- Cicatrices -

Après le chapitre 43



Vendredi 2 août 2024, Mona, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.



La lune se dévoilait par intermittence entre le feuillage des arbres. Une brise soufflait dans le jardin, apportait un peu de frais à cette chaude soirée d'août. Étendue sur l'une des chaises longues à l'arrière de la maison des Empkin, Maria contemplait la piscine. L'eau ressortait d'un bleu limpide grâce aux éclairages, l'invitait à une dernière baignade nocturne.

Avec un soupir, elle décolla une mèche humide de sa nuque. À l'intérieur, la clim tournait, promesse d'une bouffée de fraîcheur. La soirée était si douce, la lune si belle, que Maria ne trouvait pas le courage de quitter le bain de soleil. Une bouteille de bière vide trônait sur la table d'appoint qui séparait les deux chaises longues. Dommage qu'il lui faille traverser le jardin et la maison pour rejoindre la cuisine ; l'idée d'une autre bière n'était pas pour lui déplaire.

D'un geste machinal, Maria consulta son téléphone. Jeremy lui avait envoyé une photo de coucher de soleil quelques heures plus tôt. Ryu et lui avaient profité de leur dernière soirée de vacances au Point Reyes National Seashore pour une balade sur la plage. Quelques minutes plus tard, c'était Ryu qui l'avait bombardée de clichés : de lui avec du sable dans ses cheveux sombres, de Jim avec sa casquette de travers, d'eux deux qui adressaient des sourires rayonnants à l'objectif.

À les voir tous les deux bras dessus-dessous au fil des photos, des étincelles dans le regard et des fossettes dans la peau, les yeux de Maria s'étaient mouillés. Ces dernières années, et pour de multiples raisons, elle avait craint que leur amitié s'effrite, que cette tendre connivence qu'ils avaient construite depuis leurs huit ans s'effiloche. Même si son cœur s'était apaisé depuis deux ans, cette série de clichés la rendait aussi fière que nostalgique. D'une certaine façon, elle reconnaissait à peine les jeunes hommes qui posaient au bord de l'océan, juchés sur leurs vélos ou en pleine randonnée. Dimitri n'avait pas été avare en photos, sûrement aussi avide que Maria de documenter l'adolescence de son fils adoptif.

Après avoir regardé de nouveau la trentaine de clichés des vacances des garçons, Maria reposa son téléphone. Tout était si silencieux. Le quartier de Mona s'était presque endormi ; elle percevait les échos diffus d'une soirée à quelques maisons d'ici. Grace et Jason étaient partis en week-end prolongé, abandonnant la maison à Maria. Même Thalia n'était pas là ce soir : Maria l'avait déposée dans l'après-midi chez l'une de ses copines du collège.

Elle n'était pas seule pour autant. Avec un nouveau soupir, Maria bascula la tête en arrière. Elle avait proposé à Ethan de venir manger avec elle. Il leur avait cuisiné un délicieux gratin de légumes accompagné de viande saisie au barbecue. Ils avaient ensuite passé un moment devant la télévision, à suivre une comédie romantique qui avait fait glousser Maria et lever les yeux au ciel à Ethan.

Ils avaient partagé une bière au bord de la piscine, puis deux, puis trois. Comme il sentait l'alcool lui monter à la tête, Ethan était parti s'allonger un moment. Il avait dû s'endormir, car une heure et demie s'était écoulée depuis.

Maria s'extirpa du bain de soleil quand des insectes se mirent à bourdonner près de sa tête. Elle retira ses claquettes avant de rentrer pour éviter de faire du bruit. Une fois dans la cuisine, elle tira avec précaution une bouteille de bière du bac de légumes. Il n'y avait que la hotte et des appliques murales dans le salon comme sources lumineuses.

