Chapitre 2

Sur le chemin du retour, War ne desserrait pas les poings. Stressé et en colère, il refusait d'accepter ce qu'il venait d'entendre. Le bus était bien trop lent à son goût. Ne l'éloignant pas assez vite des élucubrations de sa grand tante. Il le savait pourtant. Il n'aurait pas dû aller lui parler.

Arrivé en centre ville, il sauta du véhicule à peine arrêté, pressé de prendre l'air. Mais une fois sur le trottoir, il s'arrêta un instant, le visage tourné vers le soleil pour prendre un moment, pour retrouver quelques ondes positives.

L'odeur alléchante des chichis titilla soudain son nez. Il s'approcha du foodtruck d'où elle venait. La gourmandise prenant le dessus, il fit la queue. Mais au moment de passer la commande, il sentit son ventre se nouer. Une boule comprima sa poitrine. Une sensation de stress prit possession de lui et lui fit monter la nausée. Il s'excusa et partit précipitamment sans rien acheter.

Il se dirigea, sans trop savoir comment, vers le musée où il devait retrouver sa classe une demi heure plus tard. Ses pas le guidaient instinctivement et cela suffisait à l'inquiéter. Il regardait tout autour de lui, mal à l'aise. Effrayé d'entendre un son, de voir quelqu'un qui pourrait déclencher ce qu'il ne voulait absolument pas connaître. Et pourtant, soupira-t-il intérieurement, il ne pouvait continuer à passer des nuits exténuantes pour le reste de sa vie.

Arrivé devant la porte immense du musée qui avait été édifiée dans un bâtiment très ancien, il prit le temps de regarder l'inscription en langue archaïque qui trônait au dessus. Cette bâtisse avait autrefois été une école militaire pour jeunes gens de la haute société.

La vue de ces vieilles pierres eu comme un effet apaisant sur War. Comme s'il se trouvait en sécurité. Comme s'il connaissait cet endroit, un lieu rassurant où il s'était senti chez lui plus qu'ailleurs.

Respirant un peu mieux, il pénétra dans l'édifice et chercha son téléphone dans son sac pour le mettre sur silencieux et voir si ses amis lui avait envoyé un nouveau point de rendez-vous. Ils avaient en effet décider en premier lieu de tous se retrouver dans la grande salle des artistes de l'ère Silla, époque qui serait la base de leur futur devoir.

Suivant les panneaux indicatifs pour s'y rendre, War flâna un peu, puisqu'il était en avance, et prit le temps de contempler les portraits des rois de leur pays dans la première galerie. Il adorait l'Histoire et trouvait toujours merveilleux de perdre son regard dans celui de ces grands personnages qui avaient fait l'Histoire bien malgré eux, par sagesse, cruauté ou par désespoir parfois.

Dans la pièce suivante se trouvait une collection d'objets ayant appartenus à d'illustres personnalités des ères précédentes. Des épées, instruments de musique, pinceaux de calligraphie, tenues d'apparat, boîtes et bijoux onéreux étaient exposés là, avec de courtes ou plus longues explications selon leur importance ou ce qu'on en savait.

Un objet attirait plus particulièrement l'œil. Un uniforme militaire de général de l'époque Silla trônait au centre de la pièce, mis en valeur sous des éclairages qui le faisait scintiller. Les parties visibles de l'armure se composaient d'un casque pointu doublé de fourrure, d'un manteau long jusqu'aux cuisses et d'un pantalon couverts de bandes d'acier verticales imbriquées pour ne plus former qu'une seule plaque. Leur couleur rouille était typique et leur donnait un air de guerrier en terre cuite. Elle avait été disposé de manière à imaginer un homme la porter.

Il ne savait pas pourquoi mais War se sentit instinctivement attiré par cette armure. Sa vue se voila d'une brume légère. Il se prit à rêvasser devant la taille impressionnante de cette tenue qui révélait la grandeur de celui qui la portait autrefois. Il sentit comme une douce chaleur envahir son corps en voyant se dessiner de longues jambes, des hanches larges, un torse tout en muscle, des bras puissants et des mains fines, un cou...

War se surprit à pincer les lèvres, comme anticipant quelque chose de délicieux. Puis, continuant à lever la tête vers le haut de l'armure, il crut croiser un regard de braise dardé sur lui, le traversant avec une pointe de plaisir.

Il sursauta et fit un pas en arrière, le souffle court.

- War ! Eh mec tu m'entends ? Ça fait cinq minutes que je t'appelle !

War secoua la tête comme pour se sortir d'un rêve éveillé et découvrit le beau garçon aux cheveux décolorés qui le regardaient avec curiosité. Il fixait Samy à présent mais sans vraiment réaliser tout se suite que son ami était là. Celui-ci l'observait avait quelques inquiétudes.

Le jeune homme était leur aîné d'un an, ayant redoublé au collège. Il était un peu le grand frère très taquin mais ultra protecteur. Il était un peu plus mâture et le seul par ailleurs à avoir une copine depuis deux ans déjà. Mais celle-ci étudiait à l'étranger et ils ne se voyaient pas beaucoup. Il prenait très à cœur son rôle de senior et voir War si perturbé le tracassait.

