Chap 1 : part 3 (Saan'ee)


̶ Ma petites, nos contrées regorgent de nombreux dangers. Les monstres sont présents partout, certes moins dans notre région, mais il y a des lieux où les caravanes et les voyageurs sont obligés d'engager des protecteurs pour leur sécurité. Tu ne le savais pas non plus ?

Je n'avais jamais su toutes ces histoires. Seules les Cadettes et les Benjamines avaient droit à l'institution, et notre savoir se résumait à peu de choses sur notre monde. Je réalisais seulement maintenant combien mes lacunes à ce sujet étaient importantes.

̶ Alors, ces chevaliers qui viennent d'arriver, ils voyagent partout ?

Hagua eut une moue de réflexion et hocha son menton fripé. Elle devait bien avoir au moins soixante hivers, mais sa vivacité égalait celle de Syl'via.

̶ Et bien, il me semble que oui. Cependant, seuls quelques groupes de La Stora parcourent nos régions. La Legion Rouge, par exemple, n'est présente que pour les guerres, et sillonnent les côtes. Après, nous avons bien entendu la Caste de nos compères, qui élèves leurs enfants comme des combattants. Une partie du moins. L'autre se constitue essentiellement de prêtres, tout comme nous.

Je hochais la tête tout en fronçant les sourcils. Cette histoire, cependant, je la connaissais bien. J'avais toujours considéré cela comme injuste que la Caste féminine ne fassent pas de nous des soldats comme eux.

J'aurai aimé apprendre autre chose que la prière.

̶ Si seulement nous aussi nous pouvions avoir le choix, grommelais-je avant de relever la tête, prise d'une question soudaine : Mais, maintenant que j'y pense, cette femme que tu as appelée... l'héritière de Ska'aros . Comment peut-elle combattre en étant une femme ?

Toute heureuse d'avoir une oreille attentive et passionnée, Hagua se fit un plaisir de répondre à ma question.

̶ La famille Ska'aros a toujours été composée des plus célèbres combattant. Que ce soit la Légion Rouge ou les Guerriers de La Stora, aucune de ces armées ne rejettent les femmes, bien au contraire ! Tu sais, ces chevaliers fonctionnent un peu comme notre Caste ; ils recrutent des enfants en bas âge et leur apprennent tout. Ensuite, lorsqu'ils ont l'age, ils sont adoubés et rejoignent l'armée dans laquelle ils ont grandis. Ha ! J'ai toujours trouvé cela passionnant...

̶ Et... ils y restent toute leur vie ? Ont-ils le droit de fonder une famille ?

̶ Bien sur qu'ils ont le droit, rit-elle. Tu ne voudrais tout de même pas qu'ils passent leur vie à protéger les nôtres, si ? Eux aussi ont droit au bonheur. Et puis, tu imagines ceux qui deviennent infirmes ? Ils ne vont pas être jeté au combat s'ils ne peuvent plus combattre.

Je réfléchis à tout ce-ci. Tout ça était tellement exaltant ! Ils avaient le choix, eux. Ils pouvaient mener leur vie comme ils le souhaitaient. Personne ne les forçait à aller mourir, ni à fonder une famille, ni à prier pour une quelconque Déesse....

Je me réprimandais pour cette dernière pensée. La Déesse Il'lis n'était pas responsable de mon malheur. Et si j'affrontais la réalité en face, je n'étais pas non plus enchaînée au Couvent. Fuir avait toujours été une possibilité. Cependant, même si je partais, où irais-je... ? Personne n'avait jamais désiré quitter notre caste. Si risquais gros en tentant.

Tout à coup le brouhaha incessant présent dans la Grande Salle s'interrompit. La Doyenne Hagua et moi-même pivotâmes à l'unisson vers la grande porte, où la Mère Prima fit son apparition.

Notre Mère était une femme sublime, auréolée d'une lumière qui semblait jaillir d'elle. Son aura de pouvoir. Sa magie, dite divine, lui venait de la Déesse Il'lis même. C'était une conséquence de la cérémonie faite en l'honneur de toutes les Saintes ou Sœurs devenant Mère.

Cette magie, alimentée par leur bonté, variait d'une Mère à l'autre. D'après les autres Saintes, cela faisait de longues décennies qu'il n'y avait pas eu une Mère avec un pouvoir si grand.

Mère Prima se tenait aussi droite qu'un dos le permettait, la démarche souple, aérienne ; sa chevelure châtain ornée de tresses où serpentaient des filaments dorés, lui arrivait à la cheville et voletait dans son dos au rythme de ses pas. Un visage en forme de cœur encadré par deux épaisses mèches coupées sous le menton et alourdies chacune par un anneaux en or lui conféraient une apparence céleste. Cette dernière était raffermie par son regard émeraude constellé d'une multitude de pépites marrons ainsi que par la pâleur de sa peau rehaussée par la blancheur de sa robe.

