⚜️ | CHAPITRE 21
Je n'ai pas de cadeau à lui offrir, mais j'ose espérer que mes efforts pour surmonter mes sentiments et me tenir face à lui en seront un substitut honorable. Et à défaut de ne pas y être parvenue plus tôt, je décide de m'apprêter le plus joliment possible. Après tout, c'est un jour de fête.
Si rien de tout cela n'avait eu lieu, je me serai réveillée aux côtés de James. Mes premiers mots auraient été la célébration de sa naissance. Je l'aurai remercié, infiniment, d'être né pour me dévouer son existence, d'être toujours resté près de moi et de m'aimer si passionnément.
Cette journée aurait débuté de la plus magnifique des façons, entre rires et baisers. J'aurai sorti ma plus ravissante robe, me serai maquillée et coiffée. Je lui aurai tout donné, accordé mon plus beau sourire. Nous serions probablement sortis, nous promener dans les rues paisibles de Warrington, manger dans ce restaurant chic qu'avait évoqué James une fois. Nous aurions pu nous amuser dans un centre d'arcade, faire quelques parties de bowling avant de rentrer, épuisés mais tellement comblés de ce bonheur. Et elle se serait terminée aussi parfaitement qu'elle aurait commencé, notre amour nous consumant jusqu'à la tombée de la nuit.
Mais Matthew m'a arraché à James, à cette vie d'extase.
Cette journée ne sera jamais aussi plaisante, aussi douce et rayonnante que cette chimère, toutefois je ferai tout pour qu'il n'en conserve pas qu'un souvenir chargé d'amertume et solitude.
Quand Allan vient m'apporter mon petit-déjeuner, je lui demande, à la fois hésitante et embarrassée :
— Allan... tu saurais... heu... ondlélécheve ?
— Hein ?
Le rouge me monte aux joues et je plonge mon visage entre mes mains, morte de honte.
— Onduler les cheveux, répété-je moins vite.
J'ai envie de m'enfouir six pieds sous terre.
Allan pouffe de rire. Se moque-t-il de moi, ou de ma requête ?
— Je sais ondlélécheve oui, et je peux le faire si tu veux, me taquine-t-il en une imitation exagérée.
Je lève aussitôt mon regard sur lui, la chaleur me couvrant le visage se propageant dans ma poitrine, là où mon cœur se gonfle d'espoir et d'appréhension.
— Vraiment ?
Il acquiesce dans un sourire, attendri.
— Vraiment. Qu'y a-t-il donc à fêter pour vouloir te faire jolie ? Enfin, il n'y a pas forcément besoin d'une raison hein, c'est super que tu reprennes goût à la vie, mais... est-ce qu'il y a une raison particulière ?
Le voyant si motivé à m'aider, si attentionné dans chacune de ses paroles, je lui avoue mon objectif, soulagée de pouvoir confier à quelqu'un le poids de mes angoisses. À mesure que je lui raconte, son sourire perd en gaieté, tout son visage s'assombrissant légèrement. J'ignore si c'est par compassion pour moi ; je ne fais que lui expliquer ce que j'ai prévu aujourd'hui. Lorsque j'ai terminé, il retrouve sa moue rassurante – quoiqu'un peu triste, peut-être...? – et me conforte dans mon idée :
— Je suis sûre que ça lui fera plaisir. Il sentira ta sincérité, et puis... il voulait être père, non ? Même si c'était un accident, je ne pense pas qu'il sera déçu.
Oui.
« Si c'est avec toi, et pour toi, je pourrais devenir père. » c'est ce qu'il m'avait dit, et j'étais d'accord avec lui. Mais après tout ça, peut-être a-t-il changé d'avis ? Ce n'est assurément pas le bon moment pour nous, et je ne pourrais pas lui reprocher de ne pas désirer cet enfant. Pour autant, je ne pourrais pas non plus m'en séparer. Pas quand j'ai tant lutté pour lui et que je l'aime déjà si fort. Il était ma lumière, l'espoir qui me poussait encore à vivre et tout endurer.
— Allez, fini de manger et allons te préparer !
Ce n'était pas dans ses habitudes autrefois de préparer un petit-déjeuner aussi complet tous les jours, mais depuis mon retour il y a presque deux semaines, James prend grand soin de me servir à chaque repas un menu – pas forcément très copieux – mais généreux en nutriments. Alors je fais honneur à ses efforts, à cet unique témoignage de son amour pour moi, le seul que je lui octroie.
