- Chapitre 3 -

Lundi 9 mai 2022, Nevada, États-Unis d'Amérique.



Ethan s'éveilla en sursaut au milieu de la nuit. La pièce principale de la chambre du motel était plongée dans une semi-obscurité. Il n'y avait pas de volets aux fenêtres et les rideaux étaient bien trop fins pour filtrer la lumière de la lune et des éclairages extérieurs.

La nuque mouillée de sueur, Ethan se redressa et vida la bouteille d'eau qu'il avait laissée sur la table de chevet. À sa gauche, Michael ronflait tout son saoul. Ethan eut un sourire de dépit en constatant que ses pieds dépassaient du lit simple. Il lui avait proposé de dormir dans le couchage plus grand de la chambre, mais Mike avait préféré le laisser à Jim.

La moquette sous les pieds d'Ethan l'ancra plus fermement au monde réel. Des frissons courraient sur ses flancs, des démangeaisons picoraient son dos. Les cauchemars s'agrippaient à son corps et lui brouillaient l'esprit. Agacé, il chaussa ses baskets, se couvrit d'une veste et poussa la porte de la chambre. L'air s'était rafraîchi avec l'arrivée de la nuit, mais les insectes ne chômaient pas. Les crissements des grillons emplirent son crâne. Chassèrent les réminiscences de cris et de suppliques.

Un raclement de gorge sur sa droite le fit virer d'un demi-tour. Les épaules drapées d'une veste, Jeremy s'était installé sur un banc en béton grossier. Il lui adressa un rictus dans la pénombre.

— Tu devrais dormir, remarqua Ethan, sans savoir s'il le constatait simplement ou le lui reprochait.

— Toi aussi.

Ethan se permit un sourire crispé. C'était un reproche. Mais la fatigue et l'angoisse accumulées les rendaient tous les deux guère aimables. Sans un mot, il s'installa à côté de son fils. C'était la première fois qu'ils se retrouvaient seuls.

Et c'était toujours aussi difficile de constater que rien n'avait l'air d'avoir changé. Ils étaient deux inconnus. Séparés par les années et les remords. Ethan croisa les bras. Il avait laissé un autre membre de sa famille s'éloigner de lui à cause d'accusations silencieuses et de regrets amers. Ça n'arriverait pas une seconde fois.

— Je me pose mille questions.

Ethan se redressa pour considérer son interlocuteur. Lèvres maussades, Jim avait le regard plongé vers l'obscurité qui ceignait le motel.

— Et j'ai pas de réponses exactes.

— Qu'est-ce que tu veux savoir ?

— Tout, lâcha Jeremy avec un rire nerveux. Comment vous avez fait, avec Myrina ? Les Sybaris risquent pas de se lancer à notre poursuite ? Maman et Thalia, elles sont où ? Pourquoi Ryu vit avec Dimitri ? On va où une fois qu'on sera à Modros ? Je vais pouvoir retourner à l'École ?

Ethan attendit qu'il ait déversé son flot de pensées avant de reprendre la parole :

— Tu auras toutes tes réponses, Jem. Mais, pour répondre aux plus urgentes, il y a des chances qu'Edward essaie de te récupérer. Ça m'étonnerait qu'il laisse tomber tout ce qu'il a fait depuis plus d'un an.

— Il a encore besoin de moi, acquiesça Jim d'un ton morne. C'est trop tôt. Il venait juste de me présenter à ses supérieurs et au réseau de la Ghost.

Comme l'expression de l'adolescent virait à l'appréhension, Ethan se pencha vers lui.

— Demain, on repart dès le lever du soleil. On se sépare en deux voitures et on roule jusqu'en Californie. Ça m'étonnerait qu'ils puissent nous retrouver facilement.

— Oui, mais après ? À Modros ?

Face à l'air insistant de Jim, Ethan eut du mal à ne pas se détourner. Il s'était interdit de lui mentir. Plus jamais.

— Après, je peux pas te promettre que tout se passera comme on veut. On va faire le maximum pour te protéger. Si tu peux de nouveau intégrer l'École, ce serait l'idéal. La Ghost Society ne pourra pas venir te chercher là-bas.

— L'École m'a pas protégé la première fois, marmonna Jim d'une voix amère.

— Edward avait enlevé Thalia et maman. C'était différent.

— Oui, mais il est capable de tout. (Jeremy lui jeta un coup d'œil agacé.) Ce sera qui, la prochaine fois ? Toi, Mike ?

Ethan ne se risqua pas à répondre. Il ne pouvait rien promettre. Simplement suggérer des solutions. Espérer le meilleur.

— On fera tout pour se protéger mutuellement, souffla Ethan après coup.

