Chapitre II: La forêt
A peine avais-je fait quelques pas dans ce lieu, que je ressentis une atmosphère lourde et pesante, comme si quelque chose comprimant l'air, m'obligeant à gonfler mes poumons. Et pourtant l'air ne manquait pas ! J'avançais prudemment, essayant de ne pas faire craquer de branche sous mes pieds. Je tendis l'oreille, espérant désespérément entendre le chant mélodieux d'un oiseau. Mais aucun bruit. Juste une atmosphère pesante et de plus en plus sombre. Moi qui espérais voir quelques rayons lumineux transpercer la cime des arbres ! Mais non, aucune lumière provenant d'en haut ! Des lueurs émanant du sol me permettaient néanmoins de m'orienter. En regardant de plus près, je vis qu'elles étaient diffusées par une multitude de minuscules champignons qui tapissaient le sol de la forêt. Ce dernier était également recouvert d'une épaisse couche de lichen et d'herbes mélangés. Les arbres, quant à eux, se dressaient tout droit et leurs branches étaient basses, bien que suffisamment hautes pour que je ne puisse pas les atteindre en tendant les bras. Je repris ma route sans vraiment savoir où j'allais. Attiré par ces curieux champignons, je m'approchai de l'un d'eux, et en découpai un petit morceau avec un couteau. À mon plus grand étonnement le morceau coupé continua à émettre sa propre lumière tout comme le morceau resté enraciné dans le sol. Je décidai de le conserver dans ma poche, pensant qu'il pourrait toujours me servir un jour. Un peu plus tard, sentant la fatigue m'envahir, je grignotai un peu, me rationnant, n'ayant pas la certitude de trouver à manger les jours suivants et m'installai pour la nuit.
Soudain, je me réveillai, le sang me montant aussitôt à la tête. J'étais suspendu par les pieds à une branche. Paniqué, je détachai précipitamment les nœuds entravant mes pieds et tombai en arrière. Peut-être aurais-je dû tourner la tête avant de les détacher. J'avais en effet atterri dix mètres plus bas, et une douleur très intense irradiait tout le long de mon dos. Qui avait bien pu me suspendre aussi haut alors qu'il n'y avait visiblement personne ? Une impression de mouvement sur ma gauche me fit brutalement tourner la tête. Rien ! Que des arbres, des branches et des champignons. J'étais en train de devenir complètement fou. Maintenant désorienté, je ne savais même plus par quel côté j'étais arrivé, par quel côté poursuivre ma route, et ce n'était pas la lumière qui allait me renseigner, puisqu'elle se gardait bien de montrer son nez. Tout était sans dessus-dessous. Ma couchette, qui aurait dû me renseigner sur mon orientation, avait été roulée en boule sur un côté. Je contemplai ce désastre les fesses collées au sol, ma douleur m'interdisant toujours de me relever. Je restai là allongé, désespéré, espérant que celle-ci ne soit que momentanée. Je réussis néanmoins à ramper jusqu'à mon sac, que je pu redresser contre un arbre en guise de dossier pour m'assoir. Je pris quelque chose à grignoter, restant là, immobile, essoufflé, adossé à mon sac, aux aguets.
Mon horloge biologique aurait parié sur le fait que c'était le jour, mais je n'étais plus sûr de rien, ni même d'où je venais. Qu'est-ce qui était réel ?
Après un peu de repos, je comptais bien pouvoir à nouveau marcher, mais il faudrait alors choisir une direction. Aller tout droit me paraissait être la meilleure solution. Ainsi je devrais forcément sortir quelque part, en dehors de tout ça. Je me dis que finalement, le nuage qui s'échappait de l'église aurait pu m'être utile s'il avait pu me suivre car il m'aurait renseigné sur la direction à prendre.
