- Chapitre 10 -
Mercredi 31 août 2022, Dourney, Modros, Californie, États-Unis d'Amérique.
Thalia avait passé le nez par la fenêtre baissée pour zieuter la foule qui s'était rassemblée devant l'École. Bien qu'il soit presque vide en ce premier jour de cours, son sac pesait une tonne sur ses genoux. Franchir une étape aussi importante que l'arrivée au collège lui causait des tracas. Elle ne savait pourtant pas ce qui l'inquiétait le plus entre la possible difficulté des cours et le simple fait de rejoindre une école aussi prestigieuse que celle de S.U.I.
Son dossier avait été accepté des mois plus tôt. Elle avait passé des examens dans son ancienne école primaire pour être sélectionnée dans divers collèges de Modros. Elle n'avait raté aucun test et s'en était même sortie haut la main. Et pourtant.
Et pourtant Thalia tripotait nerveusement le tissu léger de sa jupe alors que William garait la voiture sur le parking presque rempli. Aucun de ses amis de son école primaire ne l'avait suivie à l'école de S.U.I. Pour la deuxième fois en moins de deux ans, Thalia devrait faire connaissance avec des inconnus et nouer des liens. Combien d'années avant qu'un événement quelconque la coupe de nouveau de son quotidien ?
— Mon cœur ?
La main tiède de sa mère sur son genou la ramena à l'habitacle étouffant du SUV de Will. Ses cheveux relevés en chignon décoiffé, Maria la considérait avec souci.
— Stressée ?
— Oui.
Sa mère lui serra de nouveau le genou avant de donner un coup de tête vers le deuxième passager de la banquette arrière.
— Jim va t'accompagner pour trouver ta classe. (Alors que l'intéressé acquiesçait en silence, Maria ajouta gentiment :) Et si jamais tu te sens trop perdue, tu vas chercher papa d'accord ?
— Ça va bien se passer, assura Jeremy en ébouriffant les cheveux de sa sœur.
Thalia, qui avait passé plusieurs minutes dans la salle de bain à se faire des tresses plaquées, le repoussa en grommelant. Tout en tapotant sa frange désordonnée, elle jeta un nouveau coup d'œil par la fenêtre. Les nuages qui jouaient avec le soleil plongeaient régulièrement les bâtiments clairs de l'École dans l'ombre. Ils en paraissaient encore plus intimidants.
— Je sais que c'est très stressant d'arriver dans une nouvelle école, surtout au collège, souffla Maria sans cesser de la regarder. Alors je suis très fière de toi. Je sais que tu vas t'en sortir.
— Tu t'en es toujours bien sortie, appuya William en se tournant vers elle.
Thalia le considéra brièvement avant de se détourner. Elle savait les mots sincères, mais l'homme n'était guère expressif. Ses traits sévères, ses yeux d'un bleu nuit froid et ses lèvres minces s'agitaient si rarement que le moindre sourire en devenait surprenant.
— Si ça peut te rassurer, ajouta Jeremy en se penchant vers elle, moi aussi j'suis stressé.
Avec une moue méfiante, l'adolescente lorgna la chevelure désordonnée de son frère et son choix de vêtements douteux. Ce matin, alors qu'elle était déjà prête à partir, il traînait encore sur le canapé. Visiblement, ils ne géraient pas l'anxiété de la même manière.
— Ça va aller, insista Maria en les considérant tour à tour. Jim, tu surveilles ta sœur.
— J'suis pas un bébé, grogna Thalia.
— Et s'il y a le moindre problème, continua Maria sans sourciller, vous trouvez votre père.
Ils hochèrent docilement la tête. Avec un sourire, Maria leur indiqua la foule d'élèves parfois accompagnés de parents qui se pressait au poste de contrôle.
— Allez, mes trésors, c'est l'heure.
Comme Thalia ouvrait sa portière, Maria tendit le bras pour retenir son fils. Une fois la porte de l'adolescente claquée, elle souffla :
— Je sais que tu montres rien devant ta sœur, mais si tu te sens pas d'y aller seul, je peux appeler Ethan pour qu'il vienne vous récupérer à l'entrée.
Jim ouvrit la bouche avant de la refermer en sourire penaud.
— Ça va aller, maman. J'emmène Thalia à sa classe et on se retrouve direct avec Ryu. Je serai pas tout seul. (Il grimaça brièvement en hissant son sac à son épaule.) Puis tu sais ce qu'on a dit par rapport à papa. On évite de montrer qu'on est de la même famille à l'École. Je veux pas d'emmerdes avec ça.
— OK, je te fais confiance. (Maria le lâcha avant de sourire tendrement.) Je suis fière de toi aussi, mon chéri.
