- Chapitre 36 -
Vendredi 15 décembre 2023, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.
La salle de conférence du Centre bruissait. Les soixante élèves de 6ème année du parcours S.U.I avaient été rassemblés par leurs professeurs d'EPSA. Ils essayaient tant bien que mal de contenir l'impatience des adolescents en attendant le discours du directeur. La fin de semaine mettait à rude épreuve des nerfs déjà bien titillés par une matinée passée à s'entraîner.
Ethan sourit quand Manuel se rassit après avoir passé une chasse à deux élèves bruyants de sa classe. Il zieuta par-dessus son épaule pour s'assurer que son fils ne faisait pas partie des fauteurs de trouble. Pour l'instant, Jeremy se tenait tranquille. Ethan s'imaginait déjà l'adolescent agité qu'il ramènerait à la maison une fois le discours terminé. Assis au fond avec ses amis, Jim finit par trouver son regard et pencha la tête de côté d'un air interrogateur. Ethan le rassura en secouant le menton.
Ryan Scott se présenta enfin sur l'estrade. Il avait troqué son habituel costume beige par une version plus sombre. Même ses yeux bleu pâle avaient perdu leur éclat rieur. Ethan se redressa sur la chaise en plastique, inspira profondément. Ses deux collègues et lui-même savaient déjà ce qui les réunissait en ce vendredi après-midi dans la salle de conférence.
Pour les élèves dans leur dos, c'était plus inhabituel. Il ne se passait normalement rien de remarquable en 6ème année. C'était en 7ème année, la dernière, que les lycéens subissaient les examens finaux et pouvaient rencontrer quelques surprises.
— Bonjour à tous, entama sobrement le directeur après avoir récupéré le micro sur son pied. Je suis désolé de vous faire rater une heure de cours pour ce petit discours.
Des ricanements dans la salle. Ethan ne leur en voulut pas, même s'il ramena le calme d'un geste sec par-dessus son épaule. Comme si une heure de cours allait manquer à des adolescents.
— Vos professeurs d'EPSA et la direction de l'École ont une annonce particulière à vous faire, poursuivit Ryan en approchant du bord de l'estrade pour capter l'attention des élèves. Ça ne va pas vous impacter avant l'année prochaine, mais nous voulions quand même vous en parler en avance.
Le directeur attendit que les derniers chuchotis se dissipent pour reprendre :
— Vous n'êtes pas sans savoir que S.U.I fait partie d'un réseau d'agences plus global appartenant à la Ghost Society. Même si ça doit vous paraître flou et lointain, sachez que notre société-mère n'est pas indifférente aux réussites de l'École.
Les murmures derrière Ethan étaient trop faibles pour qu'il les fasse taire. Et il préférait ce léger brouhaha inoffensif aux pensées brûlantes qui l'assaillaient à la mention de la Ghost Society.
— Notre école est le plus grand centre de formation de ce réseau. Mais il y a deux autres agences qui forment leurs propres effectifs. Et c'est ce qui va nous intéresser pour l'année prochaine.
Alors que Ryan marquait une pause pour reprendre sa respiration, une élève d'Ethan se pencha vers lui et souffla :
— On peut poser des questions, monsieur ?
— Pas tout de suite, répondit-il à voix basse. Le directeur vous dira.
Ethan adressa un petit sourire désolé à l'adolescente qui se repliait sur sa chaise avec une moue frustrée. Il se rappelait bien la tornade d'interrogations qui l'avait tourmenté quand il avait lui-même appris la nouvelle.
— La Ghost Society a décidé de nous challenger, en quelque sorte. Pour se faire, ils veulent mettre en compétition tous les élèves de dernière année. Pour l'instant, les modalités ne sont pas définitives ; c'est pourquoi ça ne commencera pas avant l'année prochaine. Vous serez la première génération test. Ce projet porte pour l'instant le nom de Réseau et je vous prierais de ne pas trop l'ébruiter auprès de vos cadets. Pas la peine de les inquiéter pour quelque chose qui n'est pas encore entièrement déterminé.
Les visages plissés des adolescents, les murmures sur leurs lèvres et la confusion dans leur regard n'échappèrent pas au directeur. Il retourna près du micro pour le déposer sur son pied et annonça :
— J'imagine que vous avez plein de questions. Je vous dis d'avance que je n'ai pas réponse à tout et que je suis dans l'attente de plus d'informations de la part du responsable du côté de la Ghost Society. Mais, allez-y un par un, je vais faire au mieux.
Une main s'était vivement levée depuis le fond. Ryan Scott plissa les yeux pour reconnaître son élève, hocha le menton dans sa direction.
— Valentina, vas-y.
— On sait si ça va durer toute l'année prochaine ?
