Chapitre 41 ⋅ Retour à la réalité

La douce tiédeur de la joue d'Atsumu ne quitta pas les pensées de Mahiru. Que ce soit pendant la course de relais où l'équipe de la 3–5 avait fini troisième sur six, lors du match de baseball où Ugaki et le reste de la classe l'avaient traînée un peu après, ou encore au moment de convivialité organisé par le B.D.E. à la fin de la journée où, chacun avec leurs amis respectifs, ils s'étaient regardés en chien de faïence sans jamais se parler, rien n'y avait fait. Car à aucun moment la reporter n'avait su s'ôter de l'esprit le contact pourtant on ne peut plus bref qu'elle avait initié en l'embrassant.

Il lui restait d'ailleurs sur les lèvres, ce baiser, terriblement brûlant en dépit de toute sa légèreté. Les endroits où sa lippe avait effleuré la peau du volleyeur picotaient encore d'ivresse par moment, et son cœur, oh son pauvre cœur, il s'affolait toujours un peu sitôt que le souvenir la hantait une seconde de trop. Diable, même son odeur de musc et de rosée automnale lui chatouillait toujours les poumons, à la hanter jusque dans les plus sombres heures de la nuit. Et même la distance apportée par le week-end n'atténua pas son effet, bien au contraire, car c'est pleine d'appréhension que Mahiru arriva au lycée le lundi matin qui suivit.

Le hall tout particulièrement fut un calvaire à traverser. Peut-être parce que ça lui avait retourné l'esprit pendant trois jours. Peut-être parce qu'une part d'elle se demandait bien ce qu'Atsumu allait lui dire en cours. Peut-être aussi parce que, depuis l'endroit où il se tenait avec ses coéquipiers, son regard noisette avait traversé la pièce pour se poser sur sa silhouette sitôt qu'elle avait franchi le seuil. Toujours est-il que la brunette dut redoubler de concentration pour fendre la foule jusqu'à atteindre son casier, derrière la porte duquel elle se réfugia sans plus attendre pour se soustraire à son regard – et à tous les autres aussi, parce qu'elle avait la cruelle impression que tout le lycée la contemplait.

— Tu te fais un nid pour l'hiver ?

La voix de Kinako l'arracha à ses inquiétudes, et dans son sursaut, la reporter se cogna l'épaule à la porte de son casier. Elle grimaça de douleur, se massant l'épaule dans une vaine tentative de s'en défaire, avant d'enfin tourner les yeux vers sa meilleure amie qui esquissait un sourire penaud.

— Désolée, articula-t-elle avec embarras. Je pensais pas que...

— T'en fais pas, l'interrompit Mahiru afin de couper court à ce malaise étrange dont elles peinaient à se défaire depuis quelques jours. Tu vas au club, là ?

— Oui, je voulais te proposer qu'on y aille ensemble.

— Ah, euh... oui, carrément. Laisse-moi juste deux minutes.

Sa sœur de cœur se fendit d'un large sourire et acquiesça avec vigueur, tandis que l'autre se dépêchait de troquer ses mocassins de ville contre les chaussures d'intérieur fournies par le lycée. Pas qu'elle ait tout à fait hâte de se rendre au club ou en cours, loin de là. Or pour une fois que Kinako n'était pas accompagnée de Murao le matin, la brunette voulait en profiter – surtout après les événements du vendredi précédent qu'il lui fallait extérioriser. Aussi, après une ultime seconde d'égarement où son regard se perdit en direction du petit attroupement qui s'était formé autour des casiers des jumeaux Miya, Mahiru referma le sien pour emboîter le pas à sa meilleure amie.

— Ça a été ton week-end ? s'enquit-elle avec prudence alors qu'elles s'engageaient dans les escaliers.

— Tranquille, ouais. J'ai surtout dormi ; les matchs de tennis m'ont achevée.

— Ha, tu m'étonnes.

Dans un sourire, l'adolescente songea à la victoire écrasante de la 3–6 sur les autres classes au tournoi de tennis, qui avait en effet dû les vider de leur énergie. Elle-même avait senti passer sa course de relais, seule activité physique de la journée qui avait pourtant suffi à la faire tomber comme une masse à neuf heure du soir – même si, en son for intérieur, elle soupçonnait la fatigue d'être due à autre chose de plus... émotionnel.

À ce souvenir du baiser volé, la reporter jeta un coup d'œil furtif vers Kinako. Il fallait qu'elle lui en parle. Là, cependant, au milieu des couloirs où tous les sons se bousculaient et pouvaient être perçus par des oreilles indésirables, ce n'était pas envisageable. Pas avec cette sensation d'être au centre de l'attention qui revenait la hanter. Elle prit alors son mal en patience, préférant attendre que son accompagnatrice et elle aient atteint la sécurité du local de l'Inarizaki Today.

