⚜️ | CHAPITRE 22
— Lisa ?
J'émerge péniblement, ma conscience sur le point de plonger dans les limbes d'un sommeil salvateur, si naturel maintenant que j'ai retrouvé mon amour.
— Hm ?
Blottie contre lui, enfouie dans ses bras et tout près de son cœur que j'entends battre dans un écho évident au mien, je me rapproche un peu plus de lui, resserre mon étreinte autour de sa taille, jamais rassasiée de sa proximité, du réconfort qu'il m'apporte.
— Marrions-nous.
Quoi ?
Si j'étais encore somnolente, voilà que je me réveille totalement. Ai-je bien entendu ? Immobile, je m'interroge sur mon ouïe, ce que j'ai mal compris et ce qu'il aurait pu me dire en lieu et place de cette demande. Et ne voyant rien d'autre que cela, je me redresse sur un coude, presque penchée sur lui à la recherche d'un indice sur son visage, n'importe quoi me révélant que j'ai bien halluciné... ou que mes tympans se portent à merveille.
Devant mon incompréhension manifeste, il répète, un maigre sourire retroussant la commissure de ses lèvres :
— Marrions-nous.
Pourquoi ?
Pourquoi maintenant ? Alors que nous n'avons jamais abordé la question, que cela nous paraissait invraisemblable autrefois. Est-ce là son seul désir avant de périr...?
Il approche lentement sa paume de mon visage, et voyant que je ne recule pas, caresse ma tempe avant de repousser une mèche derrière mon oreille.
— Je voulais te demander ta main plus tard, quand tout irait bien et que nos vies seraient stables. On aurait dû avoir le temps, l'éternité pour vivre heureux et ensemble.
Seigneur, comment peut-il être si calme...?
Je pensais m'être vidée de toutes mes larmes, et pourtant voilà qu'elles miroitent déjà à la surface de mes rétines à l'évocation de notre fatalité, cette énième injustice du destin.
— Mais... nous n'avons plus le temps, et je ne me suis pas efforcé d'avoir la meilleure vie possible à t'offrir pour que rien ne te revienne.
— Quoi ?
Je ne comprends pas. Ou plutôt, je refuse de comprendre où il veut en venir. Il ne peut pas avoir pensé à ça, il ne peut pas s'être dévoué à moi si ardemment. Il ne peut pas déjà songer à m'abandonner.
— Depuis que je t'ai retrouvée, il y a dix-sept ans, depuis ce jour où je t'ai renommée Lisa, où je t'ai imposée à nos parents comme si tu avais toujours été leur fille, où je me suis juré de te protéger... J'ai tout fait pour être le meilleur, pour exceller à l'école et obtenir un diplôme prestigieux, pour obtenir un poste éminent le plus tôt possible, pour réussir ma vie et être en mesure de t'offrir tout ce que tu désirerais, pour que tu ne manques jamais de rien.
Je sais combien il a persévéré. Il n'a que vingt-deux ans – vingt-trois peut-être ? – et il occupe déjà la fonction d'avocat quand n'importe qui d'autre à cet âge serait encore en études. Il s'est démené pour être en mesure de me libérer tout le temps dont j'aurais besoin, pour être le seul maître de ses horaires tout en disposant d'un salaire suffisamment conséquent pour ne jamais subir aucune privation. Et cela sans avoir la moindre certitude que nous serions ensemble, que nous nous rencontrions.
Comme aimantée, ma main retrouve sa joue, mon regard à la recherche de tous ses sentiments enfouis dans le sien.
— Pourquoi tant d'efforts ? Une telle précipitation...
Et s'il avait fait tout cela en vain ? Si j'avais été heureuse, s'il n'avait pas eu besoin d'entrer dans ma vie, s'il était resté seul ?
— Parfois, il m'arrive de me dire que j'aurai préféré ne pas te retrouver, se confesse-t-il dans un sourire triste en attirant ma paume contre ses lippes. J'aurai eu tord de penser qu'il t'était impossible d'être comblée, de nourrir cet espoir égoïste que nos retrouvailles seraient inévitables... Parfois, j'aurai vraiment préféré m'être acharné inutilement.
