Chapitre 7

Xavier

— Peux-tu bien me dire ce que tu fiches devant ma porte ?

Un gobelet de café dans la main et les clés de son appartement dans l'autre, Gaby me toise. Son regard se teinte d'un mélange de stupéfaction et de confusion quand elle tente de comprendre ce que je fais ici, à camper devant sa porte comme un misérable chien de garde. J'agite les doigts en guise de salutation après m'être redressé. Elle fronce les sourcils et, d'une voix qui se veut tranchante, m'ordonne de débarrasser le plancher avant qu'elle ne s'en charge elle-même. Je ricane et me décale d'un pas sur la gauche pour la laisser déverrouiller la serrure.

— Je suis venu prendre de tes nouvelles, lui expliqué-je avec un sourire débile plaqué sur les lèvres.

La rouquine me coule un regard par-dessus son épaule qui semble vouloir dire « Tu penses vraiment que je vais gober ça? ». Gaby me force à tenir son gobelet pendant qu'elle ouvre la porte et, après une brève seconde d'hésitation, m'invite à entrer. Je ne me fais pas prier et chancelle un peu en pénétrant dans son appartement qui empeste la vanille. Elle accroche sa veste en jean sur le porte-manteau après avoir retiré ses chaussures à talon. Je l'imite et, ensemble, nous nous dirigeons vers la cuisine.

Elle me reprend son café des mains et le sirote tout en s'installant sur un des cinq tabourets derrière l'îlot central. Encore une fois, je l'imite. Je plisse des yeux quand la lumière du soleil qui traverse les stores de sa grande fenêtre m'éclaire le visage, empirant mon mal de tête qui ne me quitte pas depuis une semaine maintenant – à force de boire tous les jours, ça laisse des marques au réveil. Mon petit sourire stupide ne m'a toutefois pas encore quitté, et je vois bien que cela l'agace. Je me demande encore combien de temps Gaby va tenir avant de passer à l'attaque pour me tirer les vers du nez. Je sais que ça lui demande la vraie raison qui m'amène ici.

Comme je m'y attendais, elle craque au bout d'une pluie de secondes. Elle dépose son gobelet sur le comptoir et plonge son regard vert dans le mien. Mes lèvres s'élargissent, les siennes restent complètement immobiles, pincées en une moue agacée.

— Balance. Tu as besoin de quoi, Xavier ?

Je fronce du nez et tends le bras pour lui voler son gobelet. Elle proteste quand je prends une gorgée. Je grimace. Du café noir. Corsé. Amer. Tout simplement écœurant. Ma bouteille de Vodka me manque presque.

— Tu bois vraiment ça sans lait ni sucre ? Si c'est pas bon pour ma gueule de bois, j'imagine pas à quel point ça peut-être nocif pour bébé-Gaby.

Elle me fusille du regard.

— Seulement si j'en bois en trop grosses quantités. (Elle souffle par le nez.) Tu n'es pas venu jusqu'ici pour me parler de ma grossesse, quand même ?

— Ça t'étonnerait tant que ça ? Tu sauras que ta santé et celle de l'humain qui grandit en toi me tiennent à cœur !

Gaby lève les yeux au ciel, peu convaincue, et coince une mèche rousse derrière son oreille.

Pour être franc, je peux comprendre son étonnement face à ma présence ici. Gaby et moi sommes loin d'être amis, bien qu'un lien puissant s'est tissé entre nous à l'instant où nous avons compris que Dave était un bel enfoiré et que notre douleur était partagée. Je crois que nous aurions pu être amis, mais quand je la regarde, je me souviens à chaque fois de notre baiser. C'est loin d'être un souvenir amer, mais je préférerais ne pas m'en rappeler. Notre relation est fragile, repose sur quelques morceaux de bois humides. Toutefois, nous nous supportons de plus en plus et ça, c'est un grand pas en avant. Je tolère son existence, elle accepte la mienne.

Mes doigts tapotent la surface en granite du comptoir comme Gaby tends le bras pour reprendre son café.

— Je ne sais pas ce que tu mijotes, Xavier, mais j'espère que ça ne sera pas long. J'ai prévu de passer mon après-midi devant la télévision en travaillant, chose que tu ne peux pas comprendre, car tu es au chômage.

Je claque la langue pour démentir.

— Techniquement, je ne suis pas au chômage parce que je n'ai jamais eu de boulot.

— Et tu en est fier ? s'étonne la rousse en prenant une gorgée de son café.

Je lui offre un demi-sourire, bien que ces mots me touchent plus que je ne voudrais l'admettre. Non, je n'en suis pas fier. Moi aussi, j'aurais voulu rentrer dans le moule, faire comme tout le monde, avoir un travail, un salaire et ne pas être choyé par mes parents. Mais j'ai abandonné les études parce que ce n'était pas pour moi, puis j'ai traversé une période assez difficile qui m'a volé toute motivation pour me construire un avenir professionnel.

Je décide d'éviter sa question.

Je croise les bras devant moi et me penche en avant, capturant ses prunelles des miennes.

— Je ne vais pas rester longtemps, ne t'inquiète pas. J'ai juste besoin de quelques conseils.

À nouveau, elle semble confuse. Elle se redresse un peu et adopte la même position que moi : bras croisé, buste légèrement penché vers l'avant. Ses prunelles de la couleur de l'émeraude me sondent, un peu comme si elles cherchaient une réponse à une question qui lui taraude l'esprit.