Maria avala quelques goulées de bière blonde délicieusement froide avant de s'approcher du séjour. Ethan s'était bel et bien endormi, étendu de tout son long sur le canapé en cuir blanc. Avec un sourire pour elle-même, Maria avança jusqu'à distinguer le visage de l'homme. Il avait l'air serein, un bras enroulé autour d'un coussin. Sous le coton de son t-shirt noir, elle distinguait une respiration lente et profonde.

L'amertume de sa bière gagna en intensité. Maria s'adossa au fauteuil, attendit que ses yeux s'habituent à la pénombre. Détail par détail, elle corrigea le portrait mental qu'elle avait d'Ethan. L'âge, et une bonne dose d'angoisse parentale, avait creusé ses joues. Mais ses cils étaient toujours aussi longs et sombres – elle en avait grommelé d'injustice à l'époque de leur relation. Ils jetaient des ombres pareilles à des coups de pinceaux minuscules sur ses pommettes. Des ridules s'étaient établies aux coins de ses yeux, entre ses sourcils, aux commissures de ses lèvres. Elle devinait le gris qui se mêlait au brun sombre de ses cheveux au niveau des tempes, comme des tracés de comètes dans un ciel nocturne.

Oh, Maria aurait aimé le voir sourire. À leur rencontre, elle s'était étonnée du fossé entre la douceur de son sourire et l'acidité de sa rancœur envers le monde. Mois après mois, Ethan lui avait témoigné les fragments de sa personnalité, dévoilé la profondeur de sa dévotion et de son affection. L'acidité s'était dissolue au fil des années. Et son sourire n'avait jamais vraiment changé.

Quand sa bouteille fut à moitié vide, Maria baissa le bras. Elle se sentait si seule, à cet instant. Plus vraiment certaine de ce qu'elle fabriquait ici, à regarder dormir cet homme pour qui elle avait tant ressenti. Leur précédente soirée en duo avait soufflé les dernières flammes de rancune et de colère entre eux. Et Maria appréhendait de savoir ce que cela avait dévoilé, en dessous.

Avec une boule dans l'estomac, elle quitta le séjour pour retrouver le baiser tiède de l'extérieur. Maria se débarrassa de son short en jean et de son t-shirt pour descendre les marches d'accès à la piscine. C'était le moment de se féliciter de n'avoir pas quitté son maillot de bain. Une fois certaine qu'il ne restait plus une goutte au fond de la bouteille de bière, elle la reposa et s'installa au bord de la marche. L'eau lui montait jusqu'à mi-ventre, apaisait la brûlure au fond ses tripes. Les paupières closes, Maria se laissa bercer par les infimes courants provoqués par la brise. Des papillons de nuit attirés par les éclairages extérieurs tournoyaient dans le jardin. Elle écouta leurs battements d'ailes et le vent de minuit jusqu'à s'engourdir tout entière.


Maria aurait été incapable d'estimer combien de temps il s'était écoulé quand un clapotement la tira de sa rêverie. Elle considéra avec étonnement Ethan, qui s'était installé sur les margelles pour tremper ses jambes. Des lignes striaient sa joue droite ; le coussin sur lequel il s'était endormi n'avait pas été tendre.

— Désolé, je voulais pas t'abandonner comme ça.

— J'ai toujours mieux tenu l'alcool que toi, le nargua Maria en agitant les pieds dans l'eau.

— Disons que je suis plus sage.

Maria sourit sans oser le regarder. Pour être sage, il l'était devenu. Ça la surprenait encore, parfois. Plus de vingt ans qu'ils se connaissaient et Maria n'aurait jamais parié qu'Ethan s'apaise autant. Le monde semblait rembourré de coton quand il était là. Il s'exprimait d'une voix mesurée, prudente. Les émotions s'échouaient sur lui plutôt que de se réverbérer avec frénésie. Il n'était pas exempt de coups de colère ou d'abattement, mais il le laissait beaucoup moins deviner.

— Tu veux que je me pousse ?

Maria indiquait la marche sur laquelle elle s'était installée. Ethan contempla un moment les clapotis de l'eau avant de soupirer. Il retira son t-shirt, hésita en s'attaquant à son bermuda. En le remarquant, Maria ne put s'empêcher de le charrier.

