- Chapitre 24 -
Lundi 19 décembre 2022, Down-Town, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.
Jason observait. La décoration, le mobilier, les va-et-vient d'Ethan dans l'appartement. Assis sur le canapé, aussi figé que la plante verte en pot près de lui, il attendait que passe la tempête. Aussi bien celle qu'Ethan essayait de gérer – son fils – que celle qui lui balayait l'esprit.
Comme pour se rappeler ce qu'il fabriquait ici, l'adolescent portait de temps à autre une main à sa joue. Sentait la chaleur palpitante sous ses doigts, contournait l'éraflure qui bourdonnait contre l'os de sa pommette. Rick ne manquait pas de force.
Les souvenirs devenaient trop désagréables. Jason s'extirpa du canapé pour rejoindre le meuble TV en face de lui. Au-dessus, des dizaines de clichés de polaroid étaient suspendus à l'aide d'une guirlande lumineuse. Il tourna la tête vers le couloir, aperçut une réplique similaire, bien que plus petite, sur la porte de chambre de Thalia. Jason sourit en imaginant la jeune fille sur la pointe des pieds en train d'accrocher les photos de famille.
Snowball occupait une bonne partie des polaroids, à la surprise de Jason. En figuration dans les bras de sa maîtresse ou en sujet principal de la photographie. Son air suffisant créait un fil rouge à travers les clichés. Jurait avec les yeux pétillants de Thalia, l'expression tranquille d'Ethan ou les rares sourires de Jim.
Le cœur de Jason s'alourdit alors qu'il tendait le cou vers la chambre de son ami. Un mélange de gêne, de compassion et de frustration avait gagné Jason quand il avait réalisé que Jeremy s'y était enfermé sans intention d'en sortir dans l'immédiat. C'était lui qui avait proposé qu'ils se rendent chez Ethan, le temps de faire le point. De fuir leurs démons respectifs. Et quelques mots de son père avaient suffi à faire voler en éclats sa façade.
Une façade bien fragilisée, dont Jason ne s'était pas rendu compte. C'était douloureux de le réaliser, alors que Jim avait pris sa défense face à Rick et l'avait emmené en sécurité. La sensation de ne pas lui avoir rendu la monnaie de sa pièce renforçait son orage mental. En même temps, avec de telles bourrasques qui le faisaient chanceler, comment aurait-il pu servir d'ancre à quelqu'un ?
Jason fit volte-face, retourna s'effondrer sur le canapé. Se contenter de respirer lui semblait une épreuve suffisamment éprouvante.
Ethan s'était assis à même le matelas de son fils. Les coudes posés sur ses genoux, il patientait. Par le passé, Mike et Maria avaient rarement attendu qu'il soit à l'écoute pour parler de leurs problèmes. Ils l'avaient fait spontanément et la profonde affection d'Ethan à leur égard avait suffi pour trouver les bons mots, les bons gestes.
L'homme ne trouvait ni les mots ni les gestes pour Jim. L'adolescent était toujours ratatiné sur sa chaise de bureau, la tête entre les mains. Le refluement de l'angoisse l'avait laissé exténué, étrangement immobile. Il s'était servi de l'acide pré-anxiolytique pour débiter tout ce qui s'était passé la veille. Puis, échoué sur la plage de ses émotions en sourdine, il s'était tu.
— Jem, souffla Ethan sans le quitter des yeux, même si l'adolescent était dos à lui. Comment vous en êtes arrivés là ? Je sais que ce n'était pas le grand amour entre William et toi, mais...
Il vit les épaules de son fils se crisper. Ethan passa une main fébrile sur son visage. Une part de lui s'était enfuie au plus profond de son être, refusait de voir la réalité. Une autre se trouvait mentalement face à Will, prête à lui écorcher le visage pour ce qu'il avait fait. La dernière était recroquevillée dans une chambre d'adolescent, à ne pas savoir comment réagir.
— C'est à cause de ce qu'a dit Thalia.
Ethan cilla face à la voix éraillée de Jeremy. Enfin, la parole lui revenait.
— Thalia ? Qu'est-ce qu'elle a dit ?
— Des trucs qu'elle a entendus. De la bouche de Will, à la base. Et de celle de maman. Ça m'a foutu la rage. Après ça, on s'est engueulés et... tu connais la suite.
— Qu'est-ce qu'ils ont dit ? C'était à propos de toi ?
Après un moment de silence, Jim se tourna légèrement de biais. Même s'il regardait vers les posters muraux au fond de sa chambre, Ethan était plus tranquille en ayant un aperçu de son visage. L'expressivité de son fils facilitait la lecture de ses émotions.
