- Chapitre 54 -
Lundi 12 mai 2025, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.
Le rouge dévorait. Calcinait, effaçait. Gonflait, hurlait, provoquait.
Emily et Hugo n'avaient pas osé s'engager à travers le chemin ondulant de chaleur et de fumée. Ryusuke ne tarda pas à les rejoindre, tout aussi ébahi. Franchir des passerelles sans sécurité, courir à travers des tunnels sombres et escalader un mur n'était pas franchement une mince affaire.
Mais traverser un bâtiment en feu relevait de la mission-suicide.
— C'est quoi ce bordel ? cracha Hugo en se tournant vers sa partenaire. T'es sûre de toi, Emy ? T'es sûre qu'on s'est pas trompé avec les flèches ?
Elle serra les dents, fusilla du regard son coéquipier avant de considérer Ryu. Ses joues rougies par l'effort et les flammes à proximité blanchirent. Son assurance s'effilochait seconde après seconde.
— Toi aussi, tu as deviné que les flèches à base carrée étaient les bonnes ?
— Oui, répondit Ryusuke avec une grimace. Celles à base ronde nous faisaient tourner en rond.
Comme la jeune femme acquiesçait avec raideur, Jim finit par les rejoindre au deuxième étage. Ignorant ses camarades, il darda un regard vide en direction des flammes. Ce n'était qu'une ligne droite. Un couloir. Vingt mètres de long.
Ses mains rendues moites par les efforts fournis ces dernières minutes trouvèrent le moyen de coller ses mitaines à ses paumes sous l'assaut de la sueur. Sous son t-shirt, les frissons gagnèrent ses flancs, son dos. Remontèrent jusque sur sa nuque.
— T'as froid ? s'étrangla Hugo en avisant les avant-bras du jeune homme qui se couvraient de chair de poule.
Toujours captivé par les flammes qui dansaient langoureusement au-delà de l'ouverture, Jeremy ne prit pas la peine de répliquer. Ryu le considéra, retint son souffle. Son ami n'avait pas froid.
Il était terrorisé.
Ryusuke fut à ses côtés dans la seconde qui suivit. Il se planta entre le chemin de feu et la silhouette de son compagnon, lui prit le visage entre les mains. Il n'y avait que du néant dans le regard de Jim. Une peur si viscérale qu'elle avait avalé tout le reste.
— Jeremy, geignit Ryu en sentant son propre corps trembler en réponse. Laisse tomber. Demande à être évacué. C'est pas grave.
Son ami entrouvrit les lèvres, sembla sur le point de s'effondrer purement et simplement. Puis, étincelle après étincelle, la lumière refit surface au fond de ses yeux.
— Nan, crossa-t-il après avoir dégluti. Non.
Il repoussa les bras de Ryu puis le dépassa. Sans se soucier de la présence de ses adversaires, il siffla pour Ryusuke, pour lui-même :
— J'ai été suivi pour ça. Pour cette foutue phobie. Je vais pas reculer maintenant.
Jim relâcha un souffle nerveux, déglutit de nouveau. Le mélange d'effroi et de fumée ne faisaient pas un grand bien à sa gorge. Il avança d'un pas en direction de l'ouverture, puis d'un autre. Se retrouva à hauteur d'Emily.
— T'as peur à ce point ?
La question sarcastique de Hugo ne tira qu'un froncement de nez à Jeremy. Il dévisagea son camarade, étira les lèvres en sourire acide.
— Après toi, Hugo. Puisque t'as l'air de prendre ton pied.
Le jeune homme aboya un rire sauvage avant de se pencher par l'ouverture. Emily leva les yeux au plafond, aussi sidérée qu'agacée par la facilité avec laquelle son partenaire avait répondu à la provocation.
L'acide du sourire de Jim lui dévala la trachée quand Hugo s'engagea dans le chemin. Les deux mètres de large exposaient à la cruelle morsure des flammes si on ne prêtait pas assez attention à son positionnement.
