02.5 :: 𝙇es meilleures hypothèses ne sont pas toujours les plus vraisemblables

nda - chose promise, chose due, voici le nouveau chapitre !

c'est le dernier du point de vue d'oikawa, nous passerons donc dès la semaine prochaine à son merveilleux petit ami qui n'a pas fini d'en voir de toutes les couleurs :')
(pardon Iwaizumi)

sinon, j'espère comme toujours que vous allez bien et que vous avez passé un bel été ! bonne lecture et à la semaine prochaine :)

CHAPITRE CINQ - LES MEILLEURES HYPOTHESES NE SONT PAS TOUJOURS LES PLUS VRAISEMBLABLES
▬▬▬

« Et ici, vous avez le sauna. Très prisé par nos patients les plus stressés. »

Tooru jeta vaguement un regard à la pièce désignée par le drone que le guidait. Enfin, drone... Il était tant perfectionné que robot à tout faire semblait être un terme plus adéquat. Tout ce qui touchait à la santé publique était visiblement dans les bonnes grâces de ceux qui géraient les répartitions budgétaires de l'Etat. D'ordinaire, il aurait été on ne peut plus ravi de voir une telle installation à sa disposition, mais entre le fait qu'il se trouvait dans cet exécrable centre de thérapie et le mal de crâne qui lui vrillait la tête depuis qu'il s'était réveillé ― il n'aurait pas dû autant boire la veille, même s'il avait ingurgité moins d'alcool que d'autres fois ―, il avait du mal à y mettre de la bonne volonté.

« L'accès y est règlementé pour éviter toute source de stress. Veuillez...

― ... vous adresser au directeur pour prévoir une séance, marmonna le jeune homme aux cheveux bruns. Je sais. »

Le drone lui répétait cela depuis le début de la visite pour à peu près chaque pièce de loisir. A croire que, pour se soigner, il fallait éviter tout contact avec les autres. L'appareil ne sembla pas relever son ironie ― ce ne devait donc pas être une IA, car les dernières mises en vente sur le marché de la robotique parvenaient de mieux en mieux à saisir tout ce qui relevait de l'ironie et du sarcasme.

« Ensuite, nous avons la salle de jeux. Ceux-ci sont choisis avec soin par notre personnel soignant pour vous apporter la quiétude dont vous avez besoin.

Merveilleux. »

Il ne parvenait pas à retenir son cynisme ce matin-là. Sans doute était-ce le trop plein d'émotions qui provoquait son manque absolu d'enthousiasme ― il allait devoir essayer d'y mettre du sien malgré tout, où son état ne s'arrangeait pas. Le psy et directeur avait été formel : pensez aux bonnes choses !

(Comme s'il ne le faisait pas déjà assez.)

« Ensuite... »

La visite se prolongea de manière interminable pendant encore une bonne demi-heure, puis le brun fut finalement autorisé à aller se reposer dans sa chambre. Il avait en fin de journée une première rencontre avec une foule de psychologues et autres experts mentaux pour essayer d'estimer les causes de la dégradation de son psycho-pass, mais il lui restait quelques heures à tuer avant cela, et il pouvait en profiter pour aménager sa chambre, histoire de se sentir au moins légèrement chez lui.

L'endroit était pourtant si austère qu'on doutait de se sentir un jour chez soi ― murs blancs, linoléum blanc, draps blancs. Tout était si blanc qu'il était difficile d'oublier qu'on se trouvait dans une clinique. Le jeune homme aux cheveux bruns allait donc commencer par décorer un peu tout cela, en rajoutant une poignée de couleurs pour égayer l'ambiance. Il utilisa pour ce faire la garde-robe qu'il avait emmené ― bien trop grande au goût des placards minuscules dans lesquels il allait avoir bien du mal à tout faire rentrer et entreprit consciencieusement de décorer sa chambre avec les vêtements qui ne rentraient pas malgré les trésors d'ingéniosité déployés pour tout caser.

(Bien évidemment, il utilisa pour ce faire ses pulls et vestes les plus colorés, ceux qu'Hajime lui interdisait la moitié du temps de porter parce qu'il attirait trop les regards et que cela l