Chapitre 48 ⋅ Jeux secrets
Contre toute attente, le secret de Mahiru et Atsumu s'avéra mieux gardé que les joyaux de la couronne d'Angleterre. Personne n'aurait cru cela possible, avec les regards furtifs qui s'échangeaient par-dessus les épaules aux intercours et avec la passion folle qui les saisissait à chaque baiser échangé à l'ombre des escaliers, si bien qu'à de nombreuses reprises tout manqua d'être révélé au grand jour par leurs amours inconscientes. Et pourtant Miya Atsumu était passé maître dans l'art de réussir l'impossible, à savoir mettre son exubérance légendaire de côté le temps de quelques jours, quelques malheureux petits jours à se cacher, juste parce que ça pouvait faire plaisir à sa... sa quoi, déjà ? Camarade de classe ? Amie ? Petite-amie ?
Ha, c'est vrai qu'elle est petite.
Pour autant ça ne l'aidait pas plus dans ses réflexions. Car ils avaient beau passer leur temps à s'embrasser sitôt seuls, avec Mahiru, leur relation n'avait pas changé d'un iota entre les bisous : ils se balançaient les pires insultes au visage en public comme en privé et si le regard olive de la reporter pouvait tuer, le soldat Atsumu serait mort environ une dizaine de fois dans la semaine – dont une, pas tout à fait repoussante, où il aurait trépassé en ayant les mains sur ses fesses.
Ouais, même s'il ignorait où ils en étaient, le volleyeur n'était pas sûr que ça lui déplaise pour autant.
— J'peux savoir pourquoi tu souris comme un débile depuis tout à l'heure ?
La voix de 'Samu traversa ses pensées pour le ramener à la dure réalité du quai de la gare où ils attendaient depuis quelques minutes déjà que leur train arrive. Atsumu se redressa, un instant perturbé par la rupture avec ses réflexions muettes, puis décocha un regard assassin à son frère pour l'insulte qu'il venait tout juste de lui adresser. Et une moue boudeuse se faufila sur ses lèvres quand il bougonna :
— Je souris pas comme un débile, c'est toi qui vois pas clair.
— Ah ouais ? Ben c'est toute l'équipe qui doit prendre rendez-vous chez l'ophtalmo' alors, parce que ça fait trois jours qu'on te trouve chelou, avec les autres.
— Parce que toi t'es pas chelou, peut-être ? attaqua aussitôt le passeur, piqué au vif.
— Étant donné que je partage mon A.D.N. avec toi, ouais, y'a de fortes chances que je sois un peu chtarbé sur les bords.
S'il haussa les sourcils à la provocation, le blond choisit cette fois de ne pas y répondre directement et préféra se concentrer sur son téléphone à la place, comme si regarder l'heure la ferait passer plus vite jusqu'à l'arrivée du train. Son jumeau n'en démordit pas, se penchant sur le côté pour essayer de voir ce qu'il y avait sur son téléphone, avant de centrer de nouveau son attention sur lui.
— Vous avez fait quoi avec Nomura, lundi ?
— Pourquoi tu me parles d'elle, tout à coup ? s'enquit Atsumu avec méfiance, et l'autre haussa les épaules.
— J'sais pas. Y'a qu'elle qui peut te donner des sautes d'humeur pareilles, donc j'me demande.
Quand bien même ce que 'Samu sous-entendait n'était pas tout à fait faux, l'autre soupira, excédé.
— J'ai pas de sautes d'humeur, c'est toi qui viens me casser les burnes parce que soi-disant je souriais.
— Tu souriais, oui.
— Et alors ? J'ai pas le droit de sourire, maintenant ?
— Si, bien sûr que si.
Atsumu le regarda avec confusion, l'air de dire « pourquoi tu viens m'embêter avec tes histoires, dans ce cas ? » et tenta de se détourner de lui comme de la conversation qui l'acculait de plus en plus, avant que son frère ne revienne à la charge.
— J'me dis juste que lundi soir, tu tirais une tête de cent pieds de long parce que Nomura t'ignorait, et que maintenant qu'elle te reparle, tu souris comme un débile.
— Et ? fit le passeur avec impatience, alors même que lui revenaient en tête les mots de la reporter quand elle avait exprimé son désir que tout reste secret le temps de quelques jours.
— Et je trouve ça cocasse, c'est tout.
Un sourire étira les lèvres de 'Samu. Un sourire narquois, le même qui avait dansé plus d'une fois sur ses lèvres quand il avait joué avec les nerfs de Mahiru comme un chat avec une pelote de laine. Un sourire de Miya, en somme.
— À mon avis, il s'est passé quelque chose, poursuivit-il avec amusement, si bien que le capitaine arqua un sourcil sceptique.
— 'Samu, si je voulais l'avis d'un trou de balle, j'aurais lâché une caisse.
— Charmant, commenta le central sans se départir de son amusement. Tu parles aussi comme ça devant Nomura ?
