Chap 1 : Part 1 (Saan'ee)


Saan'ee

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̶ Pardon, pardon.

Je passais entre un couple, dénouant ainsi leurs mains entremêlées, sans en ressentir la moindre culpabilité. Ils pestèrent contre moi, auraient même bien voulu m'invectiver, si seulement ils ne s'étaient pas trouvé dans un lieu saint. Je les ignorais ostensiblement et poursuivis mon chemin sans cesser de courir. Après tout, il leur suffisait de se tenir la main à nouveau, ce n'était pas comme si j'étais intervenue dans leur mariage en criant : « Des calamars chauds! Chauds, chauds, les calamars! ».

Les couples étaient rares ici, mais ils venaient régulièrement se recueillir au Couvent, souvent pendant leur nuit de noces, pour se voir conter leur joyeux avenir ensemble ou simplement se rappeler au bon souvenir de leur Déesse Il'lis et attirer sa bénédiction.

Dans tous les cas, ils survivraient à ma maladresse. Ce qui n'était peut-être pas mon cas. Eux n'auraient pas à recevoir les réprimandes de Sainte Syl'via en tentant d'éviter ses spatules de cuisine qu'elle aurait eu la délicate attention d'employer comme des armes en m'injuriant d'insultes sorties tout droit de l'Haut'Delà.


Enfin, seulement lorsqu'il m'arrivait d'être en retard. Et justement, je l'étais...


Je fis un dérapage à demi contrôlé avec mes chaussons fourrés réglementaires, et manquais ainsi de rentrer dans le Docteur Al'ji.Je l'esquivais donc in extremis en retirant un chapeau irréel de ma tête à son intention. Avec le sourire du soldat retraité amusé par un bambin qui chercherait à lui voler sa bourse, il me rendit gaiement mon salut avant de continuer son train-train quotidien en sifflotant, non sans m'avoir lancé un clin d'œil moqueur. J'étais sur qu'il savait parfaitement la raison pour laquelle je courrais. Je doutais même qu'il y ait quelque chose qu'il ne sache pas, ici.

Le couvent n'avait aucun secret pour notre vieux loup de mer. Je nem'en étonnais même plus. Ce que j'avais du mal à comprendre, par contre, c'était la raison qu'il avait de rester ici. Lorsque je lui avais demandé s'il comptait partir un jour, il m'avait laconiquement répondu : « Lorsque le temps sera meilleur. ». J'avais alors jeté un coup d'œil par la fenêtre, regardant les Sœurs qui pataugeaient joyeusement dans la rivière et celles qui lézardaient sous les rayons du soleil. Sceptique, je m'étais tournée vers lui pour lui faire remarquer qu'ici, il faisait toujours un temps magnifique, mais il avait alors disparu.

Depuis, je le laissais tranquille, lui et sa mystérieuse retraite en ce lieu. Après tout, il faisait comme il le souhaitait. Et ce n'était pas moi qui allais me plaindre de sa présence. Je l'aimais bien, moi, notre vieux loup de mer.


La cloche de neuf heures sonna, et je poussais un cris de frustration en tentant d'accélérer le pas. Ce qui m'était quelque peu impossible étant donné que je cavalais déjà au maximum de mes capacités. Mais comment avais-je été assez stupide pour m'endormir pendant mon bain ? Ce n'est pas comme si je n'avais pas de taches ménagères à accomplir ! A vrai dire, je faisais même partie de celles qui en avaient le plus parmi les Ainées.

Non, rectification : j'étais la seule.

Ayant acquis mon titre d'Ainée, j'aurai dû être débarrassée d'un grand nombre de corvées réservées aux Cadettes et aux Benjamines.La question qui demeurait donc : pourquoi moi y avais-je encore droit?

Maussade, je ralentis le rythme en dévalant des escaliers. Ce n'était pas la première fois que l'injustice dont je faisais preuve me décourageait suffisamment pour me faire perdre le semblant de discipline que je possédais. Après tout, si Elles ne voulaient pas que je sois en retard, Elles n'avaient qu'à pas me charger de tout ce travail supplémentaire!

