rattraper ses gestes, avant de poursuivre avec plus d'hésitation. Pardon, Mahi, c'était débile de ma part.

Si son cœur rata un battement à l'utilisation de ce surnom pour la première fois par le volleyeur, ainsi qu'aux excuses précipitées qu'il lui présentait, elle s'efforça de faire fi de ses rougeurs et du tremblement de ses jambes pour arquer un sourcil sceptique à son intention.

— Juste débile ?

— Complètement con, oui, concéda-t-il dans un rire très vite retrouvé, et l'autre acquiesca.

— Et un peu macho sur les bords aussi.

— Je sais, pardon. T'es pas bonne. Enfin... si, concrètement dans un sens tu l'es mais, c'est juste que t'es...

Il s'interrompit pour chercher ses mots, et d'un geste de la main la désigner tout entière, avant de se passer cette même main dans les cheveux à la réalisation que rien ne lui venait, les ébouriffant au passage. Et son regard penaud remonta sur le visage de Mahiru qui s'était empourprée au fil de ses explications bancales, si bien qu'un soupir finit par quitter ses lèvres tremblotante.

— T'es vraiment nul avec les mots, lâcha-t-elle avec dépit, avant de daigner se rasseoir à ses côtés.

— Mais je suis meilleur avec les gestes, s'enorgueillit-il en tendant la main vers sa taille pour la rapprocher de lui – et elle mentirait en disant lui avoir opposé beaucoup de résistance.

— C'est quoi ton excuse, du coup ?

— Ah oui, j'allais oublier.

Sans lâcher sa taille sur laquelle sa main reposait avec un naturel étourdissant, Atsumu pivota vers le côté du banc où elle ne se trouvait pas pour sortir de son sac un sachet de papier orné du logo bleu que la brunette connaissait bien pour l'avoir vu une paire de fois depuis le début de l'année. Un logo qui lui retournait le cerveau et les sens à chaque fois qu'elle l'apercevait. Un logo tout particulier à ses yeux, puisque c'était celui de la pâtisserie qui vendait les taiyakis que lui offrait toujours le volleyeur et où il l'avait emmené le soir de leur premier baiser.

— Ta-da ! fit-il en ouvrant le sachet pour en montrer le contenu à sa copine pour le moins décontenancée. C'est pour le dessert.

— Waouh, tu... rassure-moi t'as pas fait l'aller-retour jusque là-bas sur le temps du midi ? articula-t-elle après quelques secondes de silence hébété, et il gloussa.

— Nan nan, j'y suis allé hier soir après les cours. Tu sais, après notre... entrevue dans la remise du gymnase.

— Je vois, oui. Ça n'explique pas pourquoi t'es à la bourre par contre.

La façon dont elle coupa court à la tournure grivoise de la conversation et se recroquevilla fébrilement sous l'embarras arracha un ricanement au volleyeur, qui poursuivit ses explications sans se défaire de son amusement :

— Je l'ai déposé dans mon casier au gymnase ce matin, donc il a fallu que j'aille le récupérer avant de te rejoindre.

— D'accord, je comprends mieux, acquiesça la reporter, avant de brandir le bento qui attendait toujours sur ses genoux. On passe à table ? Ce serait dommage d'oublier de manger parce qu'on a passé notre temps à parler.

— Surtout à parler si on peut faire autre chose.

La reporter lui décocha un regard blasé, mais ne parvint pas à réprimer un minuscule sourire face à l'air suffisant qui balayait ses traits d'idiot. Elle secoua alors la tête et se concentra sur le bento tout juste ouvert, dont les effluves de thon gras s'échappaient dans une délicieuse torture pour leurs estomacs dans les talons. Atsumu se pencha par-dessus son épaule pour zieuter sur le contenu de la gamelle, à la faire rougir dans sa proximité, avant de piquer un sashimi de thon pour l'engloutir aussi sec.

— Atsumu ! pesta aussitôt Mahiru en le fusillant du regard, mais sa colère s'évapora dans la seconde sous la stupeur de l'entendre fredonner de gourmandise.

— Oh la la, c'est trop bon le thon, articula-t-il béatement entre deux mastications, si bien que son interlocutrice bégaya un peu.

— S-sérieux, ça te plaît ?

— Bah oui, je t'embrasserais pas autant sinon.

Le vinyle de la ballade romantique qui avait tout juste commencé à jouer se raya lamentablement sur cette remarque ponctuée par son rire bruyant, et toute la fébrilité de Mahiru retomba dans le même temps quand elle lui adressa un coup d'œil désabusé.

