- Chapitre 11 -

Mercredi 31 août 2022, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.



Avant de sortir de la salle des profs, Ethan souhaita une bonne soirée à ses collègues. Une fois dans le couloir, il remonta directement en direction des escaliers. Thalia l'attendait accoudée à la balustrade. L'attente avait comme figé ses traits dans de la cire.

— Désolé pour le retard, lança-t-il d'un ton contrit, j'avais pas mal de paperasse comme c'est la rentrée.

— Pas grave, j'avais un livre.

— Et Jeremy ?

— Dehors, il voulait prendre l'air.

Comme ils s'engageaient côte à côte dans les escaliers, Thalia jeta un œil à son père. Elle avait suivi son frère dans sa volonté de ne pas s'exposer trop ouvertement en compagnie d'Ethan. Tous deux craignaient la réputation que l'on accordait aux enfants de professeurs. Si Thalia était toute nouvelle dans l'établissement, ce n'était pas le cas de Jim. Après le mauvais départ qu'il avait pris à l'École deux ans plus tôt, cacher son lien avec son père était une première étape pour éviter d'attirer l'attention. Et Thalia voulait se faire tout aussi discrète.

En dehors des internes qui s'installaient pour la nouvelle année, les élèves avaient quitté l'École. Thalia ne craignit donc pas d'accompagner son père jusqu'à la sortie. Comme convenu, Jeremy attendait sur un banc, des écouteurs dans les oreilles. Tête baissée sur l'écran de son téléphone, il ne remarqua pas immédiatement sa sœur et son père qui approchaient. À quelques mètres, Ethan ralentit le pas. C'était à voix basse et il ne le discernait pas très bien, mais son fils chantait. Il s'arrêta avant que Jim les aperçoive. C'était la première fois qu'il l'entendait chantonner ainsi. Ethan ne connaissait pas la chanson, mais le rythme lui plaisait.

— Il chante bien, remarqua-t-il alors que Thalia lui adressait un regard interrogateur.

— Tu l'avais jamais entendu ? J'ai voulu l'enregistrer, mais il veut jamais.

Ethan nia de la tête sans oser interrompre son fils. Il savait qu'il avait la fibre musicale ; Jeremy avait réclamé une guitare en guise de cadeau d'anniversaire tardif. Avec Maria, ils lui avaient donc offert une guitare acoustique. Ethan lui avait même donné son ancienne électrique après l'avoir retrouvée dans le fouillis de son garage.

Jim se tut brusquement quand il les remarqua enfin. Après avoir arraché ses écouteurs, il bondit du banc en emportant son sac-à-dos.

— Déso, je vous ai pas entendus.

— Pas de soucis. (Ethan le considéra avec un sourire intrigué.) Tu chantais quoi ?

— Rien de spécial, marmonna l'adolescent avant de changer de sujet : alors, ça va, cette rentrée ?

— Ça s'est très bien passé pour moi. Mais donne-moi ton ressenti d'élève : ma présentation était claire ? Je voulais pas vous mettre la pression dès le début d'année, mais il y a quand même pas mal de boulot qui nous attend.

Tout en remontant la cour, Jeremy zieuta les internes qui s'agitaient derrière les fenêtres du Centre. Il n'était pas encore à l'aise avec l'idée que son père soit également son prof.

— Perso, je dirais que ça va. La première fois, on est arrivé une semaine après la rentrée, avec Ryu. Direct jetés dans le bain. On avait pas d'infos, rien. Donc là, ça me paraît bien, oui.

Soulagé, Ethan lui sourit, mais son fils regardait ailleurs, comme souvent.

— Et ça va aller, avec Emily Hobs et Hugo Cowell ? J'ai bien vu la façon dont ils te surveillaient.

— C'est qui ? intervint Thalia avant que son frère ait pu répondre.

Jim grimaça, considéra le visage inquisiteur de sa sœur puis soupira. Après avoir redressé son sac sur son épaule, il expliqua d'un ton morne :

— Des Réguliers avec qui j'ai eu... des soucis. Quand on a été recrutés avec Ryu.

— Des soucis, répéta Ethan d'une voix amère, qui ont failli te faire expulser de l'École.

— Quoi ?!

L'exclamation de Thalia froissa les traits de son frère.

— Ça s'est bien fini, c'est ce qui compte.

Ethan haussa un sourcil en l'examinant d'un air dubitatif.