— Ethan, t'es pas à poil là-dessous, rassure-moi ?

— Mais non, grogna-t-il en dénouant la boucle de sa ceinture. J'ai juste pas de maillot de bain.

— Comment t'as pu oublier ? soupira Maria en se poussant sur la marche de la piscine. Si besoin, Jem doit en avoir dans sa chambre. T'as qu'à aller voir.

— Ça fera l'affaire.

Il avait décidé de se baigner en boxer, donc. Maria retint un rire – elle avait décidément trop bu – et s'accouda au rebord de la piscine. La brise chatouillait sa peau exposée. L'eau lui monta brièvement jusqu'au sternum quand Ethan s'assit à côté d'elle. Comme elle frissonnait, déstabilisée par le contact, Ethan s'enquit :

— Tu as froid ? Tu veux une serviette ?

— Non, t'inquiète. (Elle remonta les genoux vers sa poitrine puis croisa les bras autour.) Ça ira bien comme ça.

Ils restèrent silencieux, suffisamment longtemps pour que l'eau redevienne étale autour d'eux. Même le vent s'était calmé. Craignant qu'un poids impossible à chasser s'installe entre eux, Maria frôla l'avant-bras d'Ethan.

— Les tatouages tiennent bien. Tu fais quand même gaffe à pas trop les exposer ?

— Oui, je fais attention, sourit-il en levant les bras pour dévoiler les « 3.3 » et « 5.5 » inscrits dans la chair délicate de ses poignets.

Maria les observa un instant avant de s'enquérir avec entrain :

— Maintenant que t'as franchi le pas du premier tatouage, tu en as d'autres en tête ?

— Pas vraiment. (Ethan frotta distraitement les chiffres à son poignet droit.) C'était surtout pour les enfants, à la base. Pendant longtemps, j'ai cru que je ne pourrais jamais les revoir. Quand j'ai fini par comprendre que, c'est bon, je pouvais profiter de ma vie de famille, j'ai marqué le coup.

— Littéralement, souffla Maria avant d'étendre les jambes devant elle. J'aimerais bien m'en faire aussi. Mais pas vraiment dans le même objectif.

Comme Ethan la sondait avec curiosité, Maria se pencha en arrière. De l'index, elle dévala la ligne pâle d'une dizaine de centimètres au niveau de son bas-ventre. Ethan détourna pudiquement les yeux avant que son ongle glisse sous le tissu de son maillot.

— J'aimerais masquer un peu cette cicatrice. (Maria se redressa, soudain gênée.) Pendant des années, je l'ai cachée et celle sur ma cuisse aussi. Aujourd'hui, j'en ai plus honte.

— Même si elle est porteuse d'un sens très fort pour nous, répondit Ethan d'une voix douce, je comprends que ça puisse te mettre mal à l'aise. On peut pas vraiment dire que la naissance de Jem se soit passée comme on s'y attendait.

— Ah ça, lâcha Maria d'une voix lasse. M'enfin, tu as mis les mots sur ce que je ressens. J'en ai plus honte, mais je suis pas encore complètement à l'aise. Alors, je pensais à la mettre en valeur d'une autre façon. J'ai pensé éventuellement à des fleurs pour l'entourer.

— Ce serait très joli, acquiesça Ethan avant que son sourire se ternisse. Je suis navré de ces cicatrices, Maria. Je sais que j'ai plus que ma part là-dedans.

— Ne dis pas ça. C'est pas toi qui as mis le feu à notre maison.

Elle jeta un œil à la cicatrice qui lui barrait le bas du ventre, ourla ses lèvres d'un sourire narquois.

— Même si t'es à moitié responsable de celle-ci.

Comme ses lèvres se courbaient de nouveau, Maria poussa l'audace jusqu'à lui poser une main à la base de la nuque. Une brûlure depuis longtemps cicatrisée s'étirait du haut de son omoplate droite jusqu'à la moitié du cou.