Et après avoir terminé, tout avalé jusqu'à la dernière miette, je commence par m'habiller, revêtant cette robe blanche et légère aux manches bouffantes que j'imaginais déjà porter pour cette occasion. Allan m'offre sa main pour m'accompagner jusque dans la salle de bain, toutefois je suis heureuse de constater que je peux désormais remarcher seule. Je ne le repousse pas, mes pas sont encore trop hésitants, néanmoins je n'aurai pas besoin de mes attelles pour faire face à James et ainsi gâcher ma tenue. Bien sûr qu'il n'en aurait pas tenu rigueur, mais ce n'est pas mon cas. J'aurai eu honte de me présenter à lui avec ces bottes noires si grossières.
Qui aurait cru que je guérirai si vite ? Pour une fois, me voilà bien forcée de remercier ma condition. Mon état était si critique que je frôlais encore une fois les portes de la mort, et pourtant, me voilà de nouveau sur pieds après simplement quelques jours. C'est miraculeux.
En revanche, mon cœur lui n'est en rien apaisé. Durant près d'une heure, mon ami boucle précautionneusement ma longue chevelure, seulement armé de mon fer à lisser. Une heure durant laquelle mon angoisse grandit de façon astronomique, mon palpitant engagé dans une course irrégulière et oppressante.
— Tu es super doué, le complimenté-je tant pour chasser mes inquiétudes que pour le gratifier de ma reconnaissance.
— Merci. Amber me demandait souvent de la coiffer, elle... elle adorait que je m'occupe d'elle.
Et je devine aisément qu'il adorait tout autant s'y plier. Cette tristesse qu'il s'efforce de dissimuler, elle résonne autour de lui dès l'instant où il parle d'elle. Et cela doit être encore pire pour lui. Chaque geste, chaque parole, tout doit lui rappeler le souvenir pénible de la blonde.
Comment diable a-t-elle pu décider de l'abandonner...?
Il finit bien vite, trop vite sa tâche, refoulant ses sentiments dans un enthousiasme factice, ses lippes trop retroussées pour que sa moue soit naturelle.
— Est-ce que tu veux te maquiller ? m'interroge-t-il en redessinant encore une boucle du bout des doigts, son regard figé sur celle-ci.
Je l'aurai fait, si cela avait été une journée normale. Si je me faisais simplement belle. Si j'avais vu James il y a moins de quelques minutes. Mais je ne l'ai pas vu réellement depuis une éternité, et il est fort probable que des larmes coulent lors de ces retrouvailles. Je ne tiens pas à ressembler à un panda, aussi m'abstiens-je de cette mise en beauté-là.
— Et... est-ce-que tu te sens prête ?
Cette fois, il me regarde enfin au travers de la glace. Son sourire s'est adouci, et ses mains replacent mes cheveux de parts et d'autres de mon visage.
— Absolument pas.
Mon palpitant est sur le point d'exploser. Ma voix vacille, tandis que je sens mes paumes trembler contre moi. J'ai chaud, et plus que tout j'aimerai encore repousser ce moment.
— Tu vas y arriver, Lisa. Tout va bien se passer.
Et s'il m'en voulait ? S'il me détestait ? S'il reniait notre enfant ? S'il regrettait de m'avoir aimée...?
Lorsque nous retournons dans la chambre, je m'accroche totalement à mon ami, au bord d'un gouffre qui me terrifie au-delà de tout.
Je vais mourir d'angoisse.
Il m'accompagne jusqu'au lit où je m'assois, mais aussitôt s'en est-il allé prévenir mon amour que je voulais le voir que je me relève, faisant les cent pas devant la fenêtre avant de m'y arrêter. Je tremble de tout mon corps, m'agrippe au rebord de l'ouverture afin de réduire ces spasmes incessants. J'inspire, profondément, et quand je m'apprête à expirer, des coups sont frappés contre la porte.
— J'entre, s'annonce James.
Je cesse de respirer.
Le souffle coupé, je l'entends pousser le battant, le refermer et s'avancer. Il s'approche, juste assez pour tenir une discussion sans être séparés par un fossé ridicule, tout en respectant mon intimité et le besoin de distance qui en résulte. Il pourrait tendre le bras qu'il ne m'atteindrait pas.
Boum boum. Boum boum. Boum boum. Boum boum...
Mon cœur va vraiment m'échapper. Il bat trop vite, trop fort pour épargner les muscles de ma poitrine. Il martèle mes côtes, de plus en plus gros, de plus en plus lourd...
C'est insupportable...!
— Si c'est trop difficile pour toi, je peux te laisser.
Quoi ? Et toi, n'est-ce pas un supplice que cette froideur que je t'impose ?
Sa voix est grave, résignée et affligée. Je l'imagine déjà, si blessé...
Je me sens mourir de l'intérieur.
