Chap 1 : Part 2 : Saan'ee
La Déesse Il'lis ne dut pas entendre ma prière silencieuse, car je croisais celle que je ne voulais surtout pas voir.
L'Ainée Mina se tenait devant moi, baillant avec la grâce d'une princesse, aussi délicate qu'une fleur. Je me figeais, la regardant approcher à pas légers. Elle portait encore sa chemise de nuit et me sourit avec chaleur quand elle m'aperçu.
̶ Ainée Saan ! Quelle bonne surprise ! Toi aussi on t'a faite lever de bonne heure ?
Je serrais les mâchoires en me retenant de ne pas écraser mon poing sur son adorable petit nez. Je savais pertinemment que ce n'était pas de sa faute si elle avait pu faire la grasse matinée tandis qu'on me forçait à faire les corvées les plus risibles. Tandis qu'elle puisse encore considérer que l'heure à laquelle elle se levait était égale à une heure matinale.
Mina avait toujours été une gentille fille, ainsi que la première Ainée la plus proche du statut de Mère quand celle-ci devrait céder sa place. Elle étai la favorite de toutes les Saintes du couvent, et ce n'était un secret pour personne. Pas même pour moi, pourtant plus âgée qu'elle et par l'ancienneté de ma présence en ce lieu, et par ma naissance. C'était une injustice cuisante qui ne me rendait que plus intolérante envers mes Sœurs.
̶ Oui... marmottais-je. Mais là je dois retourner chercher quelque chose dans ma chambre,mentis-je ensuite pour la faire déguerpir.
Elle m'offrit l'un de ses plus beaux sourire, avec une petite expression de déception.
̶ Dommage, j'aurais bien pris mon bain avec toi. Tu es ma seule Ainée, et cela me manque. J'ail'impression de ne plus vraiment te voir parmi nous... tu es la seule grande sœur que j'ai réellement ici. Toutes les autres Ainées sont bien plus jeunes que nous...
Ça, tu l'as dit ma petite.
Mon cœur se serra à la pensée de comment j'étais, avant d'être Ainée. Elle et moi étions ce qu'on appelle des amies. Je n'étais arrivée ici que peu de temps avant elle, mais je l'avais aussitôt prise sous mon aile, car son histoire m'avait émue en faisant resurgir un désir hardant de la prendre sous mon aile. Ses parents étaient mort dans l'incendie de leur grange, et elle avait survécu seulement parce qu'elle était avec sa grand mère à ce moment là. Malheureusement, cette dernière n'avait pas les moyens de subvenir à ses besoins. Elle l'avait donc confié aux bons soins des Sœurs du Couvent Magister. Il me semble qu'elle venait d'ailleurs encore régulièrement la voir.
̶ Désolée, une prochaine fois peut-être ? mentis-je de nouveau en la contournant.
Elle me rattrapa par le poignet.
̶ Attends, s'exclama-t-elle brutalement avant de se raviser en se rendant compte de son acte irréfléchi.
Elle rougit et me lâcha, mais j'attendis patiemment qu'elle s'explique. Elle reprit contenance,baissa la tête dans ma direction après avoir regardé autour de nous. Curieuse, je m'inclinais moi aussi à sa rencontre.
̶ Tu as entendu parlé de nos invités ?
Je haussais les sourcils. Elle me tira vers elle avec un petit sourire malin, telle une confidente racontant un ragot entendu et répété plus d'une fois. Son petit corps frêle frémissait de joie contenue. Elle poursuivit après mon mouvement de tête négatif.
̶ A ce qu'il paraît ce sont des Protecteurs !
̶ Des quoi ?
Elle se tortilla, agacée :
̶ Des chevaliers ! Des guerriers, les Boucliers de la Déesse ! On dit qu'ils sont choisi par Il'lis en personne, et qu'ils parcourent la terre en semant paix et bonne entente, poursuivit-elle avec ferveur, les yeux émerveillés de curiosité.
Je fronçais malgré moi les sourcils. J'avais entendu certaines choses, à leur sujet.
̶ Et à quoi servent-ils,hormis apporter la paix ?
Mina me regarda comme s'il m'était poussé des tentacules.
̶ A repousser le Mal, quoi d'autre, lâcha-t-elle simplement en haussant ses épaules pâles.
