Chapitre 47 ⋅ Addictif
La nuit n'avait pas suffi à Mahiru pour faire le tri dans ses pensées. Bien au contraire, l'obscurité de sa chambre avait laissé place à tous ses questionnements une fois l'euphorie retombée – même si, avec un tel fouilli de sensations, il était impossible que ça se tasse réellement – ainsi qu'à cette horrible manie qu'elle avait de tout repasser en boucle dans son esprit. Les interrogatoires successifs n'avaient pas aidé, que ce soit de la part de ses parents qui, sans avoir vu Atsumu la raccompagner, savaient que c'était lui qu'elle avait rejoint à toute hâte, ou de Kinako dont le nom n'avait cessé de s'allumer sur son téléphone jusqu'à tard dans la soirée. Et alors que le Japon tout entier était dans le royaume de Morphée depuis plusieurs heures déjà, elle s'était autorisé un sourire niais au souvenir de son premier baiser avec Atsumu avant de sombrer dans le sommeil pour de bon.
— Oh, une reporter sauvage au milieu du hall.
Ladite reporter sursauta au son de cette voix familièrement narquoise qui l'arrachait à ses rêveries, et tout en se rattrapant à la porte métallique de son casier, elle leva un regard blasé vers celui qui en était à l'origine. Atsumu ricana, fier de son effet de surprise, puis s'appuya nonchalamment contre la rangée de casiers sans se détourner d'elle – et ses joues s'échauffèrent à cette simple attention au milieu du hall.
— Qu'est-ce je fais, du coup ? poursuivit-il d'une voix songeuse à l'instant où Mahiru attrapait son manuel de cuisine pour la matinée. Je l'observe, je l'attaque, ou bien je lui lance une poké...
— Je prends la fuite, l'interrompit-elle en claquant son casier, si bien que quelques passants lui jetèrent un coup d'œil curieux.
— Ha, j't'ai connue plus courageuse, dis donc.
— Et moi je t'ai connu plus avare en compliments.
Si son sourire s'élargit un peu à sa réplique et à tous les sous-entendus qu'elle contenait, le volleyeur ne se laissa pas décontenancer outre mesure, se penchant même vers elle en dépit du fait qu'ils n'étaient pas tout à fait seul à seule, de sorte à susurrer avec amusement :
— Tu préfères que je revienne aux insultes, peut-être ? Pas que ça me dérange, mais... hésita-t-il à l'instant même où ses yeux glissèrent sur ses lèvres, et elle déglutit.
— Mais ? insista-t-elle, troublée tant par le mouvement de son regard qui remontait vers le sien que par le passage d'un groupe de deuxième année pas loin.
— Mais je suis pas sûr d'en avoir assez en stock pour te décrire comme il faut.
La chaleur lui dévora les joues à cette remarque, sans qu'elle ne parvienne à savoir si c'était à cause de l'agacement qu'il aimait tant à provoquer chez elle ou bien la nervosité de le savoir si proche d'elle alors même que des dizaines d'autre lycéens les entouraient – et c'était d'autant plus énervant que sa gorge s'asséchait au fil des secondes où il s'éternisait dans son espace vital, à la noyer dans un flot de souvenirs étourdissants pas plus vieux que de vingt-quatre heures.
Elle se ressaisit en esquissant un sourire moqueur :
— T'en fais pas, je le savais déjà que tu n'avais pas beaucoup de vocabulaire.
— C'est vrai que madame fait preuve de beaucoup de créativité, quand il s'agit de m'insulter, reconnut-il avec une fausse admiration, avant de se fendre d'un sourire charmeur. Je pensais pas t'inspirer autant.
— C'est ta bêtise qui m'inspire. Toi, en revanche... bof, grimaça-t-elle, et un éclat d'amusement vola à la surface de ses yeux.
— Bof comme quand t'as dit vouloir me présenter à tes parents, ou bof comme quand t'as fait la tête en croyant qu'on pouvait pas sortir ensemble ?
Mahiru entrouvrit les lèvres de surprise à sa réplique balancée encore une fois sans le moindre tact, et ce dans un endroit semi-public comme le hall où ils étaient toujours. Pire, même, ainsi mise au pied du mur, elle sentait tous les mensonges et excuses du monde se bousculer sur ses lèvres sans qu'un seul ne prenne le dessus, parce qu'Atsumu avait mis le doigt sur quelque chose qui n'était autre que la vérité. La cruelle, indéniable et embarrassante vérité, que cet idiot de volleyeur, qui avait été plusieurs semaines aveugle à toute expression de ses sentiments, remarquait tout à coup au moment où ça l'arrangeait le mieux. Elle serra les dents.
