Chap 14 : Saan'ee
La mâtinée s'avéra délicieusement merveilleuse. La nuit avait été revigorante, et mes souvenirs brumeux et maussades de la veille s'étaient évaporés avec les premières lueurs de l'aube. J'avais joyeusement bondis hors de mon lit, complètement déboussolée mais réellement frétillante. Bien que la veille se dévoilât totalement floue à mes yeux, aucune angoisse ne m'avait sauté à la gorge. La découverte d'une chambre inconnue ne m'avait pas paniqué ; la situation n'avait fait qu'exacerber mes sens.
Le lit de camp défait à mes pieds s'était retrouvé rangés avant que je n'ai pu réaliser mon réflexe et j'avais passé plus de temps à faire ma toilette qu'à me demander comment entreprendre les événements.
Finalement, j'étais descendue comme une tornade dans la grande salle où j'avais pu retrouver tous mes compagnons. Mes compagnons.
Le mot avait fondu dans ma bouche comme du miel chaud une nuit fraîche. Bien sûr, mon excitation s'était rapidement assagie, inévitablement écrasée par l'appréhension de leur ressenti à tous.
Au final, tout s'était déroulé si vite que, plongée dans le bain des activités de chacun, je n'avais pas eu beaucoup de temps pour réfléchir posément.
J'avais tenté d'apporter mon aide au mieux tout en évitant la tempête obscure que représentait le grand chef. Je ressentais clairement sa colère envers moi, aussi nettement que si j'avais pu la toucher. Pourtant, je ne me souvenais pas avoir donné matière à l'attiser.
La veille, il s'était pourtant comporté de façon bien plus douce et complaisante... Rien à voir avec l'homme d'aujourd'hui.
Nous avions emballés et accrochés nos affaires éparses aux chevaux, avions grassement payé l'aubergiste avant de prendre la route alors que les rayons du soleils étaient à peine visibles.
Néanmoins, le temps s'écoulant, je me sentis très rapidement à ma place. La nature m'appelait de tous les côtés, j'étais si friande, curieuse et ouverte à ce qui m'entourait que les rares questions du vieil homme à mes côtés finissaient invariablement sans réponse. Il ne s'en formalisa pas et cessa de me questionner, se contentant de m'observer à la dérobée lorsqu'il pensait ne pas être vu.
Je n'avais juste pas la tête à communiquer.
Les quelques éclats de rire dans mon dos parvenaient à me raidir à chaque fois, comme si le calme qui m'entourait était déchiré par les sons et que je revenais brusquement à la réalité. Je passais plus de temps l'esprit évadé que bien en place à penser aux choses à venir.
Le monde se rappelait à moi lorsque la haute stature du commandant chevalier se profilait à l'horizon. Je me demandais alors ce qui nécessitait une si grande distance et cherchais à comprendre la raison de son animosité à mon égard.
D'ailleurs, il venait justement d'interrompre sa course et patientait maintenant en haut d'une colline d'où il nous observait.
Puis il fit demi-tour et dévala la pente.
Dés lors qu'il parvint au pieds du coteau au petit trot, un malaise me saisit indiscutablement. J'étais incapable de savoir pourquoi sa présence m'indisposait tant, mais je ne parvenais pas à être tranquille quand il se tenait non loin de moi, son regard froid et insondable posé sur moi.
Il se positionna près de Obin et s'arrêta net en m'ignorant ; nous l'imitâmes. J'avais eu la chance qu'il accepte que je garde mon destrier, bien qu'il sembla penser que cela attirerait les foudres de mère Prima.
J'y avais mûrement réfléchis et la seule raison qui avait pu porter en ma faveur fut qu'il refusât que je finisse sur le cheval avec lui – ou un autre de la troupe.
-Nous allons rejoindre la route. Nous prendrons la direction du village de Dal'li pour la déposer là bas. Il y a une église, nul doute qu'ils l'accueilleront à bras ouverts.
Ma salive resta bloquée dans ma gorge. Les autres chevaliers s'étaient approchés, défaisant sciemment notre ordre.
-Mais... commença Obin.
