- Chapitre 18 -
Vendredi 25 novembre 2022, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.
Le cabinet médical de William était accolé à sa petite maison de banlieue. L'une des portes du hall d'entrée permettait d'y accéder. Jim enclencha l'interrupteur à côté de la poignée avant de se faufiler par l'ouverture.
Il aimait passer les week-ends avec sa mère, mais la maison de Will était généralement plus bruyante que l'appartement de son père. Maria écoutait la radio en taillant ses bouquets de fleurs ou se lamentait devant ses films à l'eau de rose. Thalia tourbillonnait d'une pièce à l'autre, un audiolivre ou un documentaire en mode haut-parleurs sur son portable. Si Will était plutôt discret, Jim n'appréciait pas pour autant sa présence. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, il avait le sentiment de déranger le médecin par sa simple existence.
Alors le cabinet était l'un des rares endroits où il se sentait à l'abri du bruit et des regards. Jeremy n'avait évidemment pas le droit d'y aller, mais l'accès n'était pas verrouillé et les adultes habitués à le laisser faire sa vie. D'ailleurs, Maria et Will s'imaginaient sûrement qu'il s'était enfermé dans la chambre de Thalia pour écouter de la musique.
Jim consulta l'horloge en s'installant sur l'une des trois chaises de la salle d'attente. Il avait cinq minutes de retard. Et un appel manqué. Sans attendre, il enclencha l'appel retour en se mordillant le doigt.
— Cinq minutes, gros naze, entama la voix sans même dire bonjour.
— Oh, ça va, tout le monde a pas ton temps libre, princesse.
— Princesse ? ricana sa cousine. Toi, la prochaine fois qu'on se voit...
Comme elle laissait sa phrase en suspens, Jeremy répondit à sa place :
— Quoi ? Tu passes déjà ton temps à te moquer de moi et à me violenter.
— Te violenter, répéta Rebecca d'un ton amusé, je pensais même pas que tu connaissais ce mot. T'as appris à lire entre temps ?
Comme Jim se contentait de rire, sa cousine en profita pour ajouter :
— J'ai plein de trucs à te dire, j'espère que t'as ta soirée.
— Mmh, si ma mère et son copain me tombent pas dessus, oui.
— OK, ben débrouille-toi pour rester caché. Bon, déjà, ça va ?
— Ça va. J'ai encore des bleus de notre tournoi de mercredi, mais ça va.
— Un tournoi ?
Jim se replaça sur la chaise pour soulager les douleurs vagues qui s'éveillaient dans son corps. Le plastique rigide de l'assise n'était pas en harmonie avec ses hématomes.
— Ouais, un délire de nos profs d'EPSA. Ils voulaient qu'on affronte les autres classes dans un tournoi de combat à mains nues.
— Oh et t'as perdu combien de fois ?
Jeremy soupira-grogna dans le micro de son portable.
— Eh, tu pourrais pas me demander si j'ai gagné sérieux ?
— Réponds, imbécile.
— J'ai perdu deux fois, marmonna-t-il d'un air vaincu. Et gagné une fois.
— Tu feras mieux la prochaine fois. T'étais seul ou en binôme ?
— Avec Ryu. Mais mine de rien on est plus trop habitués l'un à l'autre. Faut qu'on s'entraîne.
Rebecca grogna son assentiment avant d'enchaîner abruptement :
— Bon, j'ai parlé avec mon père.
— Quoi ? Quand ?
— Y'a trois semaines déjà. Mais on arrivait pas à s'appeler avant alors je te le dis que maintenant.
Par nervosité, Jim se leva et entreprit de faire le tour de la salle d'attente. Ses doigts s'étaient crispés autour du téléphone. Son cœur résonnait dans le silence de la petite pièce.
— Et ? Vous avez parlé de quoi ?
— Surtout de moi. Je lui ai enfin dit. Que je voulais pas continuer.
— Il a pas pété un câble ?
— Nan. Mais je lui ai dit que j'allais passer mon diplôme quand même. Histoire qu'il se jette pas par la fenêtre. (Jim grommela une réponse vague qui incita sa cousine à continuer :) J''ai dit que je bosserai quelques années. Mais que je comptais pas grimper les échelons et devenir directrice comme il se l'imagine. C'est pas du tout ce que je veux.