— Ouais. (Jeremy glissa les yeux vers son père, hésita.) J'ai la tête à l'envers, papa. Je sais plus qui croire. Quoi croire.
— Comment ça ?
— Maman... maman et toi, vous avez été heureux à ma naissance ?
L'adolescent s'était positionné face à lui sur sa chaise à roulettes. Il broyait ses doigts pour détourner une partie de la pression qui pesait sur sa conscience. En face de lui, Ethan déplia les jambes, le ventre noué.
— Bien sûr, murmura-t-il d'un air déconfit.
— Mais, insista son fils en fronçant les sourcils, tu es sûr que tout s'est bien passé ?
— C'était compliqué, répondit Ethan après un instant d'hésitation. Je ne vais pas te mentir, Jem. On... on ne t'attendait pas vraiment.
L'intéressé tressaillit sur sa chaise, cligna des yeux confus. Devant son expression atterrée, Ethan enchaîna rapidement :
— Jemmy, si on avait pas voulu de toi dans votre vie, tu ne serais pas là. Tu as été une surprise, c'est vrai, mais une surprise merveilleuse.
— Merveilleuse, répéta Jeremy d'un ton morne. Mais vous avez eu tellement de problèmes après. Sans parler d'Adrián...
À ces mots, la colère froide qui grésillait en Ethan gagna en intensité. Il ne savait pas dans quel contexte Will et Maria avaient mentionné Adrián, mais s'ils y avaient lié Jim...
— Qu'est-ce que tu sais sur lui ?
— C'était le partenaire de maman, expliqua Jeremy du bout des lèvres, mal à l'aise. Et son meilleur ami. Il est mort... quand je suis né, hein ? (Comme Ethan ne niait pas, l'adolescent sentit ses traits se défaire.) Comment tu peux me dire que vous avez été heureux, sérieux ? Maman l'a perdu au moment de ma naissance.
— Nous l'avons pleuré, Jem. Mais nous avons aussi célébré ton arrivée.
— Si maman avait pas été enceinte de moi, elle aurait pu être là avec lui, ce jour-là.
— Arrête, intima Ethan d'un ton sec. J'étais avec Adrián quand il est mort. Mike aussi. Crois-moi, on a tout fait pour le sauver. Même si ta mère avait été là, on aurait pas pu empêcher ce qui s'est passé.
Jeremy préféra se taire. L'expression de son père était devenue orageuse. Il pressentait qu'il déclencherait la tornade en insistant. Il n'avait jamais vu son père en colère. Et il préférait se passer d'une telle scène.
— C'est juste que, reprit-il plus doucement, maman m'a encore menti. Sur tout ça. Sur les problèmes qu'elle a eus quand je suis né.
Ethan se releva avec un soupir. Après avoir serré l'épaule de son fils, il répondit :
— Je sais que tu lui en veux, Jem. Surtout qu'elle t'a menti sur d'autres choses. Mais je la comprends aussi. Elle voulait te protéger.
— Quand j'étais petit, d'accord, chuchota-t-il avec frustration. Mais aujourd'hui ? Elle continue. J'en peux plus.
Face à la porte, Ethan soupira. Lui qui se targuait de communiquer avec ses enfants prenait conscience du trou béant qui bouillonnait encore au sein de leur famille. Un fossé creusé depuis des années qui n'avait jamais été complètement comblé.
— Il faut que vous en parliez, reprit-il en ouvrant la porte. Je vais lui dire que tu es rentré à la maison.
— Dis-lui de pas venir, répondit Jeremy à brûle-pourpoint. Je... je veux pas la voir tout de suite.
Face à son expression troublée, Ethan n'eut pas le cœur de contrer. Il se rangeait à son avis, de toute façon. Connaissant Maria et Jim, il craignait que leur confrontation crée des étincelles plutôt que du progrès.
Jason était toujours enfoncé dans le canapé du salon. Au moins Snowball, le chat de Thalia, était-il venu se blottir sur ses genoux. Adolescent et boule de poils sursautèrent quand la porte de la chambre de Jim s'ouvrit puis se ferma sur Ethan.
— Désolé, lança celui-ci en se dirigeant vers la kitchenette pour se servir un verre d'eau.
Il resta un moment penché au-dessus de l'évier, la tête baissée. Jason se demanda s'il allait vomir, s'il devait lui proposer son aide. Avant qu'il ait pu se décider, l'homme posa son verre dans un tintement sec et rejoignit l'adolescent dans le salon.