— On y va ensemble, lui proposa Ryu tandis qu'Emily posait un pied prudent dans le couloir de l'enfer.
Une fois la silhouette de la jeune femme pleinement engagée, les deux amis s'approchèrent de l'ouverture. Le feu devait être maîtrisé d'une façon ou d'une autre ; il n'atteignait pas l'immeuble par lequel ils étaient arrivés et, de l'autre côté du couloir, la sortie était clairement visible et vierge de toutes flammes.
Ryusuke prit le poignet de son ami en enjambant le rebord. Les murs dévorés par le feu les enfermèrent dans une rôtisserie géante. Même s'il ne faisait sûrement pas aussi chaud que dans une véritable habitation envahie par les flammes, la sueur ne tarda pas à couvrir les jeunes hommes de la tête aux pieds. Ils se baissèrent pour chercher l'air pur près du sol, toujours liés par la main de Ryu autour de poignet de Jim.
Deux mètres. Puis cinq. Progression assourdissante. Jim avait souvent remarqué à quel point on oubliait le boucan généré par un incendie. La rage dévorante des flammes. Qui happait l'air, se régalait du bois, craquait le placo, glissait le long du métal. Une rage qui ne trouvait la satiété qu'après avoir avalé les dernières molécules d'oxygène.
Et toute la chair sur son passage.
Ce n'était peut-être pas si mal que ce soit Ryu qui le tienne par le poignet et non l'inverse. Jeremy aurait craint de lui percer la peau tant l'anxiété rendait ses mouvements secs et incontrôlés. Ses genoux tremblaient si fort que ses chevilles manquaient se tordre à chaque pas.
Ses trapèzes crispés envoyaient des ondes douloureuses dans ses cervicales. Ses yeux larmoyaient et sa gorge se rétractait à cause de la fumée. Elle devenait de plus en plus dense. Étouffante. Un piège toxique, inévitable.
— Allez, encore un peu, l'encouragea Ryu en tirant sur son bras.
Jeremy s'était arrêté sans s'en rendre compte, le front dégoulinant de sueur. Le voile opaque, rejeton des flammes, ne tarderait pas à empoisonner complètement ses poumons. D'une seconde à l'autre, Jim s'attendait à perdre connaissance. À sentir cette odeur âcre arracher la conscience à son être.
Pour se réveiller avec la pire douleur qu'il n'ait jamais expérimentée. Quitter le noir de l'incendie pour le blanc de l'hôpital avec une vision fragmentée par la violence, un corps déchiré, un esprit calciné.
— Je peux pas, geignit-il en se laissant tomber à genoux. Je peux pas.
Sans la protection des côtes, Jim n'aurait pas été surpris de voir son cœur s'échapper de son sternum. Ses poumons rapetissaient sous l'assaut de son palpitant. Et la douleur glissait le long de sa cage thoracique, gagnait son abdomen, lui écrasait les tripes.
Sa vision se troubla lorsqu'il se pencha vers le sol, sans savoir s'il voulait vomir, hurler ou pleurer. Il le faisait déjà un peu, à vrai dire. Des sillons lui raclaient les joues.
Ryusuke se pencha au-dessus de lui, passa un bras autour de son torse comme pour le relever.
— Jeremy. Jeremy, redresse-toi ! S'il te plait.
La demande virait à la supplique. Jim la considéra un instant avant de la balayer. Même si son esprit en avait dicté l'ordre, jamais son corps n'aurait obéi. Entre le noir de l'inconscience et le blanc du réveil, il n'y avait pas de choix dénué de souffrance.
Ryusuke força sur ses jambes pour l'aider à se relever. Il avait beau être plus grand, il n'était pas forcément plus fort. Et rien n'avait jamais paru aussi lourd à Ryu que le corps en pantin de son ami.
— Jeremy, gémit Ryu en les laissant retomber tous les deux. Jimmy.
Le sol n'était plus qu'une flaque grise informe. Un sol à peine tangible sur lequel Jim rampait. La présence de Ryu lui était tout juste palpable. La chaleur de son corps ne parvenait même pas à son cerveau tant le feu accaparait tout son être.
