Bonus #5 ⋅ Éclats de lumière

Donc un gros morceau de plus de 5000 mots, avec un cross-over que vous reconnaîtrez sûrement, de la tranche de vie, de l'humour signé Miya, et surtout beaucoup, beaucoup de fluff. J'espère que ça vous plaira. Bonne lecture 🫶🏻


L'espèce de koala miniature s'accrochait à sa mère comme si sa vie en dépendait. Ses yeux, d'un marron si profond qu'il donnait l'impression à quiconque les regardait de se noyer dans une mer de chocolat, papillonnaient dans tous les sens. Tantôt sur les murs carrelés du couloir, tantôt sur les deux tornades qui couraient autour de lui, tantôt sur l'anneau doré avec lequel ses doigts potelés jouaient depuis tout à l'heure. Or peu importe où il regardait, son attention finissait toujours par revenir sur Atsumu.

— Miya, tu viens avec nous au restau' ?

Le volleyeur cligna des yeux à la mention de son nom et se détourna du nourrisson pour aviser son coach avec raideur. Il avait beau n'avoir qu'un an de plus que lui, il restait son supérieur, celui à qui il devait rendre des comptes quotidiennement lors de ses entraînements pour l'équipe nationale. Et vu l'épaisseur de ses biceps quand il souleva la moitié des sacs de l'équipe, il n'avait pas envie de tenter le diable.

— Désolé, mec, j'étais paumé dans mes pensées. Tu disais ?

— Je te demandais si tu venais au restaurant avec nous. Vu que d'habitude, tu attends que ta fiancée termine ses interviews pour nous rejoindre, explicita le coach, et Atsumu enfouit les mains dans ses poches avec nonchalance.

— Ah non, c'est bon, elle a presque fini. Il lui reste plus que celle en cours là.

Un petit sourire suffisant fleurit au coin de ses lèvres au souvenir de ladite interview, où il avait monopolisé le plus gros de la conversation sous le regard noir de Mahiru. Certes, ce n'était pas que lui qu'elle interviewait, mais est-ce qu'elle avait vraiment besoin du ressenti des autres joueurs ? Surtout de cet imbécile de naturalisé argentin qui avait fait le joli cœur tout au long du match ?

À quelques mètres de lui, le regard du mioche revenant sur sa personne l'empêcha de serrer les dents trop fort, et il tourna la tête pour ne pas se laisser distraire.

— C'est vrai que vous vous connaissez, avec l'autre pignouf là ?

— Qui, Oikawa ?

S'il fut un poil surpris que son coach ait tout de suite compris à qui il faisait allusion, le passeur ne le montra pas et, esquivant un gamin qui passait en courant près de lui, acquiesça simplement.

— Ouais, j'ai eu le malheur de lui adresser la parole un jour en primaire et depuis il me prend pour son meilleur pote, marmonna Iwaizumi d'une voix exagérément dépitée.

— Je vois, pouffa Atsumu, c'est un peu pareil avec mon frère. Juste parce que mes parents ont eu pitié de lui en le trouvant dans la poubelle, il croit qu'il peut se considérer comme mon égal.

Même s'il ne s'autorisa pas à rire à gorge déployée, le coin des lèvres de son interlocuteur se retroussa furtivement, signe qu'ils se comprenaient dans leur façon de considérer leur meilleur ami. Pas le temps de cracher sur Oikawa Tooru plus longtemps, hélas, puisqu'une voix en provenance du sol les interrompit.

— Dis, ils sont naturels tes cheveux ?

C'était un môme de cinq ou six ans tout au plus, à l'élocution hasardeuse et à qui il manquait deux dents. Avec sa copie conforme, un autre garçon aux mêmes joues rebondies et aux mêmes yeux acier qui venait de le rejoindre, ils avaient passé le dernier quart d'heure à taper des sprints dans le couloir comme des lévriers en période de chasse. Sauf qu'ils ne capturaient pas des lièvres, mais un Atsumu trois fois trop gros pour eux – et pas d'humeur à supporter des interrogatoires d'enfants.

— Je t'en pose des questions, moi ? grogna alors ce dernier en réponse, au moins aussi mature que son interlocuteur.

— Ben là, tu m'en poses une, , répondit le morveux avec une décontraction presque insolente.

— Puis ça répond pas à sa question, renchérit son sosie avec la même lueur insistante au fond des ses grands yeux bleus.

— J'avoue, t'es un poco malpoli en vrai.

Atsumu arqua un sourcil, seulement à moitié surpris de la facilité avec laquelle ces jumeaux – qu'il ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam – enchaînaient les répliques pour retourner la situation. Étaient-ils aussi têtes à claques quand ils étaient jeunes, avec Osamu ? Mahiru avait-elle raison en disant qu'ils partageaient un cerveau pour deux ? Et pourquoi ils parlaient espagnol, ces deux andouilles ?