Boudeuse, j'entrai enfin dans la cuisine de Sainte Syl'via après avoir remis rapidement ma coiffure complexe en place, disciplinant comme je le pouvais mes mèches rebelles. Ma tenue n'était pas vraiment des plus digne car il faisait particulièrement chaud ces derniers jours. J'avais donc opté pour une tunique blanche légère,resserrée autour de mon buste par un corset intégré de façon  discrète; d'un col largement ouvert en carré autour de la nuque,qui descendait vers le bustier pour créer un décolleté étroit en forme de pointe. Pas vraiment le type de tenue canonique pour une Sœur. Mais en tant qu'Ainée, je pouvais au moins me permettre ça.


Sainte Syl'via pivota vers moi aussitôt après mon entrée, me parcourant rapidement d'un regard critique en décryptant mon expression et en jaugeant la façon dont je m'étais vêtue le matin même. Son froncement de sourcils lui creusa deux plis au dessus du nez, qui lui donna cet habituel air sévère qu'elle prenait pour montrer sa désapprobation. Air qui la caractérisait à merveille.

̶ Par Il'lis ! s'exclama-t-elle en m'agitant un doigt boudiné sous le nez. As-tu vu ton accoutrement? Nom du Trio, mais remonte moi ce col !

Je baissais les yeux sur mon haut, qui se resserrait au niveau des épaules et dégageait ainsi ma clavicule.

̶ Sans vouloir vous paraître insolente, Ma Sainte, je ne puis le relever davantage. Pas sans une aiguille et du fil à coudre, du moins.

Sainte Syl'via sembla sur le point d'exploser. Et ce fut ce qui me sauva du hachoir, que j'évitais en me jetant derrière l'un des comptoirs de la cuisine. Elle se mit alors à hurler de sa voix suraiguë et éraillée, et je soupirais en me redressant lentement, laissant tout juste le bout de mon nez dépasser d'une planche de bois pour pouvoir regarder par-dessus la table. Les cheveux pailles hérissés en une crinière donnant vaguement l'idée d'un chignon, elle avait des épis si visibles qu'on aurait dit qu'on lui avait entortillé des échardes grosses comme mon poing dans la tignasse, avant de les retirer sauvagement.Sans chercher à rattraper le désastre par la suite.

D'après des sources sures, la Sainte prendrait chaque matin plus d'un quart d'heure pour discipliner sa chevelure. Si j'avais une telle chose sur le crâne,cela ferait longtemps que je l'aurai coupée.

Mais pour nous-autres, membres du Couvent Magister, les cheveux longs sont signe de bonne santé et dignité, ainsi qu'un héritage de La Très Grande Déesse que nous vénérons. Pour autant, nous coupions les cheveux de nos Cadettes,parfois même des Benjamines. Mais en règle générale, ces dernières se laissaient pousser les cheveux lorsqu'elles découvraient leurs pertes mensuelles. Pourquoi seulement à cette limite? Peut-être parce que c'est le symbole de la fertilité, celui qui prouve qu'elles peuvent procréer.

Je n'en ai pas la moindre idée,car je n'ai jamais eu la curiosité de demander. Celle-ci me valait déjà assez de malveillance de la part de mes ainées sans que je n'en rajoute une couche pour des détails futiles. La Déesse Il'lis avait construit notre confrérie ainsi, alors il en était ainsi. Je n'avais jamais eu à me poser de questions.

̶  Insolente ? Insolente qu'elle dit ?! Mais ma pauvre cloche, tu devrais apprendre qu'on ne réponds pas aux Saintes. Depuis le temps que tu es ici ! J'ai longtemps espéré que tu finisses par comprendre comment fonctionne notre Caste, et pourtant, plus le temps passe, plus ton tempérament devient belliqueux, exécrable et insultant!

Je me redressais enfin, la connaissant, elle était comme qui dirait calmé.

̶ J'ai seulement une répartie logique. D'ailleurs, vous vous répétez. Insolent, insolente...

La Sainte Syl'via en resta comme deux ronds de flans, avant de serrer les poings en tremblant légèrement de colère, devenant rouge comme une écrevisse.