— Je sais bien, Becca. Tu lui as dit, pour ton projet d'équithérapie ?
— Non, avoua-t-elle après un silence. J'avais peur que ça fasse trop d'un coup. Et puis, je suis pas sûre de moi. Je préfère attendre en ayant un meilleur plan.
Jim sourit vaguement contre le téléphone. Rebecca avait beau dire, elle était bien la fille d'Edward. Elle mesurait, calculait, échafaudait des plans.
— Et... ajouta Jeremy avec hésitation, tu lui as dit pour... euh...
— Pour quoi ? l'interrompit sa cousine d'un air impatient.
— Pour ce que tu m'as dit un peu avant que je parte de la Ghost. (Comme elle ne répondait pas dans l'immédiat, Jeremy ajouta d'un ton incertain :) Euh... pour ta préférence pour les filles.
Sa cousine grommela des paroles inintelligibles. Laissa passer un silence. Jim ferma les yeux en se maudissant en pensées. Rebecca avait déjà dû prendre sur elle pour aborder ces sujets avec son père. Son orientation sexuelle aurait sûrement été de trop. Du moins pour cette fois.
— J'ai pas osé, finit par avouer sa cousine d'une voix crispée. Je sais pas si j'oserai un jour. Tu sais, ils sont pas vraiment ouverts, les Sybaris. Myrina m'encouragerait. Peut-être que mon père finirait par accepter, mais les autres...
— Ouais, lâcha Jim sans avoir besoin de s'épandre. Désolé pour toi, Becca. Encore quelque chose que tu es obligée de cacher.
— Je cache tellement de choses que je sais même plus qui je suis, parfois, avoua-t-elle d'un ton étranglé. C'est aussi pour ça que je veux partir. J'en peux plus d'effacer qui je suis.
Peiné, Jeremy préféra conserver le silence. Il n'avait jamais eu à confronter ses proches sur ce genre de sujet. Il ne pouvait imaginer le genre de cassure qu'on craignait de provoquer sur la surface bien lustrée des attentes familiales.
— Mais, au moins, reprit Rebecca d'une voix plus assurée, il a compris pour ma carrière. Même si c'était compliqué.
— Tu m'étonnes, grinça Jeremy en roulant des yeux. Il a vraiment pas pété un câble ?
— Si, un peu. Mais ça a fini par passer. J'en ai profité pour parler de toi.
L'adolescent se figea au milieu de la salle d'attente, désemparé.
— Pourquoi ?
— Je lui ai fait promettre de vous laisser tranquilles, ta famille et toi.
— Et il a accepté ? rebondit-il d'un air ahuri.
— Je pense que oui. Je crois pas qu'il ait envie de briser sa promesse envers moi.
Les jambes de Jim finirent par se remettre spontanément en mouvement. Le carrelage était froid sous ses chaussettes et tempérait la chaleur qui lui montait au crâne. Alors, sa cousine avait réussi à les mettre hors de danger, aussi simplement ? Une petite promesse et sa famille pouvait souffler pour de bon ?
— Et notre grand-mère ? marmonna Jeremy plus sombrement. OK, ton père nous laisse tranquilles. Je sais que c'est pas un connard et qu'il tient à toi. Il va sûrement la tenir, sa promesse. Mais elle ? Elle veut nous tuer, Becca.
— Je sais pas, sincèrement. Je sais qu'elle nous traite très différemment, mon père et moi.
— Elle vous tolère, ouais, ricana amèrement son cousin.
— Tu sais, mon père était vraiment déçu et en colère quand tu as retrouvé tes proches. Mais je pense qu'il va continuer à vous protéger d'elle. Il l'a toujours fait.
Cette annonce fit monter un goût de bile dans la gorge de Jeremy.
— Comment ça ?
— Ben, il a gardé le secret de votre survie, à Thalia et toi, pendant des années. Tu le sais déjà.
— Oui, oui, mais... Après, tu crois qu'elle voulait encore...
— Se débarrasser de vous ? Peut-être. J'imagine que oui. Vous êtes la dernière tache au tableau.
— C'est toi, la tache.
La réplique faiblarde tira un soupir à demi-amusé à sa cousine. Elle savait que Jim cachait volontiers son désarroi et son anxiété derrière les attaques inoffensives. Après tout, ça avait été leur moyen de communication favori ces deux dernières années.