-Je croyais que cette histoire était réglée ? Dal'li est un petit village, rien à voir avec une grande ville comme tu l'avais dit ! soutint Ro'oger.
Le regard que leur retourna Keedan n'avait rien à envier à celui d'un roi.
-J'ai dit ; à Dal'li, gronda-t-il avant de faire demi tour.
Mais au lieu de grimper la colline, Keedan la longea en suivant le sud. Les autres se jetèrent un regard, et Obin m'encouragea à reprendre la route.
- Ne t'en fais pas, il peut très bien changer d'avis à nouveau. Ça lui arrive souvent, en ce moment.
La tentative de réconfort du vieil homme me fit sourire bien que sa plaisanterie tomba à plat. J'étais sincèrement touchée qu'ils prennent ainsi tous mon parti.
-Je ne cause que des soucis, chuchotais-je. Je suis désolée.
Le vieillard agita la main devant son visage comme pour repousser une mouche.
-Ne te préoccupe pas de ça, va, ta compagnie est fort agréable. Comment s'appelle-t-il ? Ajouta-t-il avec brusquerie.
-Pardon ? fis-je, désarçonnée par son changement de sujet.
-Ton cheval. Enfin, si l'on puis appeler ça un cheval.
-Oh. Euh... il n'a pas vraiment de nom.
La végétation se fit plus luxuriante et bientôt nous nous trouvâmes de nouveau dans une forêt, suivant un sentier bien démarqué. Pour une fois, Keedan semblait connaître le chemin. A moins qu'il ne se dirigeât autrement ?
-Tu ne lui en as pas donné ?
-C'est que... (je soupirais) Il s'appelle Torto. Je trouve ce nom atroce. Mais je n'ai pas le droit de le renommer alors...
-Si ce sont les lois du couvent, tu n'y es actuellement plus. Je suppose que tu es en droit d'en choisir un autre, non ?
Je pris un temps de réflexion pour analyser ce qu'il venait de proposer. Ce n'était pas idiot, mais cela faisait tellement longtemps que je ne me préoccupais plus du fait qu'il n'ait pas de nom. Généralement, je lui donnais du « mon beau » ou du « mon grand ». Je ne communiquais de toute façon jamais par la parole avec lui. Je me sentais plus proche ainsi.
Je lui caressais l'encolure. Et en relevant mon regard, j'entraperçus un instant une silhouette basse dans les sous-bois. Une silhouette canine avec deux oreilles bien triangulaire et une fourrure sombre. Ainsi que des cornes. Je fronçais les sourcils et clignais les paupières.
La silhouette disparue. J'eus beau y regarder à maintes reprises, je ne revis plus l'animal.
-Vous l'avez vu ? demandais-je à Obin.
-Vu quoi, ma chère ?
Je sondais les bois sans résultats. C'aurait été ridicule de lui en faire part. Je fis donc mine d'avoir aperçu un splendide papillon de la taille de ma main, doigts écartés. Nos contrées étaient peuplées d'animaux plus gros que des chats, donc mon mensonge n'en était pas réellement un. La déesse aime les créatures terrestres, aériennes et aquatiques, il n'y avait rien d'étonnant à croiser des créatures surprenantes.
Toutefois, j'étais persuadée qu'il n'existait pas de loups. Les loups de nos terres ont été exterminés des années auparavant, bien avant que je vienne au monde. Il nous reste les renards, les coyotes, peut-être quelques ours plus au nord, vers les montagnes. Mais je n'ai jamais entendu parler de personnes ayant vu des loups.
Après tout, j'avais certainement aperçu un coyote. Un coyote très très très grand. Très poilu. Et Sombre. Avec des cornes. Seuls les loups possèdent des cornes. Et les cefs, bien entendu, mais ce n'en était clairement pas un.
Je grimaçais.
Peu importe ce que j'avais pu voir, ça n'y était plus. Les coyotes peuvent être dangereux, mais ils ont souvent peur de l'homme, et ne l'approchent pas à moins d'une excellente raison. Si je ne désirais pas me ridiculiser maintenant, il valait mieux que je ne dise rien. Et puis, nous n'étions pas en danger, à fortiori.