Il n'a pas besoin de terminer, je devine sans mal l'issue de ses pensées. Elle résonne en moi, bien trop évidente pour être ignorée.
Mais il savait, il avait eu raison.
Embrassant du bout des lèvres ma peau, il poursuit :
— Je veux que tous mes biens te reviennent, cette maison et tout ce qui m'appartient. Même si je ne suis plus là, je veux pouvoir me dire que jusqu'au bout, je t'ai aidée.
Encore.
Des larmes. Sur son visage et le mien.
— Et même si Dieu ne veut pas de nous, qu'il refuse les monstres que nous sommes... Je veux affirmer mon affection pour toi, jurer devant lui que tu es la seule, qu'il reconnaisse au moins toutes les promesses que je t'ai faites et la sincérité, la pureté de notre amour.
Je n'ai plus les mots. Que puis-je bien répondre à cela...? Ma poitrine m'élance, douloureuse et sensible de ses vœux quand il semble lui-même perdu dans ses émotions, humant mon parfum, savourant ma chaleur et, certainement, les pulsations de mon cœur à travers ma main, ses paupières closes.
— Il ne peut pas nous retirer ça, ajoute-t-il dans cette impuissance pénible, ce futile espoir d'obtenir au moins la reconnaissance dont nous avons été privés il y a six siècles de cela.
Sa prise se raffermit subtilement contre mon poignet. Loin de m'effrayer ou me blesser, elle m'incite à me pencher davantage sur lui pour me rapprocher, mon inquiétude ressurgissant tout à coup lorsque je réalise que, peut-être, il ne s'est absolument pas repu comme il le devait au vue de son état.
— James, tu peux boire mon sang, l'exhorté-je en me perdant peu à peu dans la contemplation du conflit intérieur qui se joue sur ses traits.
Il remue la tête, me gardant au plus près de lui sans toutefois céder à ce désir profond qui l'enchaîne à moi.
— Je ne te ferai pas ça, tu es encore trop faible et... et enceinte. Je ne veux pas non plus te rappeler ce que tu as enduré.
Il pourrait avoir raison, je pourrais souffrir de sa morsure, mon corps se souvenir des sévices infligés par Matthew, mais en cet instant, je ne souhaite que le retrouver, l'apaiser de son tourment.
— Je ne suis pas en sucre, et puis, tu le sais sûrement, mais je bois le sang d'Allan. Je vais beaucoup mieux.
— Il te faudra d'ailleurs continuer, s'il est d'accord.
Je fronce les sourcils, pas certaine de comprendre pourquoi je ne pourrais pas me repaître du sien, maintenant qu'il est à mes côtés.
— Le poison coule dans mes veines, m'explique-t-il en guettant ma réaction, tu comprends que je ne risquerai pas de te condamner simplement pour assouvir ta soif. Désolé, mon amour.
Remuant la tête, je refuse qu'il s'excuse alors qu'il est aussi touché que moi par cette contrainte. Comme si c'était encore possible, je m'approche davantage, prenant appui sur son corps, son torse pour être toujours plus près de lui. J'ai besoin de ce contact, cette chaleur unique et si rassurante.
— Lisa...
Des frissons me dévalent l'échine lorsqu'il porte sa main libre à ma taille, dans le bas de mon dos, pour m'empêcher de glisser et me maintenir sur lui.
— Je ne boirai pas ton sang, mais tu dois boire du mien. Ça ne pourra que t'aider, repousser l'échéance... Et tu le sais aussi bien que moi, aucun autre sang ne sera meilleur que le mien.
Et je ne parle pas de ses sentiments, mais bien du fait avéré de mon sang d'originelle, mille fois plus adapté à la guérison que celui d'un mortel – ou semi-vampire s'il pensait à mon père. Il comprend sans mal mon allusion, et je sens sa volonté s'effriter doucement sous mes yeux, son souffle se faire plus rare et erratique, sa parole plus difficile. Il désire ma vitalité plus que tout.
— Je ne veux pas te faire mal, trouve-t-il encore la force de confier tout contre ma paume.
— James, je t'aime. Tu ne me fais pas mal, jamais.
Ou du moins c'est un mal exquis, une douleur divine, si proche de l'extase. Voilà le goût qu'ont ses morsures, la réminiscence délicieuse que je me fais de cette intimité.