— Ça t'a quand même laissé plus de marques qu'à moi.

— En vérité, je les ai acceptées assez rapidement. C'était beaucoup plus facile à gérer que d'être séparé des enfants et de toi.

Ces mots réveillèrent les bulles amères de la bière au fond de son estomac. Maria retira sa main pour croiser de nouveau les bras sur sa poitrine.

— Et puis, ajouta Ethan d'une voix distante, j'ai jamais connu mon corps sans cicatrices. Ça a toujours été une part de moi. (Il enserra son poignet brûlé avec un regard plus apaisé.) Celles-ci, au moins, c'est moi qui les ai choisies. Pour protéger ce qui m'était cher.

En réaction, Maria ne put s'empêcher de glisser sur les petites taches blanches, les plis et les accrocs qui traçaient une histoire sordide dans la chair d'Ethan. Il en avait quelques-uns sur les jambes, mais la plupart se concentrait sur son buste.

— On est un peu tout cassé, finit-elle par lâcher dans un rire étranglé.

— Oui. (Il coula un regard bourré de reconnaissance dans sa direction.) Mais c'est toujours rassurant de se dire que certaines personnes connaissent déjà nos cicatrices. Celles qu'on voit et celles qu'on ne voit pas.

Comme elle maintenait le contact visuel, déstabilisée par la gravité de sa voix, Ethan flancha en premier. Avec un pli maussade sur les lèvres, il se détourna et se plongea dans la contemplation de l'eau.

— Ethan, tu... tu m'aimais encore, hein ?

Il tressaillit – Maria s'en rendit compte à la façon dont l'eau frémit autour de lui – mais n'articula pas un mot en retour. Après avoir inspiré l'air nocturne chargé de l'odeur de chlore, Maria précisa :

— Quand Jem a pris notre place dans le chantage d'Edward. Qu'on s'est tous retrouvés. À ce moment-là, j'ai eu l'impression que tu avais encore des sentiments.

— Tu as eu une bonne impression.

À percevoir sa tristesse amère, résignée, enserrée d'auto-condescendance, Maria remonta les genoux à sa poitrine. Elle s'était déchargée de tant culpabilité lors de sa dernière discussion sérieuse avec Ethan. Maintenant, ça lui revenait en pleine face. Une immense claque sans impact, sans bruit, sans accusation.

— Mais ne t'inquiète pas, ajouta promptement Ethan d'un ton plus rauque. J'ai vite compris que j'étais amoureux d'un souvenir de toi. Que tu étais devenue quelqu'un d'autre. Tout le monde sauf moi, en fait. Ça a été difficile à avaler, mais je l'ai accepté maintenant.

— Oh, Ethan, toi aussi tu es différent. (Comme son visage se crispait, Maria clarifia avec hâte :) C'est pas un reproche. Loin de là. Tu... tu es encore plus attentionné et patient qu'avant. Je vois bien que... que tout ça t'a brisé. Et que tu as réussi à te reconstruire, au moins un peu.

Son air dubitatif ne quittait plus Ethan. Il agita les jambes dans l'eau, reprit d'une voix sourde :

— Sincèrement, ça m'a fait tomber de haut, Maria. J'étais encore plein de désillusions. Sur mes retrouvailles avec les enfants, sur les personnes qu'ils seraient devenus, sur... sur la façon dont tu me considérerais. (Comme elle ne disait rien, pâle à la lueur de la lune, Ethan en profita :) Jeremy m'a déjà mis deux-trois claques mentales quand on s'est revu. J'ai fini par comprendre pourquoi – et ne t'inquiète pas, je t'ai pardonnée, comme je te l'ai dit. C'est simplement que ça s'est enchaîné ensuite avec Thalia et toi. Thallie a été adorable, mais...

— J'ai été exécrable ? suggéra Maria avec un rictus malaisé.

— Un peu.