Tatsuya était déjà là, rayonnant comme à son habitude derrière le vieux poste informatique qui lui servait à rédiger ses premiers articles. Les deux petits nouveaux du club, dont Mahiru n'avait pas encore assimilé les noms, étaient présents également – quand bien même après avoir salué les deux nouvelles arrivantes, ils se carapatèrent pour rejoindre leur classe.

— Ah, les première année, ils ont toujours la frousse d'être en retard, s'amusa Kinako une fois qu'ils se furent éclipsés.

— Ou alors, ils ont peur de décevoir les troisième année, argua la reporter en déposant son sac près de son ordinateur attitré, et sa meilleure amie pouffa de rire.

— Les mêmes troisième année qui délèguent leur travail aux cadets comme des gros flemmards ? Nan, quand même pas. D'ailleurs Tatsuya, ça a été l'impression du journal de la semaine ?

— Ça va, répondit leur cadet avec un large sourire. À vrai dire, j'ai pu tout lancer à la repro ce matin grâce aux petits nouveaux. Y'a pas à dire, la relève est assurée !

Ce disant, il leva un pouce vers le haut pour appuyer ses propos, avant d'attraper sur son bureau un livret en papier semi-rigide aux couleurs d'Inarizaki qu'il présenta à ses aînées avec un petit sourire en coin.

— J'espère que ça vous plaira, senpai. C'est moi qui ai choisi la photo de couverture, indiqua-t-il en laissant traîner son regard une seconde de trop sur le visage de Mahiru, qiu fronça les sourcils.

— Qu'est-ce que t'as fait ? s'étonna-t-elle, mais déjà le plus jeune s'emparait de son sac de cours.

— Rien, rien... Je vous laisse, j'ai rendez-vous avec ma co-déléguée pour les dates des examens avant le début des cours, et ça sonne dans dix minutes.

— Tatsuya... ?

— À plus !

Tatsuya coupa court à ses questions, tout en lui en laissant le temps de s'en poser davantage, lorsqu'il referma la porte derrière lui l'instant d'après. Le silence retomba aussitôt sur le local du club, entrecoupé par le bruit incessant des vieux ventilateurs tournant à plein régime. Un soupir frustré quitta les lèvres de Mahiru, qui serra et desserra les poings dans une manière de ne pas s'énerver plus que de raison. Pas le temps pour sa colère de se nourrir de mystère, cependant, pas plus que de s'interroger sur les manigances de Tatsuya, puisque un hoquet de surprise saisit sa meilleure amie dans son dos.

— Oh bon sang, t'as embrassé Atsumu ? s'exclama-t-elle, stupéfaite, et la brunette se retourna dans un sursaut.

— Hein ? Attends, comment tu sais...

Le reste de sa question mourut sur ses lèvres sitôt que son regard olive tomba sur le journal entre les mains de Kinako – et plus particulièrement sur la une de couverture qui se présentait à elle. Car sous les épaisses lettres bordeau de l'Inarizaki Today, entre deux gros titres racoleurs qu'un éditeur débutant avait mal aligné, une photographie appelait à tous les regards. Une photo de Mahiru, ou plus exactement de son profil, qui malgré l'ombre des arbres et l'immense silhouette lui faisant face, ne laissait place à aucun doute sur ce qu'elle était en train de faire au moment où le cliché avait été pris. Debout sur la pointe des pieds, les paupières closes, les poings serrés, et les lèvres posées sur la joue d'un Atsumu plus stupéfait que jamais.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? couina-t-elle aussitôt en franchissant en trois grandes enjambées la distance qui la séparait de Kinako pour se saisir de l'hebdomadaire entre ses mains.

— Comment ça, « qu'est-ce que c'est » ? répéta sa meilleure amie dans un petit rire. Ça se voit que c'est toi qui embrasses Atsumu.

— Merci, j'avais compris... Mais comment ça se fait que ça se retrouve dans le journal ? En première page en plus !

Son interlocutrice haussa les épaules, avant de lui reprendre délicatement le journal des mains pour mieux en apprécier la une.

— Je sais pas mais vous aviez l'air bien intimes en tout cas, commenta-t-elle dans un sifflement admiratif. C'était la première fois ?

— Que... de quoi ? Qu'on était intimes ? bégaya la reporter en retour, et le sourire de Kinako s'aggrandit.

— Parce que vous avez été plus intimes que ce baiser ?

— Mais non ! Enfin... pas vraiment.