— Je ne sais pas ce que tu voulais me dire, mais... Ça peut attendre. Rien ne presse. Ne te sens pas obligée de m'adresser la parole si tu n'y arrives pas, je ne te forcerai à rien.
Non. Non, non, non non non non non non non !
Je dois le faire. Je dois lui parler. Je dois lui dire.
Pourquoi ne pense-t-il donc qu'à moi...?
— Et... je comprends. Tu n'as pas à t'en vouloir.
Mais je ne veux pas qu'il comprenne !
Je veux qu'il m'aide à lui faire face, qu'il m'encourage à lui parler. Je veux lui dire.
Lui rappeler combien je l'aime.
— Tu as le droit de me détester, de ne plus m'aimer. Je ne t'en voudrais pas pour ça. Tout est ma faute, je n'ai pas été à la hauteur et...
Quoi ?
Je me retourne dans la seconde, alimentée par un besoin viscéral de le voir, contempler son visage quand il se fustige de la sorte.
C'est ce qu'il croit ? Que je ne l'aime plus ?
— Arrête, le prié-je la gorge nouée.
Il est face à moi, si proche et à la fois si terriblement loin. Les épaules voûtées, sa tête inclinée si bas qu'il m'est impossible d'entrevoir son visage. Il semble rongé par des remords le condamnant aux pires flagellations.
— Désolé, je n'ai pas le droit de te dire ça... Je te fais encore souffrir, je...
Pourquoi ? Pourquoi se blâme-t-il ainsi ? Pourquoi suis-je encore l'égoïste qui lui inflige ces tourments ?
Si je n'avais pas été là...
— Regarde-moi.
Si seulement je n'étais pas née.
Il n'a sûrement jeté qu'un bref coup d'œil dans ma direction lorsqu'il est entré, sans prêter un seul instant attention à ma tenue.
Je serre mes mains de toutes mes forces, retenant des larmes qui menacent déjà de couler après sa déclaration accablante. Et quand il lève son regard plissé, désespéré sur moi, sur mon corps, je manque de m'effondrer. Ma bouche devient sèche, mes paumes moites, et mon cœur déchiré n'appelle qu'à le retrouver.
— Tu as tout gâché, révélé-je l'ébauche d'un sourire sur mes lèvres frémissantes.
Ce n'est pas un reproche, ma surprise est totalement tombée à l'eau. J'étais censée être la première à parler, le surprendre avant qu'il n'ait le temps de faire quoique ce soit. Mais j'ai été trop lente et il m'a étalé sa peine, l'a exposée éhontément devant mon âme meurtrie.
Je l'ai méritée, cette souffrance.
Il fronce les sourcils, complètement perdu. Il ne comprend rien à la situation. Mes vêtements, mes paroles et mon comportement, rien de tout cela n'a de sens sans lui.
Il est ma raison d'être.
— James... Joyeux anniversaire, mon amour.
J'ai l'impression qu'il va s'écrouler d'une seconde à l'autre, tel un reflet parfait de moi-même. Il ouvre la bouche, essaye de dire quelque chose, mais aucun son ne s'en échappe. Doucement, et parce que je crains que ce ne soit trop à supporter – autant pour lui que pour moi – je m'approche de lui.
Un pas.
Deux pas.
— Je... Je peux... heu... avoir ton téléphone, s'il te plaît ?
Il est si près... Tellement près !
Décontenancé, il cligne des yeux. Avant de fouiller maladroitement ses poches, à la recherche de son cellulaire qu'il me tend d'une main flageolante.
— Bien sûr, voilà.
Nos doigts s'effleurent lorsque je le récupère, et mon cœur trébuche entre mes os, s'écorche de ne pas céder à mon désir.
J'aimerai tant le prendre dans mes bras...!
Saisie d'une nervosité flagrante, je tape la date de notre rencontre chez mon père, celle de notre recommencement, son mot de passe pour déverrouiller son téléphone. Puis je pars à l'exploration de ses musiques. Il ne me faut pas longtemps pour trouver la piste que je cherchai ; je clique sur le bouton « play » et les premières notes s'échappent du petit appareil. Le posant derrière moi, sur mon chevet, j'essaye de lui offrir mon plus beau sourire quand je lui demande :
— Est-ce que... tu accepterais de danser avec moi ?
Mes lèvres frémissent, mon palpitant s'emballe, et mes paumes m'élancent de tant y enfoncer mes ongles.
— Tout ce que tu veux...
Ce n'est qu'un murmure, un souffle chancelant dont je devine plus que je n'entends la fin de sa phrase.
Lui aussi, l'air lui manque.
