- CHAPITRE QUATRE - VERSION FIANLE -
- HEDEN -
Je souris à la demande d'Ash et réponds :
— D'accord, si vous arrêtez de m'appeler « petit chat ».
— Les chats sont tout ce qu'il y a de plus fascinants, se défend-il avec un sourire en coin. Ils sont effrontés, mais pourtant attachants. À la fois pleins de tendresse et de sauvagerie.
— Il n'empêche que vous vous moquez de moi.
— Pardon, petit chat ?
— Tu te moques de moi.
Avec une agilité étonnante pour quelqu'un d'aussi musclé, Ash descend de sa moto. Je ne peux pas m'empêcher d'apprécier la façon dont son jean moule ses jambes. Cependant, avant qu'il ne remarque mon indiscrétion, je vrille mon regard au sien. Mauvaise idée. Ses iris m'entraînent dans un océan bleu glace où il est impossible de nager. Il s'approche de moi, si près que son parfum bouscule mon âme. J'essaie de reculer pour retrouver un minimum de contenance, mais mes pieds restent collés au sol. Hypnotisée par le biker, j'ai l'impression d'être une biche face à un loup. Et quel loup... Son aura me fascine. Il marche, parle, se comporte comme si la Terre lui appartenait, avec une assurance pure.
C'est finalement lui qui recule d'un pas, comme pour m'autoriser à reprendre pied dans la réalité.
— Marché conclu, décide-t-il. Je ne me moquerai plus de toi.
Il me tend la main, je la saisis. Sa chaleur se propage dans mon avant-bras, accélère les battements de mon cœur. Mes doigts restent prisonniers des siens, et je n'ai aucune envie de les délivrer.
— Tu as de jolis tatouages, dis-je.
Il ricane. J'ajoute :
— Je les trouve... criants de réalisme. Ces créatures mythologiques semblent sortir de toi. Comme si c'était une évidence que tu les portes.
— « Jolis », ce n'est pas vraiment l'impression qu'ils sont censés donner, s'amuse Ash. Mais, venant de toi, j'accepte le compliment.
— Venant de moi ?
Le regard du biker se charge d'une émotion différente de la moquerie qu'il exprime depuis le début de notre conversation. De la tendresse ?
Elle disparaît trop vite pour me permettre de m'en assurer.
— Laisse tomber, assène-t-il.
Il emprisonne toujours ma main. J'ignore ce qui m'attire chez lui. Son magnétisme ? Ses yeux si particuliers ? Pendant une poignée de secondes, nous nous contentons de nous fixer du regard. Lui ne cille pas. Je le sens en train d'essayer de lire dans mon esprit.
Je dégage enfin mes doigts de sa poigne, embarrassée.
— Ta dépanneuse arrive quand ? me demande-t-il alors.
— À huit heures trente.
Son visage s'assombrit, signe que ma réponse lui déplaît.
— C'est dans une éternité, lâche-t-il.
— Il ne fallait pas me réveiller, dans ce cas. Le temps à attendre m'aurait paru moins long.
— Tu as de la chance, petit chat, soupire-t-il en levant les yeux au ciel.
Il recommence avec ce surnom ! Pour cette fois, je fais mine de ne pas l'avoir entendu, et je l'interroge plutôt :
— De la chance ?
— Oui, de m'inspirer autant de sympathie. Bon, maintenant qu'on en est au stade supérieur de notre relation, dis-moi ce que tu fous à Black Lake.
Je m'appuie contre ma voiture tout en expliquant :
— Je viens y travailler. J'ai décroché mon diplôme récemment et maintenant, je plonge dans la vie active. J'ai voulu m'éloigner de Los Angeles et de ses rues étouffantes au profit d'une ville plus calme, plus proche de la nature. J'ai trouvé une employeuse ici par le biais d'Internet, alors me voilà. Le lac, mon Dieu, il est magnifique ! Je l'ai longé hier, et sa beauté m'a même fait oublier de remettre de l'essence.
Prenant conscience que je monopolise la parole, je me tais. De tout ce que je viens de dire, Ash ne retient qu'un détail :
— Tu aimes le lac ?
