Chapitre 12 ⋅ Après la tempête

Le week-end s'écoula difficilement. Emmitouflée dans son vieux plaid troué et rendu rêche par les années, Mahiru ne cessa de ronchonner, tant contre le capitaine de l'équipe de volley-ball qui lui avait gâché tout son plaisir d'interviewer Murao avec ses bêtises, que contre elle-même et sa tendance à réagir au quart de tour, quitte à passer pour une folle hystérique au passage. Et ça n'avait pas raté : l'équipe de volley-ball la regarderait différemment désormais, et même si la jeune fille leur était toujours restée indifférente, se cognait bien de leur avis, elle s'en voulait de s'être laissée emporter par ses émotions encore une fois. Pire, même, elle se détestait d'être tombée bêtement dans le piège de cet abruti de Miya Atsumu.

Elle grogna de frustration et roula sur le côté pour enfouir son visage dans l'ouate de son oreiller. Ce qu'il l'énervait. Sa nuit avait été agitée, rythmée par les insomnies et les courtes siestes, que sa rancune nourrissait – et peut-être que les deux tasses de thé qu'elle avait descendues en rentrant du lycée n'y étaient pas pour rien non plus. Toujours est-il qu'une nuit blanche, ou presque, ça lui avait laissé suffisamment de temps pour tergiverser dans son coin, comme pour l'insulter de tous les noms.

Le grincement de sa porte retentit dans son dos, mais Mahiru ne daigna pas se retourner, gardant plutôt le regard rivé sur la guirlande lumineuse suspendue à la bibliothèque de sa chambre.

— Ma luciole, l'appela la voix tendre de sa mère depuis le pas de la porte, ça fait des heures que t'es enfermée là-dedans.

Son haussement d'épaules arracha un rire à Kaoru, qui ajouta aussitôt avec malice :

— Tout le quartier fait des paris sur ton nombre de soupirs à la minute, tu sais ?

— Maman, maugréa-t-elle en roulant sur le dos pour décocher une œillade blasée à sa mère. J'ai envie d'être seule, c'est trop demander ?

— Te laisser accumuler ta négativité dans ton coin ? Un peu, oui.

La plus jeune s'apprêta à soupirer, mais se ravisa en croisant le regard entendu de son interlocutrice. Elle roula des yeux, puis laissa retomber sa tête sur l'oreiller.

— Il s'est passé quelque chose au lycée ? poursuivit l'adulte, la mine soucieuse.

— Rien du tout.

— Direct, comme réponse... Rien du tout, du tout ? T'en es sûre ?

Mahiru coula vers elle un coup d'œil désabusé, qui disparut bien vite face au sourire chaleureux de sa mère. L'espace d'un instant, le cœur battant, elle se perdit dans la contemplation de son visage fin, dont les traits avaient été un peu tirés par les années mais n'avaient jamais perdu leur élégance. L'adolescente lui avait longtemps envié cette beauté de geisha, ces longs cheveux noirs, et ces yeux en amande dont elle n'aurait jamais pu hériter. Peut-être qu'elle en rêvait encore, de ces détails, comme elle s'imaginait un jour avoir le sourire éclatant de son père ou encore sa taille élancée. Ces rêves ne se réaliseraient jamais, elle en était bien consciente – toutes les avancées en génétique, toutes les connaissances qu'on avait de l'A.D.N. et les progrès que la recherche faisaient de jour en jour, rien de tout cela ne ferait d'elle leur fille biologique.

La reporter finit par baisser les yeux après quelques longues secondes, tant parce qu'elle contemplait sa mère sans vergogne que par culpabilité par rapport à ses pensées. Son adoption, pourtant lointaine de quelque dix-sept années déjà, n'était plus qu'un vieux souvenir qui n'avait pas lieu de revenir les hanter. Elle préféra plutôt se focaliser sur la question toujours sans réponse que sa maman lui avait posée :

— Hum, oui ça va. J'ai juste pas mal de stress avec le club de journalisme en ce moment, mais t'en fais pas, mentit-elle dans un sourire qui se voulut rassurant.

— Tu devrais faire une pause, ma luciole. Ça te dit de continuer la nouvelle série qu'on a commencée hier, juste pour se détendre ?

La proposition de Kaoru eut le mérite de tirer sa fille à sa mélancolie intérieure, puisqu'une moue songeuse prit place sur ses lèvres comme elle considérait l'idée. De toute façon, passer son temps à ronchonner dans son coin n'effacerait pas le passé : ce qui était fait était fait. Et puis, s'enfermer dans la négativité comme le disait si bien sa maman, risquait surtout de ruiner le reste de son week-end – ce qui ne ferait que laisser Atsumu gagner une fois de plus.

Cette simple pensée la motiva à se redresser sur son séant, puis à dodeliner de la tête pour répondre à sa mère.

