Chapitre 10

Eden

J'ignore à quel moment exactement découvrir Samuel affalé dans mon salon est devenu quelque chose d'anodin. Je ne suis même plus surprise, un peu comme si cela faisait désormais partie de mon quotidien. Aussi indésirable que de la vermine, il s'est pointé pas moins de sept fois chez moi depuis notre baiser, il y a deux semaines environ. Ne vous bercez pas d'illusions : il vient uniquement pour Céleste, je ne compte pas à ses yeux.

C'est à peine si j'existe. Pour lui, je suis invisible. Vilain fantôme de son passé qu'il se force à ignorer. Son regard ne se pose jamais sur moi et lorsque je discute avec ma sœur, il ne réagit pas. Je ne sais pas si cela me soulage ou me vexe. Je n'arrive pas à mettre des mots sur ce que je ressens pour Samuel tant les émotions qui vibrent dans le creux de mon ventre sont contradictoires. Ce n'est pas de l'amour, mais ce n'est pas de la haine non plus. Davantage du désir mêlé à de la rancœur. Je n'ai d'ailleurs plus peur de lui, ce qui est débile en sachant qu'il m'a étranglée et menacée de me tirer dessus. Mon cerveau semble s'être complètement liquéfié à l'instant où ses lèvres se sont posées sur les miennes pour me voler un baiser aussi enflammé que passionné. Torride comme ceux qu'on échangeait lorsque nous étions jeunes.

À ce souvenir, un léger frisson me parcourt le corps.

D'un coup de talon, je ferme la porte d'entrée derrière moi et fonce dans la cuisine pour déposer les sacs de courses. Du coin de l'œil, je vois mon effroyable ex-copain passer un bras protecteur autour des épaules de ma sœur, non sans m'avoir avant jeté un regard curieux. J'arque un sourcil avant de baisser la tête pour me concentrer sur la laitue. Je termine de tout ranger avant de m'installer derrière l'îlot central, mon téléphone entre les mains. Je lance une vidéo YouTube et cherche mes écouteurs dans la poche de mon jean. Je ne compte pas sortir de la cuisine jusqu'à ce que Samuel s'en aille.

Malheureusement, lui et moi ne semblons pas être sur la même longueur d'onde. D'une démarche nonchalante, qui rappelle celle d'un félin, les mains plongées dans les poches, Samuel pénètre dans la cuisine comme s'il était maitre des lieux. Impérieux, indifférent, incroyablement arrogant. Ses bras dénudés montrent ses nombreux tatouages. Spirales colorées qui décorent ses poignets, dessins variés et d'une beauté à couper le souffle. Ses cheveux blonds mi-longs lui tombent devant les yeux, lui obstruant sans aucun doute la vue, mais cela ne l'empêche pas de m'observer. Je déglutis avec labeur quand son regard vient capturer le mien. De l'endroit où je me trouve, assise loin de la porte, impossible de m'échapper.

— C'est la septième fois que je viens chez toi, pourtant tu n'es jamais venue me saluer, lâche-t-il d'une voix rauque. Tu fais une très mauvaise hôte, Eden.

Je hausse un sourcil en me forçant à n'afficher aucune émotion alors que je suis choquée par son culot. Pardon ? Parce qu'il faut que je le salue ? Tant qu'il y est, je devrais aussi lui préparer à manger !

— Excuse-moi, Samuel. Je ne me montre courtoise qu'avec mes invités, par avec les parasites.

Je joue avec le feu, j'en suis consciente. J'ai l'impression que des ailes m'ont poussée, et j'ignore si c'est une bonne chose ou non. Je ne dois pas oublier que l'homme qui me fait face est loin d'être le garçon pour qui je suis tombée amoureuse. Ils n'ont strictement rien en commun. Samuel est dangereux, un vrai fou à lier. Le baiser n'a rien changé. Je peux me mouiller en lui lançant quelques piques, pas plonger tête la première dans l'océan, au risque de me noyer.

