- Halloween -
Entre les chapitres 44 et 45
Vendredi 25 octobre 2024, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.
Thalia s'était donnée à cœur joie pour transformer l'appartement de son père le temps d'une soirée. Banderoles bicolores de citrouilles et chauve-souris égayaient les murs, polaroids mystérieux et angoissants remplaçaient les photos de famille au-dessus de la télé, fausses toiles d'araignée envahissaient les recoins et des fantômes de papier hantaient le mobilier.
Une playlist sinistre concoctée par Jim tournait sur l'enceinte portable de l'adolescent, occupé à la cuisine avec son père. Pendant que Thalia installait des plaids et des coussins sur le canapé en prévision de la soirée film, ils terminèrent de préparer les biscuits, petits-fours, cupcakes et mini-pizzas sur le thème d'Halloween. Quant à Maria, elle s'était chargée des deux saladiers de punchs, l'un avec alcool, l'autre sans. Dans les deux tournoyaient des yeux globuleux injectés de sang.
— On pourra laisser les décos jusqu'à la semaine prochaine ? s'enquit Thalia en les rejoignant dans l'espace cuisine. Comme on fête Halloween en avance ?
— Bien sûr, ma puce, souffla Ethan en levant le nez de sa planche à découper.
— Ça te dérange pas, tu es sûr ?
— Non, non. En plus, tu vas le fêter ici avec tes copines. Tu auras pas besoin de refaire la déco.
Ravie, l'adolescente contourna la table pour enlacer son père. Elle avait réservé son véritable week-end d'Halloween avec ses copines depuis plusieurs semaines. Comme son frère avait aussi prévu de le fêter avec ses amis le jour-J, Maria avait suggéré qu'ils le célèbrent en famille avec un peu d'avance.
— Je commence à installer.
Thalia s'empara d'un saladier de pop-corn couvert de sucre coloré en rouge pour le disposer sur la table-basse. Jim ne tarda pas à la rejoindre avec des plateaux de pizzas et petits-fours. Les deux adolescents poussèrent la table d'appoint à côté du canapé pour combiner les surfaces. Vu toute la nourriture et les boissons qu'ils avaient prévues, il faudrait au moins ça.
Attiré par les odeurs du séjour, Snowball pointa le bout de ses moustaches depuis la chambre de Thalia. La queue dressée, il remonta le couloir jusqu'aux genoux de sa maîtresse, qu'il escalada à moitié pour renifler les snacks.
— Pst, fit Thalia en le repoussant sans brusquerie. Pas pour toi, gros vilain.
Irrité, le matou se détourna de la jeune fille pour se diriger vers les adultes dans la cuisine. Ethan se montra tout aussi intransigeant. Pendant que Snowball se frottait aux jambes de Maria dans l'espoir d'amadouer le dernier membre de la famille, Thalia le mitrailla de photos.
Alors qu'ils apportaient le reste de la nourriture et des boissons, Ethan et Maria intimèrent à leurs enfants de s'installer sur le sofa, déplié en canapé-lit. Thalia s'était accaparé la place du milieu, son frère l'angle de la méridienne. Il avait beau apprécier les films d'horreur, Jim avait la fâcheuse habitude de s'endormir avant l'arrivée du générique. Maria affirmait qu'il tenait ça de son père.
Par habitude, Ethan s'assit à l'autre bout du canapé et Maria se glissa entre ses enfants. Une fois chacun installé, Thalia lança le film en streaming. La petite famille ne tarda pas à faire passer les plateaux et les bols de main en main. Comme Thalia se servait un verre de punch, Jeremy supplia sa mère de goûter à la version alcoolisée.
— Sale gosse, grommela-t-elle en lui remplissant un gobelet. Un seul, je te préviens.
— Deux, contra aussitôt Jim après avoir trempé les lèvres. C'est super bon, je pourrai pas en boire qu'un seul.
— Pour qui tu me prends ? Je suis peut-être une cata en cuisine, mais je me défends en cocktails.
Thalia, qui venait de goûter sa propre boisson, se pencha vers sa mère.
— La version sans alcool est super bonne aussi ! Trop forte, maman.
Maria sourit avant d'enlacer les épaules de sa fille. Thalia tira le plaid pour le partager avec sa mère et se lova dans le creux de son bras. La chaleur et la présence de Maria ne seraient pas de trop avec le film. L'horreur, ce n'était pas tellement son truc.