Je n'avais jamais compris comment elle faisait pour rester si blanche alors qu'elle prenait le soleil tous les jours. Je me redressais, prête à partir de nouveau, mais elle me retint une seconde encore.
̶ Sais-tu ce que nous allons leur servir à manger ? Demanda-t-elle de son minois angélique.
J'inspirai et lui énumérai les plats dont je me souvenais.
̶ Et puis, je crois que nous avons de la tarde au fruit béni ̶ avec de la meringue ̶ et de la crème de saule pleureur agrémenté de noisettes et de pépites de chocolat.
Quand je m'éloignais, j'étais satisfaite de la moue d'envie qu'affichait Ainée Mina. Mais ma mauvaise volonté resurgit de nouveau, et je traînais des pieds quand j'entrais dans mes appartements. Une chambre rectangulaire aussi simple et morne que ma vie avec une unique fenêtre en vitraux représentant la Déesse Il'lis sur son Rapace.
Une tenue soigneusement pliée m'attendait sur mon lit. Je la dépliais et grimaçais d'horreur. Non seulement elle n'était pas du tout à mon goût et elle était loin d'être à la hauteur de mon rang – aussi bas soit-il.
J'eus envie de crier ma rage,mais une fois de plus, je savais que cela ne changerait strictement rien à ma situation. Davantage de mauvaise humeur encore, j'enfilais ma tunique sophistiquée, de la couleur des champs de maïs séchés– c'est à dire terriblement terne, avec un large col carré et des manches beaucoup trop longues pour être pratiques. Je les remontais en me débrouillant pour les nouer autour de mes coudes. Je m'enroulais ensuite des bouts de tissus autour des pieds – un des rares signes d'élégance que j'avais le droit de revêtir -,laissant juste émerger les orteils et le talons. Ainsi prête, je remis mes chaussons et me dépêchais de rejoindre la grande salle.
Sur le chemin, je croisais bon nombre de Sœurs, de tout rang. Je m'inclinais légèrement chaque fois qu'il y en avait une d'un rang supérieur au mien – autrement dit des Saintes. J'étais la plus ancienne de toutes les Jeunes Sœurs, donc je me contentais d'un hochement de tête pour les Cadettes, les Benjamines et même des Ainées.
Au tournant d'un couloir, j'aperçus le Docteur Al'ji, avachit sur une chaise, les jambes bien écartées et les mains posées dans son giron. Il portait un pantalon large, qui ressemblait plus à une jupe, le tissu des deux jambes relié ensemble par le milieu, et ce jusqu'aux mollets, pour ensuite se séparer et s'enrouler d'une curieuse façon autour des chevilles. Il m'avait dit un jour que c'était un Jaïhi, le pantalon réglementaire des Docteurs comme lui. Je savais aussi qu'il ne le portais pas souvent, et que c'était ainsi une tenue élégante pour de rares occasions. Je commençais à me demander quels genre d'individus nous allions recevoir, pour que tout le monde se mette sur son trente et un.
Des guerriers, avait dit Ainée Mina.
Songeuse, je traversais le couvent après avoir de nouveau salué Al'ji. Ici, il était toujours le bienvenu. Je n'avais jamais réellement compris ce qu'il fichait dans notre couvent. Je n'avais pas l'impression qu'il y avait sa place, sans pour autant détonner dans ce paysage paisible.
Les Sœurs et les Saintes l'appréciaient toutes, mais il restait l'un des seuls hommes à habiter au milieu de nous. Comment pouvait-il ne pas s'ennuyer, en passant ses journées à se couler des jours heureux à ne rien faire ? Je préférais presque me surmener plutôt que me contenter de errer dans les couloirs.Pourtant, en l'observant je voyais bien qu'il avait un regard mélancolique, perdu dans le vague. J'étais persuadée qu'il avait eu une vie mouvementée ; en tant que soldat, peut-être ?
Je retournais aux cuisines, mes pensées voguant avec le vent. Je m'adossais contre le mur et observais l'agitation présente dans la pièce. Mes Sœurs s'agitaient nerveusement, suivant les consignes de Sainte Syl'via.
Une douce odeur de nourriture me parvint, éveillant ma faim. Les Benjamines commençaient à sortir les plats cuits, signe que le repas allait bientôt avoir lieu.