Sous mes encouragements incessants, son souffle moite cajole ma peau et, enfin, la pointe acérée de ses canines vient menacer ma vitalité. Il hésite, une seconde, avant de les enfoncer dans la chair de mon pouce.
Je retiens de justesse un gémissement, entre surprise et cette souffrance aux effets de paradis, si loin du martyre que représentait mon bourreau et ses coups de crocs. Et tandis que je lutte pour me tenir droite, pour l'observer sans me laisser submerger par les sensations que son baiser vampirique me procure, je le devine aussi bouleversé que moi. Car il ne me lâche pas, ses incisives encore profondément enfoncées, signe que ses dents, ses gencives l'élancent toujours atrocement. Et quand il les plonge encore plus loin, je ne tiens plus : j'enfouis ma tête entre mes épaule, dans le creux de sa nuque, mordant ma lippe inférieure de toutes mes forces pour retenir mes soupirs plaintifs. Sa main, toujours sur ma croupe, se crispe contre moi et accentue involontairement la pression de mon bas-ventre contre le sien.
Ça m'avait tellement manqué.
Mes paupières closes et ma respiration ahanante, je me surprends même à ressentir un tel émoi quand je me serai crue davantage sensible à la proximité que m'a imposée Matthew. Bien sûr, je ne pense pas pouvoir reprendre notre passion telle que nous la partagions avant, il m'est impossible de ne serait-ce qu'écarter mes jambes sans avoir envie de me lacérer l'intérieur des cuisses et cet endroit qu'il n'aurait jamais du marquer... Néanmoins je peux supporter ce genre de rapprochements, et plus encore les savourer pleinement. Surtout quand je sais que James ne me demandera jamais plus que ce que je peux accepter. Et ce simple rappel de sa douceur, de son respet pour moi fait battre mon cœur un peu plus vite, me poussant inexorablement à retomber amoureuse de lui, encore et encore, éternellement.
— James... ne puis-je m'empêcher de geindre en relevant mon visage sur lui.
Et dire qu'il va mourir, me quitter et nous arracher ça.
À son tour, il rouvre les yeux pour tomber dans mon regard larmoyant. Ce n'est qu'à ce moment qu'il retire ses crocs rubescents, dévoilant deux orifices dont le fluide carmin s'évade déjà et qu'il s'empresse de capturer, pressant ses lèvres tout autour afin de l'aspirer au mieux, cela sans jamais rompre notre échange. Peu à peu, mon attention dévie sur ma main, sa mâchoire dont je distingue les mouvements de succion, jusqu'à sa carotide lorsque je le vois déglutir, sa pomme d'Adam le trahissant ouvertement.
Inévitablement, je perçois cette artère pulser vigoureusement dans son cou, celle-là même que j'ai tant de fois percée auparavant. Elle me nargue, ses battements effrénés résonnant atrocement dans ma tête, ma gorge. Une bouffée de chaleur m'envahit tandis que je serre mon poing contre son épaule, agrippant le tissu de sa chemise pour m'empêcher de céder à cette douloureuse tentation.
Je l'ai retrouvé, et je ne pourrais même pas me sustenter de cette volupté dont j'ai tant rêvé.
— Lisa.
Perdue dans mes regrets, ce désir vital de plonger à mon tour mes crocs dans sa chair si fine, immaculée et magnifique, je ne m'étais même pas aperçue qu'il avait terminé, ses doigts enroulés autour de mon poignet me lâchant pour survoler ma joue, mon menton... et je devine sa caresse s'achever sur mes lèvres quand il déclare, son regard figé sur ma bouche :
— Tu saignes.
Ses propres lippes sont encore couvertes de mon hémoglobine, avant qu'il n'y passe sa langue dans un geste discret, effaçant toute trace du rouge sombre et luisant dont il s'est délecté. Recouvrant vivement mes esprits devant l'énième preuve de cette attraction indéfinissable qui nous possède lorsque nous sommes ensemble, cette prédisposition à l'égarement et cette fascination que nous éprouvons l'un pour l'autre et nous pousse à nous dévouer toujours au-delà de la raison, je balaye à mon tour d'un frottement de lèvres les perles de sang provoquées par ma morsure, un peu plus tôt.