Mais il demeure immobile, et je comprends qu'il n'ose pas m'approcher. Même quand je m'avance, que je suis celle à effacer la distance entre nous. Il est terrorisé à l'idée de me toucher, horrifié que je le repousse encore.
— James... tes mains, l'exhorté-je à faire quelque chose, me les donner ou les poser sur moi, n'importe quoi d'autre que cette paralysie qui me détruit.
La mélodie se poursuit, ces notes de piano au goût de tragédie que m'a fait découvrir James lorsque nous vivions ensemble. Un morceau qu'il nous arrivait de laisser tourner en boucle tant nous l'apprécions.
— Je peux...?
Enfin, il les tend vers moi. En attente néanmoins de ma réponse avant de ne serait-ce que m'effleurer. Et j'acquiesce, ma confirmation dans cette moue chargée de regrets, de tristesse et nostalgie qui me retrousse le coin des lippes.
Délicatement, il glisse ses doigts entre les miens, caressant mon derme comme s'il le redécouvrait après tout ce temps perdu. De l'autre, il survole ma hanche, y déposant sa paume sans émettre la moindre pression. Je m'y étais préparée, mais c'est plus fort que moi : je me crispe immédiatement à ce contact. Mon dos, mes épaules, ma nuque... tous mes muscles se bandent et il le remarque aussitôt, s'éloignant de moi comme si ma peau, même au travers de mes vêtements, l'avait brûlé vif.
— Non ! Ne pars pas, l'imploré-je sans lâcher sa main entrelacée à la mienne. Ça va aller, alors... ne me laisse pas. S'il te plaît...
— Lisa, je ne te ferai pas ça. Je refuse de te toucher si tu n'es pas prête, je ne peux pas t'infliger ça, je...
Ne sommes-nous donc destinés qu'à cela ? Nous faire souffrir, éternellement ?
— On se l'était promis, tu te souviens ? Je vais y arriver, je vais m'habituer. Alors ne me quitte pas, ne m'abandonne pas !
Je suis enfin parvenue à lui parler, le regarder et le toucher, et il veut me laisser, comme ça...?
— T'y habituer ? Est-ce que tu t'entends ? Ce n'est pas quelque chose que tu dois supporter...!
Il hausse le ton, me crie presque dessus, une lueur désabusée luisant à la surface de son regard épuisé, évincé.
— Arrête ! Arrête...
J'ai mal, si mal au cœur.
Les larmes me brûlent les yeux, j'ai l'impression de suffoquer, étouffer... Je le retiens toujours contre moi, bien trop suppliciée pour desserrer ma prise.
— Ma douce... essaie-t-il de me persuader, essoufflé. Tu ne peux pas me demander de t'imposer ça.
Encore...
Il est convaincu de tout faire pour mon bien, même si ça ne fait que m'achever un peu plus.
— Mais je veux juste que tu m'enlaces ! Que tu me prennes dans tes bras ! J'ai besoin de toi pour traverser ça, est-ce vraiment trop demander...?
De ma main libre, j'agrippe la sienne qui m'avait fuie pour la porter à ma joue, l'obligeant à me regarder, qu'il réalise l'état dans lequel je me trouve et l'authenticité de ma requête. À ce moment, moi aussi, je constate l'ampleur de sa détresse. Les cernes profondes sous ses iris ambrés, la fatigue qui exsude de lui, ses lèvres asséchées, son teint plus pâle, presque malade, cireux. Et pire que tout, il semble avoir perdu du poids. Le dessin de sa mâchoire est plus marqué, ses joues, sa jugulaire jusqu'à ses clavicules dévoilées par le col de sa chemise, plus creuses.
Est-ce mon absence et mon rejet qui l'ont réduit à cette douleur...?
— S'il te plaît, insisté-je devant son silence. Serre-moi contre toi, je t'en prie...
Je le sens flancher, sa volonté faiblir face à la mienne. Après tout, comment résister ? Je l'appelle à céder à ses vœux les plus profonds. À la seconde où il m'a vue, échouée entre les bras d'Allan avant que Matthew ne me souille, et jusqu'à maintenant, il n'a cessé de vouloir m'enlacer. Je l'ai lu dans ses yeux et je continue de le lire. Sa dévotion, son désir de me protéger, sa culpabilité.
— Tu en as vraiment envie ? C'est ce que tu veux ?
Il caresse la peau de mon visage, m'effleure si faiblement qu'il semble craindre de me briser au moindre égarement. Son souffle m'embrasse, et je remarque alors notre proximité : il s'est peu à peu penché au fil de notre joute, nos corps seulement séparés par nos bras.
Nous sommes si proches...