Je l'avais rarement vu porter pareille parure, ainsi qu'une tunique si sophistiquée. Celle ci était composée d'un col en V qui s'interrompait à la naissance de sa poitrine et ne laissait que davantage place à l'imagination. De cette pointe, deux pans de tissus s'évasaient pour descendre jusqu'aux chevilles, alors même qu'ils s'écartaient pour onduler le long de son corps menue, son ventre était dissimulé par un troisième morceau de tissu, rattaché aux autres pour ne dévoiler aucun morceau de peau. En son centre se dessinait un soleil à 10 rayons qui serpentaient légèrement. Le cœur du dessin était composé d'un unique œil dont la pupille était une spirale.

L'œil de la guérison et de la protection, le symbole de la Déesse Il'lis.

Mère Prima se tourna vers ses Soeurs et écarta ses bras en douceur.

̶  Mes chères Consœurs, nous avons de précieux invités qui viennent d'arriver. Ils mangeront avec nous et dormiront ici cette nuit. Il resteront aussi longtemps qu'ils le désireront et nous répondrons à tous leurs besoins.

Sa voix chaleureuse sonnait comme un délicat carillon caressé par une brise légère du matin. Elle portait loin et donnait pourtant la sensation de n'être qu'un murmure. Un frisson de plénitude m'envahit, comme chaque fois que je l'entendais, et un soupir d'aise quitta mes lèvres sans que je n'y fasse attention. C'était toujours la même chose avec elle. Peu importe à quel point nous pouvions être de mauvais poil ou perturbé, sa seule présence apaisait l'âme la plus malheureuse.

Ça, pour avoir un grand pouvoir... personne ne lui arrivait à la cheville. Je suis persuadée qu'elle aurait pu calmer une horde en furie.

Soudain, mon regard se dirigea au-delà de la Mère Prima, à l'entrée de la Grande Porte où apparu nos fameux invités. J'en eu le souffle coupée. La femme que j'avais vu dans la cour était encore plus belle que je ne l'avais cru. Elle avait un port si royale et un regard si flamboyant que je doutais qu'aucun homme puisse lui résister. Son armure avait disparue ; à la place, elle portait une chemise couleur bois aux manches en cuir lacées et au corsage si étroit que sa taille semblait pouvoir se briser à tout instant. Une poitrine généreuse se laissait entre-apercevoir dans son col lui aussi lacé, et deux manches d'épées dépassaient de ses épaules, certainement croisées dans son dos comme j'avais pu le voir sur des images de livres qui parlaient de guerriers. Son pantalon, quant à lui, était de la couleur des feuilles des arbres et semblait à la fois souple et rigide. Des bottes en cuir montantes lui arrivées presque jusqu'aux genoux. On aurait dit qu'elle avait des jambes gigantesque, faites essentiellement de muscles sans une once de graisse. J'étais jalouse de ses jambes, les miennes n'étaient pas aussi belles.

En observant mieux, je remarquais cependant de nombreuses marques de couture, comme si ses habits avaient tendance à se déchirer de part en part.

Elle était si belle ! D'une beauté sauvage, intrépide et inaccessible, rien à voir avec la Mère Prima et sa délicatesse. A choisir, je préférai être une femme telle cette guerrière qu'une prêtresse enfermée dans son couvent.

La belle guerrière sourit, sans dévoiler ses dents. Une surprenante douceur apparue dans son regard quand celui ci parcouru la salle, et je vis ses épaules se détendre peu à peu. Ses traits se détendirent subrepticement. Puis elle me vit. Ses yeux s'arrondirent puis se plissèrent. Je jetais malgré moi un coup d'œil dans mon dos, mais il n'y avait personne. Elle m'observait d'une façon si perçante que j'en eu des frissons. Elle se détourna ensuite après avoir légèrement secoué la tête. On aurait dit qu'elle cherchait à se débarrasser d'un mauvais songe. Ou reconnu une personne qu'elle n'appréciait pas. Mais comme je ne l'avais jamais vu, elle devait se tromper. Peut-être ma tête ressemblait-elle à une connaissance...

Toutes ces pensées me quittèrent quand je le vis enfin appaître derrière la femme que j'aurai parié être sa sœur. Une telle ressemblance ne pouvait provenir que de la même génitrice. Du même sang, du même jour.
 Identique à sa sœur en version masculine, portant exactement les mêmes couleurs que cette dernière et un regard encore plus calculateur, voir même plus glacial, il observa les alentours. Cependant cette fois-ci son regard coula sur moi comme s'il ne me voyait pas, et je le regrettais presque. J'aurai voulu qu'il me remarque, parmi toutes mes Sœurs.