Ne sentant plus aucune douleur dans mon dos, je me levais un peu trop vite, réactivant violemment cette dernière, me faisant chanceler puis tomber au sol. Poussant un juron je ne pus que m'adosser à mon sac, et laisser à nouveau un peu de temps s'écouler pour m'apaiser. Bien entendu, aucun changement ne s'opéra sous mes yeux : pas plus de noirceur, pas plus de clarté. Rien. Rien ne changeait et ne semblait vouloir changer dans ce décor. Je finirais à coup sûr par perdre totalement la notion du temps. Tout semblait irréel dans cette forêt : l'air était toujours plat, même pas une brise matinale, absolument rien. Pour couronner le tout un silence inquiétant régnait en maître sur la forêt. Au bout de ce que j'estimais être quatre jours, les réserves que j'avais emportées étaient presque terminées et je décidais de me lever. Si je ne reprenais pas tout de suite le chemin, j'allais mourir de faim. Je poussai prudemment sur les mains, me mettant à genoux. Aucune douleur lancinante ne vint perturber ma progression. Je dépliai alors tous mon corps le sentant craquer de toutes parts. Aucune douleur. Je tentai quelques pas en avant, en arrière, de côté, ne provocant aucun nouvel assaut de douleur. Il se pouvait donc que je sois guéri ! Un regain d'optimisme m'envahit. Moi qui m'imaginai mourir lamentablement ici. J'allai finalement peut-être réussir à sortir de cet étau qui m'oppressait. La vue du bois m'agaçait. Partout où je posais mon regard, il n'y avait que des troncs, des branches, des herbes, du marron et du vert. J'aspirais à d'autres couleurs. Rassemblant mes maigres affaires, dans mon sac, je laissais dériver mon regard dans le vague, plongé dans les méandres de mes souvenirs d'horizons bleus tachetés de rouges, de jaunes, de mauves. Je le jetai sur mon dos, et repris ma marche. La remise en mouvement me fit immédiatement du bien. Déjà, avant, je ne supportais pas l'immobilité, il fallait toujours que je bouge, et l'on me le reprochait souvent. Marcher était donc une délivrance euphorisante. Je me reconcentrai malgré tout, assurant chacun de mes pas pour ne pas trébucher sur une racine.
Je marchais depuis peu de temps lorsque je tombai subitement incrédule sur un arbre gigantesque. Son tronc faisait au moins deux fois la taille de l'église du village. A ma plus grande surprise, je vis instantanément les marches taillées dans l'écorce tout autour menant en haut dans ses branchages. Attiré par la curiosité et faisant abstraction de la peur de l'inconnu, je ne pus m'empêcher de commencer à grimper les marches, oubliant même le vertige qui habituellement s'emparait de moi à plus de deux mètres de hauteur. J'estimais être arrivé à la moitié du trajet lorsque m'apparut un endroit plus plat où se découpait une sorte d'arche dans le tronc principal. Je passai prudemment la tête et vis une pièce immense occupant tout le diamètre du tronc. En revanche elle était dénudée de tout objet. Elle était complètement vide. J'entrepris d'en faire le tour et remarquai aussitôt une fissure dans le sol. M'agenouillant, je me demandai s'il s'agissait d'une sorte de trappe, ou d'un passage qui permettrait de descendre à l'intérieur de l'arbre. Sans réfléchir, j'en poussai alors les deux extrémités.
Un large morceau de bois pivota dévoilant un escalier qui descendait dans l'obscurité la plus totale. Je sortis de ma poche le morceau de champignon récupéré en cours de route, pour m'éclairer. Il émettait une lumière diffuse et claire qui éclairait tout autour de l'escalier, révélant un conduit assez petit mais suffisant pour que je puisse m'y glisser. J'hésitais malgré tout à descendre. Mais de toute façon, que faire d'autre ?