Puis un éclat de lucidité, d'oxygène. Jim se redressa sur un coude, avança un genou puis un autre avec l'aide de Ryu. Emporté par les bras de son ami et par un zeste d'instinct de survie, il se remit debout.
Une caresse sur l'épaule. Une bouffée de chaleur si intense qu'elle lui gela l'épiderme. Puis le blanc incandescent de la souffrance.
Jeremy se jeta de nouveau en sol en hurlant. En apercevant les flammes qui avaient gagné l'épaule droite de son coéquipier, Ryusuke cria à son tour. De tout son poids, il se jeta sur Jeremy, le força à passer sur le dos.
— Roule ! l'exhorta Ryu en se cassant la voix. Roule sur ton épaule !
Guidé par les gestes de son ami, Jim s'exécuta. Sa poitrine se soulevait de façon convulsive, malmenée par une respiration inégalée et un cœur qui menaçait de céder. La douleur enveloppait son épaule droite du coude jusqu'au cou. Mais il n'y avait plus de flammes. Leur morsure avait cessé. Pour ne laisser qu'un néant de nerfs surchargés, d'épiderme meurtri.
Ryusuke le força de nouveau à rouler sur le ventre. Il devait inspecter la blessure. Il grimaça en apercevant la peau anormalement rougie, cloquée sur certaines zones. Mais, à son immense soulagement, le t-shirt n'avait pas cédé face aux flammes. Fabriqué dans un matériau ignifuge, le haut qu'on leur avait fourni avait protégé une grande partie de l'épaule.
— Ça va, Jimmy, lâcha-t-il en laissant tomber son front sur l'omoplate valide de son ami. Ça va.
Jeremy n'avait rien à lui répondre, rien d'autre qu'un gargouillis d'effroi, de douleur et d'épuisement. La sortie était à moins de dix mètres. Mais il aurait préféré passer de nouveau un an et demi aux côtés de son oncle que d'affronter ça.
— J'peux pas.
Ryu ne l'avait pas entendu. Son souffle près de son oreille, il l'encourageait à se relever, à franchir les derniers mètres qui leur offriraient la délivrance. Puis d'autres voix se joignirent à celle de Ryusuke. Derrière eux. Le reste des élèves du parcours rouge, qui avait fini par comprendre la mascarade. Des voix devant eux. Jeremy dressa le nez, la vue toujours trouble. Il n'y avait pourtant qu'une paire d'yeux de ce turquoise étonnant qui pouvait dédaigner aussi efficacement.
— Tu retardes ton équipe, fit remarquer Emily d'une voix portante, plantée au-dessus du binôme sidéré.
Ryusuke se redressa, alterna entre la silhouette autoritaire de la jeune femme et celle effondrée de son ami. Il finit par se concentrer sur sa camarade de classe.
— Pourquoi tu es revenue en arrière ?
— J'ai envoyé Hugo finir le parcours. (Elle se baissa pour attraper Jim par le bras et ne sourcilla pas quand il siffla de douleur.) On va le sortir de là.
Comme Emily avait réussi à redresser Jeremy en partie, Ryusuke sauta sur l'occasion. À eux deux, ils parvinrent à remettre leur camarade debout. La tête de Jim dodelinait, son attention incapable de se fixer sur quoi que ce soit. Autour des épaules d'Emily, son bras droit palpitait douloureusement.
— Allez, du nerf, gronda la jeune femme au bout de deux mètres. Tu nous aides pas, Wayne.
Jim tourna vaguement la tête vers elle, n'émit qu'un grognement à peine audible à travers le rugissement des flammes. Qu'est-ce qu'elle fabriquait ? Pourquoi avait-elle fait demi-tour pour aider leur binôme ? Alors que leur duo avec Hugo était en tête ?
— Courage, Jimmy, ajouta Ryu en supportant la majorité de son poids.