La moitié du film était bien entamée. Sonné par la fatigue, la nourriture et l'alcool, Ethan menaçait de s'endormir d'une seconde à l'autre. Maria était scotchée à l'écran, prise au jeu du suspense et des screamers, et servait occasionnellement de doudou géant à sa fille. Quant à Jeremy, après avoir fait les yeux doux à sa mère pour qu'elle lui masse le crâne, il consultait son portable pour se forcer à rester éveillé. Le film ne lui faisait pas franchement peur.
Maria zieuta vers le visage de son fils, éclairé par l'écran de téléphone, et y décela les creux de ses fossettes. Elle enfonça un doigt dans sa joue, lui glissa d'une voix taquine :
— Qui te fait sourire comme ça ?
— Personne, grogna l'adolescent en se poussant de côté. C'est juste Ryu.
— Contente de savoir qu'il te donne l'air bêta d'un garçon amoureux.
Tandis que son fils roulait des yeux, Thalia gloussa sous son bras. Son rire mua en inspiration hachée lorsque les protagonistes à l'écran manquèrent se faire découper par le tueur. Comme sa grippe se resserrait sur le bras de Maria, sa mère l'attira tout contre elle.
— On peut arrêter si ça te fait trop peur.
— Nan, marmonna l'adolescente, moue boudeuse et sourcils froncés. Je regarde jusqu'au bout.
Quarante intenses minutes plus tard, durant lesquelles Maria avait cru perdre son bras, Thalia expira de soulagement. Le générique se présentait à l'écran. À côté d'elle, Snowball délaissa le flanc d'un Ethan endormi, où il s'était lové, pour réclamer à manger. Mère et fille s'extirpèrent du canapé, l'une pour se démaquiller, l'autre pour nourrir son chat éternellement insatisfait.
Après avoir versé des croquettes dans la gamelle de Snowball, Thalia retourna s'installer en tailleur à côté de son frère. Il avait passé la soirée à pianoter sur son portable.
— Tu parles jamais autant à Ryu, d'habitude.
— J'ai parlé à mes potes aussi. On organise la soirée pour le week-end prochain.
Les yeux plissés, Thalia renifla puis s'enquit d'un air suffisant :
— Et tu vas te déguiser comment ?
— Pff, j'sais pas. Je verrai bien ce que je trouve.
— Espèce de tocard, siffla Thalia en se penchant vers lui. Je suis sûr que Ryu et tes potes ont des déguisements trop bien.
Agacé, Jeremy finit par tourner le cou vers la jeune fille.
— Mêle-toi tes oignons, tu veux ? Tu l'as ton déguisement, toi ?
— Bien sûr. (Thalia tendit une jambe et un bras dans une imitation suspicieuse de position martiale.) Je vais être un chat-momie-karateka.
Ahuri, Jim la dévisagea bouche bée. Puis il aboya un rire.
— C'est Mike qui t'a donné l'idée ou quoi ? C'est complètement moisi.
Comme l'idée était née des pièces éparses de déguisement retrouvées dans les affaires d'Ethan et de Maria, Thalia piqua un fard. Avec une exclamation hargneuse, elle enfonça son poing dans les côtes de son frère.
— C'est toujours mieux que toi, gros benêt.
Elle profita que Jim laissait tomber son portable pour le récupérer et taper son code – facile, c'était la date d'anniversaire de Thalia. La dernière conversation montrait plusieurs photos des amis de Jeremy en essais déguisements. Elle reconnut Ryusuke, encore plus pâle que d'habitude, avec des traces rouges sur le menton et des canines qui pointaient de ses lèvres exsangues.
— Ryu en vampire ! s'exclama-t-elle alors que Jim se redressait sur un coude. Ça lui va trop bien, il est trop classe.