Étonnement, le blond ne le prend pas mal. Au contraire, il éclate de rire, ce qui me fait sursauter.

— Aux dernières nouvelles, je suis l'invité de ta sœur. Tu me dois le respect.

C'est la première fois en deux semaines que nous discutons autant.

— Non. (Je me lève et vais me verser un verre d'eau pour avoir une contenance.) Je paye cet appartement, je décide des personnes qui ont le droit d'y entrer. Si tu n'es pas mon invité, tu es une vermine.

À jouer ainsi avec le feu, tu vas finir par te brûler, ma vieille.

Je porte mon verre à mes lèvres et observe Samuel par-dessus. Un sourire amusé et un poil agacé vient étirer ses lèvres comme il s'installe sur le tabouret que j'occupais il y a quelques secondes. Ma mâchoire se crispe quand il s'empare de mon téléphone. Il commence à le manipuler, et je vois rouge.

Avec brusquerie, je pose mon verre sur le comptoir et me rue sur lui pour lui arracher mon portable des mains. Il peut venir chez moi si ça lui fait plaisir, mais il n'a aucun droit de toucher à ce qui m'appartient. Samuel est plus vif que moi et s'empare de mon poignet à l'instant où je lève le bras pour le frapper. Ses doigts s'en emparent avec une délicatesse déconcertante et il m'attire à lui d'un geste ferme, mais loin d'être brutal. L'air quitte mes poumons et j'étouffe un hoquet quand je me retrouve assise sur ses genoux, mes cuisses enveloppant les siennes. Stupide comme il est, mon cœur se met à cogner un peu plus fort face à cette proximité soudaine.

Je prends une courte inspiration. Ce n'était pas prévu. Pas prévu du tout.

Mon Dieu.

Installée comme je suis, à califourchon, nous nous faisons face. Mon regard est plongé dans le sien, prunelles sombres dans prunelles claires, et moins d'une dizaine de centimètres séparent nos deux visages. Je peux voir les imperfections de sa peau, les cicatrices qu'il a récoltées au cours de ces dernières années. Mon souffle se fait erratique et mes entrailles se nouent d'une façon hautement désagréable. Je n'aime pas ce que je ressens. J'adore ce que je ressens. Je veux m'en aller. Je veux rester. Putain. Foutues pensées contradictoires.

Ses doigts sont encore enroulés autour de mon poignet.

— À quoi tu joues ? grogné-je en enfonçant mes ongles dans les paumes de mes mains pour éviter de faire quelque chose que je pourrais regretter.

— Tu n'as pas perdu de ton sale caractère, remarque le criminel, son souffle chaud s'écrasant sur mon visage.

Mes dents se serrent.

— Et encore, tu n'as rien vu.

Je n'aime pas la violence, mais, étrangement, la bête qui sommeille en moi se réveille dès que je suis à proximité de Samuel.

Un sourire fait frémir ses lèvres.

— Mais je ne demande que ça, confie-t-il à voix basse en se penchant vers moi.

Oh, fait mon cœur.

Par chance, je n'ai pas encore perdu toute ma tête. Je recule le buste, creusant ainsi l'écart entre nous. Mes ongles sont toujours enfoncés dans ma peau et créent de légers picotements qui me permettent de garder les pieds sur terre.

— Tu devrais retourner auprès de Céleste. Tu es quand même son invité.

Ma voix, que je voulais tranchante, tremble. Avec son autre main, Samuel m'attrape le derrière de la nuque. J'écarquille des yeux. Quand il tire sur les petites mèches de mes cheveux, mon cerveau se déconnecte complètement. Mon cœur qui bat camoufle le bruit de mon sang qui pulse avec force dans mes tempes. Je ne comprends pas ce qui est en train de se passer. C'est la première fois en deux semaines qu'il tente une approche de la sorte, et je crois que ça me plait. J'en viens même à oublier le problème Xavier.

