Chapitre 9

Océane

Quand je verrouille la porte d'entrée, c'est avec le cœur léger. Au fond de moi, je sais que c'est la fin. La vraie, pas une sorte de suite camouflée. Je souris en glissant la clé dans sa serrure. Mes yeux me piquent un peu, mais ce ne sont pas des larmes de tristesse qui menacent de couler. Non, celles-ci sont douces, joyeuses.

Je me passe une main dans les cheveux tout en m'agenouillant pour cacher la clé sous le pied de l'un des canapés de la véranda. Je n'en ai plus besoin, désormais. Je ne compte pas revenir. En me redressant, j'enfonce mes poings dans les poches de ma grosse veste en laine que j'ai déniché dans ma penderie et descends les escaliers pour rejoindre Malia. Lucie est partie il y a une heure. Elle est retournée chez elle pour chercher son vieux van rouillé, puis est revenue pour prendre mes sacs. La connaissant, elle doit être en train de dormir.

Je mets quelques secondes avant de repérer Malia. Assise à même le sol et à proximité de l'abreuvoir pour les oiseaux, elle pianote à une vitesse folle sur son téléphone. Ses billes vertes braquées sur l'écran, elle n'a pas remarqué ma présence. Sa chevelure dorée tombe en cascade derrière son dos légèrement vouté et quelques mèches rebelles encadrent son visage et effleurent ses lèvres charnues.

Le plus silencieusement possible, je m'agenouille à sa hauteur et pose une main sur son épaule. À peine ma paume a-t-elle effleuré son bras que Malia sursaute. Elle fait tomber sur téléphone qui s'écrase sur ses genoux et, sans crier gare, son coude fuse dans ma direction. Je l'esquive à la dernière seconde en me levant d'un bond. Bon sang. Si je n'avais pas été aussi réactive, elle m'aurait sans doute cassé le nez.

Malia tourne la tête dans ma direction et écarquille les yeux de surprise quand nos regards se rencontrent.

Bêtement, j'agite la main :

— Je suis venue en paix, ne me tue pas.

Un long silence s'ensuit. Nous nous contentons de nous fixer, elle avec un air mortifié, moi avec un petit sourire penaud.

— Oh, mon Dieu, finit-elle par bredouiller en écartant une mèche de cheveux. Est-ce que je t'ai fait mal ? Tu peux situer ta douleur sur une échelle d'un à dix ? Je dois appeler une ambulance ? Je suis tellement désolée, Océane !

Je la rassure en agitant la main devant le visage, lui lançant qu'il y a eu plus de peur que de mal. Je lui présente ensuite ma paume pour l'aider à se relever. Ses doigts s'entrelacent aux miens comme elle continue à se confondre en excuses. Désormais sur ses deux pieds, elle époussette son jean et grimace en voyant toute la saleté qui s'y est accumulée.

Son nez se retrousse.

— J'adorais ce jean, rouspète-t-elle en plongeant ses mains dans l'eau de l'abreuvoir pour les nettoyer.

Je plonge un doigt dans l'eau et l'éclabousse. Elle ne réagit pas et me demande à la place si je suis prête à y aller, ajoutant précipitamment que nous pouvons rester ici encore un peu si je le souhaite.

Je secoue la tête.

— Non, c'est bon. C'est terminé.

Je suis consciente que ce n'est pas la première fois que je le dis, mais maintenant, je le pense vraiment. Ce foutu chapitre, j'ai enfin réussi à y mettre un terme, à tourner la page. Ça a pris du temps, c'était difficile et, pourtant, j'y suis arrivée. Ce qui me semblait impossible était en vérité possible. De toute façon, la vie n'est pas facile et elle ne le sera jamais. J'aime penser que notre existence n'est qu'une succession d'épreuves éprouvantes où il faut souffrir et prendre des décisions pour franchir la ligne d'arrivée. À quoi bon être sur Terre si c'est pour se la couler douce ? Je ne suis pas née pour me prélasser sur une plage en mangeant des sushis. Non, je suis née pour repousser mes limites, découvrir ce que le monde a à m'offrir. Je suis née pour faire des sacrifices. Pour être heureux, il faut avoir mal. Comme le dicton le dit si bien, il n'y a rien sans rien.