— Les garçons, intervint une autre voix à travers le brouillard de ses questions, qu'est-ce que vous faites, encore ?

— Rien, maman !

— On parle avec le señor !

Le passeur pivota en même temps que ses deux interlocuteurs miniatures vers la silhouette qui les rejoignait d'un pas pressé, et qu'il reconnut avec stupéfaction. C'était la mère du gamin qui passait son temps à le regarder. Il le toisait encore d'ailleurs, ses iris bruns rivés sur Atsumu avec une curiosité dévorante depuis la sécurité de l'étreinte maternelle.

— Excuse-moi de te les avoir laissés Iwaizumi, j'étais au téléphone avec mon père, murmura-t-elle penaudement à l'intention de l'entraîneur qui balaya ses excuses d'un haussement d'épaules nonchalant.

— T'inquiète, Fusae, tes fils ont juste trouvé une nouvelle personne à embêter mais ce n'est pas moi, lui révéla son interlocuteur, et elle écarquilla les yeux.

— Oh pardon, je ne m'étais pas rendu compte !

— Ça va, vois plutôt avec Miya, je dois aller déposer ça dans le van de l'équipe.

Ce disant, il balança un dernier sac par-dessus son épaule avant de s'éloigner vers le bout du couloir où il disparut derrière la porte. La dénommée Fusae quant à elle attrapa la main de ses deux fils pour les éloigner du passeur, devant qui elle s'inclina – quoiqu'un peu gauchement, comme si c'était un geste qu'elle n'avait plus fait depuis des années.

— Je suis désolée, je sais pas ce qu'ils vous ont dit exactement mais...

Atsumu n'écouta pas le reste de ses excuses. Il aurait aimé dire que c'était cette femme qui l'avait ébloui, que c'était son visage constellé de taches de rousseur et ses iris d'un bleu acier bien moins insolent que celui de ses fils qui l'avaient déboussolé, mais ce ne fut pas le cas. Ça l'aurait arrangé – tout du moins ça aurait été plus crédible pour lui. Car jamais, au grand jamais, il n'aurait pu prévoir que ce serait ce bébé cramponné aux bras de sa mère qui l'aurait fait défaillir.

Il n'était pas très grand. Le volleyeur n'aurait pas su évaluer son âge, aussi ignorant en matière de bébé qu'en construction de fusée, mais il avait de tout évidence moins d'un an. Son équilibre instable et ses grosses joues le trahissaient, ainsi que la manière si particulière qu'il avait d'observer son environnement avec une fixité quasi dérangeante. Pour autant, Atsumu n'était pas dérangé, loin de là, plutôt réduit au silence par les pupilles dilatées de ce petit d'homme qui le sondaient jusqu'aux tréfonds de son âme.

— C'est rien du tout, articula-t-il alors, la gorge soudain sèche.

— Non ce n'est pas rien, insista-t-elle avant de se redresser pour appeler ses fils. Miro, Noa, présentez vos excuses.

Si l'espace d'un bref instant, l'image de cette Fusae éveilla le souvenir lointain de sa propre mère fâchée après Osamu et lui après une énième bêtise, il écouta quand même d'une oreille distraite les excuses formulées à moitié en espagnol des jumeaux. Disparue, l'outrecuidance d'un peu plus tôt, engloutie par des larmes de crocodile au bord de leurs grands yeux acier, les mêmes que leur mère posait sur lui avec inquiétude. Il allait se laisser attendrir et regretter de les avoir envoyer bouler, quand le bruit d'une porte retentit un peu plus loin.

— Ahhh, merci Nomura pour cette interview, chantonna une voix traînante qu'il aurait reconnue entre mille puisque c'était celle qui lui avait tapé sur le système tout au long du match. C'était super chouette !

— C'est moi qui vous remercie, Oikawa, répondit Mahiru avec beaucoup trop de douceur pour que les muscles d'Atsumu ne se tendent pas un peu. Je suis certaine que la une du magazine rendra bien.

Le passeur des MSBY renifla tandis qu'ils échangeaient des politesses excessives, persuadé que cet imbécile d'Oikawa le faisait exprès. Il l'avait pourtant vu embrasser Mahiru à pleine bouche à la fin du match, non ? Donc il savait à qui elle était fiancée, n'est-ce pas ? Ou bien devait-il répéter l'expérience pour qu'il l'imprime pour de bon dans sa mémoire de macaque ?