Décidément, cette histoire de princesse sauvée par un prince ne quittait plus mon esprit. Je secouais la tête pour me débarrasser de cette grotesque vision et revenait dans l'instant présent. Mère Prima installa ses invités à table de manière à ce qu'ils encadrent la place en bout de table, là où elle s'installerait. Elle fit ensuite signe aux Sœurs de s'asseoir mais resta debout près de sa chaise.

Ce n'est qu'à cet instant que je remarquais qu'aucun autres guerriers n'étaient présents. Je fronçais les sourcils. Je trouvais ça curieux. Avaient-il refusé de venir ? Leur avait-on interdit ?

Alors que je m'apprêtais à m'asseoir aux côtés de Hagua qui tapotait la chaise à côté d'elle à mon intention, on me retint par le bras. Je fis volte face et me retrouvais nez à poitrine avec Saint Syl'via qui me regardait sévèrement.

- Toi tu ne manges pas, tu aides tes Sœurs à servir, siffla-t-elle le plus bas possible.

J'en restais interdite, puis je m'écriai sans réfléchir :

- Quoi ? Non !

Malheureusement, je dû m'exprimer un peu fort, car le silence se fit aussitôt, et en jetant un regard par-dessus mon épaule, je vis la Mère Prima me dévisager comme si j'étais devenue folle. Les deux guerriers m'observaient aussi, l'une avec un haussement de sourcils, l'autre avec un regard impénétrable, l'air légèrement intrigué. Je voulais qu'il me remarque, mais pas comme cela. J'aurai voulu me faire toute petite et disparaître sous les fondations du couvent.

Sainte Syl'via me serra le bras avec tellement de force que je dirigeai toute mon attention sur elle. Elle m'intima de m'exécuter sans poser de question et m'exhorta de ne pas ridiculiser la Mère Prima. Le murmure des conversation enfla peu à peu alors que je quittais la pièce direction les cuisines, les épaules voûtées, morose, profondément blessée. J'étais la plus vieille des Aînées. J'avais le droit d'assister à ce banquer improvisé !

L'Aînée Mina y était bien assise, à cette fichue table. Pourquoi devais-je toujours être mise à l'écart, comme si j'étais une dangereuse et imprévisible tornade ?

J'avais bien fait quelques bêtises étant jeunes, mais jamais qui mériteraient tant de mépris et de dédain. Chaque fois que j'avais la sensation que mon sort s'améliorait, on me rabaissait à nouveau au rang de sous-fifre comme une Cadette incapable de se tenir.

Alors que je traversais le couloir éclairé par les orbes bleutées emplies de magie, les larmes coulèrent en torrents sur mes joues. Je pensais en avoir fini avec toute cette histoire de place. Qu'avais-je fait pour mériter tant de discrimination ? Je faisais mes prières comme tout le monde, j'avais foie en la Déesse Il'lis autant que tout le monde, je respectais les règles – je faisais du moins de mon mieux – et même mon caractère n'était pas aussi insubordonné que laissait croire Sainte Syl'via.
Rien ne justifiait que je n'ai ma place nulle part dans ce couvent. Je ne deviendrai jamais une Sainte, je resterais une simple Sœur, alors que je pourrai techniquement accéder au rang de Mère, si on me traitait comme les autres. Mon sang ne justifiait rien. J'avais beau être fille de Mélusine la couturière et de Markanov le boucher, notre caste ne prenait pas en compte notre généalogie...

Je déboulais dans la cuisine en fureur, la tristesse ayant laissé place à une rage contenue depuis bien trop d'années. J'avais accepté pleins de choses, je m'étais soumise à un paquet d'injustices sans – trop – me plaindre, et pourtant, rien ne changeait, strictement RIEN.

Allais-je un jour trouver ma place ici ? Je n'en avais même plus le désir, ni même la force de me la créer...

J'essuyais rageusement mes joues humides. Je passais en trombe dans la cuisine sans m'arrêter. Quelques Benjamines et des Cadettes me suivirent du regard, surprises et un peu inquiète. Rien de plus normal, voir une Sœur pleurer et en colère était tellement rare... Elles s'en remettraient.

- Saan ! Cria Sainte Syl'via dans mon dos.

Tiens, je n'ai même plus droit à mon titre maintenant. Je l'ignorais, poursuivis ma route et me mis à courir. Si elle voulait que je l'écoute, elle pouvait toujours courir ! Si elle pensait que j'allais servir nos invités comme mes Sœurs, elle se fourrait le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Il n'était pas question qu'on me rabaisse à ce point.

Et tant pis pour les conséquences.

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