Chapitre 1
[Bienvenue dans le second volume de Symphonie de Borée ! La publication tombe à pic pour fêter mon premier anniversaire sur Wattpad. Je souhaite un bon retour aux lecteurs du premier tome et invite les nouveaux venus à faire un tour sur la préquelle. Bonne lecture à tous, en espérant que ça vous plaira. N'hésitez pas à mettre des étoiles si vous pensez que mes chapitres le méritent et, si vous avez du temps, laissez-moi un petit commentaire, je serai heureux de lire une trace de votre passage !]
Depuis mes tentatives de jardin potager, j'éprouvais pour les vers de terre une certaine forme d'affection. Observer un lombric se tordre en tous sens au creux de ma main m'emplissait du sentiment de tenir dans ma paume l'essence de la vie, la même que celle qui ravissait mon cœur ou consumait mes nerfs, la même en plus petit.
A ce moment, j'étais justement en train de me débattre tel un ver arraché à la terre, mais l'énergie n'était pas assez concentrée dans mon corps trop grand pour que mon trouble soit apparent. Mes épaules bougèrent à peine pour tenter vainement de reculer dans le siège du train. Ce siège était comme une barrière qui me poussait sous la lame d'un rayon de soleil. Mes paupières en crépitaient, mon cou chercha une direction où fuir. En vérité, je savais où tombait l'ombre, mais la place était déjà prise.
Agacé, peut-être, par mes gigotements, l'occupant du siège adjacent me tourna le dos et remonta ses pieds contre lui. Il avait retiré ses chaussures dès le début du voyage pour se mettre en boule. L'une d'elle s'était coincée entre les deux valises, installées entre la tablette et les sièges qui nous faisaient face de façon à empêcher quiconque de venir perturber notre intimité en s'asseyant là. L'autre basket avait dû rouler sous la banquette, car elle avait disparu de mon champ de vision, ce dont je me fichais comme d'une guigne.
Mon attention était toute entière dévouée au jeune homme à mes côtés. Je m'étonnais qu'ainsi étalé sur son fauteuil il en respecte si bien les frontières. Pas un centimètre de lui ne dépassait sur mon territoire, à mon grand regret. Il possédait une stature si humble que je ne la désirais que davantage entre mes bras.
Je me forçais à me détourner en sentant la tendresse monter comme la lave dans un volcan. C'était de mes élans protecteurs qu'il devait être protégé.
Je songeais à m'occuper en essayant de rattraper la chaussure perdue, mais soudain suspendit mon mouvement. Tant que le calme régnait, j'avais une chance de me rapprocher de Sacha. Il fallait le faire avant de se pencher, de ramper sous le siège, de se cogner à la tablette, je devais accomplir ma tendresse avant de m'égarer dans les balourdises.
J'humectai mes lèvres et, avec une lenteur excessive, passai un bras autour de sa taille. Mon avant-bras trembla, tendu jusqu'au bout des doigts : je n'osais encore en faire reposer le poids sur le flanc que j'aimais. Cependant, Sacha ne réagissait pas. Il ne tenta pas de communiquer avec moi, ne me repoussa pas non plus. Alors, je m'autorisai à me couler contre lui, au point de caler mon menton contre son épaule. Comme à l'accoutumée, il sentait le vent frais et les fleurs des champs. J'inspirai discrètement en fermant les yeux. Ce n'était pas tout. Il dégageait aussi autre chose, une odeur moins agréable. A bien y réfléchir, ce n'était même pas un parfum, plutôt une boursouflure qui le rendait inconfortable.
Il continuait de m'ignorer. Je me demandai s'il était suffisamment en colère contre moi pour souhaiter effacer mon existence, sinon de la surface du monde, du moins de la surface du sien.
Pour lutter contre l'indifférence qui me menaçait, je le questionnai :
- Tu n'as pas soif ?
Et, redoutant le moment où il ne me répondrait pas, je prolongeai artificiellement mon tour de parole :
- En arrivant, on pourra aller boire quelque chose de sympa. Un soda ou... quelque chose.
Il me fit taire en élevant à hauteur de mon visage la gourde à moitié pleine pour me signifier que nous avions des réserves. Il l'avait gardée dans ses mains après avoir bu tout à l'heure, ne trouvant pas la force de batailler pour la remettre dans le sac plein à ras bord. L'eau clapotante devait être prête pour le thé...