War ne répondit pas et tourna à nouveau les yeux vers l'armure. Mais bien entendu personne à l'intérieur.

- Tu vas bien frère ? s'enquit Tim.

War hocha difficilement la tête sans parvenir à s'en convaincre lui-même ni ses amis d'ailleurs. Samy s'approcha de l'armure pour lire à voix haute la description.

"Armure du Général Go Khan, le plus grand guerrier de son temps. Préféré du roi, vainqueur des envahisseurs, ce militaire aux mille exploits mourut pourtant dans le plus grand anonymat".

- T'..., se mit à murmurer War. T...

- Qu'est-ce ce qu'il baragouine encore ? s'inquièta Tim.

- Bonjour les étudiants, s'exclama soudain une guide sortit de nulle part. Vous êtes intéressés par la période Silla ?

- Euh..., balbutia Can.

- À quoi plus exactement ? demanda-t-elle sans être déstabilisée. À une période, un mode de vie, un personnage ?

Elle remarqua le regard de War à la fois attiré par l'armure et fuyant. Elle sourit et se rapprocha de la vitrine.

- Oh, vous êtes curieux du Général Go ?

War ne pour cacher son intérêt même s'il détourna bien vite les yeux. Il ne put voir le petit sourire de la guide qui reprit le plus innocemment du monde.

- C'était un soldat hors pair. Il a fait gagner d'innombrables batailles à son pays et était dévoué à son roi. Un homme de valeurs.

- Il est marqué pourtant qu'il n'a pas eu de funérailles nationales, releva Samy.

- C'est un véritable mystère. De nombreuses hypothèses ont été émises sur la fin de sa vie. Le plus probable est qu'il fut sûrement déclaré responsable d'une faute grave à tel point que le roi renia son commandant en chef et brûla tout portrait de lui.

War frissonna et la dévisagea avec angoisse. Elle semblait un peu trop enjouée d'annoncer ça. C'en était flippant. Les quatre garçons ressentirent le même malaise.

- OK Mademoiselle... euh... Ravi, lut Samy sur son badge. On est attendu, si vous voulez bien nous excuser.

Il prit War par le bras pour l'entraîner. Ce dernier suivit d'un pas traînant ses camarades qui passaient à la salle suivante sans s'attarder. Heureusement, ses amis étaient attentif et Tim veillait sur lui, sentant bien que quelque chose clochait. Il lui tendit une bouteille de jus de fruits et se pencha vers lui pour murmurer.

- Tout va bien War ? Encore tes rêves ?

War hocha la tête mais lui fit comprendre du regard que ce n'était ni le lieu ni le moment pour en parler.

Au milieu des babillages de leurs amis et des autres camarades de classe qu'ils croisèrent au fil des salles, ils atteignirent enfin la galerie des portraits. Monsieur MacKay, leur enseignant, les rassembla autour d'une des illustrations les plus célèbres de leur pays, un ensemble d'oiseaux du paradis volant dans de hautes fleurs.

Le professeur, un immense gars fin comme une brindille, les cheveux mi longs attachés en catogan, un long gilet sans forme sur un t-shirt blanc et un jean râpé, bref, loin d'avoir l'air d'un enseignant, leur donna les instructions pour leur futur devoir : choisir l'une des illustrations de cette salle et comprendre l'idée de son auteur en la remettant dans le contexte de son époque. Chacun était libre de le faire seul ou en groupe.

- Oh que c'est barbant, soupira Can. On se met ensemble les gars, on se partagera la corvée.

- On te voit venir Can, se moqua Tim. Tu vas tout nous laisser faire.

Can fit un clin d'œil sans chercher à prouver le contraire.
C'était le plus deshinibé de la bande. Beau gosse, fashion et pouvant donner l'air d'être superficiel, il enchaînait les petites copines et ne pensait qu'à s'amuser. Pourtant ce blagueur inépuisable avait le cœur sur la main et était un ami irremplaçable.

Détendu par les chamailleries de ses amis, mettant un peu de côté ses soucis, War tourna sur lui-même pour jeter un coup d'œil aux peintures et toiles qui les entouraient. Beaucoup d'estampes, de calligraphies et de douces peintures représentant soit des animaux et des fleurs, soit des scènes de vie quotidienne.

Il se laissa absorber par la contemplation d'une image de famille noble d'autrefois prenant le thé sur la terrasse d'une maison traditionnelle toute en bois. Les couleurs chaleureuses, la minutie des détails, des gâteaux aux bijoux en passant par le sourire d'un enfant. Tout permettait de plonger au cœur de ce instant de bonheur volé.

Ailleurs une toile représentait des hommes aux champs. Une autre, un paysage féerique où des oiseaux semblaient chanter.