— Je n'ai rien cru du tout. C'est toi qui as dit que rien n'était possible entre nous, rectifia-t-elle en le pointant d'un doigt accusateur.
— Et t'as fait la tête pour ça, argua-t-il en retour, et elle laissa échapper un petit rire guère impressionné.
— Imagine que je dise ça sur toi, un peu, je doute que ça te plaise.
— Honnêtement, vu la soirée d'hier, j'aurais du mal à te croire.
La brunette leva les yeux au ciel à son ton narquois, qui déjà lui électrisait les sens quand bien même leurs peaux n'étaient pas en contact, mais attendit avant de répondre, comme deux première année passaient non loin d'eux à cet instant-là. Atsumu leur accorda un bref regard indescriptible pour avoir interrompu son interlocutrice, avant de revenir bien vite sur elle, dans l'attente de la suite. Elle hésita un instant, les joues rougissant un peu plus sous la caresse de ses yeux, avant de poursuivre à voix basse :
— Justement... À propos de ce qui s'est passé hier soir, j'aimerais que ça reste entre nous pour l'instant.
— Ah bon ? laissa-t-il échapper de surprise, sans pour autant se départir de son côté joueur. Pourquoi ? T'as honte de moi, c'est ça ?
— Alors déjà, oui.
Ce n'était pas vrai. C'était sorti machinalement, dans une façon désespérée de garder contenance au milieu de tout ce qu'elle devait lui dire, mais ce n'était pas vrai du tout – et lui le savait très bien lui aussi puisqu'un gloussement monta dans sa gorge à cette énième pique à son attention. Pour autant, son rire se tarit bien vite dans le brouhaha du hall, et il recentra son attention sur son visage dans l'attente de la suite.
Une seconde muette s'écoula alors, longue de tous les mots qui s'échangeaient dans leur contact visuel, avant que la brunette ne se décide enfin à briser le silence. Elle n'eut pas le temps de formuler le moindre phonème, cependant, interrompue par des bruits de pas d'autres camarades qui se rapprochaient. Et après un coup d'œil éloquent vers le volleyeur pour lui intimer de le suivre, Mahiru le contourna pour s'engager dans le corridor Est – celui qui menait à l'auditorium et aux escaliers du fond, celui où personne ne s'aventurait en temps normal.
— C'est quoi la vraie raison, du coup ? insista-t-il après l'avoir rattrapée à mi-chemin du couloir en trois rapides enjambées, et elle lui lança un regard prudent par-dessus son épaule.
— Rien de grave, t'inquiète.
— T'es sûre ? Tu fous un peu les jetons, quand t'es comme ça, tu sais ?
— Ah bon ? Moi, la petite reporter de l'Inarizaki Today, je te fais peur ?
— Nan, nia-t-il aussitôt, et son sourire fier s'élargit à l'utilisation de l'adjectif. Mais comme on sait pas ce qui se passe dans ta petite tête de râleuse, à tout moment tu pourrais exploser, et on le verrait pas venir.
La reporter roula des yeux, le coin de ses lèvres se retroussant malgré elle à sa remarque accompagnée d'un coup de coude complice dans l'épaule, à faire pétiller ses pommettes d'appréhension. La même appréhension qui l'avait saisie au sommet du Mont Maya la veille, quand ils n'étaient qu'à une marche de différence et pourtant au même niveau, à quelques fractions de seconde du point de non-retour. Et dans un frisson qui ressembla cruellement à celui qui l'avait secouée tout entière au moment où leurs lèvres s'étaient trouvées, Mahiru avoua dans un souffle :
— Il me faut un peu de temps pour... pour m'ajuster à tout ça, c'est tout.
Atsumu fronça les sourcils, dubitatif, ce qui inquiéta son interlocutrice autant que ça la rassura puisqu'elle n'était pas sûre qu'il l'avait entendue. Pour autant, il ne s'arrêta pas d'avancer à ses côtés, lui ouvrant même la porte vers le couloir Nord-Est pour l'inviter à continuer – leur marche comme la conversation.
— T'ajuster à quoi, exactement ? Il y a rien qui change par rapport à avant, argua-t-il avec sa nonchalance habituelle.
— Comment ça, « il y a rien qui change » ? tressaillit-elle en pivotant au bout de quelques pas pour lui lancer un regard offusqué, presque blessé. Je suis pas sûre de te comprendre, là.
— Bah oui, je compte pas m'arrêter de te taper sur les nerfs à cause d'un bisou. Tu t'attendais à quoi ?