Dépitée, tant par le caractère inévitable de notre perdition que l'impasse dans laquelle nous nous trouvons, je m'affaise contre lui. Autrefois, il ne se serait pas contenté de ces effleurements timides : il aurait glissé sa paume sur ma nuque jusqu'à m'attirer à lui, entamant un baiser dont il ne subsisterait pas le moindre doute quant à sa réciprocité. Et il nous aurait été difficile, pour ne pas dire impossible, de nous arrêter avant de nous être comblés l'un de l'autre.
Seulement voilà, rien ne sera jamais plus comme avant. Parce que James ne sera plus là, et que j'aurai beau faire tous les efforts possibles et inimaginables pour surmonter toutes ces horreurs que m'a infligées Matthew, plus rien n'aura de sens sans lui.
Et il me demande de vivre ainsi...?
Quand une éternité durant, tous ces siècles marqués de son absence, je n'ai fait qu'errer dans les souvenirs sybillins de mon cœur, cette solitude qui me rongeait et me poussait à commettre l'irréparable ? J'étais folle de l'avoir perdu, et de nouveau, je suis censée endurer ce calvaire ? Survivre sans lui ?
Finalement, j'aurai préféré mourir de la main de Matthew – si cela n'avait pas condamné mon amour.
J'aurai emporté avec moi cet enfant qui n'a même pas encore vu le jour, mais James serait en vie.
— Tu ne m'as pas répondu, reprend-t-il en logeant sa main contre ma joue, près de mon oreille qu'il effleure. Ne veux-tu pas m'épouser ?
J'ai mal...
N'avons-nous jamais été si opposés ? Il rêve de mariage là où je rêve d'être celle à succomber. Pourtant, je sais aussi combien nous sommes semblables : James aurait assurément espéré la même utopie si j'avais été celle à dépérir.
Ah... que je suis cruelle.
Je lui aurai imposé la douleur de ma perte. Encore. Malgré tout ce qu'il a traversé, sa volonté d'en finir quand plus rien d'autre ne comptait que cette souffrance qui le consummait... J'aurai choisi cette voie plutôt que d'endurer moi-même ce martyr.
— Ce n'est pas ça, nié-je en relevant la tête, la gorge nouée. Je n'ai simplement jamais envisagé que ça puisse être possible. Tant que je suis avec toi, je n'ai besoin de rien d'autre. Et, avec tout ce que j'ai fait... je ne pense pas que Dieu m'accordera la moindre bénédiction. En tout cas, je ne le mériterai pas.
J'aurai pu me contenter de lui pour l'éternité. Juste nous deux. Nul besoin de l'approbation d'une divinité qui nous a abandonnés dès les prémices de nos existences, de l'assentiment de quiconque. Tant qu'il sait combien je l'aime, combien vivre sans lui me paraît impossible, pire supplice encore que les folies de Matthew, je n'ai besoin de rien d'autre.
Toutefois ça ne semble pas être son cas. James a toujours été plus pieux, et son désir de faire valoir notre amour ne m'a jamais semblé si grand qu'en cet instant. Il a encore espoir que le Seigneur veille sur nous, qu'un jour, il nous accorde ce bonheur tant quémandé. Et qui suis-je pour lui enlever cette maigre croyance ? Lui qui n'a jamais fauté, aujourd'hui si près d'une mort qui l'effraie sûrement bien plus que moi, trop injuste pour être acceptée, comment puis-je lui refuser ce vœu ?
Aussi je m'empresse d'ajouter, avant qu'il n'interprète mes paroles pour un rejet dont je ne saurai me remettre :
— Mais ça ne veut pas dire que je refuse ! Et puis, je suppose que tu y as déjà longuement réfléchi et qu'il n'y a pas meilleure solution dans notre situation.
Lui qui tient tant à tout me léguer, je devine sans rien connaître à la loi qu'une simple donation déclarée sur son testament ne serait pas exonérée de taxes. Même sans rien me donner directement, tout reviendrait probablement à son parent le plus proche qui n'est autre que Stefan, son oncle.
Son oncle ?
— Oh merde, m'exclamé-je dans un souffle, trop choquée pour retenir un juron.