Le dos rond, Maria enfouit son visage entre ses mains. Elle ne prenait aucun plaisir à se remémorer cette période. La honte et la douleur d'apprendre que son fils avait accepté le marchandage d'Edward. Le rejet de ces sentiments sur son entourage, la chute rocailleuse qui avait suivi. Pour la deuxième fois de sa vie, accepter de perdre un autre membre de sa famille, son foyer, son travail. Et tout recommencer.

— Pardon, Ethan. Encore une fois. Tu mérites mieux que des souvenirs, des fantômes et des espoirs étouffés dans l'œuf. Tu mérites tellement mieux.

— Toi aussi, tu méritais mieux, Maria. (Ethan posa une main légère sur son épaule.) Je suis désolé de ne pas avoir vu la perversité de Will, au début de votre relation. Comme c'était tendu entre nous, je voulais surtout pas me mêler de ce qui me regardait pas. Plusieurs choses me dérangeaient à propos des enfants, mais, pour le reste...

— Non, t'as pas à porter cette responsabilité. Tu t'en veux déjà bien assez comme ça. C'est moi qui ai fermé les yeux sur des comportements toxiques. Je me suis laissé glisser dans cette relation, parce que j'avais enfin l'impression de me retenir à quelque chose.

— William t'a énormément manipulée dans cette histoire. Toi aussi, tu dois te défaire de cette culpabilité.

Le retour de bâton la blessait plus qu'elle ne s'y attendait. Un rire incertain lui chatouilla les gencives. Ethan avait gagné en perspicacité, en plus du reste.

— Tu crois qu'on arrivera à refaire confiance, un jour ? À montrer nos cicatrices – celles qu'on voit et celles qu'on voit pas, comme tu dis ?

— Je sais pas, murmura Ethan en retirant sa main de son épaule. J'ai essayé, moi aussi. J'ai pas réussi.

Après quelques secondes de silence, Ethan remarqua que Maria avait braqué un regard pétillant de curiosité dans sa direction. Un sourire déstabilisé lui tira les lèvres.

— Oui, je me suis mis en couple après notre séparation. Ça a jamais duré bien longtemps. Il y a juste eu une exception. On est resté un an et demi ensemble.

— Tu m'as jamais dit, grommela Maria en se redressant.

Un air penaud gagna les traits d'Ethan. Il ne masqua pas un léger ressentiment en répondant :

— En même temps, ça fait que quelques mois qu'on arrive enfin à discuter normalement.

— Pas faux, marmotta Maria avant de balayer le sujet d'un geste de la main. Alors ? raconte !

— Qu'est-ce que tu veux savoir ?

— Bah, un an et demi, c'est pas rien... Qu'est-ce qui s'est passé, au final ?

— Elle voulait avoir des enfants.

Une main glacée descendit le long de sa colonne vertébrale. Mal à l'aise, Maria déglutit avec peine avant de réagir :

— C'était... impossible à envisager pour toi ?

— J'avais déjà pas réussi à garder mes deux premiers enfants auprès de moi, Maria. J'allais pas reprendre de risques.

Comme les yeux verts de Maria se vidaient de toutes leurs étincelles, Ethan s'agita dans l'eau. Il finit par quitter la marche pour s'installer sur le rebord de la piscine.

— Je suis sûre que tu pourrais trouver quelqu'un de bien, reprit Maria en levant un regard tendre vers lui. Un homme aussi affectueux et généreux que toi, ça court pas les rues. En plus, t'es stable maintenant.

La pique arracha un sourire furtif à son ex-compagnon. Le reproche lui avait souvent été fait de la part de la mère de Maria à l'époque de leur couple.

— Sûrement. Je ne sais pas trop si j'aurais le courage de tout reconstruire. De tout expliquer. J'aimerais simplement avoir cette compagnie, sans devoir faire tous les efforts nécessaires au début d'une relation. Et puis, ça fait peur de s'engager en se disant que tout peut disparaître du jour au lendemain.