— Y'a vraiment de quoi ? intervint Will en haussant vaguement un sourcil.
Jeremy se raidit sur son siège alors que sa mère virait pour dévisager l'homme.
— Et pourquoi pas ?
— Tu m'as mal compris, soupira William en enroulant les doigts autour du volant. Je veux dire, pour Jeremy, c'est pas sa première rentrée à l'École. Contrairement à Thalia, il connaît déjà. Il devrait pas être stressé.
— Ça m'empêche pas de le rassurer. (Maria se tourna de nouveau vers son fils, dont le visage s'était fermé.) File, Jem, vous allez être en retard.
La femme attendit que ses enfants se soient éloignés pour marmonner :
— Will, je t'ai déjà posé une limite claire dans notre relation y'a plusieurs mois. Tu ne te mêles pas de l'éducation de mes enfants.
— Et je respecte ça, gronda-t-il en retour. Même si je pourrais quand même avoir mon mot à dire pour certaines choses. Ta fille vit quand même la moitié du temps chez moi.
— Chez toi ?
— Chez nous.
Maria poussa une exclamation dépitée avant de secouer la tête.
— Et tu refais plus ça. De balancer des piques à mon fils.
— C'est plus un gamin, Maria. Tu as pas besoin de lui tenir la main.
— Je pense le connaître mieux que toi, rétorqua Maria d'une voix glacée. Ça me coûte rien de l'encourager et de lui dire que je suis fière de lui. J'aurais aimé qu'on fasse pareil pour moi.
Will démarra le moteur et entreprit de sortir du parking. Il n'appréciait pas la façon dont sa compagne caressait ses enfants dans le sens du poil sans jamais émettre la moindre critique. Ce n'était pas en choyant sa progéniture qu'on l'aidait à grandir.
— Tu sais bien que c'est pas mon truc, soupira-t-il après coup. De dire des « je t'aime » et des « je suis fier de toi » aux gamins tous les jours. Ça perd son sens.
— Tu te trompes, répliqua Maria d'un ton sans appel. Mais on sera jamais d'accord. Alors on arrête là.
Comme il n'y avait rien à ajouter, Will se tut et se contenta d'un coup d'œil dans le rétro intérieur. Au loin, il reconnut les silhouettes de Thalia et Jeremy. Ses sourcils se froncèrent.
Thalia cessa rapidement de brandir sa fierté et préféra s'emparer du bras de son frère. Son geste se révéla plus qu'utile alors qu'ils avançaient compressés vers la cour de l'École. Comme elle n'avait pas envie d'avoir ses parents dans les basques pour son premier jour de collège, elle leur avait fait promettre de ne pas la suivre. Elle était à présent reconnaissante que son frère soit resté à ses côtés. Elle se sentait comme une petite fille perdue au milieu des adolescents plus grands qu'elle.
— Ah, les première année, c'est là.
Son frère tira sur son bras pour l'entraîner à travers un groupe d'une dizaine d'élèves. Sa gorge se noua alors qu'ils approchaient d'un étendard placé en hauteur. Un simple « 1ère année » était noté dessus avec une flèche. Rapidement, ils se retrouvèrent entourés d'élèves de la taille de Thalia. Jeremy ne détonna pas autant que prévu puisque des parents inquiets avaient accompagné leurs enfants et patientaient en marge.
— On regarde ta classe et je te laisse ici. Ça te va ?
Obnubilée par son observation des dizaines et dizaines de camarades qui l'encerclaient, Thalia ne lui répondit pas. Elle agrippa plus fort le bras de son frère, lorgna les mères et les pères qui avaient suivi leur progéniture. Finalement, elle regretta que ses parents ne soient pas là. Elle aurait aimé que son père et sa mère se réunissent pour un autre événement que son anniversaire.
— Thallie ?
Elle se retrouva soudainement avec le visage de Jim à hauteur du sien. Il avait plié les genoux et posé les mains sur ses épaules. Avec l'été, la peau bronzée de son frère était devenue tannée. Ses cheveux avaient clairci et il avait même quelques taches de rousseur solitaires sur le nez. Thalia prit conscience avec une drôle de peine qu'ils n'avaient pas l'air d'avoir le moindre lien familial à cet instant. D'ailleurs, des parents zieutaient dans leur direction avec une moue perplexe.
— Ça va ?
— Pas trop.
Le menton de Thalia se plissa. Après l'anxiété montait la culpabilité. Pour qui s'était-elle prise, à s'estimer assez grande pour affronter cette épreuve ? Car c'était une épreuve, pour elle. Tout avait changé trop rapidement ces derniers temps. Et ce n'était pas un été passé aux côtés de ses parents et de son frère pour la première fois en dix ans qui allait réparer les plaies qui cicatrisaient mal au fond d'elle.