Une main se pose sur mon épaule, mettant un terme à mes pensées presque philosophiques.

— On y va, du coup ? m'interroge mon amie en lâchant mon épaule.

J'opine du chef, les poings glissés dans les poches de ma veste. Avec sa bonne humeur habituelle, Malia s'empare de mon bras et me tire joyeusement vers la sortie.

Pendant une bonne partie du trajet, elle et moi discutons de tout et de rien, mais surtout de rien. Tous les sujets jugés inintéressants y passent. De la météo à nos desserts préférés, en passant par un énième coup de gueule sur Juliette — qui n'a toujours digéré ma démission — et en finissant sur une note plus positive en abordant notre passion commune pour l'astronomie. Même les voitures qui passent dans la rue ne suffisent pas à fissurer l'atmosphère légère qui m'enveloppe comme un plaid.

Elle commence seulement à se dissiper lorsque je me rends compte que nous nous somme trompées de chemin. Je ralentis la cadence et jette des regard perplexes autour de moi, puis partage ma crainte dans un souffle à Malia.

Mon amie secoue la tête et sa prise sur mon bras devient plus ferme.

— Je connais ce quartier comme ma poche, t'inquiète.

Je lui coule un regard sceptique, mais ne discute pas, bien que les mots me brûlent les lèvres. Je tente de me convaincre en me répétant qu'elle connait mieux cette partie de la ville que moi, qu'elle y vit depuis plusieurs années. Malgré tout, je n'arrive pas à dissiper mon mauvais pressentiment. Sournois, il remonte le long de mon œsophage, jaillit dans ma bouche dans un goût aigre. Je me passe une main derrière la nuque tandis qu'une voix perfide me susurre à l'oreille que quelque chose se prépare, sans doute pas dangereux, mais qui ne va pas du tout me plaire.

Une bourrasque fait voleter quelques mèches autour de mon visage — nous avons beau être qu'en mi-juillet, le temps est frisquet — et je plisse des yeux.

— Tu es vraiment sûre de savoir où nous allons ? je ne peux m'empêcher de demander alors que nous bifurquons à droite.

Nous atterrissons dans un parc. Illuminé par la lumière jaunâtre des réverbères posés ici et là, il est loin d'être terrifiant. Ma main quitte ma nuque, qui se détend à mesure que les secondes s'écoulent. À quelques mètres de l'endroit où nous nous trouvons, une énorme aire de jeux de toutes les couleurs qui doit faire le bonheur de bon nombre d'enfants se dresse fièrement.

— Qu'est-ce qu'on fait ici ? demandé-je à Malia en fronçant des sourcils.

— Ce n'est pas évident ? On va s'amuser un peu !

Je cligne des yeux.

— Hein ?

Malia me regarde comme si un troisième œil venait d'apparaître au plein milieu de mon front. Elle secoue la tête, soudain dépitée, et me tire à nouveau par le bras. J'espère que ça ne deviendra pas une habitude ; j'ai l'impression de n'être qu'une marionnette quand elle me traîne ainsi à sa suite.

On passe devant les toboggans, le tourniquet et la toile d'araignée qui composent l'aire de jeux pour s'arrêter devant les balançoires. J'en dénombre cinq, mais seules trois semblent en bon état. Je fronce des sourcils de plus belle, toujours très perplexe, tandis que Malia me lâche le bras pour se glisser derrière moi. Je sens ses mains se poser à plat sur mon dos comme elle me pousse vers l'avant, m'enjoignant de m'asseoir sur l'un des bancs en caoutchouc.

— Quand j'étais petite, on ne me conseillait pas de coucher avec des garçons pour évacuer ma nervosité, commence-t-elle à m'expliquer en s'installant sur la balançoire à ma gauche. Je ne suis pas Lucie, j'étais entourée de personnes normales. On me disait d'essayer de toucher le ciel parce que lorsqu'on est en hauteur, nos problèmes nous paraissent soudain dérisoires.