— T'as tout dit, grommela Maria en fermant les yeux. Je me sens tellement seule aussi, parfois.

Les yeux ombragés, Ethan contempla la silhouette de Maria au bord de la piscine. Il avait un pincement aux tripes. Un sentiment d'urgence logé entre les poumons. Une vérité qui lui cognait dans le cœur.

— Maria, je...

La brise emporta son courage. Maria ouvrit une paupière, l'interrogea en silence. L'eau jetait des reflets indistincts sur son visage et sa gorge.

— La dernière fois, quand Thalia fêtait son anniversaire et que je suis venu ici...

Ses lèvres s'écrasèrent l'une contre l'autre. Face à son désarroi, Maria se redressa puis se déplaça sur la marche jusqu'à son épaule frôle sa jambe.

— Quoi ?

— Tu m'aides pas beaucoup, marmonna Ethan en se renfrognant.

— Oh, j'adore cette tête, se gaussa Maria en s'accoudant à la margelle.

Ethan percevait sa respiration. Maria perçut son trouble.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu t'en doutes pas ?

— Si, avoua Maria avec un demi-sourire.

Le marron des yeux d'Ethan se gorgea d'ambre quand la lumière d'une applique murale glissa sur lui. Sa peau se nacra de reflets dorés. Maria se hissa sur la marche supérieure. Sa tête arrivait à hauteur du coude d'Ethan, à présent.

— Tu veux qu'on en parle ?

— De quoi ? rétorqua l'homme en clignant des yeux confus.

L'hésitation repoussa Maria en arrière. La gorge nouée, Ethan s'empara de sa main.

— Tu as quelque chose à me dire ?

— Je t'ai déjà dit beaucoup, tu sais.

Les yeux de Maria papillonnèrent jusqu'à se remplir de larmes. La dernière bière avait été de trop. Son cœur hurlait sans filtre. Son corps parlait pour elle.

— Je suis pas sûre de pouvoir t'en dire beaucoup plus, Eth'. Je peux rien te promette. Je sais même pas ce dont je suis capable. Ce que je peux offrir sereinement.

— Moi non plus, en toute sincérité.

Il lui agrippait de plus en plus fort les doigts. Ils n'étaient sûrs de rien. De rien d'autre que cette chaleur au creux de leurs paumes jointes. Que ces ténèbres au fond de leurs yeux, qui suppliaient pour un peu de lumière.

Dans un geste précautionneux, elle logea sa main à la jointure de sa mâchoire. Ethan remonta ses doigts jusqu'à son épaule en réponse.

— Je sais que tu peux pas trop m'en dire, murmura Ethan dans un filet de voix, mais est-ce que je peux t'embrasser ?

— Oui.

C'était juste un mot, facile à prononcer en dépit de tout. Maria descendit la main à l'arrière du cou d'Ethan pour se relever plus facilement. Elle se cogna le genou contre la margelle, mais les lèvres d'Ethan scellèrent la plainte de douleur avant qu'elle ne s'échappe. Elle avait un goût de chlore et de sel, lui une saveur de fin d'été et de regrets. Ethan ne tarda pas à passer un bras en travers de son dos pour l'attirer plus près, pour l'étreindre plus fort.

Les doigts de Maria longèrent ses épaules, ses bras, ses flancs. Elle devina sous sa pulpe les cicatrices qu'elle connaissait par cœur. Appréhenda celles qui étaient apparues entre temps. Alors que ses baisers descendaient le long de son cou, Maria réalisa qu'elle avait oublié certaines choses. La tiédeur de sa peau, la volupté de ses lèvres, la façon dont il maintenait les yeux à demi-clos, comme s'il craignait d'ouvrir les yeux sur un mirage.

Ni lui ni elle n'en étaient. Des milliers de souvenirs éclataient sous leurs caresses, sous leurs baisers et leurs soupirs. Et s'ils avaient craint d'étreindre des fantômes pendant un moment, tout doute disparut à sentir la chaleur l'un de l'autre.

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