Chapitre 28

Xavier

Avant

Plus tard cette soirée-là, mon cœur me fait toujours aussi mal. C'est comme si une main géante prenait un malin plaisir à l'écraser, ses doigts s'enfonçant dans mon organe cardiaque pour le faire saigner abondamment. Ma poitrine est serrée et l'air s'engouffre avec peine dans mes poumons brûlants. Je suis une épave, misérable, pitoyable, en ruine. La mer me recouvre, m'étouffe, et je ne tente même pas de nager jusqu'à la surface pour éviter la noyade. Je laisse les vagues me heurter, l'eau salée m'emplir la bouche, l'océan me dévorer.

Sur ma table de chevet, l'écran de mon téléphone ne cesse de s'allumer, bombardé par les appels et les messages d'Eleanor. J'en ai lu et écouté quelques-uns, mais je n'ai ni trouvé la force, ni l'envie de lui répondre. Qu'est-ce que j'aurais bien pu lui dire, de toute façon ? Elle s'excuse dans chacun d'eux. Elle me demande pardon, putain ! Pas une seule fois, elle ne tente de se défendre ou apaiser mes doutes. Au contraire. Chacun de ses mots empeste la culpabilité. Ils transforment mes soupçons en certitudes.

C'est la première fois que nous nous disputons sur un sujet qui me concerne et, au lieu de se battre pour moi, pour nous, elle a décidé de passer à autre chose et me tourner le dos. Je ne comprends pas. Sur le papier, nous étions encore ensemble. Et, malgré ça, elle a choisi d'inviter son ex-copine dans sa chambre. Je ne sais pas ce qui ai passé par la tête, et je n'ai aucune envie de le savoir.

Parce que ça ferait un mal de chien.

Avec un soupir, je roule sur le dos. Je regrette d'avoir demandé à Dave de rentrer chez lui. Je tuerais pour avoir quelqu'un avec qui discuter pour oublier le fiasco qu'est ma vie en ce moment. Je ferme les yeux une brève seconde, puis repousse mes draps sur le côté afin de libérer mes jambes. J'enfile par-dessus mon t-shirt le premier sweat qui me tombe sous la main avant d'attraper mon téléphone, effaçant les messages vocaux d'Eleanor sans les écouter. Ils n'en valent pas la peine.

Quand je sors de ma chambre, je tombe sur ma mère. Un panier de vêtements sales entre les bras, nos regards se croisent une nanoseconde avant qu'elle ne se détourne. Elle passe devant moi comme si je n'existais pas, ses yeux reflétant sa déception. J'ouvre la bouche pour l'interpeler, mais me ravise au dernier instant. Les bras pantelants et la poitrine douloureuse, je l'observe disparaître dans la salle de bain. Elle se comporte ainsi depuis une semaine, c'est sa manière de me faire comprendre qu'elle n'est pas d'accord avec ma décision de ne pas me battre pour mon diplôme. Son indifférence me tue, surtout maintenant alors que j'ai le plus besoin d'elle. Mon père agit de la même manière.

Mentalement, je suis déjà six pieds sous terre. Peu importe ce que mes parents feront ou diront, ils ne pourront pas m'enterrer plus bas que je ne le suis déjà. À la maison, l'atmosphère est devenue tendue, toxique. Leurs regards accusateurs, les murmures derrière mon dos, les sous-entendus... Si, deux premiers jours, ça ne m'atteignait pas, ce n'est plus le cas aujourd'hui. La pression est si insoutenable que je me suis isolé. Je reste cloitré dans ma chambre la plupart du temps et ne descends même pas pour manger. J'ai aussi commencé à éviter ma petite sœur alors qu'elle est la seule qui semble respecter mon choix.

Cette semaine n'a pas été de tout repos et je suis étonné de ne pas encore avoir craqué. Mon estime de soi est à zéro, mon cœur est fracassé, mais je suis encore debout. Enfin, ça reste à voir. Car je sens que j'atteins mes limites, et il n'y a qu'une seule personne sur cette planète qui pourra apaiser le feu ardent qui brûle dans le creux de mon ventre.

***

Il est dans les alentours de vingt heures quand je gare ma voiture devant la petite maison de Colombe, éclairée par la lumière jaune de la véranda. Je reste assis quelques minutes dans mon véhicule, à examiner la façade délabrée de son domicile. Je n'avais pas remarqué auparavant qu'il était en si mauvais état. Le jardin, un vulgaire carré entouré d'une clôture autrefois blanche et désormais d'un marron douteux, et infesté de mauvaises herbes. La peinture est écaillée par endroit.