— Bien fini ? Jem, tu as blessé Emily et tu t'es fait harceler en retour. On peut pas vraiment dire que ce soit fini, ni que ça se soit bien passé. Il faut vraiment que tu fasses attention, avec eux.

— Je sais, grommela l'adolescent alors qu'ils franchissaient le poste de contrôle.

Ethan salua le gardien avant d'emmener ses enfants en direction du parking des profs. Pour fêter la rentrée, Ethan leur avait promis de les amener au restaurant. Jeremy laissa sa sœur monter devant et profita d'être seul sur la banquette arrière pour s'étaler. À peine le moteur démarré, Thalia et Ethan s'embarquèrent dans une discussion approfondie autour de la rentrée. Guère désireux de se mêler à eux, Jim retourna à la vidéo YouTube qu'il avait laissée en plan. Il avait découvert la chanson une semaine plus tôt et s'évertuait depuis à l'apprendre. Même s'il avait commencé à chanter par-dessus sa guitare depuis la Ghost Society, il rencontrait des difficultés pour maîtriser sa voix. Généralement, le rythme lui venait assez facilement, mais moduler les aigus, les graves et la profondeur de son ton était une autre histoire.

— Jim, l'appela sa sœur avec insistance.

L'intéressé retira ses écouteurs en vitesse. Thalia s'était tournée vers lui avec une moue bougonne.

— Pardon, quoi ?

— Pour le restau, italien ça te va ?

— Très bien.

Il renfonça ses écouteurs tout en ignorant l'air agacé de sa sœur. Ils auraient tout le temps de discuter une fois au restaurant.


Moins de dix minutes plus tard, la voiture s'arrêta. En sortant, Jim remarqua le visage fermé de sa sœur. Il s'approcha en enroulant ses écouteurs autour de sa main.

— Ça va ?

— Tu m'as ignorée tout le long et tu me demandes si ça va ?

Surpris par son ton sec, Jim s'arrêta au milieu du trottoir. Comme Thalia ne se départait pas de son expression courroucé, il esquissa un sourire contrit.

— Désolé, Thallie.

— C'est trop facile, rétorqua l'adolescente en s'engageant derrière leur père. Un « désolé » et tu penses que c'est oublié.

— Ça l'est pas ?

La nonchalance de Jeremy jeta un nouvel éclat irrité dans les yeux de sa sœur. Elle enfonça un doigt dans les côtes de son frère et gronda :

— Tu fais ça depuis que t'es rentré. T'étais pas comme ça, avant. C'est trop simple de penser qu'à toi puis de jouer aux gentils pour qu'on te dise que c'est pas grave.

Cette fois-ci, Jim perdit son expression légère et se figea. Il dut remonter à pas rapides les mètres que son père et sa sœur avaient avalés pendant qu'il restait planté sur place.

— Je voulais pas être méchant, Thalia, lui assura-t-il d'une voix rauque. C'est juste que... ben j'ai envie d'être tranquille, parfois. Toi aussi. Les parents aussi. Tout le monde.

Agacée, Thalia le lorgna du coin de l'œil avant de hausser les épaules dans un mouvement las.

— Avant, tu aurais pas fait ça.

De nouveau cet argument. Jim grimaça, s'empêcha de répliquer dans l'immédiat. Les quelques disputes qui les avaient opposés, sa sœur et lui, avaient généralement abouti à une même conclusion amère : la complicité fraternelle qui les liait autrefois s'était effritée. Thalia reprochait à son frère de ne plus avoir la même attention ni la même affection qu'auparavant. Jeremy en voulait à sa sœur de ne pas être capable de plus d'autonomie. Il avait besoin de son espace, elle avait besoin de l'inclure dans le sien.

— Thalia, siffla-t-il d'un ton exaspéré alors qu'ils ralentissaient face à la devanture du restaurant italien, c'est normal que j'aie changé. Toi aussi, t'as changé.

Thalia observa le reflet de son frère dans la vitrine qui donnait sur une salle de restaurant aux pierres apparentes, serra les dents.

— Moi, je suis pas devenue quelqu'un qui pense aux autres que quand ça l'arrange !

Avant que son frère puisse répliquer, elle dépassa leur père et poussa la porte d'un coup d'épaule rageur. Jim s'avança, mais Ethan s'interposa avant qu'il franchisse le seuil.

— Jeremy, calme-toi.