— P'tit clown.
Le surnom lui fit levez le nez. Une ride creusait les sourcils de son frère. Même s'il avait encore grandi depuis son retour à Modros, Thalia détestait l'idée qu'il paraisse vieilli. Encore plus si c'était sa faute. Elle était son petit clown. L'être attendrissant qui le faisait rire depuis toujours.
— Tu sais que t'es la plus géniale des petites sœurs ?
— C'est stupide, contra-t-elle aussitôt en fronçant les sourcils. T'as qu'une seule sœur. Comment je pourrais être la plus géniale ?
Un sourire fendit les joues de son frère. Le nœud dans la poitrine de l'adolescente se dissipa. Ses fossettes lui rappelaient leur mère. C'était un sourire qui l'avait toujours réconfortée.
— Tu vois, tu continues de réfléchir alors même que tu stresses. (Comme Thalia ne s'en était pas rendu compte, elle haussa mollement les épaules.) C'est pour ça que tu t'es géniale, Thallie. J'en suis incapable.
C'était bien le genre d'argumentation de son frère. Elle aurait aimé qu'il cesse de se dénigrer pour rassurer les autres, mais elle devait avouer qu'elle se sentait flattée. Thalia avait toujours compté sur son esprit calme et observateur pour s'en sortir.
— Bon, soupira Jeremy en se redressant, on trouve ta classe puis je te laisse. Deal ?
— Deal.
Jim se servit de sa taille imposante au milieu de ses cadets de première année pour fendre la foule et s'approcher des tableaux placardés. Après quelques secondes d'exploration, il finit par tomber sur le nom de sa sœur.
— Thalia Wayne Hunt, lut-il à voix haute avant de se tourner vers l'intéressée. Hunt ? Tu portes le nom de notre grand-père ?
— C'est le nom de papa, expliqua sa sœur avec étonnement.
— Oh. Il a changé de nom, comprit Jeremy en laissant tomber son bras. Bon, t'es en 1ère B.
Thalia enregistra l'information en hochant la tête. Jim lui fit chiquenaude sur la joue avant de lui souhaiter bon courage.
Il était soulagé que son père ait changé de nom. À vrai dire, Ethan aurait pu le faire bien plus tôt, alors que les Sybaris lui pourrissaient encore la vie. Peut-être l'élément déclencheur était-il venu quand sa fille avait émis le souhait de porter son nom.
Jeremy se demanda vaguement comment son propre nom sonnerait s'il ajoutait celui de son père à celui de sa mère.
Comme convenu, il retrouva Ryusuke près d'un banc à proximité du panneau « 5ème année ». Ryu s'était coupé les cheveux pour attaquer la nouvelle année, mais il avait gardé en partie sa longueur. Jeremy passa les mains dans ses mèches souples en riant. Il devait avouer que ça lui allait bien.
— Alors ? lâcha Jim en se laissant tomber sur le banc. On est avec Valentina et compagnie ?
— Oui, avec Tina, Jason et Kaya. Ils essaient de pas trop modifier la composition des classes d'une année à l'autre.
— Oh, c'est cool.
— Yep. (Ryusuke grimaça en s'asseyant à côté de son ami.) Bon, ce qui est moins cool, c'est qu'on se tape encore Emily, Hugo et leur bande.
Les traits de Jim s'affaissèrent.
— Bordel, je les avais oubliés.
— T'as mis un coup de tête à Emily, lui rappela Ryusuke avec un sourire incrédule. Comment t'as pu oublier ?
— D'autres emmerdes dans ma vie, marmonna Jim d'un ton bougon. Mais ouais, une belle bande de psychopathes ces Intouchables.
Les deux adolescents profitèrent du silence qui s'installa pour observer les va-et-vient des élèves aux alentours. Les 5ème année étaient plus nombreux que les 1ère année, étonnamment. C'était dû à l'arrivée du cursus de S.U.I à partie de la 3ème année. L'École recrutait alors des élèves en plus, tout en conservant les étudiants qui avaient réussi les examens de 2ème année.
Jeremy poussa une petite exclamation de surprise en apercevant une adolescente à l'écart de leurs camarades de 5ème année. Même si elle n'était pas tournée dans sa direction, Jim la reconnut sans mal. Ses cheveux frisés étaient relevés au sommet de son crâne à cause de la chaleur.
— Tess !
