- Chapitre 5 - Gold - version finale


Il règne dans la salle bondée de la Luxure une atmosphère d'euphorie presque étouffante. Combinée à la chaleur humaine, elle rend l'air presque irrespirable. L'Olympe me manque déjà... J'ai suivi le conseil de Lady et me suis installé au plus près de la scène, me coinçant entre une table et une banquette circulaire. Seul. D'autres gars du club sont dispersés dans la foule, occupés à draguer des serveuses ou à piailler ensemble, mais pour ma part, je suis concentré sur la scène.

J'ai hâte de voir ce que donnera le spectacle de Lux : je suis curieux de découvrir les capacités vocales de cette fille au sens de l'orientation inexistant. Ça me rend tellement nerveux que je descends mon verre de bourbon d'une traite, au lieu de prendre le temps de le savourer. C'est dire à quel point j'ai envie d'échapper à la tension malsaine qui me colle à la peau. Être entouré par la foule n'arrange rien : je préfère largement le calme et le silence de la salle privée.

D'un mouvement de la main, je demande à une employée de me resservir. Au même moment, la musique énergique perd enfin en intensité. Les filles suspendues dans le vide cessent de se déhancher, et l'attention générale se tourne vers la scène. La lumière rose tamisée se transforme lentement en un violet profond qui accentue les ombres de la pièce.

Quand le rideau se lève, Lux apparaît dans une longue robe blanche pailletée. Elle porte un demi-masque aussi immaculé que ses fringues ; quant au reste de son visage, il est coloré en doré, pour mieux dissimuler son identité. Un grognement m'échappe alors que la serveuse me ramène mon verre.

— Elle est jolie, n'est-ce pas ? glousse-t-elle.

Je dois avouer qu'elle en jette, la petite Lux. Mais ma frustration n'a rien à voir avec son physique. Je comptais sur cette représentation pour assouvir ma foutue curiosité. Résultat : je tombe de haut. Non seulement je ne parviens toujours pas à identifier qui est cette meuf, mais en plus, à mesure qu'elle ondule sur scène, féline, ma queue se réveille. D'habitude, il faut bien plus qu'un simple coup d'œil pour m'exciter : je suis plutôt du genre tactile. Là, mon bas ventre me signifie qu'il a bien l'intention d'échapper à tout contrôle de ma part.

Fait chier.

J'attends que la serveuse se soit éclipsée, puis fais tourner mon verre entre mes doigts. La salle est plongée dans un profond silence désormais. J'en profite pour détailler encore une fois le poignard au-dessus du nombril de Lux. Je suis des yeux la ligne formée par sa robe échancrée sur sa peau naturellement hâlée, arrêtant mon attention sur ses seins. Sous le tissu, je les devine ronds, parfaits. J'en ai des frissons.

À l'instant où la chanteuse ouvre la bouche, je manque d'en faire tomber mon verre. Sa voix me transperce sans sommation, m'ouvre le ventre et le crâne en deux. Aussi enchanteresse qu'envoûtante, sa mélodie semble venir du royaume des dieux.

Non, je me trompe. Ce n'est pas à une déesse que j'ai affaire.

C'est à une sirène.

Comme un con, je reste subjugué les minutes suivantes, à fixer la créature mythologique capable de noyer n'importe quel homme dans un océan de plaisir. Est-ce que celles qu'a dû affronter Ulysse ressemblaient à Lux ?

Lux...

Un sourire m'échappe, et je me dis que cette femme a trouvé sa vocation. Elle est faite pour le chant, comme Cassiopée pour la danse, Ash pour le dessin ou Bradley pour mener ses troupes. Quant à moi, mon talent, c'est de garder mon sang-froid, j'imagine...

Je me demande si Lux travaille dans la musique en dehors de ce club.

Puis, brusquement, je réalise que je ne me suis jamais posé ce genre de questions à propos de gens que je ne connaissais pas. Franchement, cette fille peut bien faire ce qu'elle veut de sa vie, je m'en tamponne. Hors de question que je la laisse envahir mon cerveau.

J'en ai assez entendu pour ce soir, sans compter que la foule autour de moi commence à me prendre la tête. Je me lève et rejoins l'escalier qui monte à l'Olympe. C'est avec soulagement que j'en referme la porte derrière moi... Je profite du calme pour consulter mon portable : j'ai reçu un SMS d'Ash, qui m'informe que nous partons en mission demain soir. Nous irons faire un tour du côté de l'ancienne zone ferroviaire, où bosse un faussaire du nom de Bowers. Inutile d'appeler mon sergent pour lui demander pourquoi, il ne me dira rien cette nuit.