Je savais que je la poussais à bout, mais ces derniers temps, je ne pouvais plus m'empêcher de répliquer aussi sèchement, et personne ne parvenait à calmer cette rage que j'éprouvais au fond de moi, et qui me criait que je n'avais pas ma place ici.

C'était comme si une bête sauvage était emprisonnée et qu'elle griffait mes entrailles en m'ordonnant de me révolter. Je savais aussi qu'à force d'agir ainsi, si d'autres Saintes autres que Syl'via s'apercevaient que j'avais un comportement inhabituel, on finirait par chercher à m'exorciser. Je concevais parfaitement que être exorciser serait très dangereux pour moi, et totalement inutile, avouons le, vu que je n'étais possédée par aucun démon.

Sainte Syl'via prit une profonde inspiration et quand elle rouvrit les paupières qu'elle avait auparavant fermés, elle avait récupéré sa sérénité. Ça me surprenait toujours de voir ce brusque changement de personnalité,et je craignais toujours plus la Sainte Syl'via calme que celle prête à tuer.

̶ Nous avons Illios au-dessus de nos têtes, Ainée Saan, dit gravement mon mentor. Nous n'avons en aucun cas le temps de prendre part à nos chamailleries habituelles.Que Il'lis me foudroie si je prends du retard !

Comprenant soudain que quelque chose se tramait, je me redressais, et mes fines et longues oreilles vibrèrent de curiosité, tel les antennes d'un insecte. Cette caractéristique prouvait à qui savait observer que j'avais du sang de la Descendance, et qu'ainsi l'un de mes ancêtres faisait certainement partie du Trio légendaire, composé de la Très Grande Prenia, première Sœur élevée au rang de Mère ; du Très Haut Guerrier Elwin, fondateur de La Stora ; ainsi que du Preux et  valeureux Ludvin, le Déserteur des Terres.

̶ Que se passe-t-il, au juste? Demandais-je avec curiosité.

̶ Cela ne te concerne en aucun cas, Ainée Saan. Prends ces assiettes, puis ces plats en faisant attention à leurs contenus, et apporte-les dans la Grande Salle. Ensuite, tu disposeras ces fleurs avec goût. M'as-tu bien comprise, Ainée Saan ?

Elle insista sur les « ainée »en affrontant mon regard bougon sans ciller. Elle attendit patiemment, et je fini par soupirer. Je jetais alors un regard derrière elle, sur la table où se trouvait... trois piles d'assiettes, avec une vingtaine de plats. Je regardais les trois piles, ahurie.

̶ Mais... Sainte Syl'via! Il y a une trentaine d'assiettes!

Elle haussa un sourcil en jetant un vague regard à ce que je pointais du doigt.

̶ Non, en fait, il y en a une cinquantaine. Mais il n'y avait plus de place sur le plan de travail.Sur la grande table de la Grande Salle il y a une liste. Tu n'auras qu'à compter le nombre de personnes présentes et en ajouter en conséquence.

Je restais interloquée, la bouche entre-ouverte. Le Couvent n'avait pas reçu autant de personnes à la fois depuis au moins quinze ans, et je ne m'en souvenais même pas !

̶ Vous n'êtes pas sérieuse Syl'via ?!

Elle me foudroya du regard en me menaçant avec une spatule.

̶ Sainte Syl'via pour toi, Ainée Saan, fille de Melusine la couturière et de Markanov le boucher ! N'oublie pas mon titre ! Par Il'lis, tu mériterais d'être foudroyée pour une telle insolence !

Je tiquais devant sa véhémence et sa mesquinerie à me rappeler que je n'étais rien de plus quel'union d'un couple du peuple, sans aucune renommée. Autrement dit,elle me rabaissait en me traitant de moins que rien. Je serrais les dents en fermant les poings, baissant les yeux. Ça ne servait à rien de répliquer.

La Sainte eut un soupir.

̶ Dépêche toi de te mettre au boulot, Saan, dit-elle un ton plus bas, avec une pointe de tendresse.