Je remue la mâchoire et enroule mes doigts autour des chaînes froides de la balançoire.

— Je sais que ça ne se passe pas très bien avec Xavier, en ce moment, dit-elle tout à coup, ce qui me fait sursauter. Oh, ne me regarde pas comme ça ! J'ai beau être blonde, je ne suis pas débile. Même Lucie a remarqué ton air de chien battu.

— Et vous vous êtes dit que ça avait obligatoirement un lien avec Xavier ?

Elle secoue la tête.

— Non... mais on a peut-être lu tes messages.

J'ouvre la bouche, sous le choc, mais la referme presque aussitôt. Pourquoi suis-je surprise ? Je les connais : dès qu'elles en ont l'occasion, elles fouinent. Pour elles, mon téléphone abandonné sur le bras du canapé devait être une invitation. J'ignore si je dois être en colère qu'elles aient violé mon intimité ou rigoler. Sûrement la deuxième option. Étonnement, je ne suis pas fâchée.

Sans émettre le moindre commentaire, je donne une légère pression sur le sol pour me propulser dans les airs. Malia m'imite et, ensemble, nous essayons d'atteindre le ciel et ses étoiles.

— La dernière fois que je me suis balancée, je devais avoir neuf ans, lui confié-je, le regard fixé droit devant moi.

Je l'entends hoqueter de surprise.

— Neuf ans ? C'est vachement tôt ! Je devais avoir dix-sept ans, moi. Ça ne fait pas très longtemps.

C'est même plutôt récent. La serveuse est ma cadette de quatre ans, elle plonge à peine dans la vingtaine. Le visage levé vers le ciel, je lui apprends que j'avais trop peur d'aller au parc, que les enfants adoraient m'embêter. J'étais toujours seule, ce qui faisait de moi une proie facile. Ma mâchoire se contracte quand je lui raconte la fois où une bande de filles de ma classe m'avaient enfermée dans un vieux cabanon qui empestait l'urine.

— Je suis désolée pour toi, me glisse doucement Malia en enfonçant le talon de sa chaussure dans la terre pour s'immobiliser.

Je hausse des épaules.

— Ça ne me fait plus rien, tu sais. Ça remonte à longtemps.

— Alors je suis désolée pour la petite fille que tu étais, Océane, elle ne méritait pas ça. Personne ne mérite ça.

Une fois encore, je hausse des épaules. Les années sont passées, c'est à peine si je me rappelle cette époque. Mais je crois que l'enfant que j'étais aurait été heureuse d'entendre ça.

Malia prend congé pour appeler Lucie. Comme mes paumes commencent à devenir moites à force de tenir les chaînes, je décide de m'arrêter à mon tour. Atteindre les étoiles sera pour une prochaine fois. Alors que je suis concentrée sur mes pieds, je sens une présence à ma gauche. Je me raidis légèrement.

Laborieusement, je déglutis. Ça ne peut pas être Malia, elle est partie vers la droite. Mon mauvais pressentiment de tout à l'heure revient en force. Il s'enroule autour de mon âme et m'oblige à tourner la tête pour voir qui se tient à mes côtés. Je ferme brièvement les yeux, les rouvres, puis m'exécute, prête à bondir et frapper l'inconnu avec ma balançoire.

Et mon cœur explose.

Mes prunelles rencontrent un regard d'un bleu vif, un regard que je pensais ne plus jamais recroiser. Les mains fourrées dans les poches de son jean, Xavier m'offre un piètre sourire en guise de salutation, l'énergie en moins.

— Qu'est-ce que tu fais là ? lui demandé-je quand la surprise est passée.

Pas de « Est-ce que tu vas bien ? » ou « Est-ce que tu me pardonneras un jour ? ». Ces questions me brûlent les lèvres, évidemment, mais je ne trouve pas le courage nécessaire pour les lui poser. Xavier était censé sortir de ma vie et j'étais supposée disparaître de la sienne, l'interroger sur ses sentiments reviendrait à mettre en doute mes propos.

Et les remettre en doute, je l'ai déjà suffisamment fait comme ça.

Parle au présent, Océane. Tu continues toujours à les remettre en doute.

