Chap 10 : Saan'ee

Saan'ee

10

Lorsque je repris connaissance, je me sentais comme flotter dans les airs. 

Puis je devinais que des bras puissant me soutenaient. J'entrouvris les paupières et aperçu le visage fermé et sévère du guerrier Keedan. Mon corps bougeait au rythme de ses pas.

- Que faites vous ?! fit la voix de Mina quelque part non loin de moi.

- Je répare ma faute, ce n'est pas ce que tu voulais ? grommela le guerrier en réponse.

Je me sentais faible, si faible et si fatiguée ! Mes yeux se fermèrent d'eux-même. J'étais engourdie et frissonnante. Mon tourment était pourtant terminé, mais mes membres ressentaient encore le venin du pouvoir de Mère Prima. Je voulais juste dormir. Je ne m'inquiétais plus de savoir ce que le guerrier allait faire de moi. 
Rien n'avait autant d'importance en cet instant que rejoindre le pays des songes.

- Où l'emmenez vous ?

- Loin de cet enfer rempli de vieilles folles, répondit Keedan dans un grognement visiblement mécontent.

Mon corps ne me répondait plus. Je le sentais éreinté. Alors je lâchais prise et me laissais de nouveau entraîner dans une douce torpeur.

Je repris conscience étendue contre une motte de foin. À quelques pas de là se trouvait le cheval du guerrier qu'il entreprenait de harnacher. Mina s'était assise à mon côté, silencieuse. Quand elle vit que j'étais réveillée, elle me sourit et se mit à me caresser les cheveux.

- Comment tu te sens ?

- Vaseuse, répondis-je d'une voix pâteuse.

Elle rit, attendrie. J'adorais son rire. Et sa présence. Elle avait quelque chose chez elle qui me charmait sans cesse. Bien que je ressentais toujours un peu de rancœur à son égard, je savais qu'elle mériterait son titre de Mère, lorsque la Mère Prima laisserait sa place. Mère Mina. Cela sonnait bien.

Mina jeta un coup d'œil au guerrier et chuchota :

- Il va t'emmener. Les Saintes sont encore au sous sol il me semble. Il s'est passé quelque chose... quelque chose de grave. Je n'ai pas tout compris, mais elles ont envoyé chercher toutes les jeunes Sœurs pour leur prêter main forte. J'ai préféré rester ici...

Ah oui, le fameux démon Illios. Je me demandais si je n'avais pas tout rêvé. J'inspirai profondément. Je tentais de me redresser, mais ne réussis qu'à me tortiller misérablement. Mina dût me donner son bras pour que je puisse m'asseoir. J'avais la sensation qu'on m'avait retiré toutes mes forces et qu'on avait ensuite piétiné.

- Ça y est, tu es réveillée, fit Keedan en s'approchant. Tu te sens capable de monter à cheval ?

Je pris le temps de réfléchir avant de secouer la tête. Je ne pensais pas mes jambes aptes à supporter mon poids, aussi misérable soit-il.

- Très bien, alors c'est parti, fit-il en me saisissant sous les bras.

D'une traction, il me mit sur pieds et me soutint aussitôt en réalisant que je ne tenais pas debout. Ma tête me tourna, suivi d'un si gros vertige et d'une envie de vider mon estomac que je crus m'évanouir. Je n'avais pourtant mal nul part.

Keedan m'approcha de son étalon et me souleva sur la selle. Mina l'aida à m'installer et il monta à ma suite. Ma tête dodelinait et je ne parvenais pas à me tenir droite. Monter à cheval m'aurait été parfaitement impossible, sans aide.

- Mon cheval ! S'il vous plaît, prenez mon cheval, m'écriais-je d'une voix éraillée, à bout de souffle.

Mina et Keedan échangèrent un regard. Le guerrier sembla réfléchir, puis hocha la tête. Mina couru chercher mon destrier.

- Je croyais que ce n'était pas le tien, me dit-il.

- C'est mon préféré.

- Il n'a pas de nom ?

- Si, Torto. Mais c'est celui qu'on lui a donné ici. Je ne l'aime pas. Mais je n'ai pas le droit de le renommer, sinon cela prouverait que je me suis attachée à lui et on.... je m'interrompis, incapable de prononcer plus de mots.

Même parler me semblait au dessus de mes forces. Mais le guerrier de La Stora n'en demanda pas d'avantage. Il saisit les rennes de Royal et referma ses bras autour de moi ; mais cette fois-ci, je sentais que c'était plus pour m'empêcher de tomber que de m'échapper.

Mina revint quelques secondes plus tard avec mon équin harnaché. Elle lui avait mis la selle à la va-vite mais son filet était bien attaché. Elle l'arma au cheval de Keedan et me tendit un manteau avec une capuche.