̶ Saan ! Ne reste pas les bras ballants comme ça, rends toi utile.
Je croisais les bras sur ma poitrine, affrontant ma tutrice du regard tout en lui montrant ma docilité en gardant la bouche fermée.
̶ Que veux-tu que je fasse ?Soupirais-je en croisant son regard inquiet.
̶ J'aimerai que tu te rendes dans la Grande Salle pour moi, et que tu vérifies que tout soit bienfait. Tu es la seule à être aussi soigneuse que moi, je ne préfères pas envoyer une de tes cadettes.
Je savais que Sainte Syl'via avait horreur de ne pas tout pouvoir gérer toute seule et être partout à la fois. Dans le couvent, elle avait des yeux et des oreilles partout, mais malheureusement cela ne lui suffisait pas toujours, et je savais qu'elle avait confiance en moi pour les tâches rudes. Bien qu'elle me donne ainsi beaucoup de responsabilités,savoir qu'elle me pensait digne de les recevoir me rassurait en un sens.
̶ Bien, j'y vais alors.
̶ Attends, m'arrêta-t-elle avant que je n'ai pu disparaître totalement.
Je pivotais et inclinait la tête d'un air interrogateur. Elle s'approcha de moi, me mit dos à elle et s'acharna sur mes cheveux, m'exhortant des « hé! »,« aïe! », « houch ! ».
̶ Voilà, file maintenant.
Je passais une main hésitante sur ma longue chevelure et découvris qu'elle l'avait en fait tressés à partir du sommet de mon crâne, me les collants fermement sur la tête jusqu'à la base de ma nuque, où elle les avait attachés avec un bout de tissu pour laisser le reste détaché. Je tournais la tête pour lui sourire, avant de déguerpir sans demander mon reste. Elle avait serré tellement fort que mon sang me battait aux tempes, me laissant la désagréable sensation d'avoir été scalpé du cuir chevelu. Pour autant, je n'étais pas assez folle pour me plaindre.
Je me massais la nuque, m'étirais et pénétrais dans la Grande Salle. Il y avait déjà des Saintes présentes, qui bavardaient gaiement loin de la table, un verre de sirop de Jinouille, la fleur bleu que nous affectionnons dans le couvent. Nous avions même une petite plantation, près du potager dans l'arrière cours au niveau des jardins. Qui n'aimait pas le sirop de Jinouille ? Il faisait se sentir mieux, détendait le corps et le cœur en faisant rire, rendant les joues pourpre. Il protégeait même du froid ! Mais il était tout aussi vrai que c'était une boisson considérée comme étant pour femme. Et c'était aussi bien ainsi ; cela rendait les hommes souvent agressif.
Je saluais mes Soeurs de plusieurs années de plus que moi, ainsi que les quelques Doyennes du Couvent Magister. Les Saintes me saluèrent impersonnellement sans m'accorder plus de regard que cela. Personne ici n'arrivait vraiment à m'aimer. Les Doyennes, anciennes Saintes du couvent, étaient déjà plus amicales envers moi. Elles me souriaient affectueusement et me donnaient des poignets de mains chaleureuses en me demandant comment je me portais. Je me faisais toujours un plaisir de leur répondre,car je les trouvais très utiles au couvent, malgré ce que pouvaient penser les Benjamines, les Cadettes, les Ainées ou même les Saintes.
Les Doyennes représentaient le nerf et les sens du couvent ; elles voyaient tout et entendaient tout. C'était elles qui rapportaient les ragots ou autres informations souvent nécessaire, autant celles d'au dehors que celles au sein de l'établissement.
Et puis, il me semblait que elles aussi, elles m'appréciaient pour ce que j'étais. Au milieu d'elles,j'étais totalement acceptée.
Me rappelant le désir de Sainte Syl'via, j'entrepris de parcourir la salle et la table du regard,remettant tout ce qu'il y avait à mettre en ordre. Quand j'eus fini, la Grande Salle s'était remplie davantage, et les femmes qui se trouvaient avec moi bouillonnaient de gaieté et d'impatience. Je ne comprenais décidément pas ce qu'elles avaient toutes.
La Doyenne Hagua, une vieille femme vraiment adorable mais trop curieuse pour son propre bien, s'approcha de moi avec un sourire malicieux.
