Chapitre 40 ⋅ Casser les codes
Comme l'avait annoncé Atsumu, la météo était de la partie en ce jour si spécial. Un soleil éclatant brillait au-dessus de Kobe, à faire monter le mercure jusqu'à vingt-neuf degrés à la mi-journée, tout en restant supportable grâce la brise rafraîchissante en provenance directe de la mer de Seto. Un temps idéal, en somme, pour faire du sport en extérieur sans risquer l'insolation ou la rhinopharyngite. Les organisateurs du Bureau des Étudiants s'en réjouirent d'ailleurs lors de leur discours d'ouverture, même s'ils ne manquèrent pas de rappeler à la foule d'adolescents prêts à en découdre, de bien s'hydrater au cours de la journée mais aussi de ne pas trop se couvrir.
Mahiru peina à les appliquer, ces conseils. Si la première règle ne lui posait aucun problème à condition de ne pas oublier de boire, la seconde en revanche constituait une autre paire de manches – et c'était le cas de le dire. Car sa veste de survêtement aux couleurs du lycée lui allait parfaitement, de par la longueur de ses manches qu'elle pouvait redescendre sur ses mains, et lui permettait donc de cacher sa vilaine brûlure encore sous pansement. Et à une heure à peine du début de sa course – programmée à quatorze heure trente précises – la reporter se demandait comment elle pourrait bien concourir sans ce bout de vêtement pour protéger sa paume endolorie, dans une compétition où le but principal était de se faire passer un objet de main en main.
— Qu'est-ce qu'ils font ? Ils en mettent du temps...
La voix de Narumi Kisara l'arracha à ses inquiétudes. Sa camarade de classe avait quitté le banc où elles s'étaient installées un peu plus tôt et avait rejoint le petit sentier à proximité pour guetter la porte du gymnase numéro trois. Encore une fois, Mahiru eut du mal à ne pas rester bouche bée – pour ne pas dire envieuse – de sa beauté de poupée qui se découpait dans le paysage fleuri du lycée. Elle s'en détourna dans un battement de cils.
— Ça fait quinze minutes que le match est fini, rappela-t-elle alors avec dépit. Ils ne devraient pas tarder.
— Ils sont longs quand même.
— Ah ben c'est des garçons, hein. On dit des filles mais ils sont carrément pires que nous.
— C'est vrai, reconnut Kisara dans un petit rire. Pour peu que les jumeaux aient commencé à se chamailler dans les vestiaires...
La reporter ricana doucement à cette possibilité guère surprenante. Si c'était le cas, elles étaient bonnes pour attendre longtemps sur ce maudit banc ; les jumeaux Miya pouvaient se prendre le chou pendant des heures. Elles en avaient eu la preuve pendant le match dont ils sortaient tout juste, opposant leur classe de 3–6 à celle des 3–5. Un curieux coup du sort avait fait qu'Atsumu et Osamu s'étaient retrouvés chacun dans une classe, et donc de part et d'autre du filet. Inutile de dire que le match fut un carnage, une volonté pour chacun des frères de grapiller des points à l'autre – et ce malgré le désintérêt désormais connu du cadet pour le volley – si bien qu'ils étaient tous les deux en nage au coup de sifflet final. Et malgré sa défaite, il n'y avait pas plus heureux qu'Osamu de donner la victoire à son jumeau.
Des autres volleyeurs, il fut difficile d'en dire grand-chose. Pas qu'ils aient chômé, car ce n'était pas du tout le cas. Pour autant Mahiru peinait à se rappeler leurs exploits, éclipsés par ce duel entre le soleil et la lune. Et elle qui s'était laissé éblouir par les éclats dorés du premier n'avait pas tout de suite compris de qui on lui parlait, quand Kisara lui avait demandé de venir avec elle à la sortie du gymnase pour attendre Ginjima.
— Tu crois qu'il va me regarder bizarrement ? s'enquit-elle au bout de quelques secondes silencieuses.
— Pourquoi il te regarderait bizarrement ? s'étonna la brunette. Vous vous parlez assez souvent, non ?