Atsumu tourna un regard exaspéré vers son jumeau à cette énième mention de la reporter, comme pour le défier d'en dire davantage, et ce dernier l'aurait sans doute fait de gaieté de cœur si le train n'était pas arrivé à l'instant même où il ouvrait la bouche pour continuer ses taquineries. Le blond sauta sur l'occasion pour l'ignorer en montant dans le bus d'une rapide enjambée et en allant s'écrouler sur le premier siège qu'il trouva. Bien sûr, 'Samu le rattrapa très vite, et il le darda même d'un regard narquois quand il se laissa tomber à ses côtés. Cependant, il n'insista pas – et il n'aurait pas pu, de toute manière, puisque la silhouette de Ginjima se planta à côté d'eux l'instant d'après, toute souriante tandis qu'il leur expliquait les avoir remarqués depuis le fond du bus avec Suna.
Le reste du trajet se déroula plus calmement pour Atsumu – enfin, autant que possible avec l'exubérante équipe que constituait la sienne. Toutefois le sujet de Mahiru ne revint pas sur la table à son plus grand soulagement, car même s'il n'était pas mauvais improvisateur ou menteur, le volleyeur n'était pas un habitué des cachoteries de ce style. Pire, même, il se savait parfaitement capable d'assumer le plus intime de leur relation face au monde, y compris ce qui n'avait rien à faire en public. Aussi il mentirait en disant que ce n'était pas un brin compliqué pour lui de faire attention à ça. Comme ce fut le cas un peu plus tard, une fois à leur gare d'arrivée, quand l'écran de son téléphone s'illumina sur un message de Mahiru.
« On se rejoint où, ce matin ? »
— Jure, vous vous envoyez des messages maintenant ? s'exclama 'Samu à son plus grand dam après avoir lu son nom par-dessus son épaule, et le passeur s'éloigna de lui dans un grognement.
— Mêle-toi de ton cul, toi. Vu la surface, y'a de quoi y passer des heures.
— Il parle de qui ? intervint curieusement Ginjima, ce à quoi son jumeau répondit par un ricanement.
— Nomura. Il se passe un truc entre eux depuis quelques jours, j'essaie de lui tirer les vers du nez mais il veut rien lâcher le bougre.
— Peut-être parce qu'il y a rien à lâcher, justement ?
La réplique arracha un rire sceptique à Osamu, vite suivi de celui – plus retenu, certes – de Ginjima. Quant à Suna, s'il donnait l'air d'être impassible, le nez dans son smartphone, Atsumu savait pertinemment qu'il suivait la conversation d'une oreille attentive. Il serra les dents, comme ses coéquipiers n'étaient clairement pas aussi investis, la veille, quand il avait fallu faire de la cardio à l'entraînement.
— Bref, soupira Osamu après quelques secondes de silence. Là, ça sert à rien d'insister, il est trop vénère pour dire quoi que ce soit. Je réessayerai plus tard, quand il sera de meilleure humeur.
— Quand il aura vu Nomura, donc, compléta Ginjima dans un sourire malicieux qui sut courir sur les nerfs de leur capitaine.
— Niquez vos morts.
— Laisse papy en dehors de ça, enfin.
De nouveaux rires secouèrent les adolescents, comme la légèreté reprenait le dessus dans la conversation, et ils s'y abandonnèrent sans hésiter à l'instant même où le grand portail en métal d'Inarizaki se dressait au bout de la rue. Profitant du fait que ses coéquipiers oubliaient un instant sa vie amoureuse pour parler du match de l'après-midi, Atsumu ralentit imperceptiblement le pas de sorte à taper une rapide réponse à la reporter.
« J'ai 'Samu et les gars sur le dos là, donc ça va être chaud pour ce matin »
Le message fut envoyé dans la seconde, même si le volleyeur ne ferma pas la fenêtre de conversation pour autant, retenu en arrière par un petit sentiment d'insatisfaction qu'il n'aurait pas su expliquer. Ses doigts s'immobilisèrent au-dessus de l'écran, le temps d'un coup d'œil alerte en direction de ses accompagnateurs qui marchaient au-devant de lui, puis il tapa un second message.
« Viens on mange ensemble plutôt »
« C'était déjà le plan, gros nigaud, j'avais dit que je te préparais un bento pour aujourd'hui »
Un sourire lui chatouilla les lèvres à la lecture de sa réponse instantanée, signe qu'elle était sur son téléphone elle aussi. Pour autant, galvanisé par l'insulte certes basique qu'elle lui avait balancé tout naturellement, le volleyeur préféra jouer la carte de l'exigence, rien que pour la titiller.
« Sans légumes, j'espère ? »
« Que* des légumes tu veux dire ? :) »
« Sale démon va, retourne en enfer »
« Je veux bien mais faudra d'abord que tu me files la clé en tant que proprio »
Atsumu laissa échapper un petit rire amusé, de ceux qu'il ne contrôlait pas tout à fait quand la brunette lui montrait l'étendue de sa repartie, et se contenta de lui donner l'heure et le lieu de rendez-vous pour leur repas ensemble. Il n'eut guère le temps d'ajouter quoi que ce soit d'autre, cependant, puisqu'à l'instant même où il se décalait afin d'éviter de foncer dans un élève de première année arrêté en plein milieu, un bras s'abattit sur son épaule et la voix familière de Saito Hiroto résonna avec gravité :
— Mec, tu vas pas croire ce qui m'est arrivé.