Dans la pénombre, sa maison a les allures d'une maison hantée.

Détachant mon regard de la façade, je sors mon téléphone de la poche de mon jean. À nouveau, j'efface les messages laissés par Eleanor.

De Moi : Je peux venir ?

Colombe me surprend en me répondant deux minutes plus tard :

De Colombe : Pour la millième fois : non. Je suis occupée, ce soir.

Je souffle en éteignant mon écran. Je devrais faire demi-tour. Acheter un pot de crème glacée, rentrer chez moi, me morfondre dans mon coin et revenir demain comme elle l'a proposé. Ce serait la bonne chose à faire. Mais je ne peux pas. J'ai besoin de la voir, maintenant plus que jamais. J'ai besoin de la prendre dans mes bras, qu'elle me dise que sa vie est plus à chier que la mienne et que je ne devrais même pas me plaindre. J'ai besoin qu'elle me balance que je suis un pauvre type, que je suis ridicule, puis qu'elle m'invite à partager un chocolat chaud en sa compagnie. J'ai besoin d'elle, tout simplement.

J'ignore à quel moment elle est devenue aussi importe pour moi, cependant. Nous nous sommes rapprochés sans même le remarquer, au fil des semaines, au gré des jours. Son âme appelle la mienne et la mienne répond à la sienne. Sur le papier, nous n'avons rien en commun, mais c'est ce qui fait que nous nous ressemblons autant. Nous avons tous les deux nos combats, c'est nous contre les autres.

Maintenant que j'y pense, j'ai déjà ressenti de la jalousie — et je ne suis jamais, jamais jaloux — quand elle m'a annoncé côtoyer Gaby depuis cette journée au Starbucks, il y a quelques semaines. J'avais l'impression que Gaby me volait des moments avec Colombe, qu'elle subtilisait une partie de mon cœur. C'est idiot, mais je suis attaché à Colombe, plus que je ne l'ai jamais été avec quelqu'un d'autre.

Je secoue la tête et croise mon regard dans le rétroviseur. Est-ce parce qu'Eleanor m'a brisé le cœur que je vois ma relation avec Colombe d'un autre point de vue ? Ou est-ce qu'au fond, je savais déjà que Colombe représente davantage à mes yeux qu'une simple amie ?

Quelle galère...

Je remplis mes poumons d'air et, avec un regard en direction de la maison de Colombe, détache ma ceinture. Elle est occupée ? Très bien. Elle pourra me fermer la porte au nez, mais, au moins, je l'aurais vu.

Je gravis en vitesse les quelques marches qui mènent à la véranda, la plupart craquent sous moi. Je ne presse pas la sonnette, mais donne trois coups fermes sur le battant en bois, puis enfonce les mains dans les poches de mon jean. Quelques minutes s'écoulent sans que Colombe vienne m'ouvrir. Je fronce les sourcils. Je sais que sa mère est présentement aux urgences à l'hôpital, mais comme ils n'acceptent pas les visiteurs, Colombe ne peut pas être là-bas. Peut-être qu'elle est sortie quelque part et que c'est pour cette raison qu'elle m'a dit être occupée.

Je m'apprête à tourner les talons quand la porte d'entrée s'ouvre dans un grincement. Le visage de Colombe apparaît dans l'entrebâillement de la porte, ses cheveux frisés tombant sur son front et dissimulant en partie son regard maquillé. Ses yeux viennent à la rencontre des miens et elle hausse un sourcil, peu ravie de me voir.

— Qu'est-ce que tu fiches ici ? me demande-t-elle presque en grognant.

Mes lèvres s'entrouvrent pour me laisser parler, mais les mots me manquent. Dans ma poitrine, mon cœur se dilate. Comme je m'y attendais, sa simple présence suffit à m'apaiser. Je lui adresse un léger sourire, qui lui fait plisser ses yeux d'un gris plus sombre que d'habitude.

— J'avais envie de te voir, lui confié-je en sortant une main de ma poche pour la passer dans mes cheveux.

La détresse qui perce dans ma voix apaise un peu le regard de la jeune femme, qui s'éclaircit. Mon amie soupire et secoue la tête comme elle peu dans l'entrebâillement.

— C'est sympa, mais je suis occupée ce soir, Xavier. Tu ne sais pas lire ? Je te l'ai dit en message.