Et je vais bien. Sa chaleur ne me rebute pas. Ses mains ne me brûlent pas. Son amour ne m'étouffe pas. Au contraire, je me languis de sentir son étreinte se refermer sur moi, pouvoir savourer son parfum et, enfin, avoir l'impression de me trouver chez moi.
— De toutes mes forces, opiné-je en m'accrochant davantage à lui.
Ce n'est pas un mensonge. Cela fait des jours que j'attends cet instant avec autant d'espoir que d'appréhension. J'ai tout donné pour enfin le revoir, me suis épuisée pour réussir à lui parler. Je n'ai survécu que pour le retrouver, et si être témoin de sa peine me mutile l'âme, son absence et l'idée qu'il en souffre lui aussi me tue à petit feu.
— Alors promets-moi que si ça t'est trop insupportable, tu me le diras. Si mon toucher te rend malade, s'il te rappelle ce que tu veux oublier... Dis-le moi. Je t'en conjure. Ne me laisse pas te blesser, pas encore.
J'acquiesce, désespérée et impatiente, et tandis qu'il retrace le contour de ma mâchoire, cajolant du bout des doigts mon oreille jusqu'à mon menton, je le relâche finalement. Puis il m'attire à lui, ses bras s'enroulant délicatement dans mon dos. Mon visage posé contre son buste, près de son épaule et surtout de son cœur qui bat, j'en perçois la moindre pulsation.
Est-ce que lui aussi, il entend mon cœur ? Celui de notre enfant ?
Je l'enlace en retour, me pressant contre lui afin d'étouffer ces tiraillements qui me lacèrent la poitrine. Il est le seul à pouvoir m'apaiser, le seul dont l'étau représente mon cocon le plus intime, le plus délicieux.
Seigneur, enfin je peux savourer sa présence.
J'ai la sensation de revivre, retrouver un nouveau souffle.
— Ne te retiens pas, chuchoté-je tout contre lui, avide de son amour, de ce carcan qui épouse mon âme et la préserve de tous mes maux. Serre-moi encore plus fort.
Parce qu'il ne fait que me frôler, qu'il craint encore que ce soit trop. Mais cette étreinte n'a rien de sensuel, rien d'obscène. Ce n'est que James. Mon amour et son abnégation la plus pure qui soit, seulement ses sentiments écorchés, à vif de nos retrouvailles.
Sous mon appel, ma prière, il obtempère immédiatement, imprimant l'empreinte de ses mains contre moi, ses bras m'enfermant délectablement au creux de sa chaleur, mon épiderme se couvrant de frissons. Et derrière nous, la mélodie se poursuit sans que nous n'ayons fait le moindre pas de danse. Nous demeurons immobiles, profitons de cet instant unique et si désiré encore de longues secondes, jusqu'à la fin de la musique.
Lorsque ses dernières notes retentissent, je sens mon amour s'éloigner de moi, ses paumes retomber sur mes hanches dans une séparation qui me crève le cœur.
— Tu es magnifique, déclare-t-il alors sans me quitter des yeux.
Oh...
La surprise manque de me faire rougir, cependant son sourire m'arrache toute honte.
Il sourit.
James sourit.
Enfin.
Et je meurs un peu plus d'amour pour lui.
— Merci pour cette surprise et... désolé d'avoir tout gâché, reprend-t-il mes propres mots balancés plus tôt sous le coup de l'émotion.
Ses doigts glissent sur mon bras quand il me quitte, récupèrent son téléphone pour relancer la musique, avant de retrouver mon poignet, ma main dont il porte le dos à ses lèvres lorsqu'il me demande :
— Lisa, m'accorderais-tu cette danse ?
Penché dans une révérence excessivement réussie et... troublante, il embrasse tendrement ma peau, la lueur dans son regard et sa moue enjouée les meilleurs des remèdes aux peines de mon âme. Pour toute réponse, je hoche vivement la tête, mes propres lèvres s'habillant d'une gaieté à laquelle je n'aurai jamais cru en cet instant.
Sa paume rejoint ma taille, et cette fois, je m'abandonne totalement à lui. Son toucher déjà présent à cet endroit quand il me pressait contre lui m'immunisant désormais des réflexes défensifs de mon corps. Une main emmêlée à la sienne, l'autre posée sur son épaule, nous débutons une valse lente, nos regards plongés l'un dans l'autre ne se quittant jamais.
— J'aurais quelque chose à te dire... après, trouvé-je la force de lui avouer en m'accrochant à lui.
Si je ne lui dis pas maintenant, je n'y arriverai jamais. Désormais, je n'ai plus le choix. Je serai bien obligée de le lui révéler à la fin de cette danse, ce secret qui m'a tenue en vie.