Jeremy était planté près du comptoir d'accueil quand la porte grinça dans son dos. Il eut à peine le temps de faire demi-tour que la lumière lui brûlait les rétines. Puis la voix de William s'éleva, glaciale de surprise et de colère :
— Qu'est-ce que tu fais là ?
Le goût de bile afflua dans la bouche de l'adolescent. Après avoir forcé ses lèvres à se desceller, il souffla rapidement à Rebecca :
— Désolé, Becca, je dois te laisser. À plus.
Il raccrocha sans attendre et fit face au médecin. Le regard bleu foncé de Will paraissait noir. Un relent de cigarettes émanait de lui ; il devait revenir du porche de la maison où il avait l'habitude de fumer. Gêné par cette odeur, Jeremy recula de quelques pas.
— J'étais juste au téléphone, expliqua-t-il en levant son portable.
— Tu as rien à faire ici, soupira William en s'approchant. Je te l'ai déjà dit. C'est pas la première fois que tu me fais ce coup. Je peux pas te faire confiance, Jeremy.
L'intéressé se crispa à ces mots. La bile devenait de plus en plus amère dans sa gorge. Rendait ses mots étranglés.
— Comment ça ? Sérieux, j'étais juste en train d'appeler ma cousine. J'ai rien fait d'autre.
— C'est un cabinet médical, ici, gronda Will à voix basse. Pas un café. Tu peux pas te balader comme tu veux. J'ai des dossiers sur mes patients, des analyses, des factures... Il se passe quoi si tu fouilles ou que tu éparpilles mes affaires ?
Le visage de Jim pâlit sous le halo blafard des plafonniers. Même si William le dépassait de quelques centimètres seulement, l'homme au visage assombri lui apparut menaçant.
— C'est bon, Will, je suis resté dans la salle d'attente. Et je sors tout de suite.
Pour mettre les paroles à exécution, Jim fourra son portable dans la poche de son jeans et contourna le médecin. Ses muscles se tendirent à proximité de l'homme, réaction instinctive à sa froide colère.
Avant que Jeremy puisse atteindre l'entrée, William lui saisit fermement le bras.
— Je te revois plus jamais ici, c'est compris ?
Jim se dégagea sans prendre la peine de répondre. Il se contenta de rendre à l'homme son regard furieux et opéra un demi-tour hâtif. Dans le hall, il manqua percuter sa mère qui se baladait avec un pot de crème glacée bien entamé.
— Oups, fit Maria sans la moindre once de culpabilité. Prise sur le fait.
Comme son fils s'éloignait vers l'étage, Maria lui lança :
— Tu en veux ?
Elle fronça les sourcils alors que Jim disparaissait dans l'obscurité du couloir sans répondre. Will finit par sortir du cabinet à son tour. La femme nota aussitôt ses lèvres plissées et ses yeux agacés.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Ton fils était dans la salle d'attente. (Devant le regard inquisiteur de sa compagne, il ajouta :) Tu sais que les enfants ont pas le droit d'y aller. Je leur avais déjà dit. Thalia au moins respecte ça.
Maria secoua la main devant elle, lasse.
— Will, il devait juste téléphoner. Il s'isole là-bas comme on fait du bruit.
— La chambre de sa sœur irait très bien aussi, rétorqua l'homme d'un ton implacable. Bordel, Maria, y'a les dossiers de mes patients. Du matériel médical. Il est hors-de-question qu'un gamin bordélique traîne là-bas.
— Il a quinze ans, pas huit, grommela Maria en roulant des yeux. Fais-lui confiance un petit peu.
Will serra les mâchoires, considéra la cuillère de crème glacée que la femme venait de porter à sa bouche. Son ton se durcit.
— C'est justement ce que je peux pas faire avec ton fils, Maria. Il n'est pas digne de confiance. Je suis désolé de te dire ça, mais tout ce qui s'est passé ces dernières années est un exemple. Tu penses sûrement que Jeremy est un gentil garçon, mais il a la fourberie de sa famille paternelle.
Maria s'arrêta de manger pour secouer la tête. Ses yeux s'étaient fait aussi durs que ceux de son compagnon.