En parlant, elle jette des regards peu assurés par-dessus mon épaule. Je remarque que ses doigts posés sur la porte tremblent légèrement. Je fronce des sourcils et me retourne pour voir s'il y a quelqu'un derrière moi. Mais non, la rue est déserte et seul le silence plane.

— Tu attends quelqu'un ? l'interrogé-je en me réintéressant à elle.

Elle opine du chef, un air bizarre sur le visage.

En même temps, elle ouvre un peu plus grand la porte, et je ne crois pas que cela soit intentionnel. Je balaie en vitesse sa silhouette, et mon cœur rate un battement. Lors de notre première rencontre, j'avais déjà remarqué que Colombe avant un corps sublime. Cette fois, ce n'est pas une robe qui le sublime, mais un jean taille haute moulant ainsi qu'un crop-top qui ne laisse que très peu de place à l'imagination. Elle est maquillée de sorte à paraître plus âgée qu'elle ne l'est en réalité et ses cheveux forment une couronne de boucles autour de sa tête.

Je me racle la gorge en reculant d'un pas.

— Ouais. OK, pas de problème. Je passerais demain. Aucun souci.

J'ai déjà commencé à m'éloigner quand sa main s'enroule autour de mon poignet pour me retenir. La porte grande ouverte derrière elle, Colombe me rejoint sur la véranda et fouille mon regard, à la recherche d'une réponse à une question qu'elle n'ose pas poser.

— Qu'est-ce qui ne va pas ? Ce sont tes parents ? me demande-t-elle finalement, quelques secondes plus tard.

Je fais non de la tête et commence à lui expliquer lorsque je me fais interrompre par le vrombissement d'un moteur. Colombe se tend devant moi et lâche mon poignet comme si je l'avais brûlée. Je coule un regard par-dessus mon épaule et observe une voiture se garer derrière la mienne, un homme dans la quarantaine environ s'y extirpant. Chiquement habillé, il fait tourner son trousseau de clés autour de son doigt, l'enfonce dans la poche de son costard gris et dirige son attention vers nous. Ses yeux glissent sur moi pour se poser sur Colombe. Un frisson d'appréhension me parcourt le corps tandis qu'il lui offre un sourire dénué de la moindre chaleur en s'approchant de la maison.

Sans détacher mon regard de lui, je demande :

— Tu le connais ? C'est un médecin de ta mère ?

Je sens Colombe secouer la tête. Lui refaisant face, je perçois sa soudaine panique et comprends que cet homme, quel qu'il soit, n'est pas un ami.

Avant d'y penser, je me place devant Colombe. Quand l'homme arrive à notre hauteur, elle se décale sur la gauche comme si elle voulait fuir ma protection, mais je me déplace pour lui faire à nouveau barrage de mon cœur.

Peu importe qui est cet homme et ce qu'il lui veut, elle ne partira pas avec elle.

Justement, l'inconnu se racle la gorge, attirant notre attention. Je braque mes prunelles sur son visage, tente de croiser les siennes, mais elles sont fixées sur Colombe. Malgré la pénombre, j'y perçois une lueur sombre qui ne me plaît pas.

Il lisse le devant de son costume.

— On y va, Colombe, tu m'as déjà fait assez perdre de temps en me demandant de venir te chercher, lâche-t-il d'un air ennuyé, s'adressant à elle comme si elle était un chien.

Ma mâchoire se crispe et je m'attends à ce qu'elle l'envoie promener, mais je l'entends soupirer derrière moi. Elle pose la main sur mon avant-bras et tente de m'écarter de son passage, mais je ne bouge pas d'un pouce. L'homme décide enfin de prêter attention à moi. Une barbe de trois jours grugeant ses joues, son regard d'un bleu si clair qu'il en paraît translucide rencontre le mien et il arque un sourcil noir. Je plisse des paupières, puis écarquille des yeux quand je me rends compte que l'homme m'est étrangement familier. J'ai déjà vu son visage. Sur les journaux, à côté des articles dédiés au The Circle of Ghosts.

Si je ne me trompe pas, il en est le propriétaire.