Heureusement pour Oikawa, malheureusement pour Atsumu, ce dernier n'en eut jamais le temps. Les deux piles d'énergie qui imploraient son pardon jusqu'alors le devancèrent, leur sourire déjà retrouvé, en se précipitant vers le volleyeur argentin.

— Papa !

— T'as trop bien joué !

— T'es trop fuerte !

Leur père les cueillit au vol dans un petit rire satisfait, sous le regard déconfit d'Atsumu. C'était lui, le daron ? Ce trou de balle qui jouait presque aussi bien que lui et l'avait nargué une bonne partie du match, celui-là même avec qui il avait cherché des noises avant et après, était papa ?

— Papa, couina une toute petite voix en cruel écho avec ses pensées.

— Oh, mais non, mi amor, c'est pas papa ça.

Il se tourna vers Fusae, et surtout le bébé dans ses bras qui agitait une menotte potelée dans la direction d'Atsumu. Mahiru le rejoignit en gambadant, son porte-bloc bien rempli sous la main.

— Je vois que tu t'es fait un copain, le taquina-t-elle avant de se pencher pour gazouiller devant le bébé. En plus, vu ton niveau intellectuel, j'suis sûre qu'il pourra t'apprendre des trucs.

— Oh, c'est bon, grommela le passeur tandis que Fusae étouffait un petit rire.

— Vous voulez le prendre à bras ? proposa-t-elle en hissant le petit koala qui continuait de tendre les bras vers lui. Il a l'air de bien vous aimer.

Atsumu ne répondit pas tout de suite, mal à l'aise. Le petit garçon continuait d'agiter le bras vers lui comme si son père un peu plus loin n'existait pas. D'un coup d'œil dans sa direction, il le vit en pleine discussion avec ses jumeaux qu'il portait chacun dans un bras. Pire, en baissant les yeux sur Mahi, il s'aperçut qu'elle aussi regardait Oikawa, d'un air attendri.

Et il n'en fallut pas plus au faux-blond pour se décider.

— Comment il s'appelle ? s'enquit-il en tendant les bras vers Fusae, qui répondit dans un sourire.

— Touya.

— J'adore. C'est toi qui as choisi ?

Le tutoiement ne la décontenança pas ; elle acquiesça dans un petit rire. En revanche, il sut au tressaillement de sa fiancée que ça ne lui avait pas échappé, pas plus qu'à Oikawa même s'il ne pouvait pas voir son visage. Il fut tenté de se retourner pour mieux se délecter de sa réaction mais préféra s'abandonner aux gazouillements du nourrisson dans ses bras.

— Salut, p'tit gars, sourit-il à son intention.

— P-papa ?

Il pouffa de rire mais ne le corrigea pas. D'une, parce que ça ferait réagir l'autre couillon. De deux, car ça lui faisait un petit quelque chose inexpliqué, ces deux grands yeux levés vers lui comme s'il pouvait soulever le monde.

— T'aimes le volley ? Ça se voit que t'es un futur volleyeur !

Touya ouvrit grand la bouche et la referma par trois fois sans quitter Atsumu des yeux, tandis que dans son dos, les piaillements de ses frères s'évanouissaient, signe que leur père les reposait sur le sol – et le blondin poursuivit, galvanisé.

— T'as la même tête que ta maman, d'ailleurs, à tomber par terre, gazouilla-t-il en hissant le bébé dans les airs, avant d'ajouter. Comment tu vas faire des ravages plus tard ! Comme ta maman, je suis sûr... !

— Atsu, intervint Mahiru à son plus grand plaisir, laisse-lui le temps de grandir, enfin...

Il ne la regarda pas. Le passeur n'en avait pas besoin quand il entendait dans sa voix que sa fiancée avait perdu un peu de son sourire. Ah, tiens, elle n'était plus en admiration devant Monsieur Parfait ?

Une main se posa lentement mais fermement sur son épaule.

— Miya, fit Oikawa, et il se tourna à demi vers lui.

— Oh, tiens, t'étais là aussi Oikawa ? Je t'avais pas entendu arriver.

— Je disais bonjour à mes fils. Tu sais, les frères de celui-là.

Ce disant, il désigna du bout de l'index son troisième né dans les bras d'Atsumu. Une tension couvait dans sa voix. Le blond pouffa, pas peu fier de son coup, puis resserra son étreinte autour du môme pour en rajouter une couche – et peut-être prolonger ce moment hors du temps, aussi.

Ça ne plut pas à Oikawa, oh ça non. Il fit un pas menaçant vers lui et surtout vers son fils, qui s'éclaira aussitôt en le reconnaissant – cette fois à raison.

— Papa ! couina-t-il à nouveau à la surprise d'Atsumu, et il n'en fallut pas plus audit père pour retrouver son sourire chaleureux.