Cahin-caha, ils poussèrent la progression sur quelques mètres encore. Emily finit par se rétracter en couinant. Des flammèches avaient atteint sa cuisse. Elle tapa aussitôt dessus et ne relâcha son souffle qu'une fois le feu disparu du tissu. Après quoi, elle poussa un juron que Ryu entendait pour la première fois dans sa bouche.
Ses yeux jetaient des éclairs quand elle se tourna vers Jeremy. Elle l'empoigna par le col, l'admonesta à quelques centimètres de son visage :
— On va pas faire le reste pour toi ! Tu dois t'en sortir tout seul !
Frappé par la colère de la jeune femme et par la porte de sortie qui ne se trouvait qu'à trois mètres – quand avaient-ils progressé autant ? – Jim déglutit, cligna plusieurs fois des paupières.
Avec un grognement sourd, il repoussa la jeune femme, s'appuya sur Ryu. Son ami grinça des dents pour contrebalancer ce poids mort. Il ne faillit pourtant pas alors que Jim avançait à petits pas en direction de la sortie.
Emily les devança pour sortir. Ryusuke accéléra la cadence, ne se départit pas de ses encouragements malgré ses cordes vocales irritées. Quand ils franchirent finalement l'ouverture pour trouver un balcon extérieur, ils se laissèrent tomber à genoux.
Ryusuke haletait, les muscles tremblant d'effort. Quant à Jim, il se tenait l'épaule en respirant par à-coups, les joues encore mouillées de sa détresse. Même si l'air autour de lui était pur, la vue dégagée, son esprit était encore capturé par le feu dans son dos.
Prisonnier d'un cauchemar sans fin, d'une peur enfantine devenue tourment.
Quand Jeremy fut capable de tenir debout sans aide, il s'adossa à la balustrade du balcon. Était-ce contre cette étape que son père avait essayé de le mettre en garde ? Contre ce couloir où résonnaient impitoyablement les échos d'un traumatisme indélébile ?
À sa gauche, une échelle donnait accès au toit, où des tyroliennes les emmenaient sur le rempart qui délimitait la zone. Un drapeau rouge dansait dans le vent pour indiquer la fin du parcours. La silhouette de Hugo y était déjà dressée, visiblement arrogante malgré les dizaines de mètres qui les séparaient.
Sans attendre plus longtemps, Jeremy vira vers Emily.
— Pourquoi ? grogna-t-il d'une voix rendue rauque par la fumée.
— Parce que, répliqua la jeune femme d'un air laconique.
Son regard acéré hurlait qu'il y avait une raison. Jim comprit que ce n'était simplement pas le bon endroit. Leurs adversaires s'étaient déjà engagés dans le couloir de feu et ne tarderaient pas à les rejoindre.
Vidé de toutes ressources, Jim lorgna l'échelle avec appréhension. Ça ne lui aurait demandé aucun effort en temps normal. De simples barreaux à escalader. Un toit à traverser en courant. Une tyrolienne à intercepter et à ajuster pour rejoindre un mur de l'autre côté. Un jeu d'enfant après ce qu'ils venaient de traverser.
Un parcours du combattant pour un corps qui tremblotait encore, pour un esprit qui basculait entre présent et passé sous un ciel commun de feu et de fumée.
L'ayant remarqué aussi bien que Ryu, Emily se tourna vers celui-ci et décréta :
— Pars devant. Je reste avec lui. Jusqu'à ce qu'il soit capable de finir le parcours.
Son ton sans appel les laissa tous deux bouche bée. Ryu réintégra ses pensées en premier.
— Quoi ? Mais... Hugo t'attend.
— Hugo a fini premier du parcours rouge. Ce qui veut dire, qu'au pire, notre équipe a la moitié des points. Et, pour l'instant, aucun de vous deux n'a fini. Donc vas-y.
Comme Ryu ne réagissait pas, son visage pâlissant à mesure que les secondes s'égrenaient, les traits d'Emily se durcirent.