— Oui oui, mais... c'est assez peu conventionnel que la fille fasse le premier pas. Il risque de ne pas apprécier.
Mahiru fronça le nez songeusement, le temps d'assimiler les paroles de son interlocutrice qui résonnaient avec une saveur toute particulière à ses oreilles fragilisées par l'écho du gymnase. Ça lui rappelait un peu les conseils de sa mère que, malgré toutes ses tentatives un peu désespérées de surmonter ses peurs, elle n'avait pas réussi à appliquer. Son attention se perdit en direction de la porte du gymnase toujours close.
— Au contraire, affirma-t-elle alors. Je trouve ça très courageux, justement.
— Ça ne veut pas dire que ça va lui plaire, s'inquiéta néanmoins Kisara dans une grimace.
— Mais ça ne veut pas non plus dire que ça va lui déplaire.
Elle s'interrompit le temps d'une hésitation, comme la voix adulte de sa maman revenait hanter ses réflexions. Inconsciemment, ses doigts s'étaient mis à triturer la manche de sa veste. Et elle articula avec prudence :
— C'est peut-être idiot, mais... ma mère m'a dit qu'il n'y avait rien de mal à casser les codes, parfois.
— Ah ? Et... tu crois que c'est faisable, toi ? hasarda timidement son interlocutrice, et la reporter haussa les épaules.
— Je sais pas. Je t'avoue que j'essaie à ma manière mais... c'est pas très fructueux, murmura-t-elle avec dépit, au souvenir de ses quelques tentatives qui n'avaient jamais abouti.
— C'est avec Atsumu-kun, c'est ça ?
La justesse de sa remarque la fit tressaillir, ce qui la trahit d'entrée de jeu. Et son corps ne s'arrêta pas là dans sa traîtrise, car même en éludant la question de sorte à ne pas confirmer ou réfuter les faits, la reporter ne put empêcher les rougeurs de réapparaître à la surface de sa peau à ce simple nom qui l'électrisait tant. Elle fronça les sourcils et poussa un soupir à fendre l'âme, agacée de ses propres réactions, avant que Kisara ne reprenne la parole – cette fois plus incertaine.
— Excuse-moi, j'aurais dû me mêler de mes affaires, couina-t-elle alors en se passant une main nerveuse dans les cheveux.
— Ah non non, t'inquiète, s'empressa de la rassurer Mahiru. C'est juste que... c'est pas toujours facile de casser les codes avec quelqu'un comme lui, qui... je sais pas comment dire...
— Qui casse déjà les codes à lui tout seul ?
— Voilà, c'est ça. Donc... je peux comprendre ce que tu ressens, Kisara.
Un maigre sourire esquissa les lèvres de cette dernière, à l'instant même où la porte du gymnase s'ouvrait dans un claquement. Elles sursautèrent toutes les deux à ce son, suivi de rires et voix masculines qui les poussèrent à se lever d'un même mouvement pour les accueillir. Enfin, pour accueillir Ginjima, oui.
C'est d'ailleurs lui que Mahiru guetta sitôt debout, bien sûr. C'est sa haute silhouette qui attira son attention au milieu de toutes les autres, c'est ses cheveux blonds qui se détachèrent du reste sous le soleil éclatant de printemps, c'est son regard noisette qui rendit ses jambes cotonneuses et affola les battements de son cœur sitôt qu'il se posa sur son visage. Et alors que les autres remarquaient leur présence à Kisara et elle, c'est tout naturellement lui qui réagit le premier avec son tact à toute épreuve.
— J'espère que t'as rien raté du match, la journaliste en carton ! s'exclama Atsumu en la pointant du doigt, et le geste fut si vif que Suna dut se décaler sur le côté pour éviter de se prendre son sac dans la tête. Je veux un article grandiose sur ma victoire !
— Sur ta victoire ? s'étonna-t-elle, les paupières plissées de scepticisme en dépit du sourire qui gagnait inctrôlablement ses lèvres à cette demande.
— J'avoue, s'offusqua Saito Hiroto à ses côtés. T'as pas l'impression d'oublier quelqu'un là ?