Je fais taire cette voix dans ma tête en fermant le poing.

— Je lui ai demandé de venir, annonce une voix derrière nous.

Je fais volte-face et c'est la douche froide. Un peu en retrait, Malia m'observe, les joues rougies par la honte. Elle échange un bref regard rempli de sous-entendus avec Xavier. Je sens mes couleurs me quitter à mesure que les pièces du casse-tête s'emboîtent. D'un coup, tout devient clair. Cette rencontre, mon amie en est à l'origine. C'est pour ça qu'elle était sur son téléphone toute la soirée, qu'elle parlait à voix basse avec Lucie.

Pendant que je disais au revoir à mon ancienne vie, elle était en arrière à préparer la nouvelle.

Je fais un pas en arrière, chancelante, pour m'éloigner d'eux. Elle n'avait pas le droit. Elle n'avait aucun droit de m'imposer sa présence. Des larmes viennent s'accumuler dans mes yeux et Malia lève la main vers moi, le regard douloureux. Je vois que ça lui fait mal, mais elle ne regrette pas. Ses lèvres s'entrouvrent, elle s'apprête à prendre la parole, mais Xavier la devance.

— C'est moi qui ai supplié Malia d'organiser ça, ne lui en veux pas, je t'en prie. J'avais besoin de te voir.

Je pince des lèvres et ravale mes larmes. Malia hoche tout doucement la tête.

— Je suis désolée, Océane, chuchote-t-elle, mais il le fallait.

Il le fallait. Comme si contrôler ma vie était un devoir. J'hésite entre rire et pleurer.

La blonde se frotte les paumes sur ses cuisses habillées de jean et annoncer qu'elle va nous laisser un peu d'intimité. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, elle fait volte-face et trottine vers la sortie du parc, nous laissant seuls.

Je soupire et me tourne vers Xavier.

Super.

— Qu'est-ce que tu viens faire ici, Xavier ? Je t'ai déjà dit que je voulais que l'on arrête de se voir.

Mes paroles font mal, même à moi. Elles sont abjectes, elles me broient la poitrine. Pourtant, Xavier les encaisses sans broncher. Il incline la tête sur le côté, un sourire penaud peint sur les lèvres.

— J'ai besoin de toi, répète-t-il.

Mon cœur se serre dans ma cage thoracique et, sans m'écouter, il ose un pas dans ma direction.

— « J'ai besoin de toi » ? marmonné-je en l'observant basculer le visage vers l'arrière pour expirer. Ce n'est pas une réponse, Xavier.

Il fixe le ciel plusieurs longues secondes avant de ramener sa tête vers moi. Son regard s'enchevêtre au mien, intense et magnifique, et un frisson me parcourt l'échine dorsale.

— À mes yeux, c'en est une, explique-t-il platement en se passant une main sur le front pour le masser.

— Eh bien, pas pour moi. Ne peux-tu pas l'approfondir ?

J'ignore pourquoi j'insiste tant. Je devrais prendre mes jambes à mon cou et fuir avant de faire quelque chose que je regretterai sans aucun doute plus tard. Pourtant, je ne bouge pas d'un poil.

Xavier arque alors un sourcil.

— Approfondir un « J'ai besoin de toi. » ? Ce n'est pas déjà assez explicite ?

J'enfonce mes doigts dans la peau de mes paumes pour éviter de lâcher quelque chose de méchant. Le jeune homme se frotte le menton, puis fourrage ses mains dans sa chevelure brune. Il ferme les yeux quelques secondes, il est sans doute en train de se creuser les méninges pour trouver une réponse satisfaisante à ma question. Pendant ce temps, j'enroule mes bras autour de mon corps et tente de faire taire la voix de la sagesse dans ma tête qui me hurle de déguerpir d'ici. J'ai envie de l'écouter, vraiment, mais je fais la sourde oreille. Les doutes sont plus forts, étouffent ses cris.

Je n'ai pas envie de partir.