— Vas-y, je te dis ! Je reste avec lui pour que tu puisses finir le parcours. Pour que votre binôme ait la note que vous méritez. (Ryu ouvrit la bouche, mais elle le devança :) Vas-y, Ryusuke.
Ce fut le déclencheur. Ryu tressaillit, observa Emily avec une surprise mêlée d'admiration et de respect. Des qualitatifs qu'il avait éprouvés plus d'une fois pour sa camarade. Mais elle se teinta d'une once d'affect alors qu'il s'élançait vers l'échelle sans se retourner.
En cinq ans d'étude commune, c'était la première fois qu'elle l'appelait par son prénom.
Emily patienta jusqu'à ce que l'adversaire le plus proche soit à quelques mètres de la sortie. Alors elle empoigna un Jim encore vacillant par le bras, le poussa jusqu'à l'échelle.
— Grimpe. On doit parler.
Jeremy poussa un grognement de vaine réplique à défaut de pouvoir parler correctement. Comme il craignait autant Emily que les bribes de son angoisse, il parvint à rejoindre le toit après quelques dérapages sur les barreaux.
Une fois qu'elle l'eut rattrapé, elle le poussa de nouveau. Ils traversèrent le toit en trottinant. Comme Jim s'approchait des tyroliennes, Emily le retint par le bras. Son visage s'était fait grave.
— Tu es le petit-fils d'Alexia Sybaris, n'est-ce pas ? Le fils d'Ethan Sybaris. Ethan Hunt. Notre prof. Le neveu d'Edward Sybaris, qui gère le projet Réseau. (Comme il restait silencieux, devenu blême malgré les rayons du soleil qui les frappaient, elle poursuivit sans répit :) J'ai fait le lien entre vous tous. Je me sens tellement bête. D'être passée à côté de l'évidence tout ce temps. Mais c'est la ressemblance entre ton père et ton oncle qui m'a mise sur la voie. À partir de là, j'ai tout remonté. Ton dossier, celui de Ryusuke, la façon dont vous êtes devenus Recrues, pourquoi tu ne vivais pas avec ton père à ce moment-là. Pourquoi tu connaissais Michael Lohan, qui t'a sauvé la mise quand tu m'as agressée en 3ème année.
Emily s'approcha d'un pas, plongea les yeux dans les siens. Jim eut la désagréable impression d'être mis à nu, fouillé au plus profond de son esprit, dépouillé de ses secrets de protection.
— Jeremy Wayne Sybaris Hunt ? reprit-elle d'une voix claire. Comment je dois t'appeler ? Quelle est la vérité, dans tout ça ? Tu étais bien un menteur, en fin de compte.
— La ferme, cracha Jeremy, dont les pommettes s'étaient mises à rougir. Tu sais rien, Emily.
— Oh, je sais tout, rétorqua la jeune femme avec sérénité. Maintenant, je sais tout. Je te l'ai déjà dit : je suis déléguée. J'ai accès à de nombreux dossiers. Aux archives. Ma famille m'a même donné accès aux dossiers de la A.A.
Jim perdit à nouveau toutes ses couleurs. Sa colère envolée, il ne resta que la brume de son angoisse. De son passé ressurgi à travers le feu, déterré par la voix d'Emily.
— Ta sœur et toi êtes des fantômes, avança-t-elle d'un ton moins sévère. Du moins, aux yeux de S.U.I. La société vous a protégés. Des Sybaris eux-mêmes, n'est-ce pas ? Il y a un rapport d'incident datant du six mai deux-mille-douze. Qui est à la base d'un long arrêt de travail de l'agent Ethan Sybaris. L'incendie de votre maison. Comme ta famille s'est séparée du reste des Sybaris, je me doute qu'il y a eu discorde. (Elle haussa les épaules, zieuta sur le côté où Ryusuke venait de rejoindre Hugo.) Le rapport précise qu'il y a eu deux décès, ceux des enfants de Maria Wayne et d'Ethan Sybaris.