— Je suis calme, gronda-t-il alors que ses joues le brûlaient. C'est à elle que tu devrais dire ça, elle a presque défoncé la porte.

Ethan soupira, mais garda une main sur l'épaule de l'adolescent.

— C'est vrai que tu l'as ignorée pendant tout le trajet.

— Et alors ? J'ai pas le droit d'être tranquille ? Je dois tout le temps vous écouter parler de trucs dont je me fous ?

Le visage d'Ethan s'assombrit et sa main se fit plus ferme alors que son fils tentait de passer malgré le barrage de son corps.

— Ton langage, Jeremy. Je ne te demande pas de participer à toutes les conversations. Mais ta sœur t'a posé plein de questions sur toi et ta rentrée. Elle voulait même pas parler d'elle-même.

Face au regard imperturbable de son père et sa poigne sur son épaule, l'adolescent finit par capituler. Il recula d'un pas, se dégagea de l'emprise de l'homme et zieuta à travers la vitrine. Sa sœur était plantée près du comptoir de réception, les traits à moitié masqués par sa frange brune.

La culpabilité enfonça une barre brûlante en travers de sa gorge, lui coupant l'appétit. La journée avait été longue, entre les réunions, les retrouvailles avec ses camarades, les regards de haine échangés avec certains Réguliers. Si Jim s'était écouté, il aurait évité ce repas en famille pour s'enfoncer sous ses draps et se perdre dans la musique.

— J'ai compris, marmonna-t-il après quelques secondes durant lesquelles Ethan ne l'avait pas quitté des yeux.

— Jem, ajouta son père d'une voix adoucie, essaie de comprendre ta sœur. Tu as changé et, vu tout ce que tu as vécu ces dernières années, c'est normal. Nous avons tous changé. Mais ta sœur t'aime tellement et... je crois qu'elle a peur de ne pas te reconnaître et de te perdre.

— Elle va pas me perdre, répliqua Jeremy en fronçant les sourcils. Y'a pas de raison.

Ethan le considéra d'un air soucieux avant de le laisser entrer. Il comprenait parfaitement Thalia ; il partageait ses inquiétudes à propos de Jeremy. Son fils lui avait échappé trop de fois pour qu'il ne puisse s'empêcher de se demander quand serait la prochaine. Et la distance qu'avait instauré Jim avec ses parents et sa sœur ne rassurait pas. Il leur échappait de nouveau, tout en étant proche d'eux.

Et Ethan avait parfois l'impression que c'était aussi douloureux que lorsqu'il était absent de sa vie.


La nuit était complètement tombée quand ils sortirent du restaurant. La nourriture et une discussion plus légère autour des séries du moment avaient dissipé les dernières tensions.

Thalia remarqua en premier qu'ils ne prenaient pas la direction de la voiture quand Ethan les emmena dans une ruelle.

— On va où ? La voiture est de l'autre côté.

— J'ai une petite surprise de dernière minute.

La curiosité remplaça bien vite la perplexité sur le visage de l'adolescente. Elle accéléra la cadence pour ne pas se laisser distancer par les jambes plus grandes de son père. Sur ses talons, Jim les suivait en faisant la moue. Il aurait aimé retrouver au plus vite sa chambre pour profiter de quelques heures de repos avant de retomber dans la routine des cours.

La ruelle déboucha sur un square éclairé de quelques lampadaires. Des papillons de nuit s'y cognaient inlassablement. Jeremy ne put s'empêcher d'observer nerveusement les environs. Alors qu'il appréciait autrefois déambuler dans Seludage en compagnie de Ryu, traîner dans les rues de la ville lui mettait les nerfs à vif. Passer un an et demi enfermé dans une même zone de quelques kilomètres carré avait bousculé sa notion de l'espace.

Il se raidit instinctivement à la vue de la silhouette imposante installée sur l'un des bancs en bois du square. Ce n'est que lorsqu'il fut suffisamment proche qu'il s'autorisa à se détendre.

— Bonsoir la compagnie.

Thalia rejoignit Michael en courant à moitié. Ils s'étreignirent avec force tandis qu'Ethan et son fils les rejoignaient. Après s'être levé promptement, Mike serra tour à tour son ami et son filleul contre lui.

— Tu as bien fait de m'envoyer un message, sourit Ethan en se calant contre un arbre tout proche. J'avais pas fait gaffe qu'on était aussi proches de ton appart.