— Oui, c'est moi. Viens là, mi hijo...

Le bébé bondit presque dans les bras de son paternel avant de fondre en éclats de rire sous les assauts de ses baisers sur ses joues rondes. Atsumu l'observa faire un instant, sonné par cette chaleur qui quittait ses mains, avant de se murer dans un étrange silence qu'il n'aurait pas su expliquer.

Oikawa ne remarqua rien, trop concentré sur ses enfants et sa femme à qui il accordait la totalité de son attention désormais en dehors du terrain. Fusae non plus, déjà au bras de son époux, tandis qu'il lui racontait des moments de son interview avec une complicité affriolante. Mahiru, en revanche, n'en rata pas une miette.

La reporter le rejoignit à pas comptés et regarda avec lui la petite famille s'éloigner en direction de la sortie. Ils devraient les rejoindre bientôt, pour manger au restaurant de ramen avec Iwaizumi comme c'était prévu. Or quelque chose les retenait en arrière. Quelque chose d'indéfinissable.

— Ça va ? murmura-t-elle au bout d'une éternité de silence.

— Ouais.

Comme pour mieux renforcer son effet, Atsumu hocha la tête, même si ce n'était pas tout à fait vrai. Il n'allait pas totalement bien. Une pensée inattendue lui embrumait soudain l'esprit, pour monter dans sa gorge avant même qu'il ne puisse la retenir :

— J'crois que j'veux un enfant, Mahi.

— Quoi ? couina ladite Mahi en levant un regard alerte vers lui.

— Pas forcément maintenant, s'empressa d'ajouter le volleyeur. Pas comme ça. Mais...

Il s'interrompit, le regard retournant malgré lui aux silhouettes des trois fils Oikawa qui couraient désormais au-devant de leurs parents avec insouciance, leurs pas résonnant à travers le couloir pour trouver leur écho dans les battements effrénés de son cœur.

— Ouais, j'veux ça un jour.

🏐🏐🏐

— Je sens que ça sera un garçon.

La voix d'Atsumu traversa le parking de la maternité. Mahiru et lui sortaient de la première échographie depuis l'annonce de sa grossesse quelques semaines auparavant, où le volleyeur avait été tellement extatique qu'il avait cassé la table basse en se redressant de joie. Il avait cependant su garder son calme pendant la consultation, même s'il lui avait fallu un peu de temps pour comprendre que non, le fait d'avoir des jumeaux dans sa famille ne lui donnerait pas plus de chances d'en avoir lui-même, puisque le gène de la gémellité se transmettait seulement par la mère.

— Pourquoi nécessairement un garçon ? s'étonna la reporter en se dandinant de gauche à droite, et il ne retint pas un sourire – la démarche de canard des femmes enceintes était décidément très drôle.

— Il bougeait déjà beaucoup selon la sage-femme, c'est que c'est un futur volleyeur.

— Il cherchait peut-être une position pour se boucher les oreilles et ne plus t'entendre raconter n'importe quoi.

Un petit rire lui échappa, et il attrapa le sac qui glissait de l'épaule de sa fiancée – cette histoire d'enfant avait repoussé leur projet de mariage – pour la décharger avant de monter en voiture.

— Je pense quand même que ce sera un garçon, question de génétique.

— Ah oui, comme avec l'histoire des jumeaux ? se moqua Mahiru, mais il éluda la question.

— Mon père a eu deux fils, mon grand-père a eu deux fils avant sa fille, et mon arrière grand-père a eu un fils en premier enfant, lista-t-il avant de lui ouvrir la portière de la voiture. Et comme c'est l'homme qui définit le sexe...

Face au regard sceptique de la reporter par-dessus la vitre de son SUV, il ne put retenir un sourire taquin.

— Tu le savais pas ? C'est parce qu'on a des chromosomes X et Y, expliqua-t-il en levant deux doigts en l'air. Alors que vous, de votre côté, vous n'avez que des chromosomes X.

— C'est donc ça que tu lisais en salle d'attente ? Je pensais que tu voulais juste te donner l'air intelligent avec les magazines.

— Je cherchais les jeux à la base, mais quelqu'un les avait déjà faits avant moi.

Sa moue boudeuse arracha un rire à Mahiru, qui lui pinça la joue affectueusement avant de se laisser tomber sur le siège passager. Quand il s'installa derrière le volant, cependant, la reporter demanda :

— Si c'est bien un garçon, tu voudrais l'appeler comment ?

— Hikaru, répondit-il sans hésiter une seule seconde.

— Ah oui, c'est direct ! Je peux savoir pourquoi ?

Le volleyeur démarra la voiture mais ne la bougea pas tout de suite, soudain figé par la réflexion. Pourquoi ce prénom ?