Il fronce les sourcils, subtilement, sans rien effacer de son allégresse. Mais plus je le contemple, plus je discerne une ombre dans ses pupilles, une faille dans son sourire, un sursaut dans son cœur.
Nous dansons, tournons à nous perdre dans le temps, oubliés dans cette bulle hors de la réalité. Ne comptent plus que nos corps qui se meuvent, cette harmonie à chacun de nos pas. Il m'entraîne avec lui, et note après note, inextricablement, mon palpitant s'alourdit dans ma cage thoracique. Peut-être est-ce le désespoir dans ses gestes, le tremblement sur ses lèvres ou le pli sur son front. J'ai le sentiment qu'il me cache quelque chose, que ce bonheur ne durera pas. Juste le temps d'une valse, rien qu'une quiétude éphémère.
L'angoisse s'ancre peu à peu dans mes veines, mon rythme cardiaque de plus en plus rapide, tel un écho à l'air pressant qui se joue à nos tympans. Nos pas suivent son allure, plus précipités quand elle résonne autour de nous, grave et bouleversante. Elle semble porter tout le poids de nos confidences, nous précipiter tout droit à cet instant fatidique, cette fin de tout. Et puis elle se termine, inévitablement. J'en reconnais le passage, ces notes au goût de solitude, désespérées et résignées.
Nous ralentissons, et avant qu'elle ne sonne le glas de notre étreinte, avant que mon courage ne se dérobe, avant que je regrette, j'avoue à bout de souffle :
— Je suis enceinte.
Je ne respire plus.
Mon amour s'arrête, ma déclaration le paralysant entièrement. Son sourire s'est envolé, et de là où je me tiens, j'entends son cœur cogner entre ses côtes, s'y fracasser violemment.
— ... Quoi ? croasse-t-il plus qu'il ne parle, la voix soudain enrouée.
À quoi m'attendais-je ? Qu'il saute de joie ? Qu'il fonde en larmes sous l'émotion inéluctable de devenir père ? Qu'il me prenne dans ses bras, impatient de découvrir cette vie qui grandit en moi...?
Malgré tout, sa réaction me dévaste, trop injuste et cruelle. Si l'incompréhension a d'abord habillé ses traits, la tristesse et la colère semblent maintenant coexister dans son regard, jusqu'au dégoût lorsqu'il ourle ses lippes et rompt tout contact avec moi pour se couvrir la bouche.
Je le... répugne ? Vraiment ?
L'air me manque, tout mon corps pesant le poids d'une enclume me faisant dangereusement vaciller.
C'est ce que notre enfant lui évoque ?Une exécration ?
— James... essayé-je de l'appeler, tremblante et anéantie.
Il ne fallait pas me dire que tu étais prêt à devenir père si c'était pour m'abandonner de la sorte...!
Pourquoi ce regard, cette haine ? Pourquoi un tel mépris, une telle... honte ?
— C'est ce qu'il t'a fait ? Tu... Il...
Il en perd ses mots, et je comprends. Mon monde qui s'était écroulé reprend tout à coup forme quand je m'écrie, un espoir ressurgissant dans ma poitrine :
— De toi, James ! Je suis enceinte de toi, de personne d'autre.
Je me précipite devant lui, rivant mes paumes à son visage pour qu'il me regarde, croit en la sincérité de ma déclaration. Mais je n'ai pas le temps de l'attirer à moi qu'il s'effondre, ses paumes s'agrippant à moi quand il tombe à genoux, dénué de forces. Emportée dans sa chute, je m'accroupis immédiatement, un élan de culpabilité m'enserrant la gorge.
J'aurai dû le préciser.
Cela fait un mois que je suis entre les mains de Matthew. Bien sûr que ça aurait pu être lui. Je n'étais pas censée être enceinte, lorsque j'ai été enlevée à James. Il avait toutes les raisons du monde d'y croire.
— C'est ton enfant, le nôtre... James, je l'étais déjà quand on a été séparés.
J'essaye de le rassurer, en vain. Il tremble comme une feuille, et des soubresauts viennent soulever son torse, ses épaules tandis qu'il peine à respirer.
C'est si douloureux de le voir ainsi meurtri...!
— Mon amour, dis quelque chose, je t'en prie...
Que puis-je faire pour t'aider ?
Il me dissimule son visage, serre mes poignets si fort qu'il semble craindre de me perdre à nouveau. Mes paumes tout contre ses joues brûlantes, je sens des perles glacées s'échouer sur ma peau, une humidité ruisselante. Et quand il lève son regard larmoyant sur moi, un sanglot ricoche entre mes cordes vocales, abîmé.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Je t'en supplie, dis-moi...!