— Quoi, une meuf t'a adressé la parole de son plein gré ? railla le blond en verrouillant son téléphone, et l'autre lui jeta un regard désabusé avant de pousser un soupir à fendre l'âme.
— Pire, je me suis fait engueuler. Par une première année en plus, que je connais même pas, ajouta-t-il après quelques secondes pour renforcer le drame de cette annonce, si bien qu'Atsumu eut un rire sceptique.
— Sérieux ? Tui lui as volé ses bonbons ou quoi ?
— Même pas ! Je passais au local déposer mes affaires, et la meuf m'a incendié, j'avais l'impression d'être face à Hello Kitty en super saiyen.
S'il ne retint pas un gloussement à cette comparaison pour le moins insolite, Atsumu peina à garder le focus sur les histoires de son meilleur ami sitôt qu'ils entrèrent dans le hall bondé de monde l'instant d'après. Instinctivement, son regard coulissa vers la droite, vers cet endroit reculé du genkan où se situaient les casiers des lycéens dont le nom commençait par un N, en quête d'une silhouette toute particulière qu'il avait à plusieurs reprises eue entre ses bras ces derniers jours et dont il commençait quand même un peu à se languir.
— J'te jure, je lui ai juste demandé ce qu'elle faisait là toute seule comme une petite malheureuse devant la porte, et elle m'a démarré plus vite que Lewis Hamilton en début de Grand Prix, continuait de se plaindre Hiroto à ses côtés, sans remarquer les quelques secondes d'inattention de son interlocuteur.
— Lewis Hamilton ? répéta Atsumu, avec une hébétude qu'il n'associait pas seulement à sa non-connaissance de la référence.
— Un pilote de F1, cherche pas. C'est juste pour dire que cette meuf a un pète au casque à s'énerver comme ça, sous prétexte que j'ai dit que les collégiens avaient pas le droit de traîner dans le lycée. Mais comment je pouvais savoir qu'elle était au lycée avec sa dégaine de préado ?!
Il ne s'arrêta pas là, bien sûr, continuant de conspuer la jeune fille avec laquelle il s'était querellé tout au long de la route jusqu'à leur salle de classe, tandis qu'Atsumu écoutait d'une oreille distraite – et un peu moqueuse, aussi. Car même s'il s'autorisait quelques petits rires çà et là, Atsumu savait pertinemment que son ami ne lui donnait que sa version de la dispute, dans laquelle il n'était pas aussi blanc qu'il le prétendait. Et puis, peut-être aussi que ça lui rappelait les prémices pour le moins chaotiques de sa relation avec Mahiru, où il n'avait pas été très irréprochable non plus – sans pour autant en regretter le moindre geste.
Inconsciemment, à cette idée, le volleyeur porta une main à la poche de son pantalon d'uniforme où il avait glissé son téléphone portable, prêt à le dégainer pour balancer un petit tacle par texto à sa rageuse de reporter, avant de se raviser en se rappelant Hiroto et ses interminables lamentations – elle avait dû bien l'enguirlander, cette fille, pour en arriver là – dont il n'était pas sûr de vouloir attirer l'attention sur ses histoires avec Mahiru pour l'instant. De toute manière, ils étaient sur le point d'arriver en classe, et sa volonté de la faire enrager pouvait bien attendre deux minutes qu'il se retrouve face à elle. Certes, il ne pourrait pas l'embrasser ou la toucher à sa convenance, et encore moins faire mention de leurs étreintes passées pour mieux respecter sa demande de tout garder secret. Cependant, il aurait tout le plaisir de la voir s'énerver en direct sous ses taquineries.
Et en public ou en privé, jouer avec les nerfs de sa Mahiru, ça n'avait pas de prix aux yeux de Miya Atsumu.
⋅
Et un autre chapitre qui finit par s'écrire tout seul alors qu'il n'est pas du tout prévu dans le plan, un ! Après, je crois pas que vous cracherez sur un pdv Atsumu, mais voilà. Notons quand même qu'il est bien plus piqué que ce qu'il veut bien admettre (il est raide dingue, oui) et qu'il cherche à tout prix à respecter la demande de Mahi. Du coup avec ce chapitre, ça repousse encore la fin de l'histoire. Du coup concrètement, il reste 1 voire 2 chapitres (je sais pas encore si je vais réussir à boucler ça en une fois) avant la fin, hors épilogue et en fonction de ça, on verra si l'histoire se finit avant 2023 ou pas ~
Sur ce, j'espère que ce chapitre vous a plu, ce sera mon petit cadeau de Noël pour cette année. Si vous avez aimé, bien sûr, n'oubliez pas de voter voire de commenter. Et je vous laisse là-dessus. Passez un joyeux réveillon et profitez de votre famille / amis / les personnes avec qui vous fêtez Noël. Et en attendant le prochain chapitre, je vous envoie autant d'amour que possible 💓💓💓
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