— Je veux bien, merci.

Aussitôt l'adulte s'illumina, d'un sourire maternel qui avait toujours su chasser les angoisses d'enfant de Mahiru, et elle tapa dans ses mains.

— Super ! Tu allumes le kotatsu et la télé, pendant que je sors les taiyaki du four, ça te va ?

— T'as fait des taiyakis ? s'exclama la lycéenne en retour, propulsée en bas du lit par son estomac déjà ronronnant de gourmandise.

— Et des imagawayaki !

Les yeux verts de Mahiru s'écarquillèrent bien malgré elle, tandis que sa mère s'en allait déjà en fredonnant une vieille chanson au titre qui lui échappait. Puis, sur un « oh bon sang » affamé et quelque dix élans d'amour à l'égard de sa maman chérie, la demoiselle oublia tous ses soucis d'un peu plus tôt : elle s'empara de son téléphone pour se précipiter en bas des escaliers, jusque dans le séjour où trônait le kotatsu familial. Ses doigts fébriles l'allumèrent en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, et elle était déjà en train de sélectionner l'épisode de la série proposée par Kaoru lorsque cette dernière la rejoignit avec un plateau de pâtisseries fumantes, qui la firent saliver doucement.

Ainsi se déroula la fin de l'après-midi pour la mère et la fille Nomura, à enchaîner les épisodes et les gâteaux comme si le monde n'avait aucune emprise sur eux. Leurs soucis parurent bien plus futiles au fil des minutes et des éclats de rire, et bientôt tout – que ce soit Atsumu, Murao, l'Inarizaki Today ou encore l'équipe de volley-ball – absolument tout disparut dans dans les méandres de sa mémoire l'espace d'un après-midi hors du temps. Bientôt, c'est contre l'épaule de sa mère que Mahiru se réfugia, bercée par ses caresses tendres sur le sommet de son crâne et par la bande originale de la saison qui se terminait enfin. C'était une pause de douceur dans le tumulte de ses sautes d'humeur.

— Ça va un peu mieux, ma luciole ? s'enquit Kaoru après de longues secondes de silence.

— Hum, fit-elle pour toute réponse, j'aurais presque oublié que j'étais pas bien avant ça.

— Oh, pardon, je voulais pas te le rappeler !

— C'est bon, t'en fais pas, avec le recul, je me rends compte que c'est pas si grave que ça. Je prends peut-être un peu trop les choses à cœur en ce moment.

— C'est avec ce Murao-kun, c'est ça ?

L'adolescente secoua faiblement la tête, peu désireuse de rejeter la faute sur lui, mais pas non plus prête à d'aborder le sujet du capitaine de l'équipe de volley avec sa chère et tendre maman.

— Pas vraiment, c'est juste... un tout.

— Et... ton « tout », il a de beaux yeux noirs et un sourire de prince charmant, c'est ça ?

— Maman ! protesta Mahiru en se redressant de son épaule pour faire la moue, même si elle était davantage boudeuse que vexée. En plus, c'est même pas vrai, d'abord...

Kaoru éclata de rire, mais n'insista pas, se contentant de lui ébouriffer les cheveux en réponse. Et sans transition, elle commença à rassembler distraitement sur le plateau en bambou les quelques pâtisseries encore tièdes de leur goûter, ainsi que les tasses de thé vides.

— J'y pense, tu sais que c'est bientôt la Golden Week ? lui rappela-t-elle dans un sourire. Tu devrais en profiter pour l'inviter quelque part, ce garçon ~

— Mouais, je sais pas trop...

Les épaules de l'adolescente s'affaissèrent en même temps que sa voix. L'Ogon Shukan, de plus en plus surnommée Golden Week, était un long week-end de cinq jours fériés au mois de mai qui célébraient tellement de choses différentes qu'on en perdait le compte à la fin. Tout ce qu'on retenait, au final, c'était l'air de vacances qui en découlait, car pas moins de l'intégralité des écoles et des services publics fermaient pendant cette période – l'occasion rêvée pour un date entre lycéens. Or voilà, Mahiru ne se voyait clairement pas inviter son coup de cœur de toujours à sortir, pas après la stupide rumeur qui avait secoué le lycée et dont il avait entendu parler grâce à Atsumu. Au pire il lui rirait au nez, au mieux il accepterait par pitié ; ce serait bien trop humiliant

De plus, la suggestion de sa mère éveillait d'autres questionnements dans son esprit déjà troublé, alors que de vieilles promesses refaisaient surface. L'adulte avait déjà disparu dans la cuisine, dont s'échappaient des bruits de vaisselle et d'eau qui coule, quand la plus jeune sembla percuter le sous-entendu.

— Tu seras pas là pour la Golden Week ? s'exclama-t-elle en se levant si vite qu'elle manqua de se casser la figure au passage, avant de débouler dans la cuisine.

