Chap 11 : Keedan

Le guerrier tentait vainement de ne penser à rien. Mais plus le temps passait, plus le poids chaud et tendre dans ses bras se rappelait à lui.
 Les interrogations, l'agacement et le remord s'entrechoquaient dans sa tête en un enchevêtrements inextricable. Reprendre son sang froid et analyser calmement la situation sont deux qualités qui, d'ordinaire, sont caractéristiques de sa personnalité et qui pourtant lui faisaient cruellement défaut en ce instant d'incertitude.

Finalement, il avait récupéré la chaîne dont il voulait tellement se défaire quelques heures auparavant. L'inquiétude le taraudait, instillant un mal-être dont il n'était pas coutume. 

Après avoir pleuré en silence, la jeune fille blotti contre son torse avait fini par s'endormir une heure auparavant.

Keedan ne savait pas ce qu'il lui avait pris. Il n'avait pas réfléchi aux conséquences et il s'en mordait maintenant les doigts. Qu'allait il bien pouvoir faire d'elle ? Qu'allaient dire les autres ? Et qu'allait-il bien pouvoir leur dire pour expliquer son échec en tant que capitaine ? Revenir sur ses paroles allait faire de lui la risée de ses compagnons. Et il ne pourrait même pas se défendre car il n'aurait rien à justifier. Aucune raison rationnelle ne l'avait poussé à sauver la jeune fille.

Le guerrier soupira.

Finalement, épuisé mentalement, il abandonna la partie.

Demain. Demain il verrait. Après une bonne nuit de sommeil, tout lui apparaîtrait plus clair. Pour l'heure, il devait rejoindre ses compagnons au lieu de rendez vous.

La journée défila. Le temps s'écoula. Il ne mit son cheval au trot qu'à rares reprises. Parfois, il s'assurait que l'hongre de la jeune fille suivait toujours, jusqu'au moment où il dû admettre qu'attacher ou non, l'équidé restait étonnement fidèle. 

Il s'arrêta en chemin pour faire boire les animaux et la jeune sœur. Mais celle ci était plongée dans un étrange sommeil dont il ne parvenait pas à la faire sortir. Il s'inquiéta plus d'une fois, mais se rassura bien vite car elle lui avait paru presque normal au départ du Couvent.

La nuit était tombée lorsqu'ils parvinrent à l'auberge. Ils avaient chevauché toute la journée et l'état de la fille ne s'était pas améliorée. Elle se mettait parfois à s'agiter dans ses bras en gémissant. D'autres fois, elle restait stoïque, mais éveillée dans ses bras. Mais dans chacun des cas, la Sœur paraissait absente et fiévreuse, presque convalescente, de la même façon que si elle se remettait à peine d'un traumatisme où d'une rude maladie.

Quand Keedan vit enfin se découper la silhouette de l'habitation accolée à la forêt et à la route, il se félicita de ne pas s'être égaré. Si conduire des armées à la guerre était un de ses talents, celui du sens de l'orientation n'en faisait assurément pas parti.

Il entraîna les chevaux vers l'écurie avec soulagement. La jeune fille avait les yeux ouverts, mais il n'était pas certain que son esprit soit réellement présent. Il descendit de Royal et l'aida à mettre pieds à terre.

Il dut la maintenir par l'épaule pour qu'elle ne s'écroule pas. Dans un soupir agacé, il la secoua pour la ramener à elle.

Elle leva lentement son visage vers lui. 

Son souffle lui manqua. 

Ses yeux s'étaient transformé en un or fondu stupéfiant, miroitant d'une vie propre. Il fut happé par ce regard et sombra dans un abysse déroutant où le monde sembla disparaître autour de lui. Ses pieds ne touchaient plus terre, et ses pensées se dissipèrent comme la brume sous le soleil.

Le soleil. C'était comme se retrouver en communication directe avec lui. Chaud, présent comme un lourd manteau de bonheur brut. Il était subitement devenu le centre de l'univers. Parce qu'elle le regardait. Elle ne le regardait pas seulement lui, mais son âme, son être tout entier au plus profond de sa chair. Elle tenait son cœur dans ses mains d'un simple contact visuel.

Il n'était plus rien. Il ne désirait rien de plus que ne plus jamais perdre cet instant magique.

Elle tendit une main. Il s'inclina. Ses doigts frôlèrent ses cheveux.

Elle tendit le cou. Il se pencha davantage. Ses lèvres effleurèrent son oreille.

-Mon Ashil'.

Sa voix sonna comme un gong. Le guerrier frissonna, son sang ne fit qu'un tour et son âme vibra comme si le soleil l'avait embrasé de sa magnificence. Ce n'était pas un désir, c'était une promesse. Une promesse inébranlable, taillée dans les veines, marquée au fer dans son esprit, imprimé dans sa peau.

La jeune sœur cligna des yeux et ils retrouvèrent leur couleur lunaire. Le monde retrouva sa place autour du guerrier. Il inspira comme s'il venait de renaître. Les sensations lui revinrent brusquement comme si elles n'avaient jamais disparu et son cœur sembla chuter comme une pierre dans son thorax.

Un sentiment d'abandon et de trahison l'envahi. Jamais il n'avait ressenti quelque chose de si intime et absolu.

Il se redressa, reculant d'un pas incertain. La jeune fille l'observait, légèrement hébétée.

-Monseigneur, fit-elle dans un soupir avant de s'écrouler sur elle-même comme une fleur coupée net.

Il eut tout juste le temps de la rattraper. Il grogna comme un homme pris au piège, dissipant les derniers vestiges de l'instant passé. Il se sentait fatigué mais surtout perdu. Le corps de la sœur gisait à nouveau dans ses bras et il ne pouvait s'empêcher de savoir que jamais il ne se débarrasserait d'elle. Il le savait aussi sûrement qu'il se connaissait.

Était-ce le destin ou les divinités qui jouaient avec lui ? Il n'en avait pas la moindre idée. Mais ce dont il était certain, c'est que son avenir était inextricablement mêlé à celui de celle qu'il soutenait, et qu'il était trop tard pour s'en défausser.

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