Il dut l'appeler à plusieurs reprises avant qu'elle ne l'entende par-dessus les cris et les discussions des autres étudiants. Tess eut plus de mal à le reconnaître. Pourtant, face à ses gestes répétés, l'adolescente se décida à l'aborder.
— C'est Jeremy ! lança celui-ci avec enthousiasme. Tu te rappelles ? On a passé les tests de deuxième session ensemble.
— Oh, merde, désolée, je te remettais pas. (Elle considéra brièvement Ryusuke avant de revenir à Jim.) C'est cool que t'aies été pris.
— Pareil pour toi. Tu vas être en binôme avec qui, du coup ?
— On m'a attribué un binôme d'office, expliqua Tess en lorgnant le bout de papier qu'elle tenait entre deux doigts. Apparemment le seul élève de 5ème année qui avait pas de partenaire non plus.
Tess approcha la feuille de son nez.
— Valentina Saez. Ça vous dit un truc ?
Les deux amis échangèrent un regard spontané. Ryusuke fut le premier à prendre la parole :
— Carrément. C'est mon ancienne binôme. (Face à la moue surprise de Tess, il ajouta d'un ton enjoué :) Tu vas voir, elle est top.
Tess posa une main sur sa poitrine en soupirant bruyamment.
— OK, vous me rassurez de fou, là. J'avais peur de tomber avec une conne.
— Oh, c'est pas ce qui manque, malheureusement, grommela Jeremy en lorgnant vers un groupe d'élèves à quelques mètres d'eux.
Comme si elle avait senti le regard mécontent de Jim sur son dos, Emily Hobs se retourna. Ses cheveux auburn tombaient dans son dos malgré l'air chaud. En reconnaissant l'élève qui lui avait autrefois ouvert la lèvre et délogé des dents, elle ouvrit grand les yeux. Son visage se plissa.
— Bonne rentrée, j'imagine, soupira Jeremy en se détournant de l'adolescente pour observer Tess. Bienvenue à l'École, en tout cas.
Tess acquiesça avant de leur adresser un salut. Quand les haut-parleurs se mirent en marche pour exiger que les élèves se rassemblent devant leur classe, Ryusuke glissa à l'oreille de son ami :
— Au fait, t'as regardé qui sont nos profs ?
— Non, je me suis même pas approché du tableau, avoua Jim avec un haussement d'épaules.
— Tu vas avoir une surprise, alors.
— Pitié, pas M. Cross.
Alors que Ryusuke s'esclaffait, ils se dirigèrent côte à côte vers la 5ème A. Ils saluèrent Jason et Kaya, qui patientaient tranquillement à l'arrière du groupe. Pas loin, Tess et Valentina faisaient connaissance.
— Bonjour à tous, lança un professeur près du tableau d'affichage. Je laisse mes collègues en charge des classes de S.U.I commencer. Comme depuis deux ans, votre professeur d'EPSA est également votre enseignant principal.
Comme leur classe était la première par ordre alphabétique, Jim et Ryu tendirent le nez par-dessus les têtes de leurs camarades pour savoir lequel des enseignants rassemblés face à eux allait s'avancer. À la vue de la mine sévère de M. Cross, Jeremy fit la grimace. Ce n'était pas un mauvais enseignant, mais s'il pouvait s'épargner ses comparaisons animalières, ce serait volontiers.
— Bonjour, lança leur professeur principal en s'avançant. Certains me connaissent déjà, mais...
Jim lâcha un petit bruit étranglé venu du fond de la gorge. À sa droite, Ryusuke libéra le rire qu'il retenait depuis plusieurs minutes.
— Je suis M. Hunt. Je serai votre enseignant référant et votre prof d'EPSA pour l'année à venir.
Incapable de quitter son père des yeux, Jim prêta tout juste attention à la suite de ses paroles.
— C'est ma première année en tant que professeur à temps plein. (Ethan adressa un sourire complice à la vingtaine d'élèves qui lui faisait face.) Je compte sur vous pour m'accompagner autant que je vous accompagnerai.
Trop mortifié pour réagir, Jeremy observa à travers un voile flou quelques élèves applaudir la présentation modeste de leur nouveau professeur. Tess et Tina s'étaient rapprochées des garçons après avoir discuté un moment.
Tess hocha la tête et glissa à ses nouveaux camarades :
— Il a l'air cool, ce prof. (Avant qu'ils puissent répondre, elle précisa :) Même que j'en croquerai bien un bout.
Alors que Valentina s'étranglait d'un rire gêné et que Ryu ouvrait la bouche de surprise, Jim se pressa les tempes entre les mains. Son premier jour de cours n'était même pas entamé qu'il avait déjà l'impression d'avoir traversé tout un semestre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top