Je ne l'ai jamais vu dans un tel état. Supplicié de me voir périr, torturée entre les bras de son frère, oui. Mais aussi affligé alors que je suis avec lui, prête à lui offrir mon éternité et lui réaffirmer mon amour ? Jamais.
— Je... Je suis désolé, hoquète-t-il péniblement. Je ne voulais pas... te faire ça...
Mais de quoi parle-t-il ?
Mon sang ne fait qu'un tour. Je refusais de l'admettre, ça ne pouvait qu'être une fatigue temporaire, le résultat de son inquiétude pour moi. C'est un vampire, un originel. Il est immortel. Il ne peut pas mourir.
N'est-ce pas...?
— Lisa, je...
Non.
Son teint malade, ses cernes violacées, ce poids qu'il a perdu... Cette vérité qu'il réprimait.
Il ne peut pas me faire ça.
— Je vais mourir.
Non non non non non non non non non non non non non non non non ! NON !
Mon cœur cesse de battre, un instant.
J'ai halluciné, il ne peut pas avoir dit ça. Il ne peut pas... Non.
Ce n'est pas drôle. Une blague de très mauvais goût.
Parce que c'est une plaisanterie, hein...?
Il ne peut pas me laisser. Il n'en a pas le droit.
— N-non... nié-je en bloc, mes propres larmes me brouillant la vue.
Je te l'interdis. Tu ne peux pas m'abandonner...!
— Désolé, je... Matthew m'a attaqué, je pensais l'avoir évité, il... il n'était pas censé m'avoir touché.
C'est une blessure qui le tue ? Pourquoi ? Ne sommes-nous pas présumés invulnérables ? Éternels ?
Qu'on nous coupe un bras, la tête, qu'on nous transperce l'abdomen, arrache le cœur... Aucune de ces meurtrissures ne nous achève. Seul le feu, celui capable de dévorer notre palpitant jusqu'à la dernière goutte de sang, est en mesure d'empêcher notre résurrection.
Alors une blessure ? Rien qu'une petite coupure ?
Dans des gestes erratiques, une panique sourde à l'idée de le perdre et un dénis violent de ses révélations, je m'empresse de déboutonner sa chemise, tout pour le dévêtir et voir de mes propres yeux ce qui l'a condamné.
— Où ? M-montre-moi, bafouillé-je autant que je tremble, tout mon corps tellement secoué que je ne parviens même pas à le déshabiller.
— Arrête, Lisa. Ça ne changera rien.
Il me retient, tire sur mes bras pour me contraindre à le lâcher. Mais je m'accroche à lui, aux pans de son vêtement, ma vue si obstruée de larmes que je distingue à peine les contours de mes mains contre lui. Je m'essouffle peu à peu tandis que James semble être celui à reprendre le contrôle de la situation, ses propres sanglots apaisés au profit de mon désarroi acharné.
— Je veux voir !
Ce qui va t'arracher à moi...
Me prohiber ce bonheur auquel j'ai si peu goûté. Priver notre enfant d'avoir un père. Détruire ce qu'il me restait d'existence.
— Matthew me l'a dit après avoir échoué, la lame était empoisonnée. De notre poison, celui des vampires... Un concentré de ce venin mortel pour les Hommes, fatal pour nous aussi s'il venait à rentrer en contact avec notre sang.
Je m'affaisse tout contre lui, mon visage enfoui contre son torse, humant son parfum boisé et incandescent au travers de mes reniflements saccadés.
Ce n'est pas vrai...
De nouveau, il m'enlace, ses bras m'enveloppant précautionneusement quand il me caresse dans un geste réconfortant le sommet du crâne. Et il poursuit, chacune de ses paroles me confrontant à une réalité qu'il m'est incapable de tolérer :
— Je pensais qu'il avait tout inventé, mais... Ça va faire deux semaines. Ça ne cicatrise pas et... tu le vois sûrement de tes propres yeux.
Il dépérit.
Ça n'a pas duré longtemps, tout s'est déroulé bien trop vite pour que mes souvenirs soient exacts, mais je me souviens suffisamment de son apparence lorsqu'il est arrivé, avant que tout ne dérape. Il était certes fatigué, mais ce n'était rien d'aussi alarmant.
— Et ton pieds ? m'enquis-je tout à coup en me rappelant sa blessure.
— Il a totalement guéri. Je suppose que je n'étais pas encore assez faible pour que sa cicatrisation en soit retardée.
Alors il y a peut-être une chance ? Tout n'est pas absolument perdu...
— Il y a forcément un moyen, un remède... Il n'a pas pu faire ça tout seul, on va trouver et...