La surprise extirpe un rire amusé à James, aussi guère accoutumé que moi au blasphème. Il lève un sourcil, interrogateur, et je me demande si, lui aussi, il n'y avait pas prêté attention ou s'il le savait.
Stefan, mon père.
Ahurie – moins par le contenu de cette révélation que par le fait même de le réaliser – je le dévisage méticuleusement.
— James, on est... cousins.
Conclusion somme toute logique, à laquelle je n'aurais néanmoins pas pu penser autrefois puisque j'ignorais qu'il était le « fils » d'Emily. Je pourrais même être sa sœur, si je n'avais pas été déclarée disparue lors de cet incendie et donc née de parents inconnus lors de mon arrivée à cette maison de l'enfance. Mais aujourd'hui, je suis officiellement la fille de Stefan, et par conséquent la cousine de James.
Ça ne va pas du tout.
Les lèvres de mon amour s'étirent davantage, incapable qu'il est de retenir son hilarité.
— Tu le savais ? réalisé-je perdue, un brin sceptique aussi.
— Et Stefan aussi, on en avait déjà discuté avant qu'il ne t'adopte. Il était d'accord avec ça et moi aussi. Ça ne change rien pour nous.
Il n'a pas tord. S'il m'a fallu du temps après mon éveil pour enfin concevoir que nous n'avions rien de frère et sœur et qu'il nous était permis de nous aimer de la sorte, ce nouveau lien de faux-parenté n'est qu'un bout de papier dans nos vies d'immortels. En revanche, ce bout de papier peut suffire à empêcher notre union s'il nous désigne comme des membres de la même famille.
— Oui mais... on peut se marier dans ces conditions ? La loi le permet ?
— Tu n'es pas la fille biologique de Stefan, il t'a adoptée. C'est donc une procédure tout à fait légale et autorisée.
Il n'a sûrement pas pensé aussi loin lorsque mon père est venu me chercher, qu'il m'a enfin recueillie pour me rendre la vie un peu moins pire, mais l'idée que cette situation l'arrange autant à présent m'amuse particulièrement. Il ne s'agit que d'un heureux hasard, cependant tout porte à croire qu'il s'y était minutieusement préparé, et à l'imaginer aussi manipulateur, si loin de ses véritables intentions, je ne peux retenir à mon tour le rictus qui s'imprime sur mes lèvres.
Ça ne dure pas bien longtemps, la réalité de notre funeste sort me revient bien vite en tête, et ma moue disparaît au profit d'une amère nostalgie lorsque je prends conscience que ces simples instants de complicité, cette légèreté d'apparence disparaîtra avec lui.
Je ne peux décemment pas accepter sa mort.
Je ne tiendrai pas, sans lui. C'est impossible.
Me blottissant un peu plus contre lui, je l'entends poursuivre, se justifier dans l'idée d'appuyer son idée et me convaincre :
— Et puis, je ne suis même pas vraiment le neveu de Stefan, le sang est bien la seule chose que nous ne partageons pas. Même les noms que nous échangerons ne seront pas les nôtres, et pourtant, c'est bien nous qui nous jurerons fidélité et amour devant les cieux.
Pense-t-il vraiment que je pourrais l'éconduire ? Aux battements rapides de son cœur, aux tremblements dans sa voix et son empressement à me dévoiler sa pensée, j'en déduis que... oui. Et ça le terrifie.
— James, c'est d'accord, opiné-je contre son buste. Marrions-nous. Si c'est ce que tu veux... je n'ai aucune raison de refuser.
Au contraire, j'ai toutes les raisons de lui accorder la moindre de ses prières, lui consacrer chaque seconde de mon temps et lui réaffirmer ma dévotion.
— Vraiment ?
Il semble surpris, tout son corps, ses gestes suspendus, comme s'il avait rêvé mon approbation.
— Vraiment.
Je n'ai pas la force de lever mon regard sur lui, aussi me contenté-je de m'enfouir davantage dans son cou. Et dans sa délicatesse habituelle, il me serre dans ses bras, prenant une grande inspiration dans une forme de reconnaissance et soulagement, avant de se lancer dans un monologue d'explications pour parvenir à notre union.
