Ma mère a raison. Cinq ans c'est long. Je la serre fort dans mes bras. J'ai beaucoup de chance de l'avoir. Sans elle, sans Rosy et sans Adam, je n'aurais pas surmonté son absence. Et aujourd'hui il est là, face à moi. Même s'il a changé et qu'il aspire à d'autres horizons, je vais me battre pour le récupérer. Peu importe le temps que ça prendra. J'ai attendu cinq ans, je peux attendre encore un peu.

En passant dans le vestibule, mon regard se pose sur la petite commode. Celle où nous avions posé notre bougie. Notre bougie qu'il a éteinte la première fois qu'il m'a quitté. Ma mère l'a remplacé par deux sculptures d'éléphants miniatures. Souvenirs de son voyage de noce en Thaïlande avec mon père. Je suis presque certain qu'elle l'aime encore. Elle n'aurait pas exposé ces animaux dans l'entrée si elle était passée à autre chose. J'ai tenté de lui en parler maintes et maintes fois, elle a toujours dévié la conversation. Elle refuse d'évoquer son ex-mari. Cet homme qui l'a trompé. Cet homme qui lui a caché l'existence de son enfant. Cet homme qui lui a menti droit dans les yeux en jurant l'aimer. Mon père... Il me manque parfois à moi aussi. Et puis, je me souviens de ce qu'il nous a fait à moi, à ma famille, à Tintin... L'envie de le revoir disparait. Comment un père peut-il renier son propre fils ? Comment peut-il le laisser tomber amoureux de son autre enfant sans rien dire ? Et surtout comment peut-il dénoncer son fils innocent ? Non, il ne mérite pas l'amour que je lui porte. Il a fait beaucoup trop de mal autour de lui. Son absence est plus que requise.

Je reprends mes esprits avant qu'une certaine colère m'envahisse. J'arrive au premier étage. Martin a laissé sa porte entrouverte. Je passe la tête au travers. Il me tourne le dos et commence à retirer son haut. Beaucoup trop lentement à mon goût. Je ne vois toujours pas son visage. Il semble perdu dans ses pensées à fixer la douche. Je continue de l'observer en silence. Il est toujours aussi séduisant, même de dos. Il a pris des épaules. De vieilles blessures au niveau des omoplates m'interpellent. Il ne les avait pas avant. Du moins la dernière fois que je l'ai vu torse nu. À Malte... Je me demande ce qui a bien pu se passer. Je lui poserai la question plus tard. Là tout de suite je n'ai qu'une seule envie : le rejoindre. Je toque timidement à la porte. Il tourne la tête pour me faire face. Ses yeux... Les frissons d'antan resurgissent. Je suis paralysé contrairement à lui qui me claque la porte au nez. Me laissant seul dans le couloir. Je n'ose pas bouger. Au bout de quelques minutes, j'entends l'eau de la douche s'écouler. Je ne peux m'empêcher de l'imaginer totalement nu, l'eau brûlante déferlant sur sa musculature. Je donnerais n'importe quoi pour me retrouver avec lui.

- Chacha ça va ? me demande ma petite sœur.

- Oh tu m'as fait peur Rosy ! J'étais en train de...

- En train de bloquer sur Tintin oui je sais. Tu viens il faut mettre la table.

Je décide donc de suivre ma petite sœur à contrecœur. Une montée de stress m'envahit. Je me rends compte que ça va être le premier repas de Martin à l'extérieur. Au moment de son jugement, je me suis imaginé nos retrouvailles. Ce ne devait pas être en compagnie de ma mère et ma sœur. J'aurais préféré que l'on se retrouve que tous les deux. Après vu sa réaction tout à l'heure, je me dis qu'il ne serait jamais venu uniquement pour moi. Je voyais les choses différemment. Un peu comme dans les films à l'eau de rose où les deux amoureux se retrouvent à la fin du film et peuvent vivre leur histoire sans embûche. J'ai comme le sentiment qu'ils nous restent encore bien des obstacles à franchir lui et moi. J'espère qu'après le dîner, il me laissera l'approcher pour qu'on ait la discussion dont j'ai besoin depuis cinq ans.

*

- À table !

Ma mère qui annonce le repas... L'odeur de ses lasagnes embaume tout le rez-de-chaussée. Rosy, Adam et ma mère sont déjà installés. Aucune réponse de Martin. Après dix minutes sans signe de Martin, ma mère me fait signe d'aller le chercher. Je m'empresse de monter. Je toque. Aucune réponse. L'eau de la douche s'écoule encore. Étrange... Cela fait presque une demie-heure qu'il est dessous. Je pénètre dans la chambre.

- Martin ? Tout va bien ?

Toujours pas de réponse. Des frissons me parcourent. Mais pas le genre de ceux qui émoustillent. Non plutôt ceux que l'on ressent lorsque l'on a peur. Je me précipite dans la salle de bain. La scène qui s'offre à moi me laisse sans voix. Je retrouve mon taiseux recroquevillé sur le sol l'air totalement paniqué, le regard dans le vide. Je pose ma main délicatement sur son épaule. Il sursaute complètement apeuré.

- Tintin... c'est moi c'est Sacha.

- Sacha... chuchote-t-il tout bas.

On dirait que mon prénom lui provoque l'effet d'un électrochoc. Il se met à sangloter avant de se jeter dans mes bras. Que lui arrive-t-il ? J'essaie de le rassurer du mieux que je peux malgré mon incompréhension totale de la situation. Cela semble le calmer au bout de quelques minutes.

Il commence à reprendre ses esprits. Il semble gêné. Chamboulé par ce qu'il vient de se passer, je n'ose pas lui poser de questions. Je préfère que ça vienne de lui. Ces longues années incarcéré n'ont pas du être une partie de plaisir... Il a surement vécu des choses horribles là-bas.

- Ça va aller ?

Il acquiesce de la tête. Je me lève doucement.

- Je vais te laisser finir de te préparer. Prends ton temps. Si tu as besoin de quoique ce soit je suis là.

- Sacha attends.

Son téléphone se met à vibrer.

Je me retourne pour lui faire face.

- Hmm ?

- ... Non rien. Dis à ta mère que j'arrive dans deux minutes, il annonce en fixant l'écran de son téléphone. Ah et faut qu'on parle toi et moi après le dîner.

Je n'ai pas le temps de lui répondre qu'il me met à la porte. Décidément, je n'arrive plus du tout à le cerner. Tout à l'heure, il était muet comme une tombe et refusait de me parler. Et maintenant, il veut qu'on ait une discussion rien que nous deux. J'ai peur de ce qu'il va me dire et en même temps je suis impatient. Ce sera l'occasion pour nous deux de rattraper le temps perdu où du moins de se dire les choses avec franchise.

Mais avant cela, nous avons un succulent plat de lasagnes à dévorer.

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Pas facile le retour à la vie normale...
À ton avis, qu'est-il arrivé à Martin ?

La suite Vendredi !