Je me demande si cette virée a un rapport avec Romy.

À cette pensée, mes poings se serrent. Quand j'aurais ce fils de pute devant moi, je m'assurerai qu'il paye pour sa trahison. Je déteste les gens fourbes.

Je me sers un verre de cognac pour tenter de faire disparaître le goût de la bile que j'ai dans la bouche, puis je vais me poster devant la vitre teintée. Inexorablement, mon regard tombe à nouveau sur Lux, toujours au centre de la scène de la salle principale.

— Tu n'aimes pas sa voix ?

Je ne suis pas surpris par l'arrivée de Lady, puisque je l'ai vue grimper l'escalier menant à l'Olympe du coin de l'œil. Concentré sur la sirène, je reste silencieux. Ma sex-friend pousse un long soupir en me rejoignant. Elle se sert un verre, ce qu'elle ne fait pas d'habitude. Je devine qu'un truc la turlupine. Si notre relation avait été plus portée sur les sentiments, je lui aurais demandé ce qui ne va pas. Mais nous ne nous confions pas l'un à l'autre.

— Tout le monde trouve qu'elle a un don, pourtant, reprend-elle en buvant une gorgée de sa boisson.

Tout le monde, moi y compris. Mais j'avais besoin d'air, pour réfléchir. Pour ne plus sentir la présence de Lux dans mon âme, pour échapper à cet étrange pouvoir qu'elle exerce sur moi sans effort.

— Décris-la-moi sans son masque, demandé-je à Lady.

Il faut absolument que je sache qui elle est, ça va me rendre dingue.

— Alors là, tu rêves, lâche froidement la strip-teaseuse. Si tu veux plus d'infos sur elle, interroge-la directement.

Même si ça me saoule, je ne peux qu'admirer sa loyauté.

— Tu veux que je te tienne compagnie ? propose-t-elle.

— Non, il vaut mieux que je reste un peu seul.

Sans insister, Lady quitte l'Olympe. Je m'enfonce dans un fauteuil, un autre verre à la main, la tête renversée en arrière. Les minutes passent et je parviens à me détendre, un peu. Je suis trop à cran pour me laisser aller complètement. Dans le fond, je sais que n'y parviendra tant qu'Isaac continuera à échapper aux Styx Riders. Savoir cette enflure en liberté me mine. Cela réveille la partie de moi la plus sanguinaire. Celle qui s'est éveillée lorsque j'ai dû commettre des actes terribles au nom de mon gouvernement. Celle qui m'a suivie lorsque j'ai quitté les pays ravagés par la violence où j'avais été déployé.

Alors que des images de mon passé remontent à la surface de ma conscience, un bruit feutré du côté de la porte attire mon attention. La seconde d'après, je suis debout, les sens en alerte.

Mais ce n'est que Lux.

Que Lux...

— Tu t'es encore perdue ?

Ma voix, plus tranchante que je ne l'aurais souhaité, ne paraît pas l'intimider. Tant mieux. Elle avance de plusieurs pas, semblant glisser sur le sol.

— Non, j'ai terminé de chanter il y a cinq minutes et... Lady m'a dit que tu voulais me voir ?

Te voir, ouais. Surtout découvrir qui se cache derrière ton masque, sous la peinture dorée qui recouvre ton visage, au-delà de ta voix semblable à un murmure venu d'un autre monde.

Elle s'exprime toujours dans un souffle. Ça ne fait qu'épaissir l'aura de mystère autour d'elle.

— Elle t'a menti, affirmé-je.

— Oh ! Euh... d'accord, alors je pars. Bonne soirée.

La jolie chanteuse s'apprête à fuir à toutes jambes, quand un grognement m'échappe.

— Tu peux rester. Juste cinq minutes. Je te sers un verre ?

Il vaut mieux Lux que la solitude. Cette garce a tendance à me faire broyer du noir et à me propulser à une époque que j'aimerais oublier.

— Non, merci, je ne bois pas, me répond poliment la jeune femme.

Elle s'approche de la baie vitrée pour observer la foule en contrebas. Les strip-teaseuses ont repris leurs droits sur la Luxure, le club redevient le lieu de débauche féerique qu'il était avant la parenthèse hors du temps offerte par sa nouvelle recrue.

— Ôte-moi d'un doute, tu as l'âge légal pour boire de l'alcool ? lui demandé-je.

Surprise par ma question, la sirène se tourne vers moi.

