Chapitre 44 ⋅ De l'autre côté
L'orage menaçait depuis quelques heures sur Inarizaki. Il avait plané toute la journée, chargeant l'air d'une tension de plus en plus écrasante au fil des heures, lourd de nuages qui avaient perdu leur blancheur ouateuse pour une noirceur électrique. Quelques grondements avaient accompagné leur venue, glas annonciateurs de la tempête qui se profilait à l'horizon, et tous ceux qui l'avaient vu venir s'étaient empressés de se mettre à l'abri. C'était à croire que la colère divine s'était coalisée autour d'un même point pour mieux s'abattre sur les pauvres mortels au-dessous d'elle.
— Atsumu, bon sang !
La voix de Ginjima traversa le gymnase avec presque autant de force que le tonnerre lui-même. Il fusillait l'aîné Miya du regard depuis son coin attitré du terrain, où il était tombé sur les fesses en essayant de rattraper une passe définitivement trop basse pour lui. Enfin... non. Elle n'était pas si basse que ça, cette passe. Un peu rapide, à la limite, mais clairement pas hors d'atteinte pour un aillier de son niveau. C'était à lui de se bouger pour la réceptionner – surtout quand c'était la troisième fois qu'il ratait.
Atsumu serra les dents.
— Tu joues comme une brêle aujourd'hui, grommela-t-il alors en réponse, et le concerné se releva d'un air furibond.
— Tu rigoles ? T'as pas vu les boulets de canon que t'envoies ?
— La ferme. Si tu sais pas les réceptionner, tu peux te barrer de l'équipe.
— Oï, Atsumu !
Le passeur tourna un regard glacial à Kosaku qui ravala aussitôt sa réplique, puis fit volte-face afin de se rapprocher de la panière un peu plus loin. Il se saisit d'un ballon bien vite pour le faire virevolter entre ses mains crispées, dans l'espoir un peu naïf de détendre l'intégralité de son corps tendu par la colère – à défaut de réussir à en identifier la cause. Car il avait la folle impression que tout le monde lui tapait sur le système.
Osamu, qui se montrait particulièrement casse-pied ces derniers jours. Suna et Ginjima, et par extension le reste de l'équipe, dont le jeu laissait à désirer en ce moment alors même que le prochain match de qualification approchait à vitesse grand V. Sa mère, qui lui prenait la tête pour tout et pour rien à la maison. Ses professeurs, qui l'accablaient de devoirs et de révisions qu'il était trop fatigué pour faire correctement avec la fatigue des entraînements. Les gens de sa classe, qui prenaient un peu trop de plaisir à le vanner sans se soucier des retours de bâton qu'il pouvait renvoyer. Et Nomura Mahiru, cette fichue Mahiru qui un jour l'embrassait et un autre l'ignorait sans lui laisser le temps de comprendre quoique ce soit à ce qu'il se passait.
Il fronça les sourcils à cette dernière pensée plus que contrariante, qui le motiva à reculer de quelques pas pour préparer son service. Au loin, Suna se positionna de sorte à pouvoir recevoir la balle au mieux – même si cela ne suffit pas. Le central eut tout juste le temps de se redresser que déjà Atsumu s'était déjà élancé dans les airs pour envoyer toute la force de son buste dans le cuir, dans un claquement à réveiller les morts. Il atterrit l'instant d'après agilement, sans pour autant détourner les yeux de son destinataire qui la dévia avec succès, mais pas sans difficulté. Et un soupir agacé quitta les lèvres de Suna en même temps que le sifflet retentissait dans la pièce.
— Rassemblement ! s'exclama la voix sévère de l'entraîneur Kurosu en levant un bras pour attirer l'attention de ses volleyeurs.
— Qui est-ce qui va se faire engueuler, à votre avis ? chuchota Ginjima en rejoignant Suna au pas de course.
— Je sais pas, mais j'ai ma petite idée.
Ce disant, le central coulissa un regard indescriptible à Atsumu qui s'était approché comme eux de leur coach – et ce dernier ne leur laissa pas le temps de spéculer davantage sur la discussion à venir.
— On va arrêter l'entraînement pour aujourd'hui, annonça-t-il de but en blanc, si bien que ses joueurs s'offusquèrent dans la seconde.
— Déjà ?
— Mais il est même pas seize heure trente !
— On a à peine eu le temps de jouer, avec l'échauffement...
L'adulte coupa court aux protestations d'un simple geste de la main qui les réduisit au silence dans la seconde.