— Sérieusement, Will ? Je sais que mon fils n'est pas un petit garçon innocent. J'aurais vraiment aimé le préserver, mais j'ai raté. Je sais. Et tu es médecin, c'est pas à toi que je vais apprendre l'impact limité de l'ADN sur un caractère. Si l'attitude de Jim te déplaît, c'est à moi que tu dois en vouloir. Je l'ai élevé.
— Tu n'as pas été la seule. Tout ce temps à la Ghost Society... ose dire qu'il est revenu comme avant. Ils lui ont appris à mentir et à manipuler. C'est le boulot familial, chez les Sybaris.
— Oh, arrête ton char, siffla Maria en refermant le couvercle du pot de glace, l'appétit coupé. Si ça avait été Thalia, tu en aurais pas fait autant.
Le médecin tressaillit, ouvrit la bouche avant de la refermer tout aussi vite. Son exaspération se mua en dédain à peine dissimulé.
— J'ai confiance en Thalia. C'est une fille sérieuse et fiable.
— Jeremy est l'une des personnes en qui j'ai le plus confiance, soupira Maria en se dirigeant vers la cuisine. Tu n'as même pas idée. Tu sais tout ce qu'il a fait pour sa sœur ? Ou pour moi ? Et tu oses dire qu'il est pas fiable.
— Encore heureux, après tous les malheurs qu'il a provoqués.
Maria, qui venait de ranger le pot de glace, se redressa avec une expression dépitée.
— Will, parfois je me demande qui tu essaies punir à travers Jeremy. Moi ? Son père ? C'est un enfant, tu sais. Un enfant. Il n'a aucune responsabilité.
— Tu plaisantes ? s'offusqua le médecin en haussant la voix. Ouvre les yeux, Maria. Il passe son temps à prendre des décisions pour lui-même sans se soucier de ce qui va se passer ensuite. La preuve quand il est parti rejoindre son oncle.
— Pour nous sauver. Thalia et moi serions pas là sinon.
— C'est vrai que les adultes pouvaient pas s'en occuper. Mais comme il en fait qu'à sa tête, il...
— Cette discussion est stérile, le coupa Maria en se plantant face à lui. Je suis pas aveugle, je vois que tu en veux à Jeremy. Pour des choses que je ne comprends pas.
William baissa le nez, serra les dents. La vérité lui piquait la langue. Lui plombait la poitrine. Comme Maria tendait les doigts pour lui serrer le poignet, il soupira de frustration.
— William, je veux juste comprendre. Jeremy ne t'a jamais rien fait. Il a peut-être agi de façon impulsive. Mais comprends-le, il se sentait au pied du mur.
— C'est pas que ça, gronda l'homme tout bas pour être certain de ne pas être entendu d'oreilles curieuses. Depuis le début, Maria. C'est un enfant de malheur.
La femme le lâcha avec une moue peinée. Qui mua ensuite en fermeté.
— Tu te trompes. Avec Thalia, c'est la personne qui m'apporte le plus de bonheur.
— Ton isolement social, ta carrière suspendue, l'éloignement avec ta mère, tes soucis de santé, la mort d'Adrián, ton hospitalisation, l'incendie de votre maison, ta séparation avec Ethan... Du bonheur, Maria ? Vraiment ?
Comme s'il avait asséné un atemi dans sa poitrine engourdie, Maria recula de quelques pas fébriles. Conscient de la faille qu'il avait entrouverte, William enchaîna :
— Tout le temps et l'argent perdus à le faire soigner, à vouloir l'aider alors qu'il ne s'aidait pas lui-même, puis votre kidnapping à Thalia et toi... Tu as conscience que ton fils a un lien direct avec tout ce que j'ai énoncé ?
Maria resta quelques secondes silencieuse, blême et figée. Une statue de cire. Dépitée, attristée. Ébranlée.
Puis, enfin, les flammes dans ses yeux. Elle se pressa le front, soupira. Déclara simplement :
— Heureusement que t'as jamais eu d'enfants, Will. Tu aurais été un père exécrable.
Désemparé, il cligna des yeux, souffla :
— Je te demande pardon ?
