Chapitre 11 ⋅ Le coup de tonnerre
Dire que Miya Atsumu s'enorgueillait de sa petite blague comme un coq de son poulailler aurait été un euphémisme. S'il avait pu le crier sur les toits, ou encore le scander sur une bâche publicitaire tirée par un avion de chasse, le volleyeur l'aurait fait sans hésitation – il aurait même proposé de conduire l'aéroplane pour mieux s'en vanter derrière. Aussi, c'est sans réelle surprise que l'intégralité de l'équipe masculine de volley connaissait déjà tout de sa boutade dans le vestiaire, avant même l'entraînement ne débute. Car il leur fit part de tous les détails, quitte à en rajouter un peu : de cette idée folle de faire courir une rumeur sur son agaçante camarade de classe qui lui était venue au moment où Suna Rintaro lui avait demandé comment s'était passée l'interview, à celle génialissime de la faire passer par son ami de longue date Saito Hiroto – élu meilleur tremplin à ragots depuis Gossip Girl – et enfin celle plus patiente, presque sadique, de la regarder se répandre comme une traînée de poudre pour mieux exploser derrière.
Un rire sardonique brûla les lèvres du garçon ; il était démoniaque, et si d'ordinaire remettre les relous à leur place ne présentait pas plus d'intérêt qu'un mégot dans la rue, là Atsumu adorait ça. Cette petite peste de Nomura ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même, après son article moisi sur le premier match de la saison.
— T'es un trou de balle fini, lâcha finalement Osamu lorsque le silence fut revenu dans le vestiaire. J'en reviens pas que je partage mon ADN avec toi.
Le blond sentit sa mâchoire tressaillir d'irritation à ces mots, et il décocha une œillade assassine à son jumeau. Une frivolité adolescente flottait dans le gymnase et dans le lycée tout entier, exaltée par le printemps déjà bien installé sur la ville, or tout pouvait voler en éclats au moindre mot plus haut que l'autre avec les jumeaux – leur rivalité n'avait d'égale que leur stupidité. C'était à se demander comment ils avaient pu tenir les huit mois de terme dans le ventre de leur mère, tellement ils se sautaient à la gorge pour la moindre queue de poire. Depuis le fond du vestiaire, comme s'il s'y attendait, Suna avait déjà la main dans sa veste pour s'emparer de son téléphone et ne rien rater de ce qui suivrait.
Atsumu décida de ne pas leur donner ce plaisir, se courbant plutôt pour vérifier que ses lacets étaient bien noués, avant de se relever de toute sa hauteur.
— Va te faire mettre, 'Samu. Tu seras bien content d'avoir mon ADN quand tu devras courir trois tours de terrain en plus pendant l'échauffement.
— Hé, Atsumu, intervint Ginjima avec prudence, tandis qu'Osamu se renfrognait. Pas besoin de te comporter comme un tyran, le coach t'a simplement dit de gérer le renforcement musculaire.
— Je dois vous rappeler ce que ça veut dire, ça ?
Ce disant, il désigna d'un mouvement vertical de la main le numéro « 1 » immaculé sur son uniforme noir, que le blond revêtait depuis près de deux mois – donc depuis sa nomination en tant que capitaine de l'équipe.
— Ça veut dire qu'en plus d'être un tyran, t'es un crâneur, répondit Suna en haussant les épaules, j'vois pas en quoi c'est mieux.
— Il a raison, l'appuya Kosaku dans un hochement de tête vigoureux.
— Vous avez vraiment décidé de me taper sur le système aujourd'hui, grogna ledit capitaine en constatant que la quasi-totalité de ses coéquipiers acquiesçaient également. 'Façon, si je suis pas un tyran, vous m'écoutez pas, alors allez vous échauffer, bande de feignasses.
Malgré toute la rudesse de ces mots si dignes de l'impétueux Miya Atsumu, et en dépit de tous les reproches qui lui avaient été faits à l'instant, l'équipe de volley emboîta quand même le pas à son leader et passeur titulaire sans l'ombre d'une protestation pour rejoindre le gymnase. Bientôt les rires et les taquineries s'évanouirent dans le tumulte du jeu, pour ne laisser derrière eux que les crissements de chaussures sur le parquet et les rebondissements des balles contre les paumes. Bien sûr, quelques blagues venaient encore pimenter l'entraînement entre deux services smashés ; or l'atmosphère jusque-là légère et un peu railleuse du groupe d'adolescents avait radicalement changé lorsqu'ils étaient entrés sur le terrain, pour s'alourdir considérablement, se charger d'une concentration qu'ils ne trouvaient que derrière le filet. Inarizaki entrait en scène.