— Vous n'êtes pas dans le jeu, aujourd'hui, c'est pas comme ça que vous allez progresser et gagner le tournoi national, expliqua-t-il sans prendre de pincettes. Et toi, Atsumu, t'es trop énervé pour jouer en équipe.
— Je suis pas énervé, c'est eux qui sont pas fichus de... tenta de se justifier le passeur, mais son coach l'empêcha de poursuivre.
— Peu importe. Je ne veux pas te voir sur ce terrain tant que t'auras pas réglé tes problèmes.
Un blanc consterné accueillit cette nouvelle directive encore jamais employée jusqu'alors à Inarizaki. Les joueurs se regardèrent entre eux, confus, définitivement à court de mots. Puis quand Kurosu les salua une dernière fois, ils s'exécutèrent sans plus attendre. Le gymnase fut rangé et nettoyé en un petite demi-heure, puisqu'à défaut de dépenser leur énergie dans un entraînement digne de ce nom, ils avaient le loisir de l'utiliser à un tout autre but. Même leurs maillots n'étaient pas pleins de sueur, une première pour ces dingues du volley qui finissaient souvent les entraînements en nage.
Dix-sept heures sonnait tout juste quand Atsumu se laissa tomber sur un banc du vestiaire, le cœur lourd d'un sentiment qu'il découvrait tout juste. C'était la première fois qu'il était exclus de l'équipe, qui plus est à cause de son comportement, car c'était aussi la première fois qu'on lui reprochait de ne pas être assez concentré. Il serra les poings. C'était la première fois qu'on lui prenait ce qu'il avait de plus cher dans sa vie, juste parce qu'il se laissait aveugler par d'autres choses qui n'étaient pas aussi importantes – enfin, jusqu'à maintenant.
— Ouah, c'était l'entraînement le plus court de l'histoire du volley ! s'exclama Ginjima en retirant son t-shirt pour le balancer dans son sac sans plus de cérémonie.
— De fou, ricana Kosaku, qui était déjà en caleçon au milieu du vestiaire. Même la pause du midi, elle a duré plus longtemps que ça...
— En même temps, c'est facile, elle dure une heure.
— C'est bien ce que je dis, on n'a même pas eu une heure d'entraînement !
Les plaintes continèrent encore quelques instants dans l'écho des vestiaires, tantôt contre le coach tantôt contre le prochain match qui approchait, avant de se muer en rires discrets et taquineries au fur et à mesure des discussions. Assis à la même place que tout à l'heure, Atsumu se gardait bien de participer à la conversation, parfaitement conscient malgré sa mauvaise fois que leur baisse de niveau de ce jour n'était pas la raison principale de sa colère ou de la fin de l'entraînement. Pour autant, ce serait mal connaître ses coéquipiers – amis ! – de penser qu'ils le laisseraient tranquille.
— Bah alors, Atsumu ? Qu'est-ce qui te rend si ronchon aujourd'hui ? demanda sans détour Ginjima en se laissant choir à ses côtés, et l'autre se renfrogna.
— Rien, je suis pas ronchon.
— C'est ça, tu rayonnes de joie, et moi je suis danseuse au cabaret de Tokyo.
Les traits du capitaine se durcirent d'agacement face au sarcasme de son ailier, mais il ne lui donna pas la satisfaction de sa réponse. De toute façon, quelqu'un qu'il ne connaissait que trop bien avait décidé de le faire à sa place :
— C'est sa Nomura qui le rend dingue, lâcha Osamu avec un petit sourire.
— Ah ben c'est pas nouveau, ça ! commenta Kosaku, à peine surpris par l'annonce. Ça fait depuis la rentrée qu'elle le rend dingue.
— Hein ? Mais elle me rend pas dingue ! protesta d'emblée le principal concerné, avant d'être interrompu par Ginjima.
— Tu parles ! T'as que ta Nomura dans la tête depuis qu'elle t'a traité de gamin dans un de ses articles.
— Même avant, reprit Osamu de sa voix traînante, teintée d'un peu trop de malice pour que son jumeau ne le redoute pas. Vous étiez pas là quand elle lui a jeté du jus de fruit au visage avant la rentrée.
— Genre ! J'aurais trop voulu voir ça !
— Et moi donc.
Le commentaire de Suna, jusqu'alors resté silencieux, acheva de lui courir sur les nerfs. Atsumu balança son uniforme noir au fond de son sac de sport, avant d'enfiler son t-shirt de survêtement dans un geste sec.
— Elle me rend pas dingue, répéta-t-il dans un grognement. Et c'est pas ma Nomura.