̶ Dis moi ma petite... et situ allais accueillir nos invités ? Tu pourrais ensuite nous rapporter comment ils sont...
̶ Les accueillir ?M'étonnais-je. Je ne peux pas, on ne me l'a pas permis...
La Doyenne fit une moue de mécontentement, écartant ma remarque de sa main parcheminée.
̶ Peu importe, va les observer des fenêtres du Long Corridor. La vue est bonne sur la cour. Tu verras même les écuries !
Je réfléchis longuement en la dévisageant. Elle ne vivait que pour les nouveautés, et ses yeux pétillaient d'excitation.
̶ A une condition, si Syl'via vous demande où je suis...
Ses yeux se plissèrent et un grand sourire de tortue fendit son visage, sans pour autant dévoiler ses dents.
̶ Hoho, oui, cette bonne vieille Syl'via... Tu devrais faire attention à ne pas oublier son titre, si quelqu'un t'entendait, on pourrait croire que tu as reçu une mauvaise éducation...
Sachant qu'elle ne faisait que plaisanter, je hochais la tête et m'inclinais légèrement pour prendre le large. A vrai dire, j'étais moi-même curieuse, et cela m'avantageait de ne pas avoir à rester dans la Grande Salle à ne rien faire. Et puis, Sainte Syl'via n'oserait jamais réprimander la Doyenne Hagua.
M'évadant du vacarme causé parles femmes du couvent, je me dirigeais donc vers le corridor central,qui parcourait toute la façade Nord du bâtiment. Je me positionnais de façon stratégique devant les grandes vitres, entourées de vitraux représentant des anges et belle femme immaculée aux longs cheveux d'or qui lui faisait comme une auréole.
La Déesse Il'lis.
Mon regard dériva sur le ciel bleu, immense, qui semblait me tendre les bras, puis vers les écuries où je pouvais imaginer le hennissement des chevaux impatient de cavaler. Autrefois, j'avais l'autorisation d'en monter pour quelques petites virées, mais après plusieurs sorties nocturnes, on me l'avait formellement interdit, me trouvant trop dangereuse pour moi-même.
J'aurais voulu fuir loin d'ici.Et, peut-être, ne plus jamais y revenir.
Je reportais mon attention sur la grande allée principale. Le portail gigantesque était grand ouvert,et en observant bien, je devinais des silhouettes se profilant à l'horizon. Toute à cheval. Curieuse, je m'installais sur le large rebord de fenêtre et remontais mes genoux contre ma poitrine.J'attendis, et après ce qui me paru une éternité, les inconnus furent enfin entre nos murs.
Ils étaient une douzaine, tous à cheval ainsi qu'une caravane, à l'arrière du défilé. Je les regardais s'avancer lentement jusqu'au centre de notre cour, entourés de nos par-terres fleuris. Le cavalier à l'avant se tenait droit et fier sur sa selle. Je n'avais pas souvent l'occasion de voir des hommes. Les quelques uns que nous avions dans notre couvent étaient soit vieux, soit sénile, et parfois les deux. Les autres étaient des couples en visites, comme ceux que j'avais croisé ce matin.
Mon imagination m'imposa toute sorte de bels hommes qui viendraient jusqu'ici juste pour me sauver,telle une princesse enfermée dans un donjon. Je secouais la tête. Je lisais trop, il fallait que je cesse : ce genre de pensée ne me ressemblait pas.
Dans le Couvent Magister, penser aux hommes comme d'un compagnon de vie était strictement interdit.Nous ne devions pas à avoir de relations avec le sexe opposé, et il existait des cérémonies pour le vérifier. C'était à la fois un moyen de savoir si notre corps ou notre cœur avait été pris. Si tout se passait bien, on pouvait rester dans le couvent. Si ça se terminait mal, la Sœur ou Sainte qui avait désobéi se voyait exclue du couvent pour toujours. Depuis que j'étais ici, ça n'était arrivé qu'une seule fois.
Il ne fallait vraiment pas rigoler avec ça.
Seule la Mère avait droit à un rapport. Et ce, seulement pour lui donner son titre de Mère. L'homme choisi est le Père du Temple, le côté masculin de notre caste. Mais les hommes là-bas sont différents de nous. Ils vivent très loin dans les montagnes, vouent leur culte à Arshil l'ange protecteur de notre Déesse et peuvent apprendre à se battre à l'image de celui qu'ils vénèrent. Nous les rencontrons tous les dix printemps, lorsque la neige laisse la place aux fleurs dans les montagnes de Storakos, et seules la Mère et les Saintes peuvent participer à cette réunion.