— Faut bien que l'un de nous ait un cerveau, Eth', répliqua tranquillement son ami avant de se pencher vers son sac à dos. J'ai amené à boire !

Il extirpa plusieurs bouteilles de son sac et Ethan plissa les yeux en apercevant le contenu mousseux de l'une d'elles.

— De la bière, Mike ? soupira-t-il à voix basse. Et qu'est-ce qu'on fait si on se fait choper ?

— Berk, fit Thalia en fronçant le nez.

— Pas pour toi, jeune fille, mais j'ai du jus de fruits, la rassura Mike en riant. Et j'ai justement mis l'alcool dans une bouteille toute simple. Je t'ai dit, Eth', il en faut un avec un cerveau.

Ethan récupéra la bouteille, vague sourire aux lèvres, avant de tendre l'une des briques à sa fille. Thalia les remercia puis s'enfonça dans le banc. Avec la chaleur de la journée concentrée dans le sol, cette petite fin de soirée à l'extérieur lui faisait plaisir.

Michael fronça les sourcils quand il remarqua que Jeremy ne prenait pas la brique qu'il lui proposait. À la place, l'adolescent donna un coup de menton vers la deuxième bouteille de bière que son parrain serrait de l'autre main.

— Je peux goûter ?

Désemparé, Michael ricana puis se tourna vers Ethan. L'homme observait son fils avec une moue surprise.

— Jem, tu as que quinze ans.

— Ethan, il a quinze ans. (Mike haussa des épaules nonchalantes face à l'expression suspicieuse de son ami.) On a pris notre première cuite à son âge.

— Et c'est pas une raison pour le laisser faire la même chose. (Ethan soupira en s'appuyant de nouveau contre l'arbre.) On avait pas de parents pour nous empêcher de faire nos conneries. Je compte bien jouer mon rôle de père tatillon sur ce sujet.

Alors que Jim grommelait dans sa barbe, son père lui tendit sa bouteille.

— Goûte. Je préfère que tu le fasses maintenant, sous mes yeux, que dans une soirée où personne t'arrêtera.

L'adolescent ne se le fit pas dire deux fois. Il récupéra la bouteille et porta le goulot à ses lèvres. Il sentit d'abord la mousse puis les bulles qui roulèrent sur sa langue. Alors l'amertume ripa contre ses gencives. Avec une grimace, il rendit la bière à son père.

— Mais c'est dégueulasse ! Vous vous êtes vraiment bourrés la gueule avec ça ?

Perplexe, Ethan considéra l'adolescent, la bouteille puis son ami. Alors Michael éclata de rire.

— Quand on est jeunes, fauchés et sans autre réelle attente que de s'amuser, c'est très bien.

Ethan se contenta de sourire, secrètement rassuré que son fils n'apprécie pas ça. Il savait très bien ce qu'une ambiance et un effet de groupe pouvaient produire. C'était une crainte en moins au milieu de son océan de peurs.


Comme les deux hommes échangeaient des souvenirs d'adolescence, bières en main, Jeremy et Thalia s'éloignèrent, intrigués par un trio de chats qui jouaient dans les buissons. Ethan profita du départ de ses enfants pour s'installer sur le banc à côté de son ami.

— Alors, cette journée en tant que prof à part entière ? T'as pas trop traumatisé tes élèves ?

— Oh, arrête.

— Je suis sérieux ! Jeremy t'a dit quoi ?

Ethan lorgna ses enfants qui attiraient les chats en tendant les doigts quelques mètres plus loin.

— Pas grand-chose. Il est pas très expansif avec moi. En tout cas, il m'a pas fait de reproches, alors j'imagine que ça s'est pas trop mal passé.

— Mais toi, comment tu le sens ?

— Franchement ? Je suis super content. (Ethan esquissa un sourire en observant le fond de sa bouteille par le trou du goulot.) Ça fait longtemps que je m'étais pas senti comme ça au boulot. C'est motivant, de se dire que ces gamins ont besoin de moi pour progresser. Et l'inverse est tout aussi vrai.

Avant de lui répondre, Mike passa un bras autour des épaules de son ami.

— T'imagines pas combien ça me fait plaisir de t'entendre dire ça, Eth'. Te voir perdre ta famille, ça a été un sacré coup. Te voir dépérir à la A.A, c'était pas drôle non plus. Alors, je pouvais pas espérer mieux que te voir épanoui avec tes enfants et avec un nouveau job.