— Oui. Il est immense, calme et puissant à la fois.
— Intéressant. Donc, tu viens habiter ici. Faut quand même que je te mette en garde : il y a des parties de la ville que tu devras éviter. Surtout le quartier nord, il est rongé par les gangs.
J'ai fait des recherches sur Black Lake. La ville compte à peu près cent mille habitants, et, en effet, certaines zones craignent, si j'en crois les infos locales. Mais l'endroit où je compte habiter est plutôt calme, d'après ma future patronne.
— Merci du conseil, dis-je.
— Je voulais te faire peur, précise Ash.
— Dommage, tu n'y parviendras pas.
Il me décoche un sourire en coin avant de grimper à nouveau sur sa moto. J'en déduis que notre conversation s'arrête là. À nouveau, le moteur de sa Harley résonne sur le parking. Le vrombissement réveille en moi de bons souvenirs, me rappelle que j'ai passé des heures sur une selle avec mon père, en train de défier l'asphalte et la vitesse. Mes vacances en sa compagnie me manquent.
— Je suis certain qu'on se reverra, me lance le biker. En attendant l'arrivée de la dépanneuse, tu risques rien, mes gars gardent un œil sur toi.
Je fais quelques pas pour observer les alentours, curieuse. Le Purgatoire est situé à l'entrée de Black Lake et est bordé par une forêt touffue. De l'autre côté de la rue se trouvent quelques commerces, mais ils sont tous fermés. Il n'y a pas un chat. Je ne vois pas qui pourrait bien essayer de s'en prendre à moi.
— J'appellerai la police en cas de problème, affirmé-je.
— Crois-moi, petit chat, il vaut mieux que tu t'en remettes aux Styx Riders. Les flics ne viennent pas par ici, faut pas trop compter sur leur protection.
— Pourquoi ?
— Ils sont souvent dépassés par la violence qui règne à Black Lake. Toujours heureuse de débarquer dans les enfers ?
Un frisson me parcourt. Je ne peux pas croire que je suis en danger ici, au cœur d'un paysage pareil.
— Passe une bonne journée, ajoute Ash avec un petit sourire ironique.
— C'est malin de ta part, vraiment.
Sur ce, il démarre pour de bon. Sa silhouette disparaît à l'horizon dans un nuage de poussière. Pendant plusieurs secondes, je reste incapable de détourner mon attention de la route. Les vibrations de la moto parcourent encore mes jambes, elles courent dans mes veines.
Un sourire m'échappe malgré les dernières paroles du motard. Il existe des rencontres qui bouleversent une vie. Parfois, elles sont fugaces, mais plus poignantes d'intensité que mille années. Elles s'imposent à nous avec violence ou douceur, elles marquent au fer rouge.
Ma rencontre avec le biker est de celles-là. Moi aussi, j'ai l'intime conviction qu'on se reverra.
Je retourne près de ma Mini pour attendre la dépanneuse. Un jeune homme est appuyé contre ma portière. Amusé, il me lance :
— Les nanas capables d'attirer l'attention d'Ash ne sont pas nombreuses.
— Tu as surveillé ma voiture cette nuit, deviné-je.
— Ouais. Ordre direct de la hiérarchie. On dirait que notre sergent d'armes t'a à la bonne... Ne lui dis jamais que je t'ai balancé ça, d'ailleurs. Il me casserait les jambes.
Il se détache de ma carrosserie et se dirige vers le Purgatoire en m'indiquant :
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, frappe à la porte du bar et demande Snack.
J'acquiesce, et reste seule sur le parking jusqu'à l'arrivée de la dépanneuse. À mon grand étonnement, elle se pointe une heure plus tôt que prévu. L'homme qui en sort a le visage livide. Il a l'air malade... Quand je lui demande s'il va bien, il acquiesce trop vite en me disant qu'il est désolé de m'avoir fait attendre.
— Ne vous inquiétez pas, je me doute que je ne suis pas la seule personne en panne dans le coin, le rassuré-je.
Il jette un regard anxieux vers le Purgatoire avant de me suggérer :
— Vous pouvez monter à l'avant pendant que je charge votre voiture sur le plateau. Je vous conduis à la prochaine station-service.