- C'est qu'il fait chaud, fis-je remarquer comme si ça n'était pas déjà une évidence.
Sacha se redressa. Il saisit le rideau et une ombre bienvenue recouvrit mon visage. Un peu confus, j'inclinai la tête en signe de remerciement. Enfin, il s'était tourné vers moi pour me regarder. Il m'adressait une sorte de sourire qui me fit me sentir comme un enfant turbulent qu'on se résigne à écouter parce qu'au fond, on l'aime bien. Sacha, en effet, n'avait pas l'air fâché comme je l'avais craint. Jouant avec une mèche de mes cheveux, il faisait même des efforts pour chasser l'image de sa mélancolie. Il n'en restait pas moins que je me sentais responsable du chagrin qui le rongeait. A cause de moi, il se trouvait entraîné malgré lui vers un monde où je ne lui avais pas préparé de place, parce qu'une part de moi, écervelée, avait dû s'imaginer que notre relation perdurerait pour toujours dans le fantasme et l'idéal.
- J'ai eu ma mère au téléphone, sautai-je à pieds joints dans le réel. Elle m'a posé des questions sur toi.
A vrai dire, il avait fallu lui rappeler que je ne viendrais pas seul pour qu'elle daigne me redemander le nom de mon accompagnateur et pose une question dont je ne saisissais toujours par le sens profond : Sacha était-il gentil ? Ce n'était pas ce qui inquiétait l'intéressé :
- Hum.
La barricade de son mutisme résistait. L'endroit vers lequel nous nous dirigions était le dernier de ses soucis. Évidemment, c'était celui vers lequel elle allait qui lui importait, mais en parler n'était pas une bonne idée. Je revins à la conversation que je m'efforçais d'engager :
- Mes parents vont t'adorer, c'est sûr.
Ma mère pouvait se tranquilliser, bien sûr que Sacha était gentil. Comprenant enfin que je n'allais pas le laisser en paix, il accepta le jeu que je lui proposais.
- Ah oui ? fit-il. Tu leur as raconté quoi sur mon compte ?
- Que tu es formidable. Que t'as un millier de couleurs dans les yeux.
Les idées me venaient les unes après les autres tandis que je dévorais du regard son visage. Si j'essayais de tout dire, jamais l'énumération n'allait trouver de fin. Alors, je réfléchis au plus important.
- Et puis, que tu sens la fraise des bois...
- Tu sais Martin, mon but, c'est pas d'être reniflé.
- Ah oui ?
Ses doigts lâchèrent mes cheveux pour descendre plus bas sur ma joue. Ses regards s'étaient mis à faire des aller-retours entre mes yeux et mes lèvres. Sacha était doué pour ce genre de petits divertissements qu'il savait rendre aussi malicieux qu'irrésistibles.
Je posai ma main sur la sienne.
- Je te promets que tout va bien se passer et qu'on sera heureux.
Le baiser eut lieu, léger comme si nous embrassions, pour l'aider à guérir, les bords d'une plaie encore vive. Ce fut suffisant pour que j'oublie, le temps d'une seconde, que nous étions assis dans le sens inverse de la marche.
Nous nous écartions à peine l'un de l'autre que je sentis quelqu'un me tapoter l'épaule. En me retournant, je vis une femme, entre trente-cinq et quarante ans, les cheveux joliment arrangés en carré, qui affichait un air aimable. Elle tenait ses bras croisés sur sa poitrine et ses épaules remontées comme si la climatisation lui donnait froid. Je me penchai vers elle, curieux de savoir en quoi je pouvais lui être utile.
- Excusez-moi, commença-t-elle en souriant, pourrais-je vous demander de ne pas répéter ce geste ? Ma fille est assise juste là-bas, il y a des choses que je n'ai pas envie qu'elle voie.
Je restai coi, ne sachant que répondre. Ça me semblait avoir encore moins de sens que ma mère et son histoire de gentillesse. Mais Sacha, moins lent que moi à admettre l'offense, poussa un soupir sonore, excédé, et retourna bouder à la fenêtre sans même jeter un regard à la charmante outrageuse.
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