— C'est carrément ta Nomura, sourit Ginjima, qui savait qu'il avait trouvé une corde sensible avec laquelle jouer, comme un chat avec une pelotte de laine. T'es tellement collé à elle que tout le lycée pense que vous êtes ensemble.
— N'importe quoi !
— Et puis y'a la une du journal aussi. Il me semble bien que vous êtes en train de vous rouler des pelles dessus ~
— Mais pas du tout, on se roulait pas des...
— Sans compter toutes les fois où vous arrivez en retard à deux, après avoir fait je-ne-sais-quoi...
— Argh, mais vous me lâcher les baskets, oui ?!
Sa voix claqua en même temps que l'élastique de son jogging blanc quand il le lâcha une fois enfilé. D'autres rires retentirent dans son dos, à l'agacer un peu plus qu'il ne l'était déjà, sans que sa colère n'explose pour autant. À la place, il pivota pour enfiler ses chaussures et s'asseoir sur le banc afin de les nouer – et c'est à ce moment que le déclic se fit. Il n'aurait pas su dire si c'était le fait de devoir se poser pour faire ses lacets, la discussion qui l'acculait de plus en plus, ou bien le fait d'avoir entendu « Nomura » trois fois en l'espace d'une minute alors que voilà bien longtemps qu'il ne l'appelait plus par ce nom, mais les mots sortirent d'eux-mêmes.
— Elle m'ignore, révéla-t-il alors dans un murmure qui en surprit plus d'un dans le vestiaire, et Riseki répéta même son aveu de stupéfaction.
— Elle t'ignore ?
— Elle me parles pas et fait comme si j'étais pas là quand c'est moi qui lui parle.
— Et... tu lui as demandé pourquoi ? hasarda Ginjima en détachant le regard de son sac pour adresser une œillade intriguée à Atsumu, qui acquiesça.
— Hum. Et elle me répond pas, ça me soûle.
— Ah ouais, ça pue un peu comme réaction.
Le passeur hocha une nouvelle fois de la tête, mais ne répondit pas. Il ramena une deuxième jambe contre lui pour nouer ses lacets tandis que ses coéquipiers s'activaient autour de lui pour rassembler leurs propres affaires. Osamu, qui avait déjà fini de se changer, s'était assis à côté de lui et dégustait une pâtisserie sortie à l'instant de son casier.
— Donc elle te fait la tête et ça te soûle, résuma-t-il en avisant le visage fermé de son jumeau. Et après, t'oses dire qu'elle te rend pas dingue ?
— 'Samu, commence pas à me chier dans les bottes, gronda-t-il sans le regarder, menaçant.
— Nan mais je suis sérieux.
Le froncement de ses sourcils se creusa à cette insistance et Atsumu jeta un regard suspicieux à son jumeau qui, contre toute attente, arborait un air effectivement sérieux – et ce en dépit des miettes dorées et de la pâte de haricot rouge qui avaient maculé le bas de son visage. Il pointa son dorayaki bien entamé vers lui, puis articula autant que possible avec ses joues rondes de pâtisserie :
— Elle te plaît grave.
— Pas du tout, objecta-t-il par réflexe en rompant le contact visuel.
— Oh que si, renchérit son frère. Elle te plaît tellement que t'arrives plus à jouer au volley dès qu'elle t'ignore.
— Il marque un point là, approuva Suna un peu plus loin, sans pour autant lever les yeux de son téléphone.
Il n'en fallut pas plus pour qu'Atsumu tourne un regard blasé dans sa direction, trop déstabilisé par toutes les piques toujours plus imparables de ses coéquipiers pour avoir une réaction proportionnée.
— Qu'est-ce que tu viens me parler de filles, toi ? Aux dernières nouvelles, t'as rencontré ta meuf en lui envoyant un ballon dans la tronche.
— Atsumu... tenta d'intervenir Ginjima, mais déjà Suna répliquait, nullement impressionné.
— Peut-être que je l'ai assommée, oui, mais Akemi m'ignore pas parce que j'ai craché sur elle dans son dos, au moins.
Un « ohhh » exalté résonna dans le vestiaire, électrisant l'atmosphère déjà bien survoltée qui y régnait. Quelques sourires se faufilèrent sur les lèvres, et les membres d'Inarizaki se tournèrent vers leur capitaine pour guetter sa réaction – qui n'arriva jamais. Car sans être particulièrement agressive, la réplique du central piquait par sa véracité et avait su réduire son destinataire à un silence stupéfait.
— Attends... quoi ? articula-t-il, sincèrement confus d'être ainsi accusé. Comment ça, j'ai craché sur elle dans son dos ?