— Avec plus seulement ta mère aux fesses, mais aussi ton frère ?

Une brusque montée de colère. Jeremy se releva, s'avança pour serrer la rambarde entre ses doigts. Une part de lui était terrorisée à l'idée de voir Edward Sybaris débarquer de nouveau dans sa vie. Une autre était persuadée que l'homme ne lui ferait jamais de mal.

— Ils... t'ont fait du mal ?

Jim sursauta face à l'écho de ses pensées. Confus, il se tourna vers son père. L'air suppliant qu'il affichait lui ficha mal aux tripes. Qu'est-ce qu'il s'imaginait ?

— C'est vague, faire du mal.

— Physiquement.

Ethan lâcha la précision dans un souffle apeuré. Jeremy ne lui retourna que de la stupéfaction.

— Non. Je me suis blessé en cours, mais jamais ils m'ont tapé ou je sais pas quoi.

Ethan baissa la tête jusqu'à sa poitrine. Son soulagement devait être palpable, car Jim émit un rire jaune avant de maugréer :

— Mais ça veut pas dire que... que je suis...

Le mot adéquat ne lui venait pas. Sous la frustration, il se détourna de nouveau pour presser la balustrade de ses paumes. Il sentit à peine les échardes qui s'enfoncèrent sous sa peau.

— Psychologiquement, je me doute que ça a dû être difficile.

Jim serrait trop les dents pour répondre sans s'étouffer de colère. Son père avait-il beaucoup d'autres évidences à lui sortir ?

— Mais je ne voulais pas qu'ils te touchent. Surtout elle.

Jeremy laissa passer plusieurs expirations avant de se tourner vers son père.

— Quoi ?

Ethan s'était levé à son tour et se tenait en haut du petit escalier qui menait au parking. Il n'eut pas le courage de regarder son fils dans les yeux pour lui répondre.

— Ma mère. Pendant un an et demi, j'étais mort d'inquiétude à l'idée qu'elle...

— Alexia Sybaris m'a plus approché une fois qu'Edward m'a présenté à la famille. Cette folle m'a menacé d'un flingue. Je pense qu'il lui a interdit de me revoir après ça.

Ethan descendit les escaliers en se prenant le visage entre les mains. Il ne voulait pas que Jim soit témoin de son effroi, de sa délivrance. Pendant des mois, il s'était demandé si son fils était victime de la maltraitance qu'il avait lui-même subie.

— Elle voulait me tuer, reprit Jeremy sans remarquer la réaction de son père. Elle veut tous nous tuer. Mais je l'ai pas revue depuis ce soir-là.

— Ed t'a au moins protégé d'elle.

Le souffle abattu d'Ethan parvint difficilement jusqu'aux oreilles de l'adolescent. Jim observa son père depuis la coursive avant de se frotter les yeux.

— Tu le prends pour un monstre ?

Étonné, Ethan tourna les talons et leva le nez vers Jim.

— Quoi ?

— Ton frère. Tu penses que c'est un connard égoïste ?

— J'ai jamais dit ça...

— Je dis pas que tu l'as dit, rétorqua sèchement Jeremy. Je te demande si tu le penses.

— Son égoïsme l'a poussé à enlever ta mère, ta sœur puis toi. Mais je pense pas que ce soit un... connard.

Jim plissa le nez sans répondre, recula de la balustrade puis se dirigea vers la porte.

— Je lui pardonnerai jamais, lâcha-t-il avant de rentrer. Mais... certaines choses étaient pas si mal, là-bas.

Ethan tressaillit, ouvrit la bouche, mais ne trouva que le vide. Il s'efforça à inspirer un grand coup avant de relancer :

— Il t'a mis en danger en t'amenant au sein de cette famille de fous. Comment tu peux penser que c'était bien, là-bas ?

— Change pas ce que j'ai dit, siffla Jim en haussant le ton. Certains trucs étaient bien. Mieux que dans ma vie d'avant. Et tu considères que Myrina est une folle ? Et ta nièce aussi ?

— N-Non, évidemment que non.

— Ils sont pas tous aussi noirs que tu le penses. Rebecca... Becca m'a sauvé.

Ethan pinça les lèvres, impuissant. Il ne savait rien de sa nièce.

— Je te parle du reste de la famille, Jeremy. Tu penses vraiment qu'Alexia est saine d'esprit ?

— J'ai pas dit ça non plus. Mais mets-les pas tous dans le même panier.

L'adolescent ne laissa guère à son père le temps de répondre. Une fois la porte refermée derrière lui, il jeta un coup d'œil à son parrain qui dépassait du lit simple. Alors qu'il traversait la pièce d'un pas nerveux, Michael lança doucement :

— C'est toujours aussi compliqué, hein ?