Après quelques minutes de silence, Obin repris la parole. Il dérivait d'un sujet à un autre avec une aisance étonnante, sans jamais me perdre. Il m'apprit beaucoup de choses en peu de temps. Notamment la fameuse « Boucle » que leur groupe effectuait chaque année.
Ils partaient de Sto'orak, la capitale des montagnes de Storakos, puis entreprenaient un long périple durant lequel ils longeaient la Région Ru'ubis, les côtes du sud puis le Désert d'Illios pour rentrer à leur camp. Leur ronde incluait donc les montagnes, une grande partie de la forêt d'Il'lis, les plaines d'Elandis et le pays Gaarog, ainsi que les régions indépendantes limitrophes au Désert d'Illios.
Lorsque je demandais pourquoi ils ne pénétraient pas dans la Région Ru'ubis, Obin me décrivit les relations politiques quelques peu délicates qu'entretenaient la Légion Rouge et La Stora ces dernières années, instaurant ainsi un périmètre de partage à ne pas franchir.
-Cela n'empêche en rien les guerriers de ces deux patries de se respecter et de se soutenir en temps de crise. Mais sinon, les conflits éclatent régulièrement. Nous sommes des guerriers et nous aimons confronter nos...
-Ego surdimensionnés ? ricana Ro'oger qui avait remonté notre cortège jusqu'à se placer à mon côté, modifiant ainsi les rangs discrètement.
-... différents apprentissages, poursuivit le vieil homme avec un air pincé.
Je souris malgré moi. Ro'oger semblait le plus insolent de la troupe et ne mâchait jamais ses mots. Son sourire ne le quittait jamais, pas plus que son air taquin toujours accompagné de clin d'œil et d'œillade aguichante. Un véritable prince dans sa coure. Ou un fripon, comme aurait dit la vieille Hagua.
Lorsque je compris que je le dévisageais un peu trop intensément, je rougis et me détournais.
- Pourquoi a-t-il encore changé d'avis ? fit Merlan en se postant à la gauche de Obin, imitant ainsi son compagnon.
Le doyen se contenta de hausser les épaules.
- Je n'en ai pas la moindre idée. Je l'ai rarement vu d'humeur si soucieuse et morose... ( il s'agita sur son cheval en grimaçant ) Je commence à avoir mal à l'arrière train, moi. Je me fais vieux. Corantin ! cria ensuite Obin à l'adresse du jeune homme resté dans notre dos. Va demander à Keedan de trouver un coin pour faire une pause, je cris grâce !
Je tournais la tête assez vite pour voir l'expression agacé du garçon qui obtempéra néanmoins à la demande du vieillard. Il fit claquer sa langue et sa jeune jument grise visiblement très fougueuse se lança aussitôt en un joyeux galop, naseaux dilatés et oreilles en avant.
Je les regardais nous dépasser, impressionnée par l'aisance avec laquelle Corantin chevauchait cette tornade sur patte. Elle était très basse de taille, avec des jambes courtes mais un corps parfaitement équilibré. Une très belle bête, en somme.
- Chuut, toi aussi tu es beau, fis-je à mon cheval lorsque celui-ci renâcla.
Corantin et Keedan revinrent ensemble d'un pas tranquille plusieurs longues minutes plus tard. Merlan et Ro'oger retournèrent à leur place avant que le guerrier ne leur fasse les gros yeux. Le commandant indiqua une zone herbeuse en retrait du sentier que nous suivions et nous nous y installâmes, envahissant un espace suffisamment dessiné entre les arbres pour y partager un repas frugale, le temps d'une bonne heure. Ainsi, nous pûmes soulager nos muscles endoloris par la longue chevauchée. Pour être tout à fait honnête ceci-dit, il ne me sembla que seuls moi et le doyen avions du mal à suivre le rythme. Les autres guerriers, sans surprise, restaient frais et pimpant comme s'ils revenaient d'une longue balade tranquille.
C'était impressionnant, et j'enviai leur résistance si flagrante. Peut-être qu'un jour, à force de l'y accoutumer, mon fessier ne me ferait plus souffrir comme en cet instant ?
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