— Je comprends vraiment pas ce qui me retient de te vider le bento sur la tête.

— Probablement le fait que t'auras plus rien à manger si tu vas au bout de ta pensée ? suggéra-t-il innocemment en tendant la main pour piquer un deuxième sashimi, mais elle l'arrêta d'une petite tape sur le poignet.

— Atsumu... gronda-t-elle, tant pour sa tentative de vol que pour cette manière pour le moins troublante qu'il avait de se pencher vers son visage en lui parlant, et il se fendit d'un sourire suffisant.

— Ou probablement parce que tu m'adores trop pour m'affamer juste avant un match capital ?

Leurs regards se percutèrent, éclats d'agacement contre la brûlante arrogance qu'Atsumu aimait tant à agiter sous son nez depuis le jour de la rentrée quelque deux mois auparavant. Et son sourire fier s'élargit un peu plus quand le rythme de la conversation, jusqu'alors aussi vif que celui d'une partie de ping-pong, s'arrêta subitement avec le silence de la reporter – qui en disait long sur le fond de sa pensée, cette dernière le savait parfaitement.

Pour autant elle ne baissa pas les yeux, quitte à jouer la carte du culot quand elle poursuivit d'une voix aussi assurée que possiblle :

— Je ne t'adore pas.

— Ouais je sais, fit-il sans perdre son sourire aux allures sceptiques, moi non plus j'adore pas du tout te retrouver dans des coins paumés du lycée pour te galocher. Et pourtant...

— Oh sérieux, lâcha-t-elle en piquant un fard. T'es obligé d'utiliser ce mot ?

— Et toi, t'es obligée de nier l'évidence ?

Une nouvelle fois, la brunette lui décocha une œillade menaçante, dont il se régala en s'esclaffant sans retenue, avant de se concentrer sur le bento entre ses mains. Mahiru poussa un soupir qui se voulait agacé, même s'il servait davantage à exhaler toutes les émotions que le volleyeur déclenchait en elle, puis le laissa prendre la gamelle afin de la déposer sur le banc entre eux. Malgré ses baguettes déjà en main, cependant, il n'attaqua pas le repas d'emblée, se laissant plutôt aller au plaisir des yeux à en croire la manière dont ses iris balayaient le repas avec appétit – à défaut de se lécher les babines comme le renard qu'il prétendait incarner.

Malgré tout cela, la reporter le contemplait sans mot dire, pas certaine de vouloir se réjouir tant qu'il n'avait pas entamé le repas – en dehors du sashimi dérobé un peu plus tôt, bien sûr. C'était idiot, elle en convenait, car sans être un cordon bleu, elle savait très bien pour l'avoir goûté au fil de la préparation que son mets n'était pas mauvais. C'était d'autant plus idiot que la féministe révoltée en elle avait depuis longtemps renoncé à cuisiner pour dire amen aux dictats d'une société traditionaliste et satisfaire un potentiel mari à tout prix. Et pourtant...

Et pourtant cuisiner pour les personnes qu'on aime, ça a une tout autre saveur.

C'est sans doute pour ça, qu'en le préparant la veille, elle avait exclus autant que possible du bento les légumes tant exécrés par le volleyeur. C'est peut-être également pour ça, que l'historique de son téléphone regorgeait de recettes équilibrées et assez substantielles pour lui donner toute l'énergie dont il aurait besoin pendant son match. C'est sûrement pour ça, aussi, qu'elle avait passé une partie de la semaine à écouter les ragots de ses fans pour savoir quel type de nourriture il pouvait bien préférer. C'est à l'évidence pour ça, enfin, que les dernières barrières de son cœur tombèrent comme un château de cartes lorsque ses lèvres se posèrent sur sa joue l'instant d'après.

— Merci.

Le mot vola comme un murmure qui s'écrasa contre sa peau avec une douceur à y perdre l'esprit. Mahiru sentit un frisson naître au plus profond d'elle-même pour s'étendre à l'intégralité de son corps en zigzags incertains qui l'auraient probablement fait tomber du banc si la main d'Atsumu n'avait pas glissé sur sa taille la seconde d'avant, et il lui fallut quelques autres de plus pour oser les yeux vers lui, vers son visage tout près du sien, vers ses pupilles rivées sur ses lèvres. Et c'est d'une voix craquelante, celle de quelqu'un qui ne croyait même plus à ce qu'il disait, qu'elle rappela :

— On avait dit « pas en public ».

— Ouais, et ? Y'a que nous deux, concrètement, je pense pas que les arbres vont nous balancer.

— Atsu...