Le sourire de sa mère vacilla légèrement au-dessus de son épaule lorsqu'elle tourna la tête vers Mahiru pour la rassurer – ou s'excuser, la brunette n'était pas trop sûre – et elle ferma le robinet pour ramener un peu de silence dans la pièce.

— Je ne sais pas encore, ma luciole, avoua-t-elle dans un sourire-grimace qui fendit bien malgré elle le cœur de son unique fille. Mes congés n'ont pas encore été validés.

— T'avais promis que tu essaierais d'être là.

— Je sais, mais ils risquent d'avoir besoin de moi au cabinet et...

— Maman, t'es kiné sportive, l'interrompit Mahiru avec confusion, mais sa mère poursuivit quand même.

— Et ce n'est pas moi qui décide de mes congés.

Un soupir résigné franchit les lèvres de l'adolescente, dont le cœur sombra dans les méandres de ses émotions contradictoires depuis quelques temps. Elle n'en voulait pas à sa mère, elle savait parfaitement que ce n'était pas de sa faute si ses congés venaient à être refusés – or une partie d'elle bouillonnait de frustration à l'idée de passer la Golden Week sans elle à la maison. Entre son travail éternellement chronophage et celui de son père situé à l'autre bout d'Osaka – et donc à plus d'une heure de route à l'aller et au retour – rares étaient les moments passés en famille à se détendre. Cet après-midi avait été d'or pour la jeune fille en manque et en doute constants, c'est pourquoi la perspective de voir des jours en leur compagnie lui filer entre les doigts l'affolait légèrement.

La voix douce de Kaoru la ramena à la réalité. Elle avait attrapé un torchon avec lequel elle s'essuyait les mains.

— Tiens, dit-elle en lui tendant un papier qui ressemblait à ces flyers qu'on distribue dans la rue. On a reçu ça, ce matin ; c'est pour la Golden Week. Tu n'as qu'à sélectionner les trucs qui t'intéressent, et je te promets qu'on ira y faire un tour au moins le week-end, d'accord ?

Bien que peu convaincue, la brunette acquiesça tout de même, puis baissa les yeux sur le prospectus qu'elle avait attrapé entre ses doigts fébriles. Le papier présentait, sous forme de calendrier, les différents lieux où se rendre, les promotions à ne pas manquer ou encore les activités proposées à travers la ville de Kobe pour la fameuse Golden Week. Quelques photos les accompagnaient, touches de couleurs censées taper dans l'œil des habitants de la métropole et les inviter à venir consommer lors de cet événement tout particulier. Mahiru n'échappait pas à la règle, l'attention déjà happée par des bâtiments et des noms pourtant on ne peut plus familiers – Kobe était sa ville natale, après tout – qui, présentés de la sorte, semblaient bien plus attrayants et pittoresques que lorsqu'elle passait devant en allant au lycée ou à la supérette.

Ses yeux olive balayèrent la multitude d'endroits avec une envie inespérée, avant de revenir sur le visage de sa mère qui attendait toujours une réponse. Elle souriait, de ce rictus satisfait dont la demoiselle avait appris à se méfier avec les années, car cela voulait dire que sa maman avait su trouver les mots pour arriver à un compromis, et donc à ne céder que moyennement à ses caprices. Aussi, avec autant de retenue et de dignité que possible pour quelqu'un qui s'était montré réticent jusque-là, Mahiru glissa le prospectus dans son sac de cours abandonné à l'entrée de la pièce.

— Je vais regarder ça dans le train demain. Mais c'est juste pour te faire plaisir, hein !


Un autre chapitre familial, vraiment centré sur la relation entre Mahiru et sa mère, certes adoptive, mais sa mère quand même. Je voulais absolument écrire sur une OC qui a été adoptée, sans forcément la rendre malheureuse parce que bon, l'angst c'est pas du tout ma tasse de thé :') mais c'est un point intéressant à aborder, l'adoption, parce que même des années après ça peut laisser beaucoup de questions. Brefouille, un sujet sensible pour petite Mahiru mais qui va revenir sur le tapis avec Atsumu ~

J'espère que ce chapitre calme vous a plu quand même, et si c'est le cas, n'oubliez pas de voter ! Abrutitsumu revient dans le prochain chapitre, pour une nouvelle discussion pleine de gentillesse et de tendresse avec sa promise, bien sûr <3 (on sait tous comment ça va se finir)

Pour finir, je n'ai pas encore répondu aux commentaires du chapitre précédent, et je vais essayer de le faire au plus vite, mais comme certains d'entre vous y ont réagi, j'ai une fanfiction sur Tokyo Revengers qui est en projet, sur le personnage de Mikey (ouais, clairement pas le plus simple, je me déteste pour ça). Ce n'est pas pour autant que je vais abandonner ces deux idiots, mais ça tenterait certains d'entre vous ? 👀

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