— Je peux regarder ta joue ?
La question n'en était pas vraiment une. Docile, Jason repoussa gentiment le chat et se leva. Quand Ethan tendit les doigts pour vérifier l'état de sa pommette, les jambes de Jason le firent reculer. Il se cogna contre le bord du canapé, retomba lourdement.
Ethan le considéra en silence d'un air mortifié avant de lui tendre la main.
— Jay, désolé.
— N-Non, c'est moi, bredouilla l'intéressé, les joues brûlantes.
Une fois debout, il n'osa plus regarder son interlocuteur dans les yeux. Sa manière de réagir en disait plus que tout. Ethan ne chercha d'ailleurs pas à l'approcher plus. D'une voix étonnamment rauque, il s'enquit :
— Tu veux que je te donne de quoi nettoyer ?
Jason hocha la tête en se couvrant la joue d'une main. L'idée qu'on ne lui touche plus le visage n'était pas déplaisante. Sa peau le démangeait comme si des doigts invisibles y glissaient.
Quand Ethan fut de retour avec des compresses, du désinfectant et du coton, Jason serrait Snowball dans ses bras. La bête s'était prêtée au jeu en ronronnant bruyamment.
— Eh ben, lâcha Ethan avec un sourire, tu as de la chance. Il accepte de faire des câlins qu'à Thalia, d'habitude.
— J'aime bien les chats, j'ai l'impression qu'ils le sentent, expliqua Jason d'une petite voix.
Il reposa l'animal pour récupérer ce que lui tendait Ethan.
— Merci. Et encore désolé.
— Jay, ne t'excuse pas, soupira Ethan en se laissant choir dans l'angle du canapé. Jem ne m'a rien dit de ce qui s'est passé chez toi. D'après lui, il y a que toi qui as le droit de le dire... ou pas.
Comme Ethan coulait un regard entendu dans sa direction, l'adolescent se tassa. De nouveau, des sentiments contradictoires à l'égard de Jeremy. La reconnaissance qu'il ait tu ce dont il avait été témoin. La frustration qu'il n'ait pas lui-même avoué ce qui était arrivé.
— C'est compliqué, s'entendit-il répondre à la place.
— Je m'en doute, Jason. (Ethan soupira, enchaîna rapidement :) Je vais appeler Maria. Tu voudrais que j'appelle ta mère aussi ?
Jason cessa de tapoter sa joue, incertain. Il avait si bien caché toute la vérité à Grace depuis des années... Mais avec une trace pareille sur le visage ? Avec des jambes flageolantes, un cœur au bord de l'apoplexie ?
— Est-ce que... je peux prendre ton portable pour lui faire un message ? Ce sera plus simple pour moi. De lui expliquer.
— Bien sûr. J'appelle Maria rapidement et je te le donne.
Téléphone collé à l'oreille, il s'éloigna dans le couloir puis s'enferma dans sa chambre. Jason retourna à ses cotons imbibés de désinfectant. Dans le silence de l'appartement, Snowball vint se frotter à ses jambes. Jason le caressa distraitement.
Snowball émit un miaulement appréciateur quand sa maîtresse se précipita dans l'appartement pour le prendre dans ses bras. Secondée d'une Maria morose, Thalia se recroquevilla au milieu du séjour. Elle avait déverrouillé la porte avec son propre jeu de clés, trop craintive à l'idée que son père ou son frère ouvrent d'eux-mêmes. Bien sûr, ils finiraient par se montrer, par poser des questions.
Mais, avant ça, Snowball. Sa fourrure douce, qui sentait bon le chat. Son larynx qui vibrait, envoyait des ondes rassurantes dans sa poitrine. Blotti près sa maîtresse, Snowball frotta sa tête contre son menton.
Thalia gardait les paupières obstinément closes. Inspirait, sentait, écoutait. Pour oublier le bruit qu'avait fait le crâne de son frère contre la marche d'escalier. Pour effacer le rouge de son sang sur le parquet du couloir. Pour étouffer le cri de Maria quand elle avait aperçu son corps inanimé.
— Thalia ?
L'intéressée redressa le cou, croisa le regard stupéfait de son père. Un regard qui ne tarda pas à couler vers Maria. Les deux adultes s'affrontèrent silencieusement.
— Maria, entama Ethan d'une voix rauque, je t'avais dit de...
— Pas venir, l'interrompit la concernée d'un ton sec. Sérieusement ?