Avec un demi-sourire, Jeremy la laissa défiler le reste des photos. Valentina avec une robe bouffante de princesse et un maquillage soigné. Seules taches au tableau : l'imitation d'une gorge tranchée et des flots d'hémoglobine qui coulaient sur la dentelle et les froufrous du vêtement. Si Tess avait opté pour une version plutôt sexy d'une sorcière, Kaya s'était décidée pour une momie. Face à la photo, Thalia éclata de rire : on ne voyait que des mèches folles d'un blond pâle dépasser des bandelettes de tissu. En remontant les clichés, elle trouva Jason avec un masque de clown terrifiant. Quant à son frère, il n'avait pas dit toute la vérité : les derniers messages de la conversation l'incitaient à se déguiser en épouvantail. Ryu affirmait qu'il avait déjà la touffe de cheveux ébouriffée nécessaire.
— Ça t'irait très bien, acquiesça Thalia en fermant les yeux pour s'imaginer le résultat.
Elle rouvrit les paupières quand le téléphone vibra entre ses mains. Une notification se déroula en haut de l'écran, afficha une partie d'un message en provenance d'Iva.
« L'épouvantail t'irait très bien, mon étincelle. Le film était bien ? »
Le sang de Thalia se figea dans ses veines. Elle plaqua un sourire innocent sur ses lèvres avant de rendre son téléphone à son frère. En un coup d'œil, Jim perça à travers son masque.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Rien, rien.
Dubitatif, Jim déverrouilla son portable pour s'assurer que sa sœur n'avait pas envoyé de message dans sa conversation avec ses amis. Comme il naviguait sur sa messagerie, il remarqua le SMS d'Ivana. Comprit aussitôt.
Face au regard noir planté sur elle, les lèvres de Thalia s'étirèrent avec une lenteur infinie. Elle inspira avant de murmurer d'une voix mielleuse :
— Mon étincelle.
— Espèce de petite fouine !
Comme Jim se jetait sur elle pour lui passer un savon, Thalia le rua de coups de pieds en criant tantôt de rire, tantôt de protestation. Leur agitation tira Ethan de son sommeil dans un sursaut. L'air hagard, il considéra les adolescents qui se balançaient des coussins au visage.
— Eh, lâcha-t-il en tendant un bras, on se calme.
Il reçut un coussin en pleine face en guise de réponse. Trop fatigué pour leur tenir tête, Ethan capitula et se rassit au bord du canapé. Quelques secondes plus tard, ce fut au tour de Maria de débarquer. Elle esquiva un coussin perdu avant de claquer bruyamment ses paumes l'une contre l'autre. Ses enfants cessèrent aussitôt de se mitrailler pour la considérer avec appréhension.
— Jeremy, Thalia, je veux connaître la raison de la dispute, qui a commencé, qui pense être dans son bon droit et qui est assez mature pour accepter d'avoir pris le dernier coup.
Comme ses enfants abaissaient leurs armes de ouate et de tissu en se toisant en chiens de faïence, Ethan soupira.
— J'appellerai votre mère la prochaine fois, c'est clairement plus rapide.
Maria lui adressa un clin d'œil en se dirigeant vers le canapé. Elle arracha les coussins aux grippes de ses enfants avant de les étudier l'un après l'autre. Le vert tendre de ses iris avait pris une nuance sapin dans la pénombre.
— Alors ?
Jim ouvrit la bouche, mais Thalia fut plus rapide :
— Jimmy a une copine, je l'ai découvert, il était pas content, il a voulu être méchant, je me suis défendue, ça l'a amusé et moi aussi et voilà où on en est.
Comme l'adolescente avait tout déclaré à brûle-pourpoint, ses parents accusèrent le coup en silence. Penaud et abattu, Jeremy se laissa tomber dans l'angle du canapé et se couvrit le visage d'un bras. Tant pis pour son désir de garder sa relation secrète encore quelques mois.
— C'est vrai, mon chéri ?
L'air bougon, Jeremy souleva son bras pour observer sa mère. Il finit par hausser les épaules.
— Ouais, ça fait quelques mois. (Comme il coulait un regard accusateur en direction de Thalia, elle se détourna avec une grimace.) Je voulais pas en parler tout de suite. Tant pis.
Maria hocha la tête avant de soupirer. Elle ramassa les coussins tombés par terre puis s'installa entre le frère et la sœur. Elle leur tapota à chacun une jambe.
— Ma puce, si tu as fouillé dans le portable de ton frère, tu sais que c'est ma...
— J'ai pas fouillé ! se défendit aussitôt Thalia en croisant les bras. Le message est apparu sur l'écran quand j'ai regardé des photos.