Mahiru se mordit les lèvres à cette auto-correction, comme elle n'était pas tout à fait sûre de ce qu'elle avouait là. Bien sûr, Atsumu et elle n'avait jamais été aussi délibérément proches auparavant, surtout sur le plan physique – et encore, il y avait eu cette fois où le volleyeur l'avait portée sur son dos. Cependant, par leur profondeur insoupçonnée que même des jours et des semaines après la jeune fille ne parvenait à s'ôter de la tête, certaines de leurs discussions s'étaient avérées bien plus intimes que le plus passionné des baisers.

Elle baissa les yeux, tant pour se défaire de ces étourdissantes réalisations que pour réfléchir à sa réponse qu'elle n'assumait qu'à moitié :

— La semaine dernière je me suis brûlée à la main, expliqua-t-elle hâtivement en se triturant les doigts, et son interlocutrice arqua un sourcil surpris à cette annonce. Rien de grave, je devais juste porter un pansement parce que c'était sensible. Sauf qu'avant la course de relais, Atsumu a voulu me changer mon pansement pour pas que j'ai mal, et du coup je l'ai embrassé sur la joue pour le remercier.

— Waouh, attends une minute...

La surprise colora cet unique mot que prononça Kinako, qui leva les deux mains en l'air pour l'inviter à ralentir dans le flot d'informations que lui déballait la reporter.

— Déjà, c'est quoi cette histoire de brûlure ? demanda-t-elle, et Mahiru lui montra sa paume bandée.

— Duel contre une bouilloire. La bouilloire a gagné, résuma-t-elle d'une voix blasée qui arracha un gloussement à son amie. Et te moque pas de moi, Atsumu l'a déjà bien assez fait comme ça.

— Ça m'étonne pas de lui, ça... Et du coup, tu l'as embrassé ?

La crudité de sa question fit tressaillir la principale concernée qui perdit un peu de sa consistance, tout à coup hésitante – guère prompte à assumer ses actes et la portée qu'ils pouvaient avoir, en somme.

— Hum, ouais. Je sais pas trop ce qui m'a pris, j'ai voulu...

— Je t'arrête là. Toi et moi, on sait très bien ce qui t'a pris, l'interrompit son interlocutrice dans un regard qui voulait tout dire.

— Te fiche pas de moi, Kinako... tenta de protester la reporter sans grande vigueur, et l'autre n'en démordit pas.

— Non mais je suis sérieuse, c'est vraiment cool que t'aies pris une telle initiative. Ça veut dire que ta relation avec lui te tient à cœur.

Mahiru leva les yeux vers sa meilleure amie, incrédule. Pour sûr, à aucun moment n'avait-elle douté de l'importance qu'Atsumu avait désormais dans sa vie. Cependant l'entendre dire à voix haute, ainsi que des sous-entendus sur sa volonté de se battre pour le peu qu'ils avaient à deux, ça avait le don de la rendre toute chose. Et peut-être que les sensations de ce chaste baiser sur la joue lui revenaient en plein visage au fil de sa réaliation, rougeurs écrasantes à la surface de sa peau.

Le sourire complice de Kinako ne l'aida pas à se calmer.

— Reste plus qu'à espérer que ça entre dans sa tête de volleyeur idiot, maintenant.

— J'espère aussi, oui. Enfin... si c'est réciproque bien sûr, ne put s'empêcher d'ajouter Mahiru, et son amie l'arrêta dans son élan.

— Meuf, on parle du mec qui exige le silence total à chacun de ses services et a des attentes tellement hautes qu'il a déjà fait fuir trois de ses coéquipiers depuis la rentrée. Et il a quand même pris le temps de changer ton pansement avant la course de relais. Évidemment qu'il t'aime bien.

Une nouvelle fois les doutes l'assaillirent, sans pour autant franchir la barrière de ses lèvres scellées par le regard menaçant que posa Kinako sur elle, la défiant de nier une nouvelle fois les possibles sentiments d'Atsumu. Et peut-être que c'est ce qu'il lui fallait depuis le début, au fond, puisque la brunette finit par acquiescer en silence, les pensées tournées vers ce changement de pansement qui voulait dire tellement plus qu'on n'oserait croire. Tout comme ce taiyaki innocemment déposé au coin de son pupitre un jour de jeûne involontaire.

À ce souvenir éternellement troublant, son cœur se gonfla d'espoir à étouffer les quelques incertitudes qui subsistaient. Et sur un regard reconnaissant à sa meilleure amie, elle s'empara de la bandoulière de son sac.

— T'as raison, lâcha-t-elle alors, sa confiance lui revenant peu à peu au fil des secondes. J'ai pas de raison de douter...

— Surtout après avoir osé l'embrasser en premier ! renchérit Kinako, et la reporter eut un rire nerveux avant de hocher une nouvelle fois la tête. Non, tu ne peux plus avoir peur après ça.

— C'est vrai, oui. Il faut que j'arrête de réfléchir.