— Bien sûr, m'indique-t-elle. Sinon, je ne pourrais pas travailler ici non plus.

En effet. Je connais Van, elle n'aurait jamais embauché une mineure.

— Tu as dix-huit ans depuis quand ? insisté-je malgré tout.

— C'est important ?

— Très.

Je lui sers quand même un jus de fruits, puis m'approche d'elle avec un sourire qui s'est révélé au fil du temps extrêmement efficace auprès des nanas.

— Je t'ai dit que je ne voulais pas boire, me rappelle Lux.

— C'est sans alcool. Prends.

Elle obtempère. Ses doigts frôlent les miens et je constate que ses ongles sont courts, dépourvus de vernis.

— Merci, me dit-elle.

— Alors, Lux, ton âge...

Elle hausse les épaules. Je suis presque certain qu'elle n'a pas dépassé la vingtaine. Le truc, c'est que je ne connais aucune nana aussi jeune. En silence, elle prend quelques gorgées de son verre, puis le pose sur le bar et m'annonce :

— Je vais y aller, maintenant. Il y a peut-être des clients qui souhaitent une prestation privée.

Aussitôt, je sors de ma poche une liasse de billets et lui fourre entre les doigts.

— Ouais, moi, déclaré-je.

Sur ce, je pars m'installer dans un fauteuil, juste en face de la petite scène du salon VIP. Mon plan est simple : pendant qu'elle chantera, je pourrai la détailler plus facilement. Et surtout, pendant qu'elle chantera, je ne penserai pas à ma soif de vengeance.

Ce soir, je fais une pause avec moi-même. Avec mon soldat intérieur, celui qui ne parvient pas à trouver la paix.

— Tu veux que je chante ? s'étonne Lux.

— Tu préfères te déshabiller ?

Elle contourne le fauteuil et passe devant moi, laissant derrière elle un parfum qui s'imprime directement dans mon cerveau. Il y a un mélange de noblesse, de force et de timidité détonnant chez cette fille. La sensualité et la discrétion, réunies dans un seul corps.

— Non, déclare-t-elle, mon contrat concerne uniquement le chant.

— Alors, vas-y, Lux. Fais-moi vibrer...

Elle saisit son micro. Les premières secondes, mal à l'aise, elle évite de me regarder. Ça me tire un sourire, même si je préfère l'assurance qu'elle arborait quand elle a chanté devant la foule, tout à l'heure.

— Détends-toi, lui soufflé-je.

— Tu sais, ce n'est pas parce que tu donnes des ordres que je t'obéirai forcément, réplique-t-elle.

Tiens donc. Elle se rebelle ? D'une certaine façon, j'aime ça.

— Je suis le client, lui fais-je remarquer. Le client est roi, surtout sur l'Olympe.

Elle m'envoie un coup d'œil blasé, mais ne répond rien. À la place, elle porte le micro à quelques centimètres de ses lèvres. Elle prend une grande inspiration, ce qui attire mon attention sur ses seins une fois de plus.

— Que veux-tu que je chante ? me demande-t-elle.

— Ce que tu veux.

À elle de choisir sa chanson. Voyons ce que dissimule ce foutu corps un peu trop parfait !

Je m'attends à un truc sensuel, plutôt sexy... À la place, elle commence à interpréter Jolene, de Dolly Parton. Étonnant qu'à son âge, elle ait ce genre de références. La seule raison pour laquelle je les partage, c'est parce que Bruce, mon meilleur pote à l'armée, était originaire du Tennessee. Il m'a bassiné avec la musique country pendant des plombes ! Jusqu'à ce qu'il meure brutalement, lors du braquage de la bijouterie où nous nous étions rendus pour acheter un cadeau pour sa sœur.

Mon palpitant se tord. Pour dénouer ma gorge, j'avale une rasade d'alcool. Je pourrais très bien ordonner à Lux de changer de chanson, parce qu'elle réveille en moi une putain de douleur teintée de manque. Mais je ne le fais pas. Parce que merde, cette fille est douée ! Sa voix apaise mes blessures internes en même temps qu'elle les ravive. Alors je la laisse poursuivre

Au fil des secondes, ma souffrance s'atténue. J'arrive à virer Bruce de mes pensées, me concentrant sur la sirène timide qui semble s'être métamorphosée. Elle irradie la confiance en elle : elle connaît le pouvoir de son chant, il transpire par tous les pores de sa peau !