— J'ai toujours aimé le prénom, il sonne grave bien... Et le sens est super stylé...

Éclat.

Lueur.

Quelque chose de brillant, en tout cas. Dans toutes les écritures qu'Atsumu avait vues jusque-là, que ce soit des joueurs de volleyball, des figures historiques ou des personnages de jeux vidéo, ça avait toujours eu un rapport avec la lumière. Et il n'avait jamais su passer outre ce prénom.

Comme Mahiru ne répondait pas, cependant, il s'empressa de se racler la gorge et de lui adresser un sourire qui se voulait rassurant.

— Après, si t'aimes pas, on en peut choisir un autre...

— Ça me plaît, l'interrompit-elle. Mais si c'est une fille, je suis pas sûre de vouloir ça.

— Tu peux choisir, si c'est une fille, proposa-t-il aussitôt. Vu que j'ai choisi pour un garçon.

— T'es sûr ? T'as pas peur de ce que je vais te proposer ?

Le volleyeur se fendit d'un sourire pour toute réponse, avant de se concentrer sur sa conduite. Vu l'originalité dont elle faisait preuve pour l'insulter tous les jours depuis qu'ils s'étaient mis ensemble au lycée, il ne doutait pas de ses capacités à trouver un prénom hors du commun pour leur possible fille. Peut-être même qu'il pourrait renoncer à « Hikaru » en échange. Peut-être.

🏐🏐🏐

Ce trouduc de 'Samu refusait de s'occuper du chat.

Soi-disant que Chouquette n'était pas propre et lui volait sa nourriture. Certes, quand il laissait traîner ses onigiri au thon sur la table de salle à manger où la minette dormait la moitié du temps, ses pattounes finissaient souvent dessus. Mais pouvait-on vraiment lui en vouloir ?

Pouvait-on vraiment en vouloir à la chatte qu'Atsumu avait un jour décoincé d'une gouttière, et qui avait fini par élire domicile dans leur appartement quand sa fiancée avait été incapable de la laisser repartir dans la rue ? Pas que la bête s'en plaigne, ronde de croquettes et de pâtée hors de prix que le volleyeur aurait sans doute refusé de financer si ce chat n'avait pas été la prunelle des yeux de Mahiru.

Toujours est-il que personne ne pouvait venir la nourrir pendant les quatre jours où ils seraient à la maternité, cette pauvre Chouquette. Ni 'Samu de chez qui ils venaient de revenir, ni les membres de son équipe, ni leurs parents qui vivaient encore à Kobe. Et il était hors de question pour Atsumu de laisser Mahi toute seule le temps d'un aller-retour. C'est à peine si elle tenait encore debout avec son ventre de bibendum.

— Je continue à croire qu'il y a un jumeau caché, marmonna-t-il en aidant sa reporter à se relever après être tombée en arrière dans le fauteuil.

— À huit mois de grossesse, je crois qu'ils l'auraient remarqué, répliqua Mahiru.

— Ils ont pas encore trouvé si c'était une fille ou un garçon, alors permets-moi d'en douter.

C'était courant, apparemment. Le bébé croisait les jambes. Ou bien il se cachait avec ses mains, rendant impossible toute identification. Au moins, pour le reste, tout allait bien – c'est ce qu'Atsumu se répétait, même s'il se demandait intérieurement si c'était un petit Hikaru ou une petite Chihiro.

Il se demandait aussi si ça changeait quelque chose, au fond.

— Et Iwaizumi, il pourrait pas la garder ? Il vient sur Osaka le mois prochain, non ? s'enquit Mahiru, le ramenant au sujet de leur chat sans pet-sitter.

— Laisse tomber, sa fille est allergique. En plus si elle s'enfuit, imagine-le crier dans la rue après Chouquette...

Mahiru gloussa en songeant à la scène, à provoquer une contraction au creux de son ventre. Il n'en fallut pas plus pour qu'Atsumu soit sur elle, son téléphone à la main au cas où les secours doivent être appelés. Puis tout se calma tout seul.

— T'as raison, j'crois que c'est un garçon en fait, soupira-t-elle.

— Ah bon ? Qu'est-ce qui te fait penser ça, tout à coup ?

— Il me fatigue autant que toi.

Cette fois, ce fut son tour de rire. Il n'y avait pas à dire, la grossesse n'avait pas émoussé la répartie de Mahiru, elle s'en trouvait même affûtée si on lui demandait son avis. Pas qu'il ne s'en plaigne, c'était sans doute le trait qu'il aimait le plus chez elle. Pour autant, il n'était pas sûr d'être rassuré pour Chouquette qui n'avait toujours pas de pet-sitter.