— Tu fais ça depuis le début de l'année, j'te rappelle, glissa Osamu, mais son frère était trop surpris pour répliquer.
— Nan mais sérieux, de quoi tu parles, Suna ?
Le central haussa les épaules avec détachement, puis balança son sac par-dessus son épaule avant de répondre, les mains au fond des poches de son hoodie.
— Je sais pas. Ce matin t'as dit que rien n'était possible entre vous deux, lâcha-t-il comme si c'était une hypothèse en mathématiques. Ça se peut que Nomura l'ait entendu...
— Tu crois ? Et elle ferait la tronche pour ça ? s'étonna le passeur, et Kosaku pencha la tête sur le côté pour faire part de sa réticence.
— Oh, tu sais, si la meuf que je kiffe disait ça, je le prendrais un peu mal aussi.
Le silence retomba sur les quelque dix adolescents désormais entièrement en tenue de survêtement, lourd de tous les sous-entendus – même s'ils ne l'étaient plus vraiment, à ce stade – qu'ils essayaient de faire auprès de leur capitaine depuis plusieurs minutes déjà. Et non sans un peu de retard, l'information sembla enfin trouver le chemin caché jusqu'à son cerveau, puisqu'Atsumu cligna par trois fois des yeux avant d'articuler avec incrédulité :
— Attends, tu veux dire que...
— Ouais, confirma son jumeau en ayant déjà deviné la suite. T'es un débile.
Osamu n'eut pas le plaisir d'entendre sa réponse, car il n'y en eut aucune. Le passeur se trouvait soudain à court de mots, à court de pensées même, le cerveau rempli de souvenirs qui revenaient l'assaillir pour mieux trouver un sens avec ses dernières réalisations. Ses rougeurs, sa volonté de jouer au volley avec lui, le bento préparé par ses soins pour se faire pardonner de s'en être pris à lui... et le tremblement de ses lèvres contre sa joue bien sûr. Tout, absolument tout était sous son nez depuis le début, si évident qu'il était impossible de le rater – et pourtant Atsumu avait, semble-t-il, réussi l'impossible.
La porte qu'on claquait subitement au fond du vestiaire le sortit de sa transe. Il battit des cils et constata que ses coéquipiers avaient déserté les lieux, le laissant à ses réalisations muettes. Un instant, il marmonna contre leur manière de filer à l'anglaise, avant de se dire que c'était sans doute volontaire, puisqu'il n'était pas prêt à repartir avec eux, pas comme ça, pas dans cet état-là, pas avec une telle information entre les mains. Son regard tomba sur le sac en toile suspendu au porte-manteau, et plus précisément sur son smartphone qui dépassait de la poche latérale. Et ses doigts se refermèrent dessus avant même que l'envie de le faire ne se forme dans son esprit.
Atsumu était un idiot. Ses coéquipiers, Hiroto, son frère, diable même Mahiru avait raison depuis le début. Il était une tête de nœud finie, qui ne comprenait rien à rien et finirait probablement sa vie au fond de la mer de Seto avec son quotient intellectuel d'huître. Pourtant ce fut plus fort que lui d'essayer de se rattraper, de taper son code secret en vitesse, d'écrire quelques mots rapides supposés transporter le plus naturel des sentiments. Ses doigts flottèrent un instant au-dessus du nom de sa destinataire, hésitants, pas tout à fait sûrs de la forme. Puis son pouce s'écrasa sur la touche d'envoi.
« T'es libre là ? J'aimerais qu'on parle. »
⋅
Comme promis, un chapitre plus positif (et enfin le fameux message que Mahi a reçu hihi). On remercie l'équipe de volley, sans qui rien de tout ça n'aurait été possible, car pour le coup, Atsumu est un idiot fini. Il aurait fini par comprendre à la longue, mais trop tard, une fois que Mahi se serait lassée d'attendre dans le vent et serait passée à autre chose – ce qui, en soi, aurait pu faire un allongement considérable de la fanfic xD. Donc merci Suna d'avoir les yeux en face des trous (sauf quand il s'agit de viser en service smashés).
J'en profite pour vous dire qu'un minuscule bonus va être posté sur mon insta dans la journée (sur cali.aster) puisque ce petit échange sera passé sous ellipse dans le prochain chapitre. Donc gardez l'œil ouvert !
Sur ce, je vous laisse, je vais me préparer pour mon anniv (qui est demain mais on le célèbre aujourd'hui). En attendant, j'espère que ce chapitre vous a plu et si c'est le cas, n'oubliez pas de voter voire de commenter ! On se retrouve au prochain chapitre 💓
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