Le cœur de Mahiru rata un battement à la mention de leur étreinte, qu'il avait qualifié avec sa légèreté habituelle de simple « bisou » comme si ça ne s'était pas limité à un seul baiser, et elle ne parvint pas à retenir le petit rire nerveux qui franchit ses lèvres à cette idée. C'était tellement lui, de faire ça. Il n'y avait que Miya Atsumu pour lui demander un baiser au crépuscule, puis le lendemain en parler comme si ça n'avait été rien de plus qu'une patte de chat dans la neige, un petit truc mignon et agréable qui pouvait refaire la journée des concernés, mais ne changeait pas la face du monde.
— Ouais, t'as raison, avoua-t-elle alors dans un murmure qui lui sembla résonner dans le couloir désert. C'était juste un bisou, au fond.
— Un bisou très sympa, addictif même, mais un bisou quand même.
Et lui d'appuyer son argument d'un petit coup d'épaule dans la sienne, si bien que la brunette acquiesça dans un sourire désormais irrépressible, sans nul doute niais mais qu'elle masqua sous la taquinerie.
— Waouh, je suis surprise que tu connaisses ce mot. Tu sais ce que ça veut dire, « addictif » ?
— Et je sais même l'écrire. Ça t'en bouche un coin, hein ?
— Bravo, t'auras un bon point.
Nouveau gloussement, qui vibra à travers elle en raison de leur proximité. Pas qu'elle s'en plaigne, mais elle n'était pas tout à fait sûre de réussir à gravir les escaliers devant lesquels ils arrivaient, vu la texture cotoneuse que prenaient ses jambes. Et Atsumu n'aida pas :
— D'ailleurs, rien que d'en parler avec toi, ça me donne super envie de... commença-t-il en se penchant vers son visage, avant d'être interrompu par le cahier d'économie de Mahiru contre ses lèvres.
— Pas en public, lui indiqua-t-elle non sans quelques tremblements de voix, et le volleyeur abaissa le cahier pour révéler une moue sceptique, presque boudeuse.
— On était en public, hier.
— Oui, mais y'avait personne.
— Là non plus, y'a personne.
Ce disant, il désigna la cage d'escaliers autour d'eux, complètement déserte. Seuls les bruits lointains du hall quitté quelques instants auparavant leur parvenait, guère perceptibles en raison de la distance. Ça ne convainquit cependant pas Mahiru.
— N'importe qui pourrait arriver et nous surprendre, argua-t-elle, et il retrouva son sourire aux couleurs de malice.
— Si c'est que ça, j'peux nous trouver une salle de classe vide, tu sais.
— Atsumu...
— Mahiru ?
Elle tressaillit au son de son prénom qui roulait un peu trop naturellement sur sa langue pour que ça ne la perturbe pas un peu. Des picotements remontèrent de son cou jusqu'au bas de ses joues qui, elle s'en doutait, crépitèrent aussitôt. Pourtant, un peu fièrement sans doute, la reporter entreprit de gravir les marches d'un pas déterminé pour s'empêcher de céder trop vite face à Atsumu. Et si ce dernier la regarda passer en ricanant, nullement vexé par ce refus, il la rejoignit bien vite dans son ascension, une autre question sur les lèvres :
— Et quand tu dis que personne doit être au courant, ça veut dire même pas nos potes ?
— Pourquoi ? Tu leur as déjà tout dit, c'est ça ? demanda-t-elle en lui décochant un regard méfiant.
— Nan, même pas, répliqua-t-il dans un sourire espiègle qui prit une allure penaude sur les coins. C'est juste que 'Samu me connaît par cœur, il a forcément capté que... qu'il s'est passé quelque chose.
— Je vois. Et... il est du genre commère ?
Il haussa les épaules avec indifférence.
— Ça dépend. J'pense qu'il voudra d'abord m'interroger et savoir ce qu'il en est avant de balancer à l'équipe. Donc t'inquiète pas pour ça, j'vais m'assurer que notre secret soit bien gardé.
Mahiru ralentit imperceptiblement le pas jusqu'à s'arrêter sur la dernière marche pour le contempler, bouche bée. Outre ce choix tout particulier du possessif qui la faisait frémir de nervosité, l'attention toute entière la touchait jusqu'au plus profond d'elle-même par sa singularité. Atsumu n'en avait jamais eu grand-chose à faire du regard des autres. Il n'hésitait pas à bafouer les convenances et à choquer les esprits si ça lui permettait d'avoir ce qu'il souhaitait, et se complaisait dans la solitude pourvu que personne ne vienne le restreindre. Diable, il l'embrasserait à pleine bouche au beau milieu du hall à midi s'il le pouvait juste parce qu'il en avait envie.