Avec un peu de chance, 'Samu finirait par craquer.

🏐🏐🏐

Le moteur de la voiture vrombissait à chaque accélération. Il se pourrait qu'un ou deux stops aient été grillés. Et un feu orange. À moins qu'il ne fût rouge ? Atsumu ne savait plus. Il ne voyait plus, plus rien à part les cinq appels manqués de Mahiru qui l'étranglaient autant que sa culpabilité.

— Pourquoi il a fallu qu'elle perde les eaux en plein milieu de l'entraînement, bon sang ?

Son grognement arracha un coup d'œil curieux au conducteur du véhicule, qui déboîta à gauche avec aisance avant de lui répondre.

— Je suis pas sûr qu'elle ait eu son mot à dire, tu sais.

— Ouais ben ça soûle quand même, si ce stupide entraînement avait pas été avancé, j'aurais pu l'emmener moi-même à la maternité.

— Une chance que Sae-chan était avec elle, du coup.

Le volleyeur soupira à ce surnom plus qu'évocateur. Il n'aurait pas su expliquer comment il avait fini dans cette voiture avec lui. Comment cette fille, qui vivait à l'autre bout du monde le reste du temps, se retrouvait aux côtés de Mahiru pour son accouchement aujourd'hui. À la place de Kinako ou de sa mère. À sa place.

— C'est censé me rassurer, que tes trois morveux soient dans la salle d'accouchement avec ma fiancée ?

Oikawa lui jeta un regard en coin avant de revenir à la route, où il roulait un chouïa au-dessus de la limite de vitesse.

— T'es sûr de vouloir insulter mes enfants quand c'est moi qui suis au volant de cette voiture, Miya ?

— Oh ça va, tu comprends ce que j'veux dire, grogna Atsumu en songeant au stress que les trois fils Oikawa pouvaient générer à sa fiancée, et leur père pouffa de rire.

— Ils sont tous les trois avec mes parents, t'inquiète.

Il s'inquiétait quand même. Pourquoi était-il devenu ami avec ce trou de balle ? Pourquoi avait-il cédé aux demandes de la V-League et de ce stupide Kuroo Tetsuro de rejouer des matchs de charité avec lui ? Et pourquoi diable avait-il accepté de monter dans sa voiture pour aller jusqu'au centre hospitalier d'Osaka ?

— Tu conduis comme un chien, bordel.

— Oh mais de rien, ça me fait plaisir de risquer mon permis pour te permettre d'arriver à temps à l'hôpital et de voir la naissance de ton gosse.

— Ouais, merci, mais tu conduis quand même comme un chien.

Un sourire moqueur naquit sur le profil de l'Argentin, qui doubla sans l'ombre d'une hésitation non pas une mais trois citadines un peu trop lentes à son goût, avant de répliquer :

— Charmant. J'ai du mal à comprendre comment Nomura a accepté de faire un enfant avec toi.

— Et moi, je comprends toujours pas pourquoi Fusae a accepté d'en faire trois avec toi, mais je dis rien tu vois.

Nullement dérangé par son utilisation du prénom de sa femme, Oikawa pouffa de rire. Les bâtiments de l'hôpital apparaissaient à l'horizon. Inconsciemment, Atsumu se raidit, les jambes tendues comme si c'était lui qui appuyait sur la pédale d'accélération. Ça ne fit pas avancer la voiture plus vite, loin de là, mais ça eut le mérite de centrer un minimum son inquiétude. Le temps de traverser les dernières rues. Le temps de passer le portique du parking hospitalier. Le temps de remercier son ami passeur quand il le déposa à l'entrée avant que lui n'aille trouver une place.

— Juste, rends-moi service, Miya, le retint Oikawa alors qu'il avait commencé à se diriger vers l'hôpital.

— Qu'est-ce que tu veux ? s'impatienta le blond, mais l'autre ne sourcilla pas.

— Fais sortir Sae-chan de la salle d'accouchement en arrivant.

Aussitôt Atsumu fronça les sourcils, confus, presque offusqué. Il lui demandait vraiment de s'occuper de sa femme à lui plutôt que de sa fiancée en plein accouchement, là ?

— Pourquoi ?

— La sage-femme lui a conseillé d'éviter les situations stressantes, c'est pas bon pour elle et le bébé.

Un silence éberlué accueillit cette annonce. Le passeur des MSBY cligna une, deux, trois fois des yeux à mesure qu'il assimilait les mots. Puis sa réplique ne se fit pas attendre, imprégnée de son tact à toute épreuve :

— Mais vous êtes de putains de lapins, ou quoi ?

— Ironique que le parrain soit un renard, du coup, chantonna Oikawa pour toute réponse, avant de s'éloigner dans un vrombissement de moteur.