C'est lors de cette cérémonie qui nous regroupe tous que notre Mère et leur Père se lient. On les appelle alors Acsia. Le couple Acsia, qui dirige à eux deux la Caste toute entière, sans pour autant être ensemble. Ils ne se voient jamais en dehors des cérémonies, et lorsqu'ils sont liés, ils ne peuvent se séparer. Ils restent « Acsia » jusqu'à leur mort. Si l'un d'eux meurt, alors l'autre se verra contraint d'abandonner son Titre et laisser la place à un nouveau.Généralement, de ce que j'avais pu apprendre, les Acsia meurent souvent ensemble, à une intervalle d'une semaine après avoir eu une longue vie de plus de quatre-vingt Printemps. Que ce soit avant leur liaison ou pendant, un Père est appelé « Azou » et une Mère« Azia ». Ce sont des termes qui remontent à bien longtemps et dont j'ai totalement oublié l'origine. Tout ce que je sais, c'est que hormis l'Azia, autrement dit la Mère, toutes les autres sœurs restent vierges toute leur vie, sans moyen de procréer.
Lorsqu'une progéniture naît de l'union Acsia, elle va, en fonction de son sexe, dans le couvent de sa Mère ou dans le temple de son Père. Elle sera d'office appelée Jeune Azou ou Jeune Azia. Mais c'est un cas, qui, paraît-il,n'arrive que tous les trois ou quatre siècles environ. Ces enfant sont chacun le choix dans la caste ou de la quitter, lorsqu'ils atteignent l'age adulte. Et il n'est jamais arrivé que deux enfants de sexe opposé naissent d'un couple Acsia. Heureusement, car une fois que le jeune Azou ou la jeune Azia devient un Frère ou une Soeur, ils sont obligatoirement promis à devenir Père ou Mère parla loi du sang. Cela deviendrait compliqué que des jumeaux se voient contraint de devenir le couple Acsia.
Toujours est-il que les jeunes Azou et les jeunes Azia sont rares. Notre Mère actuelle n'est pas encore Azia, et ses deux prédécesseurs n'ont pas eu de progéniture.
Je reportais mon attention sur les invités, constatant qu'ils s'étaient enfin arrêtés. Je plissais les yeux pour tenter de mieux y voir, car malgré ma bonne vue, ils étaient loin en contrebas. Ils étaient en armure, et je le devinais plus que je ne le voyais grâce au soleil qui se reflétait sur l'argent lustré de leurs côtes de mailles.
Ils descendirent de cheval,certains abandonnant leur monture aux bons soin des Sœurs qui avaient accouru à leurs côtés. D'autres, au contraire, les suivirent et les menèrent eux-mêmes aux écuries. Je comprenais que cette différence soit certainement liée à une discipline hiérarchique inconnue.
Les deux premiers qui menaient la danse s'avancèrent vers l'entrée du couvent sans attendre. Alors que je les fixais intensément, l'un des deux retira son heaumes orné de magnifique plumes d'aigles, longues et colorées dans des tons magnifique que je percevais parfaitement de ma place. Il secoua des longs cheveux d'un noir de jais, lisse tel le plumage d'un corbeau,et exposa à la vu du soleil son visage fin, ses pommettes hautes,son teint halé et son nez pointu. Je distinguais avec peine ses sourcils tout en finesse qui faisaient un arc de cercle parfait au-dessus de ses yeux. Bizarrement il me fascinait, jusqu'à ce que je constate que ce visage si beau ne pouvait être que celui d'une femme.
Surprise, je clignais plusieurs fois des yeux avant de reporter mon attention sur le second cavalier qui avait imité sa comparse. Cette fois ci j'étais persuadée que c'était un homme. Il avait beau être le portrait craché de la femme, sa chevelure sombre était retenue en arrière sur sa nuque en une natte – ce que je supposais plus que je ne vis – et son visage paraissait plus ferme et viril. Bien que ce dernier soit tout aussi étroit, ses pommettes étaient moins hautes, sa peau plus pâle, son front moins large et une barbe de quelque jours recouvrait ses joues. Je ne pouvais rien apercevoir de plus, mais cela me suffisait amplement à voir qu'il était séduisant.