Ethan pinça les lèvres, s'assombrit. Comment lui en vouloir ? Malgré la demande de Jim de ne pas voir sa mère tout de suite, il aurait été incapable de rester sans rien faire à la place de Maria.
Celle-ci soupira en comprenant qu'Ethan ne dirait rien de plus. Elle zieuta vers la chambre de leur fils, se passa une main nerveuse dans les cheveux.
— Comment il va ? Tu vas l'emmener voir un médecin ?
— Ses points ont bien tenu, expliqua Ethan avec un froncement de sourcils. J'imagine que c'est William qui les a faits.
— Oui. Mais je parle de sa tête, marmonna Maria en faisant un geste inconscient vers son propre crâne. Will a dit qu'il s'est sûrement fait une commotion cérébrale en chutant.
L'annonce fit pâlir Ethan. Il se remémora les gestes saccadés de son fils, sa façon de chanceler, de cligner souvent des yeux ou la discontinuité de son discours. Il avait mis tout ça sur le compte du choc émotionnel et de la fatigue.
— Merde, souffla-t-il d'une voix pincée par la culpabilité. Non, il m'a rien dit de spécial. Mais je vais l'emmener voir quelqu'un quand il se réveillera.
Maria acquiesça, soucieuse, puis lorgna de nouveau la porte close.
— J'ai bien compris que c'est lui qui veut plus me voir. (Son ton flancha, mais elle se força à poursuivre :) Je voulais au moins t'amener Thalia, pour pas qu'elle reste là-bas. Jeremy me parlera quand il en sera capable.
Son ton sans appel évita à Ethan de la contredire. Elle semblait avoir compris. Quand Ethan lui avait téléphoné plus tôt pour la prévenir que leur fils était rentré, il avait été ferme. Jim avait énoncé son souhait. Maria l'avait accepté.
Si Ethan était soulagé qu'elle ne cherche pas à voir l'adolescent de suite, il en était également mal à l'aise. Ça signifiait, sans l'ombre d'un doute, qu'elle avait conscience de ses torts. Or, Ethan était si habitué à baigner dans sa culpabilité qu'il en oubliait les fautes de ses proches. C'était vrai ; il n'était pas le seul responsable du malheur de sa famille.
Toujours troublé, Ethan se tourna de nouveau vers Thalia. Agenouillée au milieu du salon, les yeux cachés par sa frange brune, elle n'avait pas l'air de vouloir lâcher son chat. Le cœur d'Ethan rata un battement alors qu'il prenait conscience que sa fille, sa petite fille, avait passé des mois dans la maison d'un homme capable de gifler le fils de sa compagne.
— Ça te dérange pas ?
— Quoi ? fit-il en réaccordant son attention à Maria.
Elle s'était approchée pour observer Thalia. Sans changer d'expression, elle réitéra sa question :
— Que je te laisse Thallie. Ça te dérange pas ? Je veux plus qu'elle soit proche de lui.
Lui.
— Bien sûr, Maria. Ils peuvent rester ici aussi longtemps que nécessaire.
Elle esquissa un pâle sourire, le remercia d'un hochement de tête.
— Et toi ?
Maria cilla, détourna le regard. Ethan remarquait seulement la façon dont elle protégeait sa poitrine avec ses bras croisées. Les creux sombres sous ses yeux verts. L'épis dans ses cheveux. La raideur de sa position.
— Tu peux dormir ici, si tu veux, embraya-t-il sans y réfléchir deux fois. Je dormirai sur le canapé. Prends ma chambre.
Notre ancienne chambre, songea distraitement Ethan malgré lui.
— Tu rigoles, grinça Maria d'un air sidéré. Ethan, c'est gentil, mais non. Je suis juste venue avec Thalia et ses affaires. Je repars juste après.
— Maria, tu es sûr de vouloir rester avec...
Bien qu'il ait laissé sa phrase en suspens, la façon dont elle plissa les paupières était limpide.
— Je reste pas avec lui. Je l'ai quitté. (Elle décroisa les bras pour se frotter distraitement la main.) Je veux plus jamais le revoir.
Un glaçon se coinça contre la glotte d'Ethan.
— Mais, Maria, tu vas aller où ? Tu es sans logement.
Elle haussa les épaules, se mordilla la lèvre. Frotta de nouveau sa main. Ethan remarqua alors le rouge sur ses jointures. Spontanément, il traversa les mètres qui les séparaient, lui prit le poignet. Maria tressaillit, mais ne se déroba pas alors qu'il observait les écorchures.
— Qu'est-ce qui t'est arrivé ? (L'homme marqua une pause, blêmit un peu plus.) Ne me dis pas qu'il...