Je m'attendais à l'un de ces mariages de dernière minute à l'américaine, mais force est de constater que ce n'est pas aussi simple ici.
— La procédure exige un délais de vingt-huit jours minimum entre l'annonce de notre intention de nous marier et la cérémonie.
Temps que nous n'avons évidemment pas. Fort heureusement, une dérogation est possible à condition de fournir un justificatif inhérent à notre situation. Seulement c'est un problème : James ne peut être reconnu comme malade et encore moins mourant, il est un vampire et son état n'a rien de commun.
— Je pensais me rendre directement au bureau d'état civil pour rencontrer quelqu'un capable de me délivrer cette attestation de dérogation, continue-t-il de m'exposer ce plan qu'il a si consciencieusement réfléchi.
Par rencontrer, il entend convaincre de ses facultés. Une bonne façon d'en faire usage pour la toute dernière fois...
— Ainsi, il nous suffira de contacter l'église de notre choix pour organiser la cérémonie dans les jours qui suivent.
Ma poitrine se contracte, douloureuse de réaliser l'état de ses pensées depuis deux semaines, depuis que je suis rentrée et qu'il se sait agonisant. Il est si sûr de ce qu'il avance qu'il y a certainement dédié de longues heures de recherches, sans jamais être assuré de ma réponse quand je m'évertuais à le repousser, que je ne supportai même plus sa présence dans la même pièce.
— J'irai demain, si tu es d'accord.
« Déjà ? » retiens-je de justesse au bord de mes lèvres. Bien sûr qu'il veut se hâter. Il tient encore debout et ne semble que très fatigué et affaibli, mais rien n'assure qu'il se portera si bien dans les prochains jours. Peut-être même qu'il ne sera plus en mesure de parler d'ici une semaine...
Plus que jamais, je réalise que le temps nous est compté.
Horrifiée, submergée par une vague d'angoisse, je me hausse à hauteur de son visage pour me rapprocher de lui, apposant ma joue contre la sienne, nos tempes scellées lorsque qu'il se redresse subtilement et que j'enroule mes bras autour de sa nuque.
— Je t'aime, proclamé-je pour toute réponse, incapable d'exprimer autre chose que mon amour pour lui quand je crains de le perdre à chaque instant.
Je t'aime tellement, James.
Ainsi s'achève notre première journée de retrouvailles, entre révélations bouleversantes et besoin primitif et utopique de ne plus jamais se quitter.
Le lendemain, James s'en tient à ses paroles et m'abandonne deux heures durant pour obtenir ce fameux certificat d'exception. Inquiète pour lui, je lui demande d'emmener Allan dans le cas où il viendrait à se sentir mal, mais il conteste par l'argument très recevable que je ne devrais pas être seule dans mon état. Alors quand il me laisse avec mon ami après une ultime caresse sur ma joue, c'est la première fois que je me retrouve seule avec lui depuis qu'il m'a aidée à m'apprêter la veille. Et tout à coup, cette crainte, cette mélancolie qui semblait l'habiter me revient en mémoire.
— James a été blessé, il est... mourant, lui confié-je assise au bord du lit, guettant la moindre de ses réactions.
Allan est adossé au mur, près de la porte. Ses bras croisés et une jambe repliée, il baisse le visage, l'air songeur et pourtant à peine surpris par ma déclaration.
— Tu étais au courant ?
Ce n'est pas vraiment une question – tout dans son comportement me le confirme –, plutôt une accusation. Mais je lui laisse une chance de se justifier, parce que je ne peux pas accepter qu'il m'ait de nouveau menti. Ou du moins qu'il ait sciemment décidé de me dissimuler la vérité.
Si j'avais su, je n'aurai pas attendu son anniversaire pour revenir à lui.
Le temps, celui de James, est une chose bien trop précieuse. Et j'en ai déjà trop perdu.
— J'avais des doutes, mais rien pour les confirmer. On vit sous le même toit et je le croise suffisamment pour voir sa santé décliner depuis quelques jours, mais on ne peut pas dire que nous soyons proches.