Atsumu le regarda s'éloigner le temps d'une seconde, une minuscule seconde où la stupeur figea ses traits à la réalisation de ce qu'impliquait son camarade passeur, avant que Mahiru ne reprenne le dessus dans son esprit avec la force d'un raz-de-marée. Et, oubliant toute idée de parrainage ou de lapins, il s'élança à travers les couloirs de l'hôpital.

🏐🏐🏐

Le cri aigu du nourrisson déchira l'air. Il avait de la voix, un vrai petit chanteur d'opéra. Ou un futur entraîneur des MSBY – ils pouvaient se montrer turbulents, avec Hinata et Bokuto. Toujours est-il que son vagissement ne s'éteignit que lorsqu'il trouva refuge dans les bras de sa mère

Mahiru était rouge, de ce rouge framboise qu'Atsumu aimait autant qu'il avait appris à l'inquiéter tout au long de l'accouchement. Une pellicule de sueur luisait à la surface de sa peau, des cernes grands comme la pleine lune débordaient sur ses pommettes et ses yeux étaient injectés de sang, reliquats d'un travail long de quatorze heures. Il était aussi persuadé que son dos et ses hanches l'élançaient. Pour autant, le sourire de sa fiancée rivalisait avec les étoiles quand ses yeux olives se posèrent sur le visage de leur enfant.

Leur fille.

Le monde s'arrêta de tourner. Le ciel se renversa et les nuages coulèrent au fond des océans. Toutes les couleurs se mélangèrent pour se redéfinir. Il n'y avait plus de soleil. Plus de terre. Plus de gravité. Seules ces petites mains et ce nez minuscule et ces lèvres frémissantes et cette touffe de cheveux et ces halètements désespérés et ce petit être si fragile, si vulnérable, si insignifiant dans toute l'histoire de l'univers.

Et soudain si central dans la vie d'Atsumu.

— Chihiro... murmura-t-il d'une voix étranglée, et Mahiru secoua la tête.

— Hikaru. Elle s'appelle Hikaru.

Il ne répondit pas, à l'exception d'un reniflement pathétique qui arracha un rire à sa fiancée. Qu'importe. Elle riait. Et sa fille vivait.

Sa fille.

Lui qui s'était persuadé d'avoir un fils, s'était imaginé une vie comme Oikawa avec les siens, avec des bastons sur le canapé, des parties de chat perché en allant à l'école, des constructions gigantesques en Lego, des dizaines et des dizaines de matchs de volley...

Voilà que tout se redessinait avec sa fille. Avec Hikaru.

Miya Hikaru.

Et à cet instant, Atsumu sut que plus rien n'aurait la même saveur après ça.

🏐🏐🏐

Le gala de charité de la V-League battait son plein. Il n'y avait pas à dire, sa troisième édition avait été un franc succès, et la dernière une du plus gros magazine sportif du Japon y était pour quelque chose. Sortie quelques semaines auparavant, elle avait défrayé la chronique et révélé au grand public deux étoiles montantes du volley-ball nippon. Et surtout, elle avait fait exploser les dons pour offrir aux enfants défavorisé l'opportunité de pratiquer du sport.

— Ça va, ou tu veux que je la prenne ?

La voix de Mahiru l'arracha à ses réflexions dans un sursaut, et il secoua la tête en comprenant qu'elle faisait référence à Hikaru. En équilibre solide sur son avant-bras, sa fille gazouillait joyeusement depuis plusieurs minutes déjà, esquissant un sourire ou deux à qui attrapait son regard curieux.

— T'es sûr ? grimaça sa fiancée en réarrangeant la combinaison jaune à froufrous avec attention, et Atsumu acquiesça.

— Profite de la soirée, c'est la première fois que tu peux faire des interviews depuis la naissance.

— Oui, c'est vrai mais... ça m'embête de te laisser faire tout le travail.

— T'inquiète pas, et toute façon, même si je te la passais, je crois qu'elle hurlerait comme un putois.

Un petit rire échappa à la reporter, qui se pencha vers Hikaru avec adoration.

— C'est vrai que t'es une fille à papa, toi, roucoula-t-elle à son intention. Tu ronchonnes dès qu'il ne s'occupe pas de toi ~

— Telle mère, telle fille, j'ai envie de dire, commenta Atsumu dans un ricanement, et sa fiancée le fusilla du regard par-dessus l'épaule de leur fille.

— N'importe quoi, je m'en fiche que tu t'occupes ou pas de moi.

— Mais oui, mais oui. Tu tires la tronche et tu claques les portes, mais sinon tout va bien.

— Atsu.

— Mahi ?