Je dois y croire. C'est impossible. Je ne permettrai pas qu'il meure. Il doit vivre avec moi, avec nous.
Nous devons être heureux !
— Lisa. Regarde-moi, m'incite-t-il à relever la tête d'un simple effleurement sur ma gorge, sous mon oreille. Ça ne fait que deux semaines. Il m'en reste sûrement autant, tout au plus un mois. Je me sens faiblir chaque jour davantage. Nous n'aurons pas le temps.
Comment peut-il dire ça ? Comment peut-il s'y résigner si vite ? Comment peut-il renoncer à nous, après tous ces efforts pour nous retrouver ?
— Mais je ne peux pas l'accepter ! Je ne peux pas te laisser mourir, tu... tu ne peux pas... tu n'as pas le droit...
Je ne vais pas y arriver.
Les hoquets me déchirent la trachée, ma poitrine comprimée sous une tonne de métaux lourds, écrasée sous le poids de cette fatalité. Je continue de m'agripper à lui, incapable de défaire mes poings et imaginer le lâcher, le perdre.
Il ne peut pas me laisser...
— Je sais, je suis désolé, tellement désolé ma douce. J'aurais aimé... être là pour vous. Continuer de te voir heureuse, être celui qui te procurait ce bonheur. Et... le voir grandir, apprendre à le connaître et découvrir à qui de nous deux il ressemblera le plus.
À l'évocation de notre enfant, ses doigts glissent entre nous jusqu'à effleurer mon ventre, hésitant et bouleversé. Trop effrayé pour oser vraiment me toucher. Et dans un réflexe primaire, un instinct incontrôlé, ma main qui refusait de le quitter s'enchaîne à la sienne, le presse contre mon bas-ventre.
— Ne dis pas ça...
Boum boum boum boum boum boum boum boum boum boum boum boum...
Je le sens, même par-delà la paume de mon amour. Alors lui aussi, il doit certainement l'entendre, percevoir ces micro-battements incroyablement véloces. Enfin, il partage avec moi ces sentiments confus, cet émerveillement mêlé d'appréhension, cette reconnaissance chargée de remords, cette joie teintée de tristesse.
— C'est la vérité. Je... Je ne voulais pas t'abandonner, et voilà que c'est encore pire... que ce que j'appréhendais. Je ne pourrai pas tenir ma promesse. Je vais te laisser seule et... et...
Seigneur, j'ai si mal...!
Ses pleurs reprennent plus grièvement, notre fatalité plus douloureuse que jamais.
Finalement, il n'a pas renoncé.
Lui aussi, plus que tout en ce monde, il ne désire que vivre à mes côtés, en paix pour l'éternité.
— Désolé, je suis désolé, tellement désolé...
Et même ça, ça nous est interdit.
Il raffermit son étreinte, son besoin de me sentir au plus près de lui semblant l'étouffer quand je m'enhardis moi-même de notre proximité. Jamais trop proches, jamais trop enlacés... Si bien que nous demeurons assis à même le sol, nous gorgeant de l'amour, la présence de l'autre une éternité durant avant de nous décider à bouger – l'inconfort de cette position ayant raison de notre réciprocité. Préférant le lit, nous nous réfugions sous les draps et retrouvons d'une aisance au-delà de tous mes espoirs nos places respectives, James m'ouvrant ses bras afin que je m'y réfugie, comme avant.
Nos cœurs débordant de larmes, lourds de notre tragédie, nul besoin de nous consulter pour opter ensemble de rester ainsi, bercés l'un dans l'autre d'une illusion de bonheur, le temps suspendu en cette journée. Rien que ce jour, pour James et son anniversaire, nous nous contentons de ces retrouvailles, ces révélations au goût de désespoir.
Rien qu'aujourd'hui.
Rien que lui et moi.
Rien qu'un instant.
Rien que notre enfant.
Pour un semblant de joie.
⚜️⚜️⚜️
Bien le bonjour ! ✨
J'ai failli oublier de poster... Oups 🙈
Voilà enfin les retrouvailles tant attendues dans ce chapitre tout, sauf petit (il est énorme, achevez-moi 🥲). Sauf que... Oui, voilà, une bonne nouvelle ne vient jamais sans une mauvaise, et James a malheureusement été touché 😭
Pensez-vous qu'il va vraiment mourir ? À moins que Lisa ne persiste et trouve une solution pour le guérir, peut-être ?
J'attends vos pronostics pour la suite, et moi, il faut que je me bouge sérieusement sur l'écriture du prochain chapitre 🙈
Merci pour votre lecture et à très vite ! ❤️
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