Les ongles de Colombe s'enfoncent dans ma peau et agissent comme un électrochoc en moi : d'un coup, une ampoule s'allume dans mon esprit. Elle travaille pour lui, au bar. C'est pour cette raison qu'il lui demande — non, ordonne — de le suivre. Et c'est aussi pour cette raison qu'elle voulait qu'on la dépose là-bas, la première fois, et que j'ai dû la chercher, il y a quelques semaines. Et je ne crois pas qu'elle est seulement barmaid ou serveuse — pas avec ces tenues, toutefois.

Mon sang se glace dans mes veines et, au visage décomposé de Colombe, je sais qu'elle sait que j'ai compris.

Face à moi, l'homme commence à s'impatienter.

— Colombe, on y va, répète-t-il en détachant chacun des mots.

Cette fois, quand elle me repousse, je me laisse faire.

Elle se poste à mes côtés et croise les bras sur sa poitrine :

— Est-ce que tu peux me laisser cinq minutes, Travis ? Je dois régler quelque chose.

Je secoue la tête.

— On ne réglera rien du tout. Tu ne le suivras pas.

Colombe me fusille du regard, mais je reste impermutable. Travis sort son téléphone de la poche de son pantalon et soupire en voyant l'heure. Il secoue la tête en le rangeant et recule d'un pas.

— Tu trouveras une autre personne pour te déposer, dit-il à Colombe en repoussant une mèche noire de son front. Règle tes petits problèmes avec ton copain, mais je te veux au bar à vingt-et-une heures.

Colombe ouvre la bouche pour protester, mais Travis s'éloigne déjà. Nous le regardons entrer dans sa voiture et quand elle ne devient qu'un petit point au loin, mon amie se tourne vers moi, la mine sombre. Elle lève le bras et m'assène un coup de poing au niveau du torse, qui me fait reculer d'un pas. Après ça, elle tourne les talons et disparaît dans sa maison. D'abord surpris, je sors de mon immobilité et pars à sa poursuite.

Dos à moi, Colombe ouvre la porte de son réfrigérateur pour en sortir une bouteille d'eau. Elle évite mon regard, mais je vois bien qu'elle est furieuse. Son air n'est calme qu'en apparence : nul doute qu'un feu de forêt embrase présentement chacune de ses veines.

— Réponds-moi ! crié-je, son silence jouant sur mes nerfs. Est-ce que tu travailles là-bas ?

Sans lever les yeux vers moi, Colombe débouche sa bouteille d'eau :

— Qu'est-ce que tu ferais si je te disais oui ? Tu me demanderais de démissionner ? Mais, devine quoi, Xavier : grâce à ton petit numéro, je vais peut-être me faire virer ce soir. Merci beaucoup !

Elle prend une gorgée de son eau en s'adossant au comptoir.

Je tire une chaise moi pour m'y appuyer. Mes mains tremblent de rage, mais surtout d'appréhension.

— Je connais la réputation de ce bar, Colombe. Tout le monde la connaît. Ne viens pas me faire croire que tu es seulement une serveuse !

— Je ne vais rien te faire croire du tout, crache-t-elle en déposant sa bouteille avec fracas sur le comptoir. Parce que ça ne te regarde pas, merde ! Tu ne peux pas t'insinuer dans la vie des gens et te permettre de faire des remarques alors que tu n'étais même pas censé être au courant !

Le ton monte vite entre nous, l'atmosphère se densifie, devient étouffante. Colombe a les joues rouges et je suis sûr que je suis dans le même état qu'elle : à deux doigts de faire une crise de nerfs.

— Je suis censé faire quoi, du coup ? Ne rien dire et accepter le fait que tu vendes ton corps ? C'est ça que tu veux que je fasse ?

— Oui ! s'époumone-t-elle. Parce que c'est mon corps. Tu n'as rien à dire sur mes décisions.

— Tu es mineure, Colombe, putain ! Tu vends ton foutu corps alors que tu es mineure ! crié-je en repoussant la chaise et en m'approchant d'elle.

Nous nous retrouvons face à face, yeux dans les yeux, regard furibond dans regard enragé. Son souffle erratique s'écrase sur mon visage et ses pupilles se dilatent de colère. Ses mains, posées à plat sur le comptoir, tremblent violemment. En fait, tout son corps tremble. Je devine à ses prunelles luisantes qu'elle se retient de pleurer.