Elle s'était radoucie, mais elle ne s'excuserait pas. Je me détournais, empoignais l'une des piles d'assiettes faites main, toutes unique et d'une beauté à couper le souffle. Elles possédaient chacune une caractéristique particulière, en rapport avec la nature. Celle du dessus représentait un colibris butinant une fleur rouge avec des dégradés roses et oranges. Je grognais et soulevais le tas avant de m'engouffrer dans un couloir dépourvu de porte en poussant un rideau épais. Quelques torches bleues magiques qui volaient sans aide étaient dispersées tout du long pour m'éclairer. Je débouchais sur la Grande Salle, à une trentaines de pas plus loin, et fut accueillie par une pièce vide.

Je restais là, en plan, à regarder l'unique table longue d'une vingtaine de pas et large de trois.

Une belle nappe l'ornait, et les ourlets frôlaient le sol. Avec un soupir, je m'attelais à la tache qu'on m'ordonnait de faire, tout en écoutant le silence du couvent.Il devait être beaucoup plus tôt que je ne le pensais, et le fait de constater que, encore une fois, on me donnait davantage de travail qu'aux autres Ainées me mit de mauvaise humeur. Je n'avais même pas de mains d'œuvres de la part des cadettes, ni même des benjamines !

Quand je retournais aux cuisine,Sainte Syl'via avait disparu, mais il y avait trois cadettes et deux benjamines, attelées à des corvées à la fois semblables aux miennes et bien différentes. Une nouvelle pile d'assiettes m'attendait sur la table, aux côtés de leurs jumelles.

Avec un soupir résigné, je saluais toutes mes consœurs par leur titre et leur prénom avant de poursuivre ma tache. Je me déconnectais de mon environnement pour me concentrer au maximum. C'était une habitude que j'avais prise depuis plusieurs années déjà lorsqu'on me demandait de faire quelque chose qui me prenait beaucoup trop de temps, ou que je n'appréciais pas. Mon corps effectuait ce qu'il avait à faire de façon inconsciente tandis que mon esprit s'évadait le plus loin possible.Ça m'évitait de penser à ma vie, mais multipliait mes erreurs d'inattention.

Je ne sais pas combien de temps cela me prit exactement pour parvenir à la fin de mon dur labeur qui me laissa avec des bras lourds. Sainte Syl'via vint surveiller mon travail à un moment donné, avant de refaire une nouvelle apparition quand j'eus terminé. J'étais déjà exténuée. A mon énième retour de la grande salle, pendant lequel j'entrepris de d'étirer mes muscles endoloris, une cadette vint à ma rencontre pour me dire d'aller me préparer et de me faire belle, avant de retourner aux cuisines au cas où on aurait besoin de moi. Passablement agacée que la Sainte chargée de ma surveillance envoie quelqu'un me le dire à sa place, je me rendis à ma chambre, en empruntant les couloirs les moins fréquentés.


Je ne voulais voir personne.



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Chers Lecteurs de Little Shade.
Je vous présente un roman qui a été écrit bien avant Little Shade ! Un roman qui est en cours depuis une éternité et que j'ai pensé vous présenter en attendant la suite des aventures de Little Shade.

L'univers est totalement Fantastique et vous ne retrouverez pas grand chose de LS, cependant c'est toujours moi l'auteur, donc vous devriez reconnaître ma plume et mon imagination ! Il y a toujours autant d'hommes (tous plus beaux les uns que les autres ) avec une romance fortement présente.

Ce roman a émergé grâce à mes nombreuses lectures quand j'étais jeune comme Les Mondes d'Ewilan (d'où les prénoms, hommage plus que clin d'œil) ou encore Tara Duncan, Chronicles du Mondes Emerge et d'autres auxquels je ne pense pas forcément.

Cette fois-ci l'héroïne est une très jeune femme, plus adolescente que femme, d'ailleurs, mais cela permet de la faire grandir au fil des pages.

Je ne sais pas si vous accrocherez ici aussi, mais je vous le souhaite.

Le début pourrait se révéler un peu long, à vous de me le dire ! 

J'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire Saan'ee Le Couvent Magister que LS ! Et ne vous étonnez pas de retrouver le mot "Magister", vous le retrouverez certainement dans tous mes livres au moins une fois, c'est mon mot magique à moi ;) 

Merci à tous d'avoir lu ! Des bisous et à très vite !! 

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