— Tu parles du gars qui a raté les trois quarts de mes passes ou de celui qui est incapable de contrer une frappe ?
— Je suis footballeur, mec, pas volleyeur !
— Ouais ben ça se voit, hein.
— C'est bon les gars, s'interposa Ginjima après s'être détourné de Kisara. Dans tous les cas, vous avez gagné, pas besoin de vous engueuler jusqu'à Noël.
Le peu de tension qui s'était installé se dissipa aussitôt dans les rires qui suivirent, et la reporter se demanda un instant pourquoi ce n'était pas lui qui avait été élu capitaine plutôt qu'Atsumu. Cependant sa réponse lui parvint très vite quand ce dernier se mit en route et que le groupe lui emboîta machinalement le pas – y compris ceux qui ne faisaient pas partie de l'équipe de volley-ball et n'étaient venus que pour le match du jour. Il n'y avait pas à dire ; son aura de leader le précédait bien malgré lui. Un leader en construction, certes, mais un leader quand même.
— Vous allez au terrain d'athlétisme pour la course de relais ? s'enquit Ginjima, même si l'utilisation du « vous » n'était que pour la forme vu la façon dont il regardait Kisara.
— Oui, j'avais peur de pas réussir à garder des bonnes places pour tout le groupe à moi toute seule, mentit la blondinette dans un sourire nerveux qui ne dupa personne hormis le concerné – enfin, presque personne.
— Il est encore tôt, pourtant, fit remarquer Hiroto dans un froncement de sourcils. À vous deux, vous aviez large le temps de garder des...
La fin de sa phrase disparut dans la tape qu'il reçut à l'arrière de la tête, et le rire moqueur d'Atsumu succéda à son « aïeuh » des plus bruyants.
— Mahiru va courir, trou de balle.
— Pas besoin de me frapper pour ça, maugréa le footballeur en se massant le crâne.
— Suis un peu l'histoire aussi, on a fait les groupes en classe.
Pas tout à fait. Ils n'avaient pas exactement constitué les groupes en classe, tout du moins pas tous. Car la brunette se souvenait très bien avoir reçu les informations après le reste de la classe, suite à un énième retard de leur part avec Atsumu – et ce pour une raison qu'elle avait déjà oubliée. Cependant, malgré le regard insistant qu'elle posait sur le volleyeur, elle n'avait pas très envie de le contredire devant tout le monde, surtout quand son ami Hiroto ne se posait pas plus de question que ça. À la place, bon petit mouton dans l'âme, elle se greffa à leur troupeau pour les suivre.
— Tu fermes la marche ? s'étonna d'emblée le blond en se retournant pour marcher à reculons. Fais gaffe, personne va le voir si tu te perds dans l'herbe.
— Et toi, fais gaffe avec ton moonwalk ou tu vas t'éclater la tronche par terre, riposta-t-elle aussi sec, et il gloussa.
— Au moins, je serai à ta taille, du coup.
— Et tes neurones vont peut-être entrer en contact pour la première fois depuis ta naissance.
Un nouveau rire vola dans l'air et lui chatouilla les tympans d'une façon beaucoup trop douce pour qu'elle le trouve désagréable. Elle frémit. Par chance, lui ne le remarqua pas. Ou alors en fit-il miraculeusement abstraction, se contentant de ralentir un peu le pas de sorte à avancer à ses côtés. Ni ses coéquipiers ni Kisara ne s'aperçurent de leur décalage, focalisés sur leur discussion ou sur leur marche à travers le lycée, si bien que très vite la distance s'installa entre eux pour les séparer pour de bon du groupe au premier tournant.