Il poussa même le culot à battre des cils avec innocence, rayonnant sous son auréole imaginaire, tandis que Mahiru le contemplait d'un air peu amène. Elle prit une grande inspiration pour se calmer avant de tourner les talons.

— Je m'en vais avant que tu me donnes une bonne raison de t'arracher la tête. Occupe-toi bien de Hika'.

— Oki, à tout à l'heure madame je-ne-sais-pas-me-passer-de-mon-fiancé !

— Va te faire voir !

La réplique fut balancée par-dessus son épaule avant que la reporter ne disparaisse dans la foule. Atsumu gloussa de sa réaction, mais il n'ajouta rien, parfaitement conscient que sa fiancée n'hésiterait pas une seconde à venir le remettre à sa place aussi sec, et il n'était pas sûr de vouloir gérer les remontrances de la V-League si un tel remue-ménage avait lieu au gala. Et puis, de toute façon, on ne lui en laissa pas le temps.

— C'est dingue, même avec la naissance de votre fille et en ayant repris le boulot, vous trouvez encore le temps de vous engueuler. C'est prodigieux, s'émerveilla Osamu depuis l'autre côté du buffet.

— Ce que je trouve prodigieux, contra Atsumu en avisant le sourire suffisant de son jumeau, c'est que tu m'a exploité toute la semaine parce que soi-disant t'avais pas assez d'employés pour préparer le repas de ce soir, et maintenant t'es là en train de glander.

— Je glande pas, je sers les plats et je réponds aux questions des invités.

— Ah ouais ? Et c'est quoi, ça ?

Il désigna de sa main libre un plat de crevettes délicatement arrangées en cercle, accompagnées de citrons verts et badigeonnées d'une sauce qu'il supposait à base de coriandre, si son nez ne le trompait pas.

— Bah c'est des crevettes, connard. Tu le vois pas ?

— Parle pas comme ça devant Hika', se renfrogna aussitôt le volleyeur en couvrant les oreilles de sa fille, et Osamu pouffa de rire.

— Papa poule.

— Oncle alcoolique.

Osamu ne s'en formalisa même pas, servant dans une coupelle quelques crevettes – qu'il révéla assaisonnées au citron vert et au gingembre – avant de tendre un bout de pain à sa nièce quoiqu'avec plus de douceur.

— Merci, répondit le volleyeur à sa place. Mais t'es quand même un mauvais traiteur, la prochaine fois je te recommanderai pas auprès de la V-League.

— C'est ça, ricana son jumeau. Tout comme tu ne joueras plus de match avec l'Argentin qui a fait de toi le parrain de son gosse.

Si le blond grommela une protestation incompréhensible, son regard se perdit malgré lui vers le couple Oikawa un peu plus loin, en grande discussion avec le coach Iwaizumi et sa femme. Leurs trois fils jouaient avec d'autres enfants à côté, mais leur cadette, sa filleule, était emmaillottée dans une écharpe qui la blottissait contre sa mère.

— Ou tout comme tu ne rejoindras jamais une équipe pro' sans ton frère.

L'attention d'Atsumu revint sur ledit frère, désormais chef cuisinier de son propre restaurant, tandis que lui jouait dans le plus gros club d'Osaka et le premier du pays depuis seulement quelques mois. Il savait très bien qu'Osamu marquait un point, un deuxième même vu le fil de la conversation. Et son jumeau ne semblait pas près de s'arrêter là puisqu'il pointa ses pinces à crevettes sur lui :

— Et tout comme tu n'épouseras jamais cette petite reporter qui t'a fait rater ton service au lycée.

Un long soupir finit par lui échapper, au moment même où Mahiru déboulait à côté de lui, les joues roses après avoir couru ou ri ou trop posé de questions. Il la regarda attraper Hikaru et plaquer des baisers sur ses joues, saluer Osamu et lui demander une portion d'un plat qu'il n'entendit pas, répondre dans un rire à une question que lui posait Suna qui venait d'arriver au buffet avec Fumiya. Le temps ralentit, comme Atsumu prenait tout à coup conscience de cette soirée, ces derniers mois, toutes ces années depuis ce jour de printemps où sa vie avait basculé dans un éternuement.

— Ça ne va pas ?

Le visage de sa fiancée apparut à travers le flou de ses souvenirs. Réelle. Belle et réelle, tout comme sa fille dont le rire résonnait comme une mélodie pour ses oreilles. Et alors que d'autres se rapprochaient du buffet servi par son frère, alors que Hikaru tendait les bras vers Oikawa et Fusae qui arrivaient tout juste, alors que Mahiru riait aux éclats avec tout le monde, la réponse vint toute seule sur les lèvres d'Atsumu.

— Si, ça va. Ça va super bien, même.

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