Je sais que je vais regretter mon comportement plus tard, mais je n'ai pas envie d'être quelque part d'autre qu'ici.

Stupide, stupide, stupide.

Samuel et moi sommes restés ensemble plusieurs années, nos corps sont habitués l'un à l'autre. Les sentiments ne suivent peut-être pas, mais l'attraction physique, si. Mes cellules le connaissent par cœur. Du moins, c'est ce dont j'essaye de me persuader quand ses lèvres se heurtent aux miennes. Au premier effleurement, mon cœur cesse de battre. Au deuxième, j'oublie tout. Ma sœur qui se trouve ans la pièce d'à côté. Mes problèmes. Mes doutes. Mes appréhensions. La seule chose qui importe, c'est le baiser que nous échangeons, féroce, passionné, incroyablement sensuel.

Mes mains se perdent dans sa tignasse blonde, les siennes suivent les courbes de mon corps. Il m'attire plus près de lui, nos corps viennent se presser l'un à l'autre. Nos lèvres se dévorent pendant ce qui semble être une éternité avant que mon cerveau ne revienne à la vie. Il m'envoie un signal électrique qui m'arrache un violent frisson. J'ouvre les yeux, le souffle court, et repousse brutalement Samuel qui partait à l'exploration de mon cou. Le temps qu'il comprenne ce qui se passe, je suis déjà debout. Je fonce dans un coin de la cuisine, le plus loin possible de lui. Il tourne un regard confus dans ma direction et ses sourcils se froncent avec sévérité quand il me voit m'essuyer maladroitement la bouche pour effacer toutes les traces de lui. À un moment, je crois que cela le vexe, que je fasse disparaître notre baiser, mais son visage retrouve bientôt sa dureté habituelle, sa froideur.

Il ouvre la bouche pour parler, sans doute pour me jeter une insulte ou une menace, mais la venue soudaine de Céleste me sauve in extremis. Son regard passe de Samuel à moi, puis revient sur mon ex. Elle hausse un sourcil perplexe, auquel il répond par un rictus sardonique, bien que ses yeux soient fixés sur ma personne.

Il doit sûrement s'interroger sur la meilleure façon de cacher mon corps...

— Vous faisiez quoi ? demande ma petite sœur en approchant son fauteuil de nous.

— Rien, réponds-je au moment où Samuel lâche que nous étions en train de nous embrasser.

Mes joues s'embrasent presque instantanément et je tire sur la manche de mon pull, agitée.

— Pardon ? s'étonne Céleste en écarquillant des yeux.

— Ta sœur embrasse bien, enchaîne-t-il, enfonçant plus profondément le couteau dans la plaie. Surprenant lorsqu'on sait à quel point elle peut être coincée.

Mes doigts sont pris d'un tremblement et ma main forme désormais un poing qui n'a qu'un seul objectif : s'écraser sur la pommette de Samuel jusqu'à ce que le sang coule. Pourquoi m'humilie-t-il de la sorte face à ma sœur ? Il n'y gagne strictement rien ! Ce n'est pas avec ce comportement qu'il m'aura dans son lit – ou peu importe l'endroit où il veut que je me trouve.

La haine que je ressentais auparavant à son passé revient au galop, encore plus forte qu'avant. C'est un véritable feu de forêt qui m'embrase.

— Malheureusement, je ne crois pas pouvoir dire la même chose pour toi, Samuel, souris-je, décidant d'entrer dans son jeu. Le baiser était très bof.

Un éclat mauvais s'allume dans le fond de ses prunelles. Malgré moi, je souris. Vraiment, cet homme fait ressortir le plus mauvais chez moi, et je déteste ce pouvoir. D'ange je deviens démon.

— Mais... murmure Céleste en se grattant la nuque, je pensais que tu voulais sortir avec Xavier. C'est de l'histoire ancienne entre lui et toi ?

Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? Pourquoi mentir ?