Je ne vis pas le reste de la troupe, qui disparut rapidement à ma vue, accompagné de mes consœurs.
En soupirant, je retournais à la grande salle. La Doyenne Hagua se précipita aussitôt sur moi quand elle me vit, tel un rapace fondant sur sa proie. En moins inquiétant,bien entendu.
̶ Alors ?!
Un petit sourire étira le coin de mes lèvres. Je me penchais vers elle comme si j'allais lui faire une confidence de la plus haute importance et lui murmurais :
̶ Et bien, c'est une petite troupe d'hommes en armure. Mais il y avait une femme, c'était elle qui menait la marche.
Le regard avide, la vieille femme secoua sa main devant elle comme pour s'éventer.
̶ Ce sont sûrement les héritiers Ska'aros, me confia-t-elle avec un air de conspiratrice.
̶ Qui ça ? M'étonnais-je.
La Doyenne rit.
̶ Il est temps que tu sortes un peu de ton cocon, grenouille.
« Grenouille » ? Je n'avais jamais entendu ce vocabulaire sortir de la bouche d'une de nos anciennes.
̶ Les héritiers Ska'aros sont les enfants de Sraah et Harolt, de la noble famille Ska'aros des Montagnes de Storakos. On raconte que tous leurs descendants sont les meilleurs guerriers que Keryos ait connue. Si on oublie les soldats de la Légion Rouge, s'esclaffa la Doyenne, les yeux rieurs. Et le Trio Légendaires, cela va de soit.
J'étais toute ouïe, émoustillée par la façon dont elle racontait cela. Surtout que je n'avais pas la moindre idée de ce dont elle parlait.
̶ Les Montagnes de Storakos ?Où sont-elles ? Demandais-je.
Je n'avais jamais su où elles se trouvaient, je les connaissais seulement de nom vu que le Temple s'y trouvait.
̶ Tu ne sais pas où elles se trouvent ? répéta-t-elle. Ma pauvre loutre. Elles sont au nord de Keryos, à l'opposé du Pays Gaarog, et sont voisines aux Dunes des nains, ainsi que de leur cités. Tu vois où c'est ma fille ? Nous n'en sommes pas si loin, en y réfléchissant.
Je pris le temps de considérer ces informations.Comme toutes les sœurs du couvent, j'avais tout de même des connaissances, bien que minimes, pour tout ce qui concernait notre monde, Keryos. Bien évidemment, j'en savais bien plus à propos de la religion que des mœurs des autres pays. Mais jusqu'à aujourd'hui cela m'avait amplement suffit. Cela dit, j'avais beau savoir que Gaarog était une région au Sud de la notre, à l'intérieur des terres Keryos, je n'avais pas la moindre idée de ce qu'étaient les dunes des nains. Je savais parfaitement que nous autres humains n'étions pas la seule espèce à habiter Keryos, mais de là à avoir déjà rencontré un nain en personne...
̶ Je... non, pas vraiment,avouais-je, penaude.
La vieille femme agita sa main devant son visage d'un air agacée en faisant claquer sa langue sur son palais.
̶ Halala, décidément, j'ai toujours dit et je continuerai à dire qu'on manque cruellement d'éducation, ici ! Tout tourne autour de la religion... cela nous mènera à notre perte ! Mais personne ne m'écoute... non, personne n'écoute jamais la vielle folle Hagua ! Bien. Tout ça pour dire que c'est la famille Ska'aros elle-même qui a créée les Guerriers de La Stora ! Protecteurs de Keryos, ils ne cesseront jamais de combattre le Mal.
̶ Le Mal ? Mais quel mal ? Je croyais que nous n'avions plus d'ennemis, à l'exception des Pirates des mers de L'Our'an ?!
Et encore, j'avais crus comprendre que ces derniers étaient repoussés sans trop de difficultés par nos armées. Et comme leur attaques étaient régulées par le temps favorable ou non aux tempêtes maritimes,nous avions de longues périodes tranquilles. Cependant, lorsqu'ils parvenaient à pillés nos côtes, les pertes étaient lourdes et les dégâts irréversibles.
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