Agacé, Jim s'arrêta avant d'entrer dans sa chambre. Il pressa son front contre le battant et marmonna :

— Tu m'emmerdes, Mike. Tu ronflais quand je suis sorti y'a une demi-heure.

— J'ai le sommeil adapté aux besoins de mes proches. Et je sais que mon p'tit gars a besoin de moi.

Michael s'était levé et se traînait jusqu'à l'adolescent. Jim le laissa faire quand il lui posa une main sur l'épaule.

— Même si vous vous comprenez pas vraiment, c'est important que tu parles avec ton père, Jem. À force, vous finirez pas vous entendre.

— Je sais pas. Ça va te paraître dingue, mais je m'entendais mieux avec Edward.

— Outch. Pitié, dis pas ça à ton père. Faudra que je le ramasse à la petite cuillère après.

Son ton léger ne décrispa guère les épaules de son filleul.

— Je suis sérieux, Mike. Edward... me parle pas comme si j'étais demeuré. Depuis le début, il a été honnête et direct. Même si ça m'a fait chier, il m'a dit ce qu'il pensait de moi.

— Jeremy, c'est bien trop tard pour parler de ç a. Retourne te coucher.

Exaspéré, Jim se dégagea de l'étreinte de son parrain d'un coup d'épaule et s'engouffra dans sa chambre. Mike le regarda s'étaler avec une moue soucieuse.

— Essaie de te reposer.

— T'es comme lui, cracha Jim depuis son lit. Tu détournes la conversation et tu veux pas voir la vérité en face.

— Jeremy, plus tard. Dors, maintenant.

La voix de Mike, devenue froide, incita Jim à obéir. Mais, quand il ferma la porte de sa chambre, l'adolescent enfonça le visage dans oreiller. Il aurait voulu hurler. Leur faire comprendre. Dépité, il se contenta de serrer le coussin jusqu'à ce qu'il en ait mal aux doigts.

Et le sommeil ne revint pas.


Comme promis, ils étaient tous les six prêts à prendre la route au lever du soleil. Ellis, Grace et Jane, qui avaient passé une meilleure nuit que leurs voisins, menèrent les opérations. Bientôt, toutes les affaires furent rangées dans les coffres des deux voitures et les conducteurs installés derrière les volants.

En descendant vers le parking, Jeremy avisa la voiture de Mike. Ethan s'était glissé sur le siège passager. Frustré, l'adolescent dépassa le véhicule pour rejoindre le deuxième. Jane lui jeta un coup d'œil étonné quand il se glissa sur la banquette arrière.

— Tu vas pas avec Mike et ton père ? s'enquit Grace en se tournant vers lui.

— Je préfère pas.

Les deux femmes échangèrent un regard, mais n'émirent aucun commentaire. À l'extérieur, Ellis se dirigea finalement vers la voiture de Mike.

— Où est Jem ? demanda ce dernier en observant le parking par la vitre.

— Il est monté avec Grace et Jane.

— Quoi ? s'exclama Michael d'un air effaré. Bon sang, ce gosse.

— Mike, c'est pas grave, le rassura Ethan en lui serrant le bras. Démarre, Jane nous attendra pas éternellement.

— Quand même, grommela l'intéressé en s'exécutant. Il est hors de question qu'il te mette de côté. Bordel, c'est maintenant ou jamais.

— Je pense qu'il sait, soupira Ethan en observant le motel disparaître dans le rétroviseur extérieur. Ça fait même pas un jour qu'on l'a retrouvé. Il faut lui laisser du temps.

Depuis la banquette arrière, Ellis esquissa un pâle sourire.

— Je suis bien d'accord. C'est un sacré chamboulement pour lui. Mais je suis sûr qu'il reviendra vers toi, Ethan.

Le concerné échangea un regard avec son père grâce au rétro intérieur.

— J'espère qu'il mettra pas autant de temps que moi, souffla Ethan d'un air gêné.

— Arrête, c'est moi qui aurais dû être là pour toi. Pas l'inverse. (Ellis tendit le bras pour serrer doucement l'épaule de son fils.) Ethan, essaie de garder confiance en toi. Jeremy finira par s'apercevoir des efforts que tu fais pour lui.

— Et s'il le fait pas, intervint Michael avec une œillade complice, je m'occuperai de son cas.

Ethan sourit pour lui-même, le nez tourné vers la vitre. C'était difficile de se convaincre pleinement que tout irait sur des roulettes. En même temps, il ne pouvait pas nier que la situation s'améliorait. Après tout, ils avaient sauvé Jim. Même s'il n'avait pas encore l'air d'avoir complètement quitté la Ghost Society.

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