Je m'exécute, soulagée que ma mésaventure touche bientôt à sa fin. D'une gentillesse extrême, le dépanneur accepte même de me prêter son portable. Je compose le numéro de ma patronne en priant intérieurement pour qu'elle réponde. À mon grand soulagement, elle décroche dès la troisième tonalité.
— Oh, salut Heden ! lance-t-elle. Je comptais passer avant l'ouverture de la boutique pour voir si tout allait bien.
Elle possède le genre de voix dynamique qui inspire une confiance immédiate. Nous discutons ensemble depuis deux semaines via Internet ou par téléphone, puisque je me voyais mal faire huit cents bornes pour signer mon contrat de travail et mon bail. Non seulement j'ai réussi haut la main l'entretien d'embauche qu'elle m'a fait passer par Skype, mais elle m'a aussi proposé d'occuper l'appartement meublé au-dessus du magasin. Je n'en reviens toujours pas ! Mes ailes se déploient, le monde s'étale devant moi, prêt à être conquis.
Embarrassée, je raconte mes ennuis à la jeune femme et lui indique que je n'ai pas encore eu le temps de m'installer. Cela ne semble pas la contrarier.
— Pas de problème, tout est OK pour moi, me dit-elle. Les compteurs sont ouverts depuis hier après-midi, tu pourras emménager tranquillement. Tu veux que je vienne plus tôt pour t'aider ?
— Ça ira, je me débrouillerai toute seule, réponds-je.
— On fera l'état des lieux ce soir, quand j'aurai fermé la fleuristerie. N'hésite pas à appeler en cas de problème ! Ciao.
Elle raccroche, et je rends le téléphone au dépanneur en le remerciant.
Enfin, une heure plus tard, mes cartons de vêtements s'empilent dans le couloir de mon nouveau chez moi. Bien plus grand que mon logement étudiant, l'appartement sent la noix de coco, le melon et les fleurs. La plupart des meubles appartiennent à Kris, ma patronne, je n'ai eu qu'à emporter l'essentiel. Par chance, ma vie rentre dans ma voiture.
J'ouvre les fenêtres pour profiter du soleil, mets immédiatement mon portable à charger, puis fais rapidement le tour des lieux. Tout est conforme aux photos que m'a envoyées Kris. Pas une seule tache sur les murs ou sur le sol. Les prises électriques fonctionnent toutes, les ampoules aussi. Je commence à disposer mes bougies parfumées un peu partout ; ensuite, vient le tour des coussins moelleux. Je me promets d'en acheter d'autres très bientôt, maintenant que j'ai plus de place.
Aussi excitée qu'une puce, je passe la majeure partie de la journée à rendre mon intérieur plus personnel. Alors que je pose une photo de papa sur les étagères de la bibliothèque du salon, je me demande si je devrais l'appeler. Nous n'avons jamais vraiment vécu ensemble, puisque j'ai passé mon enfance en internat et ma vie de jeune adulte dans une chambre étudiante. Pourtant, je l'aime de tout mon cœur, et lui sans doute encore plus. Ce qui a toujours creusé un fossé entre nous, c'est son club de moto, ou plus exactement son désir de me tenir loin de son existence de président d'un réseau international de bikers. Il me préserve, estimant que ce monde est trop dangereux pour moi. Sa prévenance me touche. Toutefois, il ne parvient pas à comprendre que je n'ai rien de la fleur fragile qu'il imagine. Son univers ne m'effraie pas. J'ai bien conscience des ténèbres qui y règnent. Ma mère les côtoyait de près, mon père y est plongé lui aussi. Alors pourquoi n'aurais-je pas le droit de les découvrir à mon tour ?
Je tente d'imaginer la tête de papa si je lui racontais mon aventure d'hier au Purgatoire. À coup sûr, il friserait l'attaque cardiaque.
Du coup, je me dis qu'il vaut mieux que j'attende un jour ou deux avant de lui téléphoner, histoire d'avoir autre chose à lui raconter que ma rencontre avec les Styx Riders.
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