— Il y a peu de chance. Il faudra forcément croiser des élèves des autres centres de formation, mais on ne peut pas se permettre de faire ça tout au long de la dernière année. Je pense que ça aura surtout lieu sur les derniers mois, quand il y a les examens finaux.
Une autre élève avait levé le bras, près des trois professeurs d'EPSA rassemblés devant l'estrade. Comme le directeur l'incitait d'un sourire, elle demanda :
— Les autres élèves vont venir ici ou c'est nous qui allons bouger ?
— Eh bien, ça fait partie des choses à définir pour de bon. Mais à priori, ce sera eux qui viendront. Nous avons les plus grands locaux. Ce serait le plus simple pour tout le monde.
Deux, trois puis quatre mains se dressèrent dans la salle. Ryan serra les siennes autour du micro, repoussa la fatigue. Plus que quelques heures et c'était le week-end.
Ryusuke jouait avec la coque de son téléphone, plongé dans ses pensées. Avec son groupe d'amis, ils s'étaient tous installés dans un coin du bâtiment des salles de classe. Leur prochaine heure de cours n'avait lieu que dans quinze minutes.
En attendant, ils débattaient à qui mieux-mieux sur ce qu'on leur avait annoncé. Kaya avait hâte d'en découdre avec de nouveaux élèves. Jason craignait que les niveaux ne soient pas alignés. Valentina stressait à l'idée de les affronter en plus des examens de dernière année. Tess ne pensait qu'aux apprenties Amazones, auréolées de mystères.
Et Jim gardait le silence. Ryusuke rangea son téléphone, se glissa près de lui contre le mur. Depuis le discours du directeur, son ami s'était assombri. Il avait l'air de penser à mille choses en même temps, sans pouvoir en démêler une seule.
— Tu en penses quoi ? De ce projet Réseau ?
— Que c'est Edward derrière ça, marmonna Jeremy sans détour. Et que j'étais pas du tout au courant. Je sais pas de quand ça date. Ni à quel point il est impliqué... mais il l'est forcément.
— Ah bon ? Pourquoi ? C'est vaste, la Ghost Society, non ?
— Oui, mais il est en partie responsable du centre de formation, expliqua son ami, les yeux perdus dans le vague. Le projet Réseau vient de la Ghost. Ils veulent challenger leurs recrues-Fantômes... Ça le concerne forcément.
Ryusuke colla la langue à son palais en cogitant à ce que lui disait son compagnon. Ça expliquait l'attitude dispersée de Jeremy depuis quelques minutes. Et la tension qui crispait sa mâchoire.
— Ça te stresse ?
— Un peu, ouais. Les recrues-Fantômes de notre âge, je les connais. C'est pas des rigolos. Et puis... ça me rappelle le temps que j'ai passé là-bas.
— Je comprends. (Ryusuke lui serra le bras avant de casser le contact pour ne pas le mettre mal à l'aise.) Même ta cousine t'a rien dit ?
— Nan, c'est ça qui est encore plus bizarre, grommela Jim en se frottant le dessus de la main dans un geste nerveux. J'espère qu'Edward lui a pas foutu la pression ou un truc comme ça.
Jeremy quitta le vide pour lorgner vers le couloir, où le reste de leur classe attendait le début du cours. Il enchaîna toujours à voix basse, pour que sa discussion reste privée avec Ryu :
— Et je pense à mon père. Ça doit lui foutre les boules aussi. Si ça se met vraiment en place à l'École, Edward va sûrement ramener sa fraise. Ils se sont pas vus depuis un bail. J'ai peur de ce qui pourrait se passer.
Ryusuke, qui n'était pas encore arrivé à ce stade du raisonnement, grimaça. Depuis le retour de Jim, il avait eu le temps de comprendre les tensions familiales qui agitaient les Sybaris.
— Merde, c'est clair. Edward vous la joue à l'envers, encore une fois.
— Ouais. Mais bon, cette fois c'est vraiment professionnel. Il s'amuse pas avec notre famille pour son plaisir personnel.
Le dépit dans la voix de Jeremy tira sur le cœur de Ryu. Il se tourna pour bloquer la vue à son ami, le prit par les épaules. L'ombre qui couvrait les iris dépareillés de son ami s'éclaircit alors que Ryusuke affichait une expression déterminée.
— Quoi qu'il se passe avec ce projet Réseau, souffla Ryu, on est ensemble. Tu peux compter sur moi. Sur Tina, Jason et les autres.
Un léger sourire aux lèvres, Jim tapota les bras de son ami, hocha la tête.
— Oui, on a passé un deal, rappelle-toi. J'arrête de tout vouloir régler tout seul.
Soulagé, Ryusuke le lâcha avant de lui tapoter le crâne. Il en profita pour aplatir quelques épis.
— Comme quoi, ça finit par rentrer.