— Non. C'est moi. C'est moi qui l'ai frappé.
Incapable de masquer sa surprise, Ethan réagit à peine quand Maria retira sa main avec un sourire blessé. Thalia s'était tournée vers eux, dévisageait sa mère d'un air interdit.
— Tu peux me juger si tu veux, marmonna-t-elle en reculant. Mais je pouvais pas... j'arrivais pas à... Après ce qu'il a fait à Jem, à mon trésor, je...
Sa voix cassa, à défaut de sa façade. Un élan de peine traversa Ethan. Elle s'imaginait qu'il désapprouvait ses agissements. Qu'il lui en voulait d'avoir donné un tel exemple à leur fille.
— Tu sais, Maria, murmura-t-il pour que Thalia ne l'entende pas, si ça n'avait pas été toi, je l'aurais fait.
Maria écarquilla brièvement les yeux, détailla l'expression de l'homme pour s'assurer qu'il disait vrai. À vrai dire, la vérification était superflue : Ethan ne lui avait jamais menti ouvertement et elle lui faisait confiance pour penser qu'il ne le ferait pas plus aujourd'hui.
La sonnette retentit avant que Maria puisse lui en confier plus. Elle interrogea Ethan du regard, mais il haussa des épaules confuses. Thalia se remit debout tandis que son père ouvrait la porte. Toujours secouée par les événements de cette dernière journée, elle s'approcha de sa mère et lorgna l'entrée de l'appartement.
Maria venait de passer un bras autour de ses épaules quand la nouvelle venue apparut sur le pas-de-porte. Une chappe de soulagement tiède entoura Maria.
— Grace, lança-t-elle d'une voix avenante à son amie.
L'intéressée lui rendit son sourire avant d'étreindre rapidement Ethan. Après avoir fait de même avec Maria et sa fille, Grace s'éclaircit la gorge avec embarras.
— Où est Jay ?
— Dans ma chambre, répondit aussitôt Ethan. Il a dit qu'il se sentait pas très bien et préférait t'attendre au calme.
Comme elle hochait la tête, les yeux gonflés de larmes retenues, Maria lui serra l'épaule. Ethan lui avait expliqué succinctement pour Jason. D'une façon cruelle, leurs destinées s'étaient quelque part rejointes en cette soirée funeste.
— Jason m'a dit ce qui s'était passé avec Will, chuchota Grace alors que les deux femmes s'avançaient dans le couloir. Je suis tellement désolée, Maria. Tu avais enfin une situation plus stable et quelqu'un de sérieux dans ta vie, mais...
— Il faut croire qu'il était pas si sérieux que ça, siffla Maria d'un ton venimeux. Je m'en veux, car y'a eu des signes. Mais je me suis dit qu'on ferait tous des efforts, qu'on allait passer au-dessus de tout ça et réussir à vivre tous ensemble. Tu parles.
— Ne te rejette pas tous les torts, Maria. En fin de compte, c'est William qui a levé la main sur ton fils. C'est lui le problème dans l'histoire. Il vous a tous manipulés.
— Mais je suis responsable d'avoir imposé à Jem un homme pareil. Et j'ai peur qu'il me le pardonne pas.
Grace baissa la tête, déglutit péniblement. En prenant la main de Maria dans la sienne, elle souffla :
— Maria, il faut déjà que tu te pardonnes à toi-même. Ça et tout le reste. Comment veux-tu que tes enfants comprennent et pardonnent tes choix tant que tu te punis pour le moindre de tes actes ?
Plus bousculée par ces mots qu'elle ne voulait le montrer, Maria rit nerveusement avant de secouer la tête.
— On en reparlera plus tard. (Avant que Grace puisse pousser la porte d'Ethan et que Maria se laisse museler par la honte, elle enchaîna doucement :) Je peux te demander un service ?
Face au regard curieux, ouvert, de son amie, Maria trouva quelques filaments de courage en plus.
— Si ça te dérange pas trop... je peux rester dormir chez toi ce soir ? Et... sûrement demain soir aussi ?
— Et toute la semaine et aussi longtemps que nécessaire, acquiesça Grace du tac-au-tac.
Elle passa un bras autour du cou de Maria, l'attira contre son épaule.
— Je te laisserai pas affronter ça seule, Maria.
Malgré la honte qui lui brûlait les entrailles – c'était Grace qui aurait dû être dans ses bras, en train de pleurer ce qu'elle avait manqué avec Jason – elle se laissa aller. Et laissa aller les larmes.
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