Et l'autre d'approuver dans un sourire complice, achevant de mettre Mahiru en mouvement. Car guère désireuse de laisser filer cette étincelle de courage qui lui parcourait les veines avec cette conversation, cette dernière hissa son sac de cours sur une épaule d'un air décidé. Dans ce geste, elle avisa le coton blanc de sa chemise d'uniforme, dont elle avait choisi de se contenter à la place de son épais chandail en laine, suivant dans ce choix les conseils d'Atsumu par rapport à la chaleur estivale. Pour autant, elle décida de ne pas se laisser troubler plus qu'elle ne l'était déjà par le volleyeur, se dirigeant plutôt d'un pas assuré vers la porte..

— Va falloir que j'y aille. On mange ensemble à midi ? murmura-t-elle à l'intention de Kinako, qui leva un pouce vers le haut en réponse.

— Ça me va ! Tu me tiens au jus si y'a du changement, fit-elle en brandissant son portable comme si c'était un talkie-walkie.

— T'inquiète oui. À toute !

Le rire de sa meilleure amie résonna encore une fraction de seconde, avant de disparaître derrière la porte quand elle se referma. Mahiru en contempla le battement un instant, agréablement surprise par cette discussion avec sa sœur de cœur qu'elle croyait avoir perdue pour de bon. Un soupir de soulagement quitta finalement ses narines, puis un sourire timide lui chatouilla le coin des lèvres ; leur complicité était de retour.

La reporter se mit en route l'instant d'après. Non pas qu'elle eût particulièrement hâte d'aller en cours de japonais moderne, loin de là. Or la sonnerie était toute proche, et de plus en plus de gens se bousculaient dans les couloirs à cette heure fatidique. Et quand on avait déjà accumulé trois retards en l'espace d'un seul mois, il restait préférable de montrer patte blanche, et donc de redoubler d'efforts pour arriver à l'heure les fois suivantes. C'est pour ça qu'elle accéléra le pas, slalomant entre les escargots qui peuplaient le lycée et grimpant les marches quatre à quatre, si bien que c'est un brin hors d'haleine qu'elle arriva devant la porte de sa salle de classe quelques instants plus tard.

Mahiru n'entra pas tout de suite, préférant attendre d'avoir retrouvé son souffle pour se faufiler dans la classe plutôt que d'y débouler comme un chihuahua asthmatique – ce qui ne manquerait pas d'amuser Atsumu. Elle n'attendit pas bien longtemps, une ou deux minutes tout au plus, au bout desquelles la brunette se figura que pratiquer un peu plus de sport au quotidien ne lui ferait pas de mal. Les pensées focalisées sur cette réalisation, elle abandonna le mur contre lequel elle s'était appuyée afin d'entrer en classe. Sur le point de passer le seuil, cependant, ses muscles se figèrent subitement lorsque son nom traversa la pièce jusqu'à résonner aux abords du couloir.

— Du coup, Atsumu, je vois que ça avance avec Nomura, fit remarquer la voix de Ginjima de façon détachée.

— Quoi, avec Nomura ? grogna le capitaine avec sa hargne habituelle, et Saito Hiroto répondit malicieusement. De quoi tu parles ?

— Il paraît que tu pécho de la reporter, maintenant. T'es conscient que c'est pas pour autant que t'auras de supers articles sur ton équipe dans le journal, au moins ?

Ladite reporter déglutit d'appréhension à ces mots, puis après un bref instant d'hésitation sur la morale de ses gestes, décida de tendre l'oreille. Dans l'attente du reste, dans l'attente de cette voix qui avait toujours surpassé les autres, tant par son volume que par sa sonorité toute particulière pour les tympans en alerte de l'adolescente. Car il n'y en avait qu'une pour lui donner la chair de poule à la seule force de son timbre, une seule qui puisse dérégler les battements de son cœur à outrance, rien qu'une capable de l'écraser sous une montagne de souvenirs aussi étourdissants les uns que les autres. Et sans doute la seule capable de tout détruire dans son sillon indistinct :

— Arrête tes conneries, il se passe rien entre elle et moi. Et puis même s'il se passait quelque chose, ça durerait pas. Bref, on n'a rien à faire ensemble.

Crac.

La seule voix, en somme, capable de lui briser le cœur.


Je vais essayer de faire cours, vu l'heure. Deux salles deux ambiances par rapport au chapitre précédent hihi. N'en voulez pas trop à Atsumu, il apprend encore oki. Et puis quoi de mieux qu'un malentendu pour mieux se réconcilier après ? 🤭 (même si la réconciliation n'est pas prévue pour le prochain chapitre, oups) J'espère quand même que ce chapitre vous a plu, n'oubliez pas de voter voire de commenter, et on se retrouve au prochain. 💓

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