— Sauf si ce sont des conseils qui touchent l'informatique ou la meilleure façon de se faire tromper par son copain, je ne crois pas pouvoir t'être d'une très grande aide.

Je ne sais pas si c'est ma gueule de bois qui me fait halluciner, mais vient-elle d'être sarcastique ? C'est la première fois qu'elle fait une plaisanterie sur Dave. D'habitude, elle pleure et se roule en boule pour remettre tous ses choix en question.

— Tu es une femme, je crois que c'est la seule compétence que tu as besoin pour m'aider.

Gaby prend une profonde inspiration et se lève. Sans un mot, elle virevolte vers le réfrigérateur pour en sortir des restes de pizzas empilées dans une assiette rouge. Elle la met dans le micro-onde et reviens vers l'îlot, une pointe entre les dents. Elle me demande si j'en veux, mais je refuse. Je grimace quand elle plonge sa nourriture dans son café.

Elle trempe sa pointe de pizza dans son café.

Je vais vomir.

— Alors c'était pas un mythe, les mélanges bizarres quand une femme est enceinte ? demandé-je en réprimant un haut-le-cœur.

Gaby croque dans son morceau de pizza imbibé de café en secouant la tête.

— Malheureusement, non. Le cerveau d'une femme enceinte déraille à cause des hormones. Tu es sûr de vouloir recevoir des conseils de ma part ?

— Tu es la seule qui puisse m'aider.

— Tu vas pas me faire croire qu'il n'y aucune autre nana dans ton entourage ? Ta mère ? Ta sœur ? Eden ? Océane ?

Je secoue la tête à chacune des propositions, soupire pour la dernière.

— Justement. Je suis venu te demander des conseils à propos d'Océane. Ça ne se passe pas trop bien entre nous, en ce moment.

La note désespérée dans ma voix m'agace. J'ignorais qu'il était possible de s'attacher autant à une personne que l'on connait à peine. Ma relation avec Océane s'est développée derrière un écran et, pourtant, elle compte énormément pour moi. Peut-être même un peu trop. Au restaurant, j'avais beau parlé avec Eden, je n'avais d'yeux que pour elle.

J'étais conscient de chacun de ses mouvements. Dès qu'elle avait le dos tourné, j'en profitais pour la contempler et mémoriser tous les détails possibles.

— T'en parles comme si elle était ta copine, remarque Gaby en haussant les sourcils.

Je m'étouffe presque tant je suis surpris.

— Quoi ? Non, pas du tout ! Elle et moi ne sommes rien. Littéralement. Elle a décidé de couper les ponts.

Gaby croque dans sa pizza, le front plissé par la concentration.

— Elle t'a donné une explication ?

Je secoue la tête.

Gaby se met à tapoter le comptoir avec le bout de ses ongles. Elle se mordille la lèvre inférieure, la tête inclinée sur le côté. Il y a un côté assez ironique de voir qu'elle est l'exacte opposé de Dave. Quand ils sortaient ensemble, ils clamaient sur tous les toits qu'ils étaient la version masculine et féminine de l'autre. Les deux faces d'une même pièce. Pourtant, ils n'ont rien en commun. Mon ancien meilleur ami m'aurait filé une bière en me lançant que l'alcool était la réponse à tous mes problèmes – ce qui est, évidemment, une belle connerie – avant de me forcer à regarder la rediffusion d'un match de Baseball avec lui. Gaby, elle, cherche vraiment à m'offrir des solutions alors que rien ne l'y oblige.

Elle aurait pu me fermer la porte au nez, mais elle m'a invité à entrer.

Elle et moi ne sommes pas encore amis, mais peut-être que notre relation vacillante se renforcera et se muera en amitié. Je l'espère, en tout cas. Maintenant que Dave n'est plus dans le tableau, je n'ai jamais été aussi seul que maintenant.

— Tu as essayé de lui envoyer des messages ?

— Je n'ai fait que ça, ces quatre derniers jours. Elle les lit, mais ne répond pas.

— Au moins, elle ne t'a pas bloqué. Ça veut dire qu'elle n'est pas sûre de sa décision, elle aussi. Elle doute.

Je sens mon cœur s'immobilier une pluie de secondes dans ma cage thoracique.

Elle doute.

Elle n'est pas certaine.

Ce n'est peut-être pas encore terminé.

— Du coup, je devrais faire quoi ? Continuer à insister jusqu'à ce qu'elle réponde à mes messages ?

Gaby envoie valser mon idée d'un claquement de langue.

— Sauf si tu veux être poursuivi pour harcèlement, je te conseille pas. Il n'y a pas un autre moyen de la contacter ? Tu n'as pas son adresse ?

— Donc lui envoyer un message est une mauvaise idée, mais pas me pointer chez elle...? Putain, t'es brillante.

Elle m'envoie un morceau de poivron au visage. Je l'évite de justesse, et lui tire la langue.

— Tu as compris ce que je voulais dire ! Mais plus sérieusement, y a rien d'autre que le téléphone ?

Je me gratte la nuque tout en me creusant les méninges.

Soudain, une ampoule s'allume dans ma tête.

— Le restaurant ! Elle n'y travaille plus, mais Malia, son amie, oui ! Je pourrais lui demander de parler à Océane pour moi.

Cette fois, Gaby approuve mon idée. Son regard se met à briller et elle repousse sur le côté les restes de sa pizza.

Quand elle me sourit, mon cœur se dilate. Dans le creux de mon ventre, une petite flamme d'espoir s'allume et vient embraser avec délicatesse chacune cellule de mon corps.

Ce n'est pas encore terminé. 

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