Et pourtant le voilà qui acceptait de cacher sa relation aux autres juste pour elle. Juste pour lui faire plaisir. Juste pour la protéger des inquiétudes.
Si son cœur n'était pas déjà amouraché de lui, sans doute le serait-il devenu à cet instant-là, dans cette cage d'escaliers déserte où leurs mots spiralaient vers le ciel au fil des aveux. Elle retint alors son souffle une seconde, une brève seconde où l'hésitation l'empêchait de faire le moindre mouvement. Et, profitant du fait que le volleyeur s'était arrêté sur la même marche qu'elle, la reporter sautilla sur la suivante avant de pivoter vers lui et son regard noisette où dansait une lueur confuse.
— C'est pas exactement une salle de classe vide, mais... ça fait l'affaire, non ? articula-t-elle avec prudence, et il mit quelques secondes à comprendre où elle voulait en venir.
— T'es sûre ? murmura-t-il malgré tout, un sourire médusé sur les lèvres.
— Ouais, je... vas-y.
La dernière syllabe ne franchit jamais la barrière de ses lèvres, puisque celles d'Atsumu s'écrasèrent sur les siennes avant que Mahiru ne puisse terminer sa phrase. Pas qu'elle ne s'en plaigne, un soupir d'aise lui échappant sitôt que leurs langues se trouvèrent et il n'en fallut pas plus pour que ses larges mains de volleyeur se faufilent dans son dos pour l'attirer à lui. Tout s'enflamma alors dans le secret des escaliers, leurs sens et leur souffle, leurs gestes et leurs pensées, tout. Et là, au bord des marches et au bord du vide, ce ne fut qu'un réflexe pour la reporter de glisser ses mains sur sa nuque, juste à la base de ses cheveux bruns qui lui chatouillaient les doigts. Il eut un sourire tout contre ses lèvres, à lui retourner l'esprit encore plus que ce dernier ne l'était déjà, avant de l'achever en la poussant contre la rampe d'escalier de sorte à approfondir le baiser.
Quand la lucidité les rattrapa au bout d'une éternité dans le feu, le souffle leur manquait cruellement. Leurs yeux, à demi-clos et embués d'ivresse, peinèrent à s'habituer à la lumière du jour, et Mahiru dut battre des cils à plusieurs reprises avant qu'enfin le visage d'Atsumu redevienne net malgré leur proximité. Elle s'autorisa un instant à le détailler du regard, à admirer la teinte voilée de ses yeux noisette après cette étreinte, à apprécier la manière dont ses traits se plissaient sous la béatitude et dont ses cheveux dorés lui caressaient le front par intermittence. Un instant s'écoula alors, écrasant pour leurs poumons tout juste malmenés. Puis son haleine fraîche lui fouetta les lèvres quand il brisa le silence de la cage d'escaliers :
— Je te laisse tout le temps qu'il te faut pour t'ajuster, murmura le volleyeur d'une voix rauque, les pupilles irrémédiablement attirées par ses lèvres. Mais une fois que t'es habituée, le regard des autres m'arrêtera plus.
— Laisse... laisse-moi jusqu'au match de vendredi, répondit la reporter dans un souffle, et il acquiesça.
— Le match, du coup.
Leurs regards se percutèrent dans la pénombre des escaliers, dans une manière de sceller cette promesse prononcée à moitié. Pour autant lui ne recula pas tout de suite, ni quand la reporter hocha la tête pour lui faire part de son accord ni lorsque la première sonnerie retentit au loin. Il s'éternisa encore une minute, une toute petite, minuscule minute, où ses mains se crispèrent sur la taille de Mahiru au fil de ses hésitations. Puis enfin, Atsumu céda à l'ultime pulsion le temps d'un dernier baiser volé au coin des lèvres, avant de se séparer d'elle à l'instant même où les portes des escaliers s'ouvraient à la volée un peu plus bas. Et s'ils échangèrent un sourire complice, les deux adolescents prirent chacun une direction différente.
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C'est qu'ils sont un petit peu accros, on va pas se mentir 🤭
Je vais pas m'éterniser en NdA ce soir, tout simplement parce que j'en ai pas la force. Je vous prie juste de m'excuser pour le retard de la semaine dernière, j'ai été malade quelques jours et même si j'étais guérie, la grippe vient de me rattraper au tournant. Du coup, le prochain chapitre n'est pas encore commencé, je vais essayer de le finir pour vendredi prochain, mais je ne garantis rien 😔 En attendant, j'espère que ce chapitre vous a plu, et si c'est le cas, n'oubliez pas de voter voire de commenter. Et encore merci de lire cette histoire 💓
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