J'ouvre la bouche pour lui demander à quoi elle joue, mais le rictus qu'elle m'offre, malicieux, m'ôte les mots. Elle agite les doigts et repart dans le salon comme si elle ne venait pas de jeter une bombe. Je contourne Samuel pour la rattraper et lui demander des explications, mais, encore une fois, il s'empare de mon poignet, me forçant à m'arrêter. Toutefois, sa poigne est plus ferme que tout à l'heure. Il serre suffisamment fort mon bras pour m'arracher une grimace de douleur.

— Xavier ? dit-il d'un ton dur. C'est le garçon que tu cherchais, non ?

Ne voyant pas l'intérêt de lui mentir, je hoche la tête. Céleste m'a foutue dans un beau merdier. Plus vite j'offre les réponses qu'il attend, plus vite il me laissera partir. Et je pourrais étrangler ma sœur. Mon regard vient trouver le sien pour ne plus le lâcher. Un air de défi imprègne ses prunelles, et je suis sûre que j'ai le même. Le baiser passionné que nous avons échangé n'est plus qu'histoire ancienne. Le désir n'est plus, il ne reste qu'une colère sourde et une haine sans fin.

— C'est aussi le garçon que tu m'as permis de retrouver. Merci, d'ailleurs.

Tu n'étais pas obligée de le provoquer...

Sa mâchoire se crispe et un éclat mauvais s'allume dans le fond de ses prunelles. Je jette un regard par-dessus mon épaule, me rappelant soudainement de la présence de Céleste dans le salon. Je suis étonnée qu'elle ne soit pas venue voir ce que nous faisons. Curieuse comme elle est, elle aurait déjà dû être là.

— Tu te le tapes ? me demande alors Samuel.

J'arque un sourcil. S'il y a bien quelque chose qui n'a pas changé, c'est qu'il est toujours aussi cru dans ses propos. Soudain agacée, j'arrache mon poignet d'entre ses doigts. Je replace quelques mèches sombres derrière mes oreilles et le fusille du regard.

— Aux dernières nouvelles, ma vie sexuelle ne te regarde pas, Samuel. Je ne t'appartiens pas, je ne suis pas un objet, tu peux déjà arrêter de me regarder comme si tu me possédais.

— Il n'y a même pas deux minutes, tu étais sur mes genoux à m'embrasser, je te signale !

Je grimace quand il hausse le ton.

Je carre des épaules.

— Et alors ? Je suis une femme, Samuel, j'ai le droit de m'amuser, moi aussi. Il n'y a pas que les hommes qui ont la permission de se faire sauter à droite et à gauche.

La chose est que je n'ai embrassé personne d'autre que Samuel, ces trois dernières semaines. Mais ça, il n'a pas besoin de le savoir.

Samuel pince des lèvres, le regard toujours mauvais, et souffle par le nez. La colère émane de lui par vague, je n'ai qu'à tendre la main et je pourrais effleurer sa fureur. Mais je n'en fais rien. On s'affronte du regard pendant une éternité avant qu'il ne recule d'un pas.

— Très bien, siffle-t-il avec véhémence. Madame est autonome, madame comprendra donc aussi que je ne lui offrirai plus mon aide. Je ne te retiens pas, fait comme bon te semble.

Mes poings se serrent.

— Tu n'as pas à me retenir, nous ne sommes plus ensemble, Samuel. Ça fait quatre ans que notre histoire est terminée, ce n'est pas deux baisers qui vont raviver des sentiments chez moi.

Il baisse la tête, mais je vois quand même son sourire carnassier. Un frisson d'épouvante me parcourt le corps. Je suis allée trop loin.

Samuel ricane, puis se redresse et se dirige vers le salon. Avant de passer le pas de la porte, il me coule un regard presque ennuyé par-dessus son épaule.

— À jouer avec le feu, on finit par se brûler, Eden. Ne l'oublie pas. (Ses lèvres s'incurvent d'un sourire narquois.) Et, à ce que je vois, tu es à deux doigts de t'embraser. 

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