J'ai envie de rester, avec lui. Le voir, le sentir près de moi, l'écouter. Peut-être que ce n'est pas sa présence qui est toxique, mais son absence. Ou un mélange des deux. Sans doute faut-il seulement que l'on trouve un équilibre, lui et moi. Le bon pas de danse pour suivre la mélodie imposée par la vie.

Une courte inspiration me fait revenir sur terre. Xavier a changé de position : il est désormais accoté à l'un des pieds en métal du support des balançoires.

Une fois encore, ses prunelles se vissent aux miennes pour ne plus les lâcher.

— J'ai besoin de toi. J'ai besoin de ton sourire, de tes mots, de ton regard, de ces petites rides qui se creusent autour de tes yeux quand tu fronces du nez. J'ai besoin de ton sérieux, de ton manque évident de l'humour, de ton sang-froid, de tes répliques, de ton tempérament explosif. (Il reprend son souffle.) Je sais, je sais. Tu ne veux plus rien savoir de moi, je le respecte, vraiment, mais je ne peux pas. J'ai essayé, je te le jure, j'ai essayé ces derniers jours de me débrouiller seul, et c'est une véritable catastrophe. Je ne peux pas me résoudre à te retirer de ma vie alors que tu es la seule personne capable de m'empêcher de me noyer. J'ai besoin de toi, ma petite vague. J'ai besoin que tu me guides vers le rivage. S'il te plait.

Mon cœur a eu le temps de s'arrêter une bonne dizaine de fois. Je cille, estomaquée, et mon corps commence à trembler à cause des larmes que je peine à contenir. J'essaye de parler, de dire quelque chose, de lui demander plus d'explications, mais rien ne veut sortir. Je me contente de le fixer, de le dévisager, de chercher dans son regard la raison de sa souffrance, de sa noyade. Silencieusement, je le supplie de me pardonner.

Et puis, je le prends dans mes bras.

À mon contact, il se tend. Tous les muscles de son corps se raidissent et je sens qu'il retient son souffle, comme s'il avait peur de me faire fuir s'il respirait trop fort. Je pose mon menton sur son torse et le serre contre moi, car c'est tout ce que je suis capable de faire. C'est la seule chose que je sais faire. Il finit par se décoller du poteau et m'enveloppe à son tour dans ses bras. Sa joue vient trouver le haut de mon crâne et je niche mon nez à la base de son cou, humant son odeur musquée. Les larmes se mettent alors à s'accumuler dans le coin de mes yeux. Ce n'est pas juste. Xavier est jeune, il ne mérite pas de vivre la moindre atrocité.

— Je suis désolée, soufflé-je, le visage toujours pressé contre son corps.

Je m'apprête à reculer, mais Xavier raffermit sa prise pour me garder encore un peu auprès de lui. Je ne dis rien et reste immobile. Je suis bien, là, dans ses bras. Je me laisse bercer par les battements frénétiques de son cœur.

— Viens vivre avec moi, lâche-t-il soudain.

Il recule la tête pour mieux me regarder. Je lève le visage vers lui, les yeux écarquillés par la surprise. Alors ça... je ne l'avais pas vu venir.

— Pardon ?

— Viens vivre avec moi.

Ce ne sont que quatre mots, pourtant je n'arrive pas à comprendre leur sens. Cette fois, je réussis à m'extraire de ses bras.

Je secoue la tête, rejetant immédiatement son idée. C'est hors de question !

— Je ne peux pas venir vivre avec toi, Xavier !

Il plonge ses mains dans les poches de son jean et me lance un regard suppliant, bien sûr accompagné d'une petite moue. Je grogne.

— Et pourquoi pas ? me demande-t-il.

— Tu es sérieux ? m'exclamé-je d'une voix suraiguë en agitant une main pour nous désigner tour à tour. On ne peut pas vivre ensemble, on ne se connait pas !

Il arque un sourcil et un réel sourire vient remplacer sa moue de tout à l'heure, illuminant ses billes bleues.

— On se parle depuis plus d'un an et on ne se connait pas ?

Je souffle par le nez.

— Ce n'est pas pareil, et tu le sais ! On ne se connait que virtuellement, tu ignores tout de mon mode de vie. Ça ne marchera jamais.