Mahiru déglutit nerveusement. Ce n'était clairement pas la première fois qu'elle se retrouvait seule avec Atsumu. Cependant, autant qu'elle appréciait sa présence, il lui était impossible de ne pas s'imaginer tous les scénarios possibles après ce qui avait plus d'une fois failli avoir lieu lorsque personne n'était dans les parages pour les surveiller. De ce soir-là à regarder les étoiles depuis le sommet du Mont Maya à l'autre jour quand ils avaient séché les cours ensemble afin de jouer au volley dans le gymnase, les souvenirs affluaient de nouveau dans son esprit pour se perdre dans la chaleur de son bras contre le sien au fil des pas et mieux lui faire perdre la tête. Aussi, dans une tentative fébrile de retrouver sa contenance, l'adolescente descendit les manches de sa veste sur ses mains de sorte à avoir quelque chose auquel se raccrocher si elle devait perdre pied.
— Tu comptes vraiment courir avec ça ? s'enquit le volleyeur à ses côtés, et elle tressaillit.
— Quoi donc ?
— Ta veste. Tu comptes vraiment courir avec ?
— Pourquoi ? Tu veux que je coures les seins à l'air ?
Atsumu s'esclaffa sans retenue à cette remarque, à faire vibrer les nerfs déjà bien tourmentés de la reporter – et elle ralentit subtilement le pas de manière à garder les idées claires – avant que lui ne réponde avec un amusement non dissimulé.
— Ça serait très drôle à voir, commenta-t-il dans un sourire narquois, puis il se pencha pour appuyer une partie de son poids sur l'épaule de Mahiru.
— Mais ? grommela cette dernière en levant un regard agacé vers lui, ayant déjà deviné qu'il ne s'arrêterait pas là.
— Mais on a déjà vu bien assez d'horreurs pendant la guerre, tu ne crois pas ?
Boum. L'absence de tendresse dans ses mots n'empêcha pas son pauvre cœur de rater un battement sitôt que son regard noisette tomba sur son visage. Et il s'enflamma aussi sec, ce visage. Le feu gagna ses joues puis ses pommettes à mesure que les iris les parcouraient avec intensité, pour s'emparer entièrement de sa face frémissante d'appréhension. Il s'était tu à cette réaction, sans doute réduit au silence par ce rougissement subit que ses instincts d'idiot fini attribueraient encore une fois à sa colère. Et pourtant il s'abstint de toute remarque, pour une fois.
Enfin... presque.
— Tu t'es fait quoi à la main ? demanda-t-il à brûle-pourpoint.
— Comment tu... tressaillit Mahiru, décontenancée par le côté direct de sa question. T'as encore été écouter aux portes, c'est ça ?
— Même pas. T'es juste absolument pas discrète.
— Humpf, c'est toi qui dis ça ?
Et l'accusé ne nia même pas les faits. La courbe de son sourire s'arrondit un peu plus sous l'arrogance qui le saisissait, mais il ne répondit pas, revenant plutôt au vif du sujet.
— Du coup ?
— Quoi, « du coup » ? pesta l'adolescente face à son insistance.
— Qu'est-ce que tu t'es fait ?
— À ma main ?
— Bah oui, pas à la mienne.
Il se décala une seconde le temps d'esquiver, hilare, le coup de coude qu'elle lui administrait dans les côtes en réponse à son mordant – quitte à assommer au passage un autre lycéen qui arrivait en même temps qu'eux sur le terrain d'athlétisme. Son rire redoubla, accentué par ses moindres réactions qu'il cherchait à provoquer, puis il revint à la charge aussi vite qu'un taureau en pleine corrida.
— Si tu me le dis pas, j'me verrai dans l'obligation d'en parler à Ugaki et du coup tu pourras pas courir, argua-t-il alors en examinant ses ongles d'un air exagérément songeur, et il n'en fallut pas plus à la reporter pour tourner la tête vers lui.
— Tu n'oserais tout de même pas... ?! s'offusqua-t-elle aussitôt, la voix aiguisée de colère si bien qu'il se fendit d'un sourire suffisant.
— Tu crois vraiment que j'suis du genre à ne pas oser ?
— Atsumu.
— C'est mon nom, oui.
— Si tu penses vraiment que je vais céder à ton petit chantage...
— Je pense pas, non. Je le sais.