— Tu as raison, Xavier. Je suis mineure. J'ai seize ans et ma mère, la seule personne qu'il me reste sur cette planète, va mourir. Je suis mineure et, bientôt, je n'aurais plus personne. Plus de maman, plus de famille, rien. Je suis mineure et je dois payer toutes les factures de l'hôpital parce que notre putain d'assurance ne couvre pas tout. Je suis mineure et je dois me comporter comme une adulte et garder la tête haute alors que tout mon univers s'écroule autour de moi. Je suis mineure et je suis forcée de vendre mon corps parce que cette société de merde crache sur les gens dans la misère comme moi !

Elle prend une courte inspiration et je m'immobilise, sous le choc. Ma gorge me brûle, mais pas parce que j'ai hurlé. Elle me brûle parce que ce qu'elle vient d'avouer est horrible. Ses mots me perforent le cœur et le font saigner. Colombe et moi restons en silence quelques secondes, quelques minutes, quelques heures, et je me demande qui fond en larmes en premier. Elle ou moi ? Dans tous les cas, nous nous retrouvons dans les bras l'un de l'autre, à déverser notre peine. Nous pleurons tous les deux pour elle. Le nez enfoui dans mon cou, Colombe sanglote bruyamment et je passe une main réconfortante derrière son dos, la pressant fort contre moi, dans le maigre espoir d'aspirer sa douleur.

Quand Colombe lève la tête, elle se hisse sur la pointe des pieds et dépose ses lèvres sur les miennes. C'est un baiser au goût de détresse. Elle enroule ses bras autour de ma nuque, nos bouches s'entrouvrent, salées par nos larmes. Elle cherche du réconfort en moi, et c'est ce que je lui offre. Je lui permets de déverser toute sa peine en moi, toute sa douleur, tout son chagrin.

Le baiser est lent, tendre, délicat. Nos lèvres s'effleurent, se cherchent. Timides caresses qui font battre mon cœur un peu plus vite dans ma cage thoracique et embrasent mes veines. Je serre Colombe contre moi, son corps tremblant toujours autant. Nous nous rendons dans le salon et nous nous couchons sur le canapé après avoir écarté les boîtes de pizza dessus. J'enlace sa silhouette et, lorsque l'horloge annonce qu'il est vingt-et-une heures, je ne la lâche pas. Colombe ne tente pas non plus de s'échapper de mon étreinte. Elle reste lovée contre moi, les joues humides et le regard perdu dans le vide. C'est la première fois qu'elle ose me montrer le côté fracassé de sa personnalité. En réalité, derrière ses sourires narquois se dissimulait une âme brisée et solitaire.

***

Je passe les quatre jours suivants chez elle, mentant à mes parents en disant que je suis chez Dave. Quand Colombe apprend qu'elle a été virée et qu'elle ne pourra plus payer les factures de l'hôpital, elle déverse ses larmes sur mon épaule, imbibant mon t-shirt d'eau. Je l'accompagne aussi voir sa mère, laquelle ne se trouve pas au meilleur de sa forme. Les médecins n'ont plus aucun espoir pour elle et, avec l'autorisation de Colombe, décident d'arrêter le traitement. Il ne sert plus à rien, le cancer s'est beaucoup trop répandu dans le corps de sa victime. Il a gagné la guerre.

— Ça va aller, maman, sanglote Colombe, la semaine suivante, ses mains pressant celle maigre de sa mère. Tu vas t'en sortir et on ira les voir, ces stupides cerisiers au Japon. On adoptera aussi un chat comme tu l'as toujours voulu, je vais reprendre mes études et tu vas assister à ma remise des diplômes et tu seras fière de moi et...

Son corps est secoué de sanglots, l'empêchant de terminer sa phrase. J'enroule un bras autour de sa taille et, délicatement, l'éloigne de sa mère qui s'est endormie. La machine émet des « bip » réguliers.

C'est seulement trois jours plus tard que les « bip » se transforment en une ligne infinie. Trois médecins se trouvent avec nous quand cela arrive et ferment les yeux tandis que Colombe fond en larmes. Elle chuchote des « non, non, non » en pleurant et se cramponne à la main inerte de sa mère. Je fais un pas vers elle, le bras levé, mais elle secoue la tête et quitte la chambre d'hôpital. Je m'élance à sa poursuite, mais m'arrête en remarquant la présence de Gaby. Je ne savais pas qu'elle allait être là, et je suis soulagé lorsqu'elle s'approche de Colombe pour la prendre dans ses bras. Nous échangeons un regard et hochons la tête en même temps.

La mère de Colombe est morte le deuxième samedi du mois de mai, le jour de la remise des diplômes et, surtout, pendant l'anniversaire de sa fille. 

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