Ce n'est qu'en me tournant vers le ciel que je réalisais qu'il pleuvait. Une pluie fine, quasiment inaudible. Keedan me dit de bien m'installer et de ne pas me pencher. J'obtempérai, gênée de sentir son torse chaud contre mon dos.

Il avait une odeur de cuir, de terre et de pins. Une odeur typiquement masculine qui contracta désagréablement mon ventre. Le tout se mêlant à l'effluve du cheval.

Mina m'observait avec un regard triste. Je ne voulais pas qu'elle pleure. Je le lui avouais et elle me répondit que j'allais lui manquer, mais que je ne pouvais plus rester, à présent. Elle s'excusa aussi de la part de toutes les Saintes de ce qu'elles m'avaient fait, et m'assura qu'elles ne l'avaient pas voulu et qu'elles s'en voudraient certainement.

Je pensais à Sainte Syl'via et j'eus de la peine pour elle. Mais Mina m'annonça, comme si elle avait vu l'interrogation dans mon regard, que Sainte Syl'via n'avait pas pris part à l'exorcisme. Elle ne s'y était pas opposé, mais elle avait refusé d'en faire partie. Et je sus que mon départ la rendrait malheureuse.

Au moins avais-je la satisfaction de savoir que je manquerai à deux personnes ici. Mina m'embrassa la main en me souhaitant bon courage, puis recula. Keedan était impatient de partir et il nous le faisait bien comprendre. Son étalon piétinait, tout aussi pressé de galoper que son maître.

Puis nous prîmes la route, traversant la cour déserte au petit galop.

Cependant, avant de franchir le portail, je me contorsionnais dans les bras du guerrier pour jeter un œil derrière nous.

En haut des marches, sur le pas de la Grande Porte, se tenaient deux silhouettes. La plus petite était sans aucun doute Mina. La seconde ressemblait à s'y méprendre à Syl'via.

Les deux silhouettes me firent un signe de la main.

De fatigue et de tristesse de devoir les quitter, les larmes roulèrent sur mes joues, puis ne s'interrompirent plus. Je me mis à sangloter silencieusement alors que les réminiscences de la douloureuse torture que j'avais vécu me revenaient en mémoire. Je n'avais jamais rien subi de pareil auparavant. J'avais bien été battue avec une règle à quelque rares reprises, mais ce n'était en rien comparable.

Royal repassa au trot, et je finis par ravaler mes sanglots.

Nous parcourûmes le chemin de terre battue à une allure régulière. Parfois la pluie s'intensifiait avant de se tarir quelques temps. Il était difficile de s'imaginer que quelques heures plus tôt le ciel était aussi bleu qu'un corbeau était noir.

Nous restâmes tout deux silencieux. Le guerrier de La Stora me maintenait fermement, au cas où je ne bascule de côté, mais il ne semblait pas vouloir me retenir outre-mesure.

Les minutes s'écoulèrent, durant lesquelles je me sentais curieusement déphasée. Les sons me parvenaient camouflés, assourdis.
 Mes sensations étaient comme engourdies ; pourtant, les couleurs et les détails de ce qui m'entouraient apparaissaient d'une précision incroyable, plus délicats, avec une finesse surprenante. Les choses avaient une résonance et j'avais le sentiment de communiquer avec chaque brin d'herbe, chaque souffle du vent, chaque respiration animale. Un rêve m'aurait certainement donné la même impression de fausse réalité. Car c'est ce que je pensais ; rien n'aurai pu mieux expliquer la sensation que j'éprouvais.

Je sentais mon destrier à l'arrière, et je savais sans le voir qu'il avait les oreilles attentives, à l'affût d'un ordre de ma part. Je dénichais l'écureuil dans l'arbre à deux pas avant qu'il ne saute de sa branche et se rende visible. J'entendais les huit sabots heurter le sol tendre en une harmonie doucereuse, tandis que les gouttes de pluie raisonnaient dans la forêt en un assortiment de symphonies merveilleuses à écouter.

Les brins d'herbe semblaient s'incliner à notre passages, de même que les branches basses des arbres se courbaient comme pour nous inviter à nous enfoncer dans les broussailles. Tout était bruyant de vie, de murmures et de chuchotements. La nature frétillaient littéralement autour de nous. J'avais le sentiment que la forêt entière s'était peuplée de fées heureuses de me voir et de nous accueillir dans leur monde.

Et puis subitement, tout s'interrompis. Tout disparu. Le monde devint de nouveau flou, grossier, silencieux et fade. La fatigue m'envahie comme une chape de plomb et dans un dernier long soupir, je m'endormis.

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