Sa voix se brisa sur le « mu » qui ne franchit jamais ses lèvres, mais la reporter n'eut que le temps de s'éclaircir la gorge que déjà il s'en amusait.

— Atsu ? J'ai déjà mon petit surnom ? s'enorgueillit-il, oubliant que c'était ce qu'il avait fait quelques minutes plus tôt, et Mahiru arqua un sourcil.

— T'as très bien compris que c'est ma voix qui a lâché.

— Ta voix veut m'appeler Atsu, visiblement.

— Ma voix va t'appeler beaucoup de choses mais pas Atsu, si tu continues.

Un petit rire sur le bout des lèvres face à cette menace guère sérieuse, le volleyeur prit le temps d'engoutir un deuxième sashimi sans quitter sa reporter ses yeux, avant de répondre la bouche à moitié pleine :

— Tant que y'a « Atsu » à la fin, tu peux m'insulter de tous les noms, Mahi.

— Tous ? répéta-t-elle en s'efforçant d'ignorer le feu qui rugit dans ses joues à l'emphase sur son surnom.

Tous.

Et il la regarda droit dans les yeux en disant cela, à faire frémir son corps déjà en alerte, si bien que dans sa fébrilité la brunette peina à attraper du bout des baguettes le gyoza au poulet qui lui faisait de l'œil depuis plusieurs minutes déjà. Elle dut d'ailleurs s'y reprendre à trois fois, avant que les baguettes d'Atsumu ne se referment dessus sous son regard offusqué.

— C'est celui que je... commença-t-elle à protester mais il l'interrompit.

— Mahi, l'appela-t-il, et c'est ironiquement qu'elle répondit.

— Atsu ?

Un sourire frémit au coin de ses lèvres en interceptant sa colère suite au « vol » de son ravioli, qu'il finit par tendre dans sa direction après quelques secondes à se contempler en chien de faïence. Ladite Mahi plissa les yeux dans sa direction, méfiante à l'idée qu'il se moque d'elle, avant de refermer le bout de ses baguettes sur le gyoza pour s'en saisir. Au moment où elle le portait à ses lèvres, toutefois, il ajouta :

— C'est ce surnom que je veux t'entendre crier.

— C-comment ça ? bégaya-t-elle, au point de manquer d'avaler son ravioli de travers dans sa surprise.

— Quand je marquerai des services gagnants, bien sûr. À quoi tu pensais ?

Oh, il savait très bien à quoi elle pensait. Ses yeux hurlaient leur triomphe à l'idée d'avoir réussi à la décontenancer avec un simple sous-entendu, et son sourire brillait d'un orgueil sans nom qui courut sur les nerfs de la reporter – pas autant, certes, que sa propre bêtise à ainsi tomber dans son piège. Elle grommela une réponse qui l'amusa encore plus, un mélange inexpliqué de « imbécile », « volleyeur fini à la pisse » et « du genre à boire du shampoing pour connaître le parfum », qui se conclut bien malgré elle sur un « Atsu » franchissant ses lèvres bien plus naturellement que ce qu'elle aurait voulu.

Le rire d'Atsumu redoubla, et elle se gifla mentalement à son lapsus plus que révélateur. Ça ne dura pas longtemps, cependant, une seconde tout au plus. Car la main qu'il avait toujours sur sa taille eut l'effet d'un fil conducteur pour l'électricité de son rire, qui vibra à travers elle dans une série de frissons qui annihila toute forme de contrariété. Et quand bien même elle lutta par fierté, quand bien même elle le cacha derrière le deuxième gyoza qu'elle venait de s'emparer, il fut impossible pour Mahiru de ne pas retenir ce sourire nerveux qui lui chatouillait les lèvres.


On va la faire courte parce que mine de rien, il est presque minuit à l'heure où je publie ça. Rien de ce qu'il y a dans ce chapitre n'était prévu mais à force je commence à avoir l'habitude, avec ces deux idiots. Petit chapitre de badinage qui, je l'espère, vous plaît (ceux qui ont déjà lu La Fenêtre d'en face savent que le fluff me contrôle plus que je ne le contrôle) et si c'est le cas n'oubliez pas de voter, voire de commenter !

Un peu en avance mais je ne serai probablement pas connectée le 1er janvier, donc une bonne année 2023 à tous, je vous souhaite de réussir tout ce que vous entreprenez et du bonheur, surtout, beaucoup de bonheur. Faites attention à vous et n'oubliez pas, vous êtes géniaux, vous avez de l'importance, vous comptez tous pour quelqu'un dans ce monde. 💓

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