J'accrochai le morceau de champignon à ma veste et entamai la descente en prenant soin de ne rater aucune marche. Je ne connaissais pas la profondeur de ce conduit et ne voulais en aucun cas revivre trois jours de supplice à attendre que mon dos ou autre chose ne me fasse plus souffrir. Je continuais donc lentement ma progression. Progressivement, je m'aperçus que les parois horizontales du tronc étaient recouvertes d'une multitude de petits cristaux argentés qui brillaient, reflétaient et amplifiaient la lumière que leur envoyait le champignon lumineux. Je posai ma main sur la paroi et fus surpris par l'humidité. C'était même une couche d'eau uniforme qui coulait contre les parois. Je ne m'en étais pas rendu compte car elle coulait silencieusement et pas du tout au centre. Pour moi, cela voulait dire que le conduit était parfaitement circulaire. L'aménagement de cet arbre n'avait pu se faire que par des humains ! La nature n'aurait pu façonner quelque chose d'aussi régulier et parfait. Tout à mes pensées, je fus surpris de sentir le sol sous mes pieds. J'étais arrivé en bas de l'escalier.
Face à moi il y avait un tunnel qui avançait tout droit et dont je ne voyais pas le bout. J'étais forcément sous l'arbre et sous terre. L'arbre n'était pas aussi large ! D'ailleurs, sous mes pieds comme sur les parois alentour, la roche avait remplacé le bois. Ici, l'eau coulait partout, aussi bien du plafond que sur les murs. J'ai repris ma progression. Hors du temps, je ne peux dire si j'ai marché longtemps. J'ai été comme réveillé par une vive lumière au bout du tunnel. Etait-ce la sortie de la forêt ? Je pressai le pas, un regain d'espoir m'envahissant tout à coup.
Au bout du tunnel je débouchai sur une immense salle baignée de lumière. Je clignai des yeux, le temps de m'habituer à la luminosité de la pièce. La lumière provenait de cages suspendues au plafond. Impossible de dire ce qui pouvait être à l'origine de cette lumière qui était bien trop puissante. Déçu de ne pas trouver de sortie, désespéré à l'idée de devoir refaire tout ce chemin à l'envers, je m'approchai de la fontaine au centre de la pièce et m'essayai au bord. Je me rinçai le visage. Au moins, l'eau ne manquait pas, et ce n'est pas de soif que j'allais mourir. Puis, me sentant sale je me déshabillai et sautai dans la fontaine. Bien que l'eau fut froide, son contact me fit du bien et je me sentis propre et revigoré. Même mes muscles auparavant tendus s'étaient dénoués. Me laissant sécher sur le côté, je sortis la dernière portion de nourriture qu'il me restait, et appréciai ce qui serait peut-être mon dernier repas. Je ne voyais pas où je pourrais trouver une autre source d'alimentation.
Tout en continuant de sécher, je fis le tour de la salle. Quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsque je me rendis compte qu'en plus du tunnel par lequel j'étais arrivé, il y en avait en fait sept autres. Ils étaient tous de la même forme mais de couleur différente. Celui que j'avais emprunté était blanc comme les cristaux du tunnel. Je décidai de les explorer un par un dès le lendemain. J'espérais seulement ne pas tomber sur un croisement. Je craignais d'avoir à faire un choix. Le mot labyrinthe raisonnait dans ma tête. Je choisirais la gauche, toujours la gauche, mais, je ne voulais pas. Je refluais cette idée au plus profond de mon esprit pour retourner m'asseoir, au bord de la fontaine. Je passai machinalement ma main dans mes cheveux noirs leur redonnant au passage leur forme naturelle. J'enfilai un t-shirt propre que j'avais heureusement mis dans mon sac dans la précipitation de mon départ, et lavai avec l'eau de la fontaine celui que je portais au préalable, puis l'étendais sur le sol. Je renfilai mes chaussures et mon pantalon. Puis dans un coin de la gigantesque pièce installai mes affaires, bien résolu d'y passer la nuit. Je réfléchis encore quelques minutes puis décidai de m'endormir. À peine allongé, je fus submergé par la fatigue et sombrai dans un sommeil sans rêve.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top