Elle poussa un soupir dépité à cet éclat de confiance dont lui seul avait le secret, cette assurance qui ne faiblissait jamais même à la plus violente de ses répliques. Non, Atsumu n'abandonnerait pas si facilement ; elle n'était même pas sûre que ce mot fasse partie de son vocabulaire – pas plus qu'elle n'était sûre, d'ailleurs, de réussir à lui résister bien longtemps.
— Ça te gêne, poursuivit-il alors, et elle pouvait jurer sur tous les dieux que sa voix perdait de sa hargne sur ces mots. J'sais pas ce que tu t'es encore fait, mais j'vois bien que ça te gêne pour des trucs tout simples. Et ça te gênera encore plus pendant la course.
— Et alors ? C'est pas comme si ça t'impactait, commença-t-elle à argumenter, ce qui provoqua un soupir bruyant chez son interlocuteur. De toute façon, le mal est fait, ni toi ni moi ne pouvons...
— Roh, viens par-là, tête de mule.
Le reste de ses objections mourut dans le geste brusque qu'il esquissa l'instant d'après : ses longs doigts se refermèrent sur la manche de sa veste pour l'arrêter dans son élan, et sans l'ombre d'un ménagement, Atsumu la détourna de sa destination d'origine pour l'entraîner vers un tout autre endroit. Mahiru voulut protester, quelques insultes déjà sur le bout des lèvres à sa rustrerie, mais il n'en fut rien. Les mots, les noms d'oiseaux, ses propres émotions – tout s'emmêla dans sa gorge au contact de sa peau inopinément brûlante sur la sienne malgré sa veste de survêtement. Et quand bien même elle lutta, se focalisa sur ce qu'il restait de rationnel dans son esprit pour ne pas faiblir un peu plus à ce simple geste, tout s'effondra pour de bon quand leurs deux silhouettes se trouvèrent dans l'ombre des érables longeant la grille arrière du terrain d'athlétisme.
— Enlève ta veste, lui intima-t-il en laissant tomber son sac de sport sur le sol.
— Quoi ? Nan mais ça va pas, espèce de... tenta-t-elle de protester, avant d'être réduite au silence par la trousse de secours tout juste sortie du sac.
— Enlève-la, ou c'est moi qui te l'enlève.
L'olive de ses yeux se durcit considérablement à ses mots, la colère reprenant le dessus sur la surprise.
— Si tu fais ça, je t'arrache les cheveux.
— Ça tombe bien, je devais retourner chez le coiffeur.
Et bien sûr son sourire suivit, achevant de faire tomber ses barrières – et sa veste dans le même temps. Le volleyeur ne fit aucune remarque, cependant, le regard déjà attiré par sa paume dont le pansement s'était froissé et décollé à cause de tous les mouvements qu'elle avait enchaînés depuis le début de la journée. Il tendit la main, attendant très certainement que la reporter y dépose la sienne, avant d'arquer un sourcil désabusé quand elle n'obtempéra pas. Puis, après un duel de regard au moins aussi court que le plus long moment d'intelligence de son interlocuteur, Mahiru daigna tendre sa main en soupirant.
— Comment t'as fait ? demanda-t-il simplement.
— J'me suis brûlée.
— Ouais ben ça, j'avais compris.
— Est-ce que les détails sont vraiment nécessaires, en sachant que tu vas te foutre de moi ? répliqua la brunette avec agacement.
Atsumu pouffa de rire, sans même prendre la peine de nier son accusation – car ce n'était pas totalement faux. Il serait même prêt à faire tirer une banderole par un avion pour mieux se moquer d'elle. Pour l'heure, toutefois, il se contenta d'inspecter sa paume avec curiosité. Et, après un coup d'œil vers son visage pour lui demander l'autorisation, il retira délicatement le pansement de sa plaie.
— Ah ouais, rit-il sans chercher à le cacher, tandis que l'autre grignait de douleur. Tu t'es foirée bien comme il faut.
— Merci, je savais que je pouvais compter sur ta compassion, ironisa-t-elle entre ses dents serrées.
— Et sur ma générosité, aussi. Parce que figure-toi que j'ai un accès illimité à la trousse de secours, madame la râleuse.