Thalia soutint le regard de sa mère pour lui assurer qu'elle ne mentait pas. Comme Jeremy ne protestait pas, Maria passa à la suite :
— Jim, c'est tout ton droit de garder ton jardin secret. Bon, maintenant qu'on est au courant, on va sûrement t'embêter un peu... mais promis, on se montrera pas intrusifs.
— Je sais bien, maman, soupira l'adolescent en se redressant en position tailleur. C'est juste que... c'est ma première relation, je voulais pas que vous me stressiez avec ça.
— Pourquoi on te stresserait ?
Jeremy haussa les épaules en guise de réponse. Maria lui pressa le genou pour lui signifier qu'elle n'insistait pas puis se pencha vers sa fille pour lui baiser le front.
— Va te brosser les dents et te coucher.
Vidée de ses dernières forces par la bataille de coussins, Thalia embrassa son père, tira la langue à son frère puis fila à la salle de bain. Maria attendit le déclic du verrou pour considérer son fils avec plus de sérieux.
— Je vais te le dire ce soir, parce que c'est mon devoir et mon rôle de maman, et après je t'embêterai plus avec ça, promis. Sauf si tu as des questions, bien sûr.
Sachant pertinemment ce qu'elle s'apprêtait à énoncer, Jim se laissa aller contre le dossier du canapé en grognant. Ils avaient cette discussion chaque année depuis ses douze ans.
— Oui, maman, on va faire attention avec ma copine. On sait dire qu'on est consentant ou pas. La contraception, c'est pas que son souci à elle. (Comme Maria le considérait d'un œil satisfait, il se détourna, les joues chaudes.) De toute façon, on en est pas du tout là, OK ?
— Et y'a aucune pression, ajouta Maria avec douceur. Si tu as des questions ou des doutes, ton père et moi, on est là. Ou n'importe quel autre adulte si ça te met mal à l'aise d'en parler avec nous.
Jim pinça les lèvres en hochant la tête pour lui assurer qu'il avait compris. Ethan lui confia un sourire encourageant avant de se redresser avec une grimace. Le canapé n'avait pas été tendre pour son dos. À l'instant où il s'éloigna dans le couloir, Maria se pencha vers son fils avec une expression conspiratrice :
— J'ai le droit de savoir comment elle s'appelle ?
— Non.
Catégorique.
Maria porta une main à son cœur en expirant un soupir douloureux. Face à l'expression vaguement amusée de l'adolescent, elle lui retourna un sourire espiègle. Ils partageaient les mêmes fossettes.
— Bon, je veux être dans le scoop quand tu voudras en parler.
— Comme si t'étais pas la première personne sur la liste, marmonna son fils en se redressant. Bonne nuit, m'man.
Il déposa un bisou sur sa joue. Maria lui embrassa le front en retour, ravala la boule douce-amère qui lui obstruait la gorge. Était-ce uniquement de la pudeur ou une réelle crainte que ses parents se mêlent de sa vie intime qui retenait les confessions de son fils ?
À l'abri dans sa petite chambre, Jim prit le temps de répondre à Ivana. Jusqu'ici, il ne s'était confié qu'à Ryu. Thalia se doutait de certaines choses – après tout, elle l'avait encouragé à accepter un premier rencard avec Iva. Même si sa sœur l'avait à présent trahi auprès de leurs parents, Jeremy était soulagé qu'elle ne révèle rien à propos de son identité. Il préférait attendre que sa relation avec Ivana se stabilise avant d'annoncer la vérité à Ethan et Maria. Il n'y a pas longtemps encore, ses parents apprenaient qu'il avait été enlevé par les Costello. Les événements des années passées étaient encore trop vifs dans leurs mémoires à tous pour que Jim ne craigne pas de déclencher une crise inter-familiales en avouant tout.
Avant de s'aventurer en dehors de sa chambre pour un brin de toilette, Jim tapa un message rapide à sa sœur.
« Tu dis rien aux parents pour Iva. Je leur dirai moi-même »
« Mais oui tqt »
Jim passa son téléphone en mode selfie, appuya son index contre son nez pour le retrousser et serra les dents dans un rictus grimaçant. Sa sœur lui envoya un selfie tout aussi ridicule en réponse.
Chacun possédait une photo compromettante : tout était pardonné.
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