— Tu m'as entendue. Avoir des enfants, c'est pas espérer que rien de grave arrive. C'est savoir qu'on va se tromper, les décevoir, être déçus et peut-être se faire du mal mutuellement. Franchement, c'est de se préparer à ça et d'essayer de trouver les solutions pour amoindrir la casse. (Devant l'air dérouté de son compagnon, elle reprit d'une voix plus assurée :) Quant à tout ce que tu as énoncé... c'est le résultat de mes décisions. Des décisions qu'Ethan et moi avons prises. De nos erreurs. On en a fait beaucoup, Will. Je vais pas me voiler la face.
Elle avala le mètre qui les séparait d'une grande foulée, se planta sous le nez du médecin.
— Je n'ai jamais oublié Adrián. Parfois, je rêve de revenir en arrière, de signer l'autorisation d'avortement juste pour être certaine d'être envoyée en mission avec lui quelques mois plus tard et pouvoir le protéger. Y'a des jours où je regrette d'avoir voulu construire quelque chose avec Ethan pour voir tout ça s'effondrer. D'autres où je rêve de n'être jamais tombée amoureuse, d'avoir été célibataire toutes ces années pour la seule promesse de plus souffrir.
Maria croisa les bras pour se donner plus de contenance face à l'homme, plus grand, plein de colère, qui lui faisait face.
— J'ai plein de regrets, de tristesse et de colère, moi aussi. Mais j'ai aussi beaucoup, beaucoup, d'amour, de bonheur et de fierté. Essentiellement pour mes enfants. Et ça, Will, c'est ce qui te manque. Tu es pas foutu d'aimer inconditionnellement. C'est la pire tare pour un parent.
William profita d'une longue respiration de Maria pour marmonner :
— Effectivement, on peut pas se comprendre.
— Will, n'en fais pas des tonnes. Dès le début, j'ai été honnête avec toi pour que ça se passe bien. Tu t'occupes pas de mes enfants. Tu te mêles pas de leur éducation. Tu n'essaies pas de devenir un deuxième père. Toi et moi, on...
— On quoi, Maria ? Tu m'as avouée à demi-mot que tu préférerais encore être seule.
— Arrête. On l'a tous voulu un jour, quand c'est trop douloureux de perdre des proches.
— Si tu estimes donc qu'on est pas fait pour être ensemble, embraya-t-il d'une voix rauque, je préfère encore...
— Non, l'interrompit Maria en agrippant son bras. Will, non. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je suis sûre que ça peut bien se passer. Mais je ne suis pas à l'aise avec ce que tu imposes à mes enfants.
Le médecin plissa les paupières, soupira, caressa distraitement la paume de sa compagne.
— Maria, tu m'en demandes trop. Tes enfants sont trop jeunes et trop présents dans notre quotidien pour que je ne puisse pas m'en mêler. Et tu auras beau dire, je reste persuadé que la balance bonheur-malheur que ton fils a apporté dans ta vie est déséquilibrée.
— Tu te trompes. Et j'aimerais que tu laisses à Jeremy la chance de te le prouver. (Elle déposa un baiser sur le dos de sa main.) S'il te plaît.
William la fouilla de son regard d'un bleu d'abysses, ne trouva aucun des failles précédemment ouvertes. Après avoir plissé les lèvres, il soupira :
— Très bien. À condition qu'il fasse lui-même des efforts et qu'il respecte certaines règles.
Après quelques secondes de silence, Maria hocha la tête.
Dans la salle à manger attenante, penchée au-dessus de son cahier d'apprentissage du grec, Thalia s'était figée. Sa mère avait mis en pause son film en allant chercher de la glace. Avait sûrement oublié la présence de sa fille.
Thalia pressa ses paumes contre ses lèvres, plissa les paupières. La honte d'avoir assisté à l'échange, d'en avoir entendu une grosse partie, se disputait à la tristesse. Les deux lui nouaient les entrailles, déchiraient comme du papier de soie ses désillusions enfantines.
À quoi faisait référence William en parlant de malheur ? Pourquoi avait-il accusé Jeremy d'avoir ruiné la vie de leur mère ? Quelle était la part de colère, celle de vérité ?
Avec la discrétion qu'on attendait souvent d'elle, Thalia se recroquevilla sur sa chaise, les jambes tremblantes. Les mots chuchotés de Will et de sa mère résonnaient si fort dans son crâne qu'elle ne trouva même pas la délivrance des larmes.
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