Je réalise soudain qu'un sourire triste étire ses lèvres. Je devine que cette mélodie signifie quelque chose de particulier pour elle. Je me focalise sur les paroles : elles racontent les tourments d'une femme qui a galéré pendant des plombes pour séduire son mec, et qui se retrouve menacée par « Jolene » une beauté fatale capable d'avoir tous les mecs à ses pieds.

Qui est la Jolene de Lux ? Qui menace de lui prendre l'homme de sa vie ? Qui supplie-t-elle ainsi ?

Le tatouage au-dessus de son nombril me nargue. Une lame aussi délicate que dangereuse...

Comme Lux ?

Lorsque le silence retombe sur l'Olympe, la jolie chanteuse reste debout sur la scène, m'interrogeant du regard. Je devine qu'elle ne reprendra pas la parole en premier, alors je lui lance :

— Dolly Parton, hein ? Un chant plutôt surprenant pour quelqu'un d'aussi jeune que toi.

Elle hausse les épaules en répliquant :

— Je ne suis peut-être pas aussi jeune que tu le penses.

— Si, tu l'es.

Aucune réaction de sa part. OK, elle me fait ramer.

— Tu aimes la country ? reprends-je.

— Est-ce que je peux y aller ?

Me parler la met mal à l'aise. Mais l'entendre s'adresser à moi me plaît trop pour que je la laisse partir aussi vite. Je secoue la tête, avant de désigner le fauteuil le plus proche du mien.

— Non, décidé-je. Assieds-toi.

— Tu es toujours comme ça ? me demande-t-elle en me rejoignant.

— Comment ?

— Aussi... catégorique.

— Et toi, tu es toujours comme ça ?

— Comment ?

— Aussi cachotière.

Elle penche la tête sur le côté. Une boucle brune tombe jusqu'à son sein. Elle l'enroule autour de son index, les jambes croisées, le dos droit.

— Cachotière ? répète-t-elle. Je ne suis pas cachotière. Pourquoi dis-tu cela ?

— Tu aimes la country ? l'interrogé-je une fois de plus.

Elle baisse la tête, aussi raide qu'une barre d'acier. Puis, dans un murmure, elle m'avoue :

— Je suis née à Nashville. Mon père adorait la country. C'est lui qui m'y a initiée.

Elle utilise le passé. Pourquoi ? Quelle est l'histoire de cette nana masquée ? Merde, c'est bien la première fois qu'une inconnue attise autant ma curiosité...

— Je vois, lâché-je. Tu réalises qu'avec une voix comme la tienne, tu aurais pu percer si tu étais restée là-bas ? Cette ville n'est pas le berceau de la musique country ou une connerie du genre ?

Bruce rêvait de m'emmener là-bas. On avait l'intention d'y aller lors d'une permission.

On n'en a pas eu le temps.

— Tu connais Nashville ? s'exclame Lux, sans prendre garde à chuchoter cette fois.

— De nom, lui réponds-je. Qu'est-ce qui t'a conduite à Black Lake ?

— J'y ai suivi ma mère.

— Qu'est-ce qu'elle venait y faire ?

— Cette discussion ressemble à un interrogatoire.

J'éclate de rire.

— Crois-moi, si c'était un interrogatoire, tu le saurais, Lux. Alors, pourquoi cette ville ?

— Elle voulait s'éloigner de tout ce qui lui rappelait mon père...

Ma sirène se tait, puis bondit sur ses pieds.

— Enfin, peu importe, je dois partir, décrète-t-elle.

C'est faux : elle fuit. Il faut dire que je ne suis pas le gars le plus doué de la planète pour faire la conversation.

— Merci pour... ça, ajoute-t-elle. Bonne soirée, Gold.

— Ouais, bonne soirée, Lux.

Je reste affalé dans mon fauteuil avec un sourire après son départ. Elle s'est dévoilée à moi sans s'en rendre compte... Mais bordel, ce que j'ai appris sur elle ne m'aide pas. Personne autour de moi ne vient de Nashville, n'aime la country ni n'a perdu son père...

Ou alors, peut-être que je n'y ai pas prêté suffisamment attention ?



* * * Bonjour ! Je sais, Styx 3 est sortie depuis un moment en librairie, j'ai attendu une éternité avant de mettre à jour ici, désolée ! Si vous avez aimé les premiers chapitres, n'hésitez pas à retrouver toute la bande dans toutes les librairies et en version numérique sur toutes les plateformes de téléchargement. N'hésitez pas également à laisser vos commentaires sur les plateformes afin de donner plus de visibilité aux Styx !

love 

Kalypso

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top