Ethan pinça les lèvres pour retenir la vague d'émotions – reconnaissance, joie teintée d'amertume, peur d'y croire – qui enfla dans sa poitrine. Comme il était trop remué pour répondre, Michael en profita pour ajouter :

— Je suis pas sûr qu'on te l'ait dit, alors je suis fier de toi, vieux.

— Merde, Mike, soupira Ethan en portant sa bière à ses lèvres tremblantes. Merci. Moi aussi, je suis fier de toi.

L'intéressé ricana, tapota l'épaule de son ami puis retira son bras. Tous deux n'avaient jamais pu compter sur leurs parents. Envers et contre tout, ils étaient devenus l'un pour l'autre des repères de sûreté, de confiance et d'affection.

— Maintenant, j'espère qu'une dernière chose va vraiment s'améliorer pour toi. (Comme Ethan lui jetait un coup d'œil interrogateur, Mike donna un coup de menton vers les adolescents.) Ces deux zigotos, là, c'est pas toujours simple, hein ?

— Comment ça pourrait l'être ? Je vis avec ma fille depuis même pas deux ans. Et je suis certain que Jem me déteste encore un peu.

— Ethan, murmura Michael d'un ton rassurant, je t'ai déjà dit que c'était pas de la haine. Il est plein de colère, surtout après tout ce qui s'est passé avec les Sybaris. Mais je te promets qu'il te déteste pas. Laisse-lui du temps. Laisse-le être en colère. Mais assure-toi que cette colère n'est pas que contre toi. Ce serait pas juste.

— Je sais. Mais j'ai déjà perdu tellement de temps avec lui. C'est égoïste, mais je rêverais qu'on passe à autre chose et qu'on s'entende bien. Qu'on passe du temps ensemble. J'ai l'impression d'avoir construit quelque chose avec Thalia. Mais avec Jeremy ? j'ai juste le sentiment de garder des pots brisés intacts. La moindre secousse et tout s'écroule.

Peiné, Michael considéra les adolescents au loin – qui avaient réussi à convaincre l'un des chats de s'approcher – puis son ami. Ses traits affaissés dans le noir le vieillissaient. D'ailleurs, au cours de ces deux dernières années, ses tempes avaient grisé, les coins de ses yeux s'étaient creusés de pattes d'oie. Mike sourit pour lui-même ; au moins, ils étaient deux.

— Franchement, Ethan, rappelle-toi quand vous vous êtes retrouvés à l'École. Il voulait même pas te regarder. Il arrivait pas à t'appeler papa. Tu te rends compte les progrès depuis ?

Ethan s'empêcha de nier immédiatement. Michael avait raison. Il se remémorait sans mal l'expression de son fils la première fois qu'ils s'étaient revus. Son regard était alors bien plus confus. Son attitude, plus dans le rejet que dans l'échange.

— Je sais qu'il faut que je l'accepte, chuchota Ethan après un instant de silence. Que notre relation n'est pas celle que j'espérais. Qu'il n'est pas le fils auquel j'ai pensé pendant des années. Que je ne suis pas le père qu'il aurait aimé. Mais j'espère quand même que nos pots brisés vont tenir.

Avalant sa fin de bière d'une traite, Mike attendit d'avoir dégluti correctement avant de répondre :

— Je suis sûr qu'ils vont tenir, Eth'. Jem est un bon gamin et il a besoin de toi, quoi qu'il en dise. Et t'es un bon père. Quoi que tu en penses.

Touché, Ethan l'observa à la dérobée. Se sentit de nouveau malade à l'idée de la vie de famille dont la maladie de Mike l'avait privé.

— Haut les cœurs, comme on dit, lâcha ce dernier en se levant du banc. On rentre ?

— Oui. Tu veux venir dormir à la maison ?

La proposition spontanée tira une moue étonnée à Michael.

— Ça fera plaisir aux enfants, précisa Ethan avec une moue penaude. J'ai dit à Thalia qu'on pourrait regarder un film ce soir.

— Bon, si tu me caresses dans le sens du poil... Tu paies le pop-corn ?

Ils s'esclaffèrent de concert en rejoignant les adolescents vers l'entrée du square. À force de patience, ils avaient réussi à attirer les deux autres chats. Ethan dut faire promettre à Thalia de ne pas embarquer l'un d'eux à l'appartement.

Mike et Jim riaient encore lorsqu'ils sortirent tous les quatre du square.

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