Pour mieux s'occuper de moi quand j'étais incapable d'affronter James, Allan s'est naturellement installé chez nous, dans la chambre d'ami juste à côté de la mienne – celle de James – afin d'être le plus rapide possible pour intervenir en cas de problème. Quant à mon amour, il s'était constitué un lit de bonne fortune dans son bureau au rez-de-chaussée, si loin de moi afin que je souffre un peu moins de sa présence.
Alors que je m'inligeais moi-même la douleur de son absence.
Cette nuit fut la première que nous avons passée ensemble depuis, recouvrant cette position tellement habituelle pour nous autrefois de la cuillère, mon dos tout contre le torse de James tandis que sa main s'est logée sous mes sollicitations contre mon ventre, si près de notre enfant qui grandit innocemment en moi. Je l'ai senti retenir une plus grande proximité, s'abstenir de plonger son visage dans mon cou et me serrer contre lui comme il l'aurait fait auparavant. Il était à la fois tellement tendu et tellement soulagé qu'il m'était impossible de le bouleverser davantage, espérer plus que ce qu'il était en mesure de m'accorder dans son état.
J'ai bien envie de penser que nous aurons tout le temps de nous retrouver plus tard, à notre rythme et avec toute la douceur dont nous savons témoigner, cette abnégation proche du sacrifice qui nous caractérise tant... Cependant nous n'en avons pas, plus maintenant.
Déglutissant à grande peine, je me retourne vers Allan qui poursuit, étayant ses propos :
— La dernière fois qu'on s'est vus, je l'ai quand même poignardé. Et... je suis celui à t'avoir kidnappée et conduite à Matthew. Je ne crois pas qu'il m'aurait répondu si je lui avais posé la question. C'est déjà assez miraculeux qu'il m'accepte ici.
En effet, James a toutes les raisons de tenir mon ami en horreur, le détester et par-dessus craindre pour ma vie. Pourtant, force est de constater qu'il lui fait suffisamment confiance pour lui déléguer ma sécurité et l'héberger chez nous. S'il ne l'apprécie pas particulièrement, il n'en demeure pas moins objectif et conscient de ses efforts. C'est que mon amour a toujours été impartial, et je lui suis reconnaissante de ne pas changer cela pour Allan.
Le cœur lourd sous l'annonce que je m'apprête à faire, j'inspire profondément, ouvrant la bouche pour parler, avant de la refermer et ce, à plusieurs reprises.
Ce devrait être une bonne nouvelle.
Mais rien dans notre situation ne se prête à l'engouement. Comme si chaque seconde était la dernière qu'il nous restait, que nous nous tenions sur une corde raide, au-dessus d'un gouffre sans fond et plongés dans un brouillard épais, sans avoir d'autres choix que celui d'avancer dans la crainte que le prochain pas nous conduise à la fin. Pas celle pour échapper à cette corde, ce destin tragique, mais celle dans les tréfonds de ce néant, la mort.
— On va se marier, proclamé-je d'une traite, pour me débarrasser au plus vite du poids de cette révélation.
Ça n'a pas vraiment d'importance, toutefois sans que je ne me l'explique, son avis m'importe un peu trop à cet instant. Non seulement je crains qu'il critique cette décision, mais je crains aussi de l'avoir blessé. Après tout, je suis en train de concrétiser chaque étape de cet avenir qu'il désirait tant partager avec Amber. Un enfant, le mariage...
Va-t-il approuver notre choix ?
— Tu en as envie ? demande-t-il simplement en se détachant du mur pour me rejoindre.
Je fronce les sourcils et bat des paupières, l'idée que James puisse m'imposer quoique ce soit – et de surcroît un événement aussi important que le mariage – étant si improbable qu'il me faut un moment pour comprendre ses doutes.
— James me l'a demandé et j'ai accepté, expliqué-je aussi succinctement que la pluie et le beau temps, dénuée de cette excitation propre à une futur mariée. Il ne m'obligerait jamais à rien, si ça peut te rassurer.
Un bref sourire me retrousse le coin des lèvres sur mes dernières paroles, l'abnégation de mon amour relevant de l'acquis et effaçant toute possibilité de manipulation ou mensonge à mes yeux.
— Alors pourquoi cette mine sombre ?
Parce qu'il va mourir, que je vais me retrouver seule... n'est-ce pas évident ?