Il fait un pas dans ma direction et attrape doucement ma main. Ses doigts viennent entrelacer les miens. Je tressaille et incline le visage vers lui. Nous ne sommes vus qu'une dizaine de fois, peut-être même moins, et il m'a touchée plus souvent que la plupart des personnes que je côtoie. Et le pire dans tout ça, c'est que je ne déteste pas.

Loin de là.

— Nous n'avons même pas essayé, tu ne peux pas dire que ça ne pourra pas marcher. J'ai besoin de toi, Océane. D'ailleurs, Malia m'a dit que tu n'avais pas d'endroit où vivre. Viens chez moi, au moins pendant une semaine, ça t'évitera de payer un hôtel.

Quoi ?

— Je vis chez Malia et Lucie, j'ai un toit sous ma tête, je te signale !

— Ce n'est pas ce qu'elle m'a dit, marmonne le jeune homme en fronçant les sourcils.

Le muscle de ma mâchoire se tend. Elle a osé.

En comprenant ce que cela veut dire, Xavier me lâche la main. J'ai envie de rattraper sa paume, de nouer à nouveau nos doigts ensemble. Je me sens étrangement vide sans son contact.

— Donc tu ne viens pas vivre avec moi ?

Son ton triste me brise l'âme en centaine de fragments inutiles.

Je change de jambe d'appui.

Je me déteste déjà pour ce que je m'apprête à faire. J'entends les hurlements de la voix dans ma tête, mais je décide de l'ignorer.

Moi, remettre tous mes choix en question ? Évidemment.

— Enfin... Il est vrai que Lucie et Malia vivent dans un endroit trop petit pour trois personnes et que, parfois, c'est compliqué. Qu'est-ce que tu as à me proposer ?

D'un coup, son visage s'éclaire. Il se redresse vivement.

— Si tu viens vivre chez moi, tu pourras profiter de la marchandise, susurre-t-il en se désignant de la tête aux pieds.

J'éclate de rire et lui donne un coup de coude.

— C'est censé me convaincre ?

Ses lèvres s'ourlent en une moue.

— Oui, et ça ne semble pas fonctionner. Je vais mettre ça sur le compte de cet affreux pull qui cache mon torse de rêve. Bon ! Et si je te dis que je pourrais te préparer du pain à la viande tous les jours si tu le désires ?

Sommes-nous réellement en train de flirter, là ?

— Je te dirais que je pourrais aller au restaurant pour en manger.

Son sourire vacille et il plisse des yeux. D'un doigt, il se tapote le menton.

Puis, son regard s'illumine.

— J'ai des furets ! Ne me dis pas que ce n'est pas le meilleur argument au monde pour que tu dises oui ?

Mon sourire à moi s'élargit. Des furets... mon animal préféré. Je suis touchée qu'il s'en soit souvenu. Je me balance d'avant en arrière et feins de réfléchir à ma réponse alors que je la connais déjà. Vivre temporairement avec Xavier ne devrait pas être si abominable que ça. D'ailleurs, ça me permettra de garder un œil sur lui et éviter qu'il boive ou fasse d'autres conneries. Le fait qu'il ait dit se noyer m'a alertée. Personne n'a été là pour moi quand j'étais au plus mal et je refuse qu'il vive la même chose.

— J'accepte de venir vivre chez toi, mais seulement pour les furets et le pain à la viande, ne va pas te faire de fausses idées. Ta... marchandise ne m'intéresse pas.

Je me mordille l'intérieur de la joue. Oui, nous sommes officiellement en train de flirter.

Quand Xavier comprend que j'accepte, un éclat passe dans son regard, illuminant de la plus belle des manières ses prunelles. Il me reprend dans ses bras, nos corps se pressent l'un contre l'autre, s'emboîtent à la perfection. Les mains de Xavier sont positionnées derrière mon dos, m'empêchant tout mouvement. Ma tête vient trouver l'espace entre son cou et son épaule.

— Tu ne vas pas le regretter, dit-il, et je sens un sourire dans sa voix. On sera les meilleurs colocataires sur cette planète !

Je ferme les yeux en espérant sincèrement qu'il dise vrai. 

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