Il avait plu tout le reste de l'après-midi. Jim releva sa capuche avant de sortir du bâtiment, reniflant l'air chargé d'humidité. Alors que ses amis se dirigeaient vers la sortie ou le Centre, l'adolescent les salua de la main et partit s'isoler près des tables de pique-nique. Avec le mauvais temps et la fin des cours, Jeremy ne risquait pas de croiser qui que ce soit.
Il tripota son téléphone plusieurs secondes avant de se décider à lancer l'appel. Avachi sur le banc, Jim ne se redressa que lorsque la voix de Rebecca s'éleva, sérieuse comme toujours :
— Oui, gros naze ?
— Salut, Becca. Je peux te parler ?
— T'es en train de le faire.
Jeremy roula des yeux, même si sa cousine ne pouvait pas voir son exaspération. Après avoir ravalé une réplique plus acide qu'il ne l'aurait voulu, il grommela :
— C'est sérieux.
— OK. Deux secondes. (Il perçut le bruit éloigné de sa respiration, quelques échos, une porte qui claque puis un meuble qui grince.) Vas-y, je t'écoute.
— Tu sais ce que c'est, le projet Réseau ?
Rebecca grogna à l'autre bout des ondes. D'une voix lasse, elle répondit finalement :
— Oui. Mon père m'en a parlé y'a quelques mois. On vous l'a enfin annoncé, du coup ?
Décontenancé, Jim observa la chute des gouttelettes sur le béton pendant quelques secondes. Après quoi, il gronda tout bas :
— Tu savais ? Pourquoi tu m'as rien dit ?
— Mon père m'a fait promettre de pas t'en parler, expliqua Rebecca sans sourciller. Même ton père pouvait rien te dire.
Vexé, Jim serra plus fort son téléphone, soupira.
— Tu sais, j'aurais rien dit. Au pire, j'en aurais parlé avec Ryu et peut-être nos potes. Mais...
— Et eux-mêmes en auraient parlé à leur famille. Qui en aurait discuté avec les autres parents d'élèves. Puis tous tes petits camarades de classe auraient été au courant.
Agacé par cette logique implacable, Jeremy claqua la langue. Il écrasa une goutte d'eau qui avait traversé sa capuche et roulait sur son front.
— Bon et j'imagine que tu pourras rien me dire si t'en apprends plus ?
— Nan, arrête de me soudoyer, grand gamin. Tu apprendras en même temps que tes camarades. Et puis de toute façon, c'est mon père qui gère ça, pas moi. On se voit encore moins qu'avant et, quand on se retrouve, on parle pas forcément boulot.
La culpabilité mit complètement fin aux idées de Jim. Il se cala contre le rebord de la table, étendit les jambes devant lui.
— Ça se passe comment, d'ailleurs ? Tes premières missions de Fantôme ?
— Ça... se passe. Je demande des affectations pas trop complexes. Des trucs qui peuvent m'emmener à l'autre bout du pays, si possible. Ne pas voir les Sybaris me fait bizarrement un bien fou.
— Tu m'étonnes, grinça l'adolescent. Je suis content pour toi, en tout cas. T'es de plus en plus indépendante.
Rebecca acquiesça d'un grognement sourd. Elle avait l'air épuisée.
— T'es où, là ? En mission ?
— Nan, au siège de la Ghost. Mais je suis rentrée y'a une heure à peine. J'allais prendre une douche quand t'as appelé.
Jim sourit, zieuta le ciel couvert et menaçant qui crachait ses larmes sur l'École.
— C'est le déluge, ici. Pas la peine d'être chez moi pour me faire rincer.
— Si tu me parles de météo, c'est que je peux couper l'appel, le railla sa cousine avant d'ajouter plus doucement : en vrai, je vais te laisser là, Jem. Je rêve de dormir.
Le surnom tira à Jim une moue surprise.
— Tu m'appelles Jem, maintenant ? Ça me fait bizarre, y'a que mes parents et leurs amis qui m'appellent comme ça.
— Je peux pas t'appeler gros naze à chaque fois. J'ai encore un peu de compassion.
L'adolescent commenta sa réponse d'un rire forcé avant de déclarer :
— Bon, je te laisse prendre ta merveilleuse douche. À bientôt, Becca.
Quand l'appel se coupa, Jim observa l'écran noir de son portable avec une drôle de lourdeur dans la poitrine. Un an et demi qu'il n'avait pas revu sa cousine. À quelques occasions, ils avaient fait des appels en visio, mais c'était loin d'être similaire à une rencontre physique.
Elle lui manquait vraiment. Et, entre sa récente prise de fonction en tant que Fantôme et les propres activités de Jim, l'adolescent s'imaginait mal trouver le temps pour de réelles retrouvailles.
Avecle projet Réseau, c'était peut-être même son oncle qu'il reverrait avant sapropre cousine. La perspective lui tira une grimace aussi sombre que le ciel.
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