Trop sonné pour l'empêcher d'asséner ces vérités qu'il ne connaissait que trop bien, Jim se contenta de la dévisager. Depuis quand creusait-elle autant à la recherche de ces secrets de famille qui n'auraient dû appartenir qu'à eux ? Jusqu'où ses recherches l'avaient-elles menée ?
— Alors tu étais un fantôme, tout ce temps, conclut la jeune femme en lui réaccordant son attention. D'où ton parcours si étonnant. Quand tu as disparu pendant un an et demi, tu étais où ?
— Puisque tu parles de fantômes, grinça-t-il d'un ton mordant, j'étais avec eux. À la Ghost Society avec mon oncle. Satisfaite de tout savoir de ma vie, Emily ?
La surprise lui fit brièvement écarquiller les yeux. Elle se recomposa, plissa la bouche.
— Je ne comprends pas. Pourquoi tu as caché ton identité après ton retour à l'École ? À priori, les Sybaris ne vous voulaient plus de mal.
— Parce qu'il y a des gens comme toi.
La réponse eut le même effet qu'un uppercut dans la poitrine d'Emily. Elle recula d'un pas, mal à l'aise. Conscient de sa vulnérabilité temporaire, Jeremy reprit avec véhémence :
— Parce que j'étais déjà votre cible préférée. Parce que si on avait su que j'étais le fils du prof, on m'aurait fait vivre la misère. On m'aurait accusé d'avoir été favorisé par l'École. Par les profs.
— Tu aurais été Intouchable, susurra Emily en ignorant ses propos. Littéralement le plus intouchable d'entre nous. L'héritier d'Alexia Sybaris elle-même.
— Je suis l'héritier d'une famille de merde, Emily ! cria Jim qui arrivait à bout de patience. Tu as peut-être fouillé les dossiers, mais tu sais rien de ma famille !
Comme il s'était avancé pour enfoncer au plus profond ses convictions dans le crâne d'Emily, elle recula de nouveau. Tressaillit quand le parapet lui pressa les mollets. Dressé face à elle, une rage collante de peur en aura, Jeremy ne paraissait plus aussi vulnérable.
— Merci de m'avoir aidé, cracha Jim en reculant. Mais va te faire foutre pour avoir fouillé dans ma vie et celle de mes proches.
Emily encaissa l'insulte sans réagir. La réaction était prévisible, cohérente avec la susceptibilité méfiante que Jim lui avait toujours témoignée. Et elle ne lui en voulait pas d'être aussi agressif. Elle avait fait voler en éclats la surface de mensonges que sa famille avait construit – même si c'était par sécurité.
Quand il s'éloigna en direction des tyroliennes, elle ne chercha pas à le retenir. Emily lui emboîta le pas, car il fallait bien qu'elle termine le parcours à son tour. Ils agrippèrent les tyroliennes en même temps. Jeremy lui adressa un regard noir avant de s'élancer.
— Si tu dis ça à qui que ce...
— Même mes parents ne savent rien de ce que j'ai trouvé, l'interrompit Emily d'une voix cassante. Ni Hugo. Personne. Et je ne dirai rien. Je te le jure.
La déclaration, brutalement solennelle, laissa Jim décontenancé un instant. Pourquoi chaque situation, chaque dialogue, devait prendre cet aspect cérémoniel avec cette fille ?
— Je ne te trahirai pas, insista Emily en lorgnant le drapeau rouge de l'autre côté du fil. Et je suis désolée pour ce qui est arrivé à ta famille. Pour ta phobie du feu à cause de l'incendie.
— Par pitié, tais-toi, gronda Jeremy sans grande conviction – il était trop épuisé pour se mettre de nouveau en colère.
— Très bien. (Elle jeta un coup d'œil étincelant de raillerie dans sa direction.) C'est pas parce que tu es le petit héritier de S.U.I que je vais te laisser gagner.
Elle s'élança sans attendre de réponse. Jeremy serra les dents pour se retenir de hurler qu'il n'avait rien du petit héritier de S.U.I et déclencha la tyrolienne à son tour.
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