De longues minutes s'étaient déjà écoulées lorsqu'ils eurent fini de dresser les filets au centre du gymnase, autour desquels l'intégralité de l'équipe s'était rassemblée pour écouter les instructions que l'entraîneur avait laissées à Atsumu. Ce dernier, empreint d'un sérieux inhabituel, était en train de répéter les mots du coach aussi bien que sa mémoire le permettait – un ramassis de recommandations et d'activités pour le moins barbantes pour les grands dadais en besoin constant de mouvement qu'ils étaient – lorsque les portes latérales s'ouvrirent en grand et heurtèrent le mur dans un claquement à réveiller les morts.
— C'est quoi ton putain de problème ?!
La voix de Nomura Mahiru rebondit désagréablement sur les murs du gymnase pour aller lézarder le plafond à quelque dix mètres au-dessus d'eux. Sa petite silhouette déboula au centre de la pièce comme un petit chihuahua enragé, offrant aux volleyeurs un net aperçu de son visage rouge d'émotion : ses traits crispés par la colère, ses sourcils si froncés qu'ils se rejoignaient presque, et ses lèvres pincées à n'en former qu'une maigre ligne de rose. Oui, constata Atsumu avec amusement, elle avait presque l'air d'une sorcière tirée juste à temps du bûcher.
Elle n'attendit pas qu'il la salue ou dise quoi que ce soit pour poursuivre, la voix craquelante d'une colère sourde :
— T'es sérieux avec tes rumeurs à la con ? T'es tellement obnubilé par toi-même, que tu peux pas supporter le fait qu'une fille te parle sans être à fond sur toi ? Que tu te sens obligé de raconter au monde entier que je crush sur toi, parce que je t'ai posé trois questions pour mon club ?!
Les échos de sa voix secouaient encore l'air du gymnase quand elle fit une pause pour reprendre son souffle – proportionnellement à son corps, sa cage thoracique s'avérait petite elle aussi – mais ses orbes verts crépitèrent en percutant le regard amusé d'Atsumu.
— Allons, Nomura-chan, roucoula-t-il effrontément, il ne faut pas en avoir honte. Tu n'es pas la première à qui c'est arrivé, et certainement pas la dernière.
— Que... ?! tressaillit-elle, et à son plus grand plaisir, ses narines se gonflèrent d'agacement. Mais n'importe quoi, t'es complètement ravagé comme gars !
— Je confirme, marmonna une voix derrière Atsumu, et s'il soupira, ce dernier n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qu'elle appartenait à son jumeau.
Pas le temps de lui retourner une insulte, cependant, car déjà Mahiru enchaînait.
— Il faut que je fasse quoi, pour que tu te comportes pas comme un homme de Néandertal, hein ? Que je déroule le tapis rouge et me prosterne dès que tu arrives dans le couloir, c'est ça ?
Une moue songeuse prit place sur les lèvres du volleyeur, vite effacée par un sourire :
— Je pensais plutôt à des excuses, mais ça aussi c'est pas mal, remarque.
— Euh... je pense pas que ce soit... hasarda Ginjima dans une vaine tentative de tempérer la dispute, avant de se faire interrompre.
— Des excuses ? répéta-t-elle, sidérée par la proposition.
La façon dont sa mâchoire se serra un peu plus quand elle le vit dodeliner de la tête ne fit que renforcer l'amusement d'Atsumu. Elle soupira et se pinça l'arrête du nez, tant pour se faire violence que pour retrouver un tant soit peu de calme. Sans franc succès, toutefois, car c'est la voix toujours tendue, toujours éclatante de colère et irrémédiablement aiguë qu'elle poursuivit :
— Non mais tu te prends pour qui, exactement ?
— Pour... la personne sur qui t'as vidé une briquette de jus de fruit ? suggéra-t-il laconiquement en croisant les bras, nullement impressionné par ses cris d'hystérique.
— Sérieux ?! laissa échapper Mahiru dans un rire aussi amer que nerveux, avant que tout ne s'enflamme. Si ce n'est que ça, eh bien voilà : je m'excuse ! Je suis désolée de t'avoir jeté du jus de fruit au visage quand tu m'as insultée de tous les noms, pauvre couillon.