Je relève mon visage sur lui lorsqu'il s'assoit à mes côtés, ma peine ressurgissant brusquement avec la nécessité d'être apaisée.
— Je ne veux pas le perdre, Allan. Je viens tout juste de le retrouver, je... Je me fiche bien du mariage, je veux juste vivre avec lui.
La gorge nouée, les larmes me montent inévitablement aux yeux tandis que j'enfonce mes ongles dans mes paumes, tout pour supporter la douleur qui m'entaille la poitrine, cette souffrance au goût de fatalité dont je ne parviens pas à me défaire.
— Mais ça nous est impossible, et... Bien sûr que je vais l'épouser, si c'est ce qu'il veut, qu'il s'agit de sa dernière volonté. Toi aussi, tu aurais fait pareil pour Amber, non ?
Je m'approche de lui, larmoyante et à la recherche d'une confirmation qui ne me soulagerait même pas.
Je suis horrible.
Non seulement je lui rappelle volontairement la perte de sa bien aimée, mais je le compare à une situation qui n'a rien en commun avec la sienne. Ma question n'a pas lieu d'être, puisqu'il était celui à rêver d'une famille, de mariage et d'un avenir. Il n'aurait même pas eu besoin qu'elle le lui demande pour vouloir l'épouser.
— Je... Désolée...
J'ai mal.
Plus que le tourment physique que je m'inflige, mon cœur étouffe entre mes côtes, gonflés d'un désespoir irrépressible qui menace de m'achever. Je me suis retenue toute la journée d'hier, toute la nuit, me cantonnant à la chaleur éphémère de James et nos retrouvailles récentes avec l'illusion d'une éternité à ses côtés. Mais maintenant qu'il n'est plus là, le vide laissé par son absence me semble être un avant-goût atroce de la vie que je serai contrainte de mener après sa mort.
C'est bien la seule chose qu'il m'impose, survivre à sa perte.
Tremblante, saisie par un début de nausée que je repoussais d'ores et déjà hier, je m'effondre dans les bras d'Allan qui m'accueille silencieusement.
— Tu... Tu voudras bien... être présent ? hoqueté-je entre deux sanglots, toute mon âme ne demandant qu'à retrouver cette ébauche de paix à laquelle James m'a fait goûter.
Je préférais encore la souffrance de mes cauchemars, de ma poitrine béante et de ma lame contre ma peau.
Tout, excepté l'anéantissement inéluctable de mon existence, ce supplice de le perdre à tout jamais.
J'ai besoin de lui...!
— Je serai là quoiqu'il arrive. Je ne t'abandonnerai plus Lisa, c'est promis.
Et tandis qu'il me berce contre lui, je me vide peu à peu du poids de mes tourments, libérant toute ma peine dans ces larmes glacées. Ce n'est qu'un soulagement éphémère, moins une libération qu'une maigre consolation, néanmoins j'ai espoir qu'elle suffise à occulter mon chagrin les jours à venir, que je puisse offrir à James l'illusion de ce paradis qu'il désire tant.
J'aurai tout le loisir de me morfondre plus tard... quand il ne sera plus là.
D'ici là, je ferai tous les efforts possible pour qu'il n'ait pas à endurer mes humeurs ; il doit sûrement déjà lutter pour contenir sa propre angoisse. Je serai exactement celle qu'il veut que je sois, jusqu'à ses derniers instants.
Et après... eh bien, je ne sais pas, probablement me sentirai-je périr à mon tour, plus atrocement encore que lorsque j'étais entre les griffes de Matthew.
Parce qu'il m'est impossible de vivre sans lui.
⚜️⚜️⚜️
Hellooo ! ✨
Et wouaw, ma foi ce fut un chapitre très long en discussion, mais j'espère que ça vous fait autant plaisir qu'à moi de retrouver James, sa tendresse et ses paroles 😭💔
Tout à l'air très long comme ça, mais ça va franchement s'accélérer et on va arriver très, très vite sur la fin 🙈
Merci pour votre lecture et à très bientôt ! (Je n'ai pas encore commencé à écrire le prochain chapitre alors je ne sais pas encore quand, peut-être dans deux semaines ? 🙌🏻)
Des bisous ! 💋
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