Mais quand son regard se posa sur un vieux dessin pastel dans un coin de la pièce, la bouteille, heureusement fermée, qu'il tenait lui glissa des mains pour chuter dans un boucan d'enfer. Avant que Tim puisse le questionner, il s'avança d'un pas hésitant vers le dessin.

Sur une toile d'un mètre environ, à l'encre bleu ciel, deux corps d'hommes étaient dessinés, couchés dans les fleurs sauvages, se tenant la main, la tête penchée l'une vers l'autre, du sang à la commissure des lèvres, un fil rouge reliant leurs annulaires gauches. Leurs visages étaient sereins malgré ce qui semblait être l'image de deux personnes décédées... Non il devait mal interpréter. Ce rouge devait être un défaut, une coulure, un accroc fait par le temps.

Un flash lui vrilla les tempes sans prévenir. War se mit à trembler et posa la main sur son cœur qu'il sentait se serrer.

Khan ! Khan ! Laisse-moi et sauve-toi !

War regarda autour de lui pour voir d'où provenaient ces mots. Ils semblaient comme résonner dans l'immensité de la salle. Pourtant les autres ne paraissaient pas l'entendre. Ils riaient ou pestaient ici et là en regardant les œuvres. Il avait dû imaginer. Après tout il avait toujours aimé inventer de histoires. Cette toile devait juste l'inspirer. War dut se résoudre à admettre que c'était dans sa tête.

Il se détourna mais à nouveau un son strident lui blessa les oreilles.

Je ne t'abandonnerai jamais Earth. Reposons-nous ici.

Une voix douce avait prononcé ces mots. Mais une autre personne sanglota.

War porta les mains à ses oreilles pour faire taire les lamentations du couple mais comment éteindre un bruit à l'intérieur de soi ?

Seul le contact de Tim, lui prenant les épaules en l'appelant fortement, permit à War de sortir de sa torpeur. Il regarda son ami avec effroi, tardant à retrouver une respiration moins saccadée.

- Tout va bien War. Tout va bien ! rassura Tim.

- Que se passe-t-il War ? s'inquièta Can.

- Amenons-le à l'écart, conseilla Samy.

Ses amis le ramenèrent à l'accueil et le firent asseoir sur un des divans rouges à disposition des visiteurs fatigués. Samy lui tendit une bouteille d'eau fraîche qu'il venait de prendre au distributeur. War se ressaisit un peu, désaltéra sa gorge sèche et apaisa sa respiration.

- Qu'est-ce que c'était War ? C'est la première fois que je te vois dans cet état ? marmonna Samy.

- Le déclencheur..., bėgaya War.

- Hein ? fit Can.

- C'est le déclencheur, répéta War tout bas.

Can et Samy regardèrent Tim qui haussa les épaules tout aussi confus qu'eux.

- Je vais te ramener War, annonça ce dernier.

War hocha la tête. Il était épuisé. Il était reconnaissant à son ami de décider pour lui. Il le suivit, pressé de quitter cet endroit.

Mais en passant devant la boutique souvenirs, une série d'objets attira son attention. Il s'y arrêta et hésita longtemps devant la vitrine. Pourtant, poussé par un besoin viscéral incontrôlable, il pénétra soudain dans le store en demandant à ses amis de l'attendre. C'était plus fort que lui, mu par son instinct... Il ne fut pas long pour en ressortir, un rouleau dans un sac shopping à la main.

Samy, qui avait la seule voiture du groupe, les reconduisit sans un mot. Quelques minutes plus tard, à l'entrée du dortoir du campus, les trois amis de War rechignèrent cependant à le laisser seul. Le garçon assura qu'il allait mieux et pouvait rester seul dans sa chambre universitaire.

C'est pourtant d'un pas fastidieux qu'il monta les escaliers. À peine la porte passée, il se laissa tomber sur son lit et resta quelques instants les yeux dans le vide. Il était perdu, fatigué et inquiet.

Il soupira, se massa les tempes et détourna le regard. Ses yeux se posèrent sur le sac. D'une main tremblante, il sortit le rouleau et le déplia, révélant une reproduction des deux amants morts dans le champs.

Son cœur se mit à nouveau à battre la chamade mais il parvint à le maîtriser pour se concentrer sur les détails. Il étudia plus précisément les traits des deux hommes, des jeunes gens nobles de la dynastie Silla à en juger par leur tunique, l'un d'une vingtaine d'années et l'autre peut être d'une dizaine d'années de plus, les cheveux longs et soyeux, une peau immaculée mis à part le filet de sang glissant de leurs lèvres les rendant plus beaux encore.

D'une main tremblante, War caressa le contour du visage du plus âgé qui dégageait une aura de force et protectrice.

Earth, murmura une voix grave semblant provenir de cet homme.

War retira sa main comme si quelque chose l'avait brûlé. Mal à l'aise, il repoussa la reproduction. Néanmoins, il chercha des punaises pour afficher le dessin sur le mur face à son lit. Le poster accroché, il retira son t-shirt, se glissa sous les draps, l'observa de longues minutes avant d'enfouir sa tête sous l'oreiller.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top