Et quand bien même ça lui coûta, quand bien même elle dut contrôler ses tremblements, la reporter accompagna ses « excuses » d'une révérence ironique qui sut, dans toute sa suffisance, courir sur les nerfs de Miya Atsumu. Ses yeux rageurs se détournèrent de lui dans la seconde. Là seulement, elle sembla prendre conscience du reste de l'équipe de volley, qui la regardait sans un mot s'agiter depuis dix minutes. C'eut le mérite d'amener une brève accalmie dans les orages qui grondaient en elle, puisque sa voix se fit plus posée, presque lasse :
— C'est bon, maintenant ? Tu vas aligner tes deux neurones restants au lieu de jongler avec, et enfin me lâcher la grappe ?
Leurs regards se heurtèrent comme les deux pôles d'un même aimant au magnétisme fluctuant, tantôt répulsif tantôt attractif – surtout répulsif, oui. Ce qu'il la détestait avec ses grands airs et son côté madame-je-sais-tout. Or, les bras toujours croisés, Atsumu ne répondit pas tout de suite, préférant inspecter ses ongles avec attention que lui adresser la parole sans trop y réfléchir. Peut-être était-ce un peu pour jouer avec ses nerfs, aussi – d'autant que ça fonctionnait, à en croire le mouvement fébrile de son corps qu'il apercevait du coin de l'œil.
— Hum, je pense que ça peut se faire, ouais, murmura-t-il songeusement sans daigner lui accorder un regard pour autant
De longues secondes durant, Nomura Mahiru ne bougea pas, muette comme une carpe. Sa silhouette demeura dans son champ de vision, tremblante de contrariété – beaucoup moins qu'à son arrivée, ceci dit – et dans l'attente de la suite. Puis, en comprenant qu'il n'allait rien ajouter de plus et encore moins s'excuser, la demoiselle fit un pas en arrière, puis un deuxième.
— Bien, déclara-t-elle avec prudence, et cette fois-ci Atsumu baissa les yeux sur son visage qui donnait l'air d'avoir traversé trois ouragans de force 5. Je vous laisse vous entraîner...
Même s'il n'avait pas vu ses yeux verts qui balayaient le petit groupe derrière lui, Atsumu aurait parfaitement compris au ton de sa voix qu'elle s'adressait à l'équipe, et non à lui. Il acquiesça quand même, s'incluant de force dans cette équipe dont elle l'avait volontairement exclu. Elle revint sur lui, et il ne put pas réprimer un sourire suffisant en voyant le coin de ses lèvres trembler d'agacement à ce contact visuel. Nouveaux éclairs qui déchirèrent l'air entre eux. Et, sans un mot, Nomura Mahiru tourna les talons pour disparaître du gymnase aussi vite qu'elle était arrivée.
Le ricanement d'Atsumu franchit la barrière de ses lèvres en même temps que résonnaient autour de lui les remarques – et insultes – de ses coéquipiers. Ça l'amusait autant que ça l'agaçait, cette histoire ; il se régalait déjà des réactions de Hiroto quand il le lui raconterait, et savait déjà que Suna n'avait rien raté de cette conversation avec son téléphone portable. Et pourtant... pourtant, alors que l'entraînement reprenait peu à peu et que les volleyeurs d'Inarizaki se mettaient aux exercices de renforcement musculaire, une petite voix résonnait dans la tête de leur capitaine pour l'intriguer profondément. Ô combien bête et immature, il en convenait, cette blague avait eu le don de tirer sur une corde sensible chez son agaçante camarade de classe.
Mais laquelle ?
⋅
Nous y voilà, avec un chapitre pour le moins électrique, et surtout le premier chapitre du PDV de ce cher Atsumu. Il n'est pas encore amoureux de Mahiru, non, et ce n'est pas pour tout de suite tout de suite – même si la fin laisse une ouverture, qui lui permettra peut-être de prendre conscience de ses conneries :')
J'espère qu'il vous a plu quand même, et si c'est le cas, n'oubliez pas de voter. Merci encore de lire cette fanfiction ♡ Pour ma part, je vais prendre mon goûter (bon app' si c'est également votre cas) et avancer sur ma fanfiction Tokyo Revengers. On se retrouve la semaine prochaine ~
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