Ce disant, il sortit de ladite trousse une bande de gaze, ainsi qu'un rouleau de diachylon destiné à fixer le tout, qu'il agita sous le nez de sa patiente. Cette dernière recula la tête en ronchonnant.
— Super, comme ça tu pourras faire du trafic de sparadrap quand t'auras fini de me... aïe bon sang Atsumu, tu joues pas à Docteur Maboul là ! pesta-t-elle quand il appuya une compresse humide sur l'intérieur de sa paume.
— Mais quelle chochotte, commenta-t-il non sans un petit rire, et sa réaction n'en fut que plus vive.
— Je suis pas une chochotte, c'est toi qui appuie comme un bourrin !
— Arrête de crier comme ça, tu vas faire peur aux oiseaux et finir par attirer Ugaki.
Si la reporter le foudroya du regard, elle daigna refermer la bouche à la mention de la déléguée et présidente du B.D.E. qui ne manquerait pas de la priver de course en apercevant sa brûlure. Et comment lui en vouloir quand la peau, certes débarrassée des vilaines cloques du début de semaine, demeurait jaune et craquelée au cœur de sa paume comme si un mini obus y avait explosé. Ça ne semblait pas dégoûter le volleyeur en tout cas, qui, la langue coincée entre les lèvres, avait aboli toutes les distances possibles entre eux pour s'occuper de sa main – et s'avérait donc plus proche que jamais.
Mahiru l'observa longuement, ce visage penché à une trentaine de centimètres du sien, au point de perdre son souffle dans sa contemplation muette. Car il lui apparaissait sous un tout nouvel angle pour le moins bouleversant. Ses traits réguliers avaient perdu de leur malice habituelle pour s'imprégner d'un sérieux qu'elle ne lui avait que rarement vu, et son teint rosi par l'activité physique d'un peu plus tôt avait retrouvé sa splendeur ambrée. Il avait les lèvres closes, scellées par une moue concentrée qui suivait le froncement nerveux de ses sourcils. Ça n'empêchait pas sa tignasse dorée de danser dans le vent, bien sûr, à jamais indomptable malgré les rares soins qu'il devait leur prodiguer, ou ses orbes noisette de scintiller de cette lueur fauve en provenance directe de son esprit que nul ne pouvait enchaîner. Néanmoins, force était d'admettre que sa beauté lui apparaissait moins sauvage, plus apprivoisable, définitivement à portée de lèvres.
— Ah, hoqueta l'adolescente, brutalement arrachée à sa contemplation par le contact froid de la pommade qu'il appliquait sur sa main.
— Quoi, la Biafine aussi, ça te fait mal ? grommela Atsumu en levant la tête pour la narguer du regard.
— Mais non, je...
Les mots s'étouffèrent dans sa gorge sitôt que ses pupilles un brin dilatées percutèrent les siennes. Elle déglutit. Il était encore plus près que tout à l'heure, assez pour que ce vert timide à l'extrémité de ses iris soit visible, même à l'ombre de l'arbre. Ses lèvres frémirent malgré elle, ce qu'il dut mettre sur le dos de la douleur puisque l'instant d'après il se saisissait de la bande de gaze.
— Ça va faire beaucoup de compresses là, non ? s'étonna-t-elle en le voyant déposer sur sa paume un carré de coton, puis un deuxième et un troisième.
— Ouais, mais ça limitera la douleur quand t'attraperas le témoin au relais, expliqua-t-il avant de dérouler une large bande de sparadrap, un large sourire aux lèvres – un sourire presque sadique qui inquiéta la reporter.
— Tu... tu le serres pas trop, hein ?
Atsumu pouffa de rire à sa demande d'une voix tremblotante – peut-être bien qu'elle était une chochotte, finalement – puis déposa le ruban à la surface des compresses sans attendre une autre protestation. Si elle inspira entre ses dents serrées, le maudissant intérieurement pour son manque de délicatesse, Mahiru dut bien reconnaître qu'il savait se faire pardonner par la fluidité de ses gestes. Et peut-être aussi par l'attention presque tendre avec laquelle il achevait de remplacer son pansement – et de faire fléchir son pauvre cœur.
— Bon, c'est pas exactement de la couleur de ta peau, l'avertit-il en enroulant lentement le sparadrap autour de sa paume puis de son poignet pour le maintenir. Mais ça cachera le plus gros.
— Tu penses que je dois le cacher ? demanda-t-elle, non sans une pointe de sarcasme, et il haussa les épaules.
— J'm'en fous. C'est toi qui l'a caché dans ton pull toute la semaine.
La remarque lui arracha un sourire – un peu niais, elle en convenait. Car qu'importe combien la forme était froide et désintéressée, le fond était tout autre, fort d'une attention singulière prêtée au cours de la semaine. Il n'en avait que faire du regard des autres, au moins aussi indifférent à leur opinion qu'à leurs règles implicites de bienséance. Pourtant le voilà qui les prenait en considération le temps d'un stupide pansement, rien que pour lui épargner un embarras futur. Son cœur se gonfla de reconnaissance.
— Merci, murmura-t-elle alors, dans un sourire qui se refléta sur son visage, et il désigna du menton le terrain d'athlétisme dans son dos.
— Va gagner ta course, maintenant. Ce serait trop la honte que notre classe perde après avoir tout niqué au volley.
— C'est vrai.
La brunette dut se mordre la lèvre inférieure pour retenir un rire nerveux, mais si elle acquiesça, elle ne bougea pas. Elle n'y parvenait pas. Une partie de ses muscles refusait tout bonnement de lui obéir, de bouger de cet arbre où une séance de soins pour le moins curieuse venait d'avoir lieu. C'est comme si tout se bloquait dans son corps pour l'empêcher de se mouvoir, sauf son cœur qui battait de plus en plus vite, de plus en plus fort. Comme un train de montagnes russes qui monte, monte, monte jusqu'à arriver à son climax, la réalisation ultime qu'on est au bord du vide et qu'on ne peut plus reculer. Qu'il faut plonger.
Qu'il faut casser les codes.
Ainsi vint le déclic qui remit en marche tous les engrenages de son corps face au sien. Elle avança alors d'un premier pas. Puis d'un deuxième. Et enfin un troisième. Un éclat de surprise vola à la surface de ses yeux noisette, à faire vaciller sa volonté l'espace d'une brève seconde. Juste une seconde. Une toute petite seconde de rien du tout, qui disparut dans le néant quand leurs regards s'effleurèrent à l'ombre des gradins. Là, tout vola en éclats. Ses hésitations, ses peurs, la moindre touche de timidité qui pourrait retenir ses gestes – bref, un peu tout ça à la fois tomba dans les méandres de son esprit jusqu'à y disparaître pour de bon. Et, se hissant sur la pointe des pieds pour s'envoler aussi haut que son espoir le lui permettait, Mahiru plaqua un baiser sur la joue tiède du volleyeur.
Bien sûr, sa voix trembla. Ses mains et ses jambes aussi, au point de tituber en reculant. Et à aucun moment ne parvint-elle à le regarder dans les yeux au moment où les mots franchirent la barrière de ses lèvres. Pour autant, ils étaient prononcés, et c'est tout ce qui comptait pour la reporter quand elle le contourna pour se diriger vers le terrain d'athlétisme d'un pas décidé :
— Merci pour tout, Atsumu.
⋅
Oui, c'est un grand saut pour l'AtsuMahi <3
Je n'ai pas beaucoup de temps pour vous raconter ma vie ce soir. J'espère juste que ce chapitre vous a plu, et si c'est le cas, n'oubliez pas de voter voire de commenter ! En ce qui concerne la suite, étant donné que ce chapitre a été très long à finir (4400 mots à peu près), je n'ai toujours pas commencé le suivant. Mais pour ceux qui seraient curieux et impatients, j'ai ressorti mon Instagram des tréfonds de mon téléphone pour le convertir en compte écriture/lecture, et j'y partage quelques extraits. Donc si ça vous intéresse, c'est cali.aster ~
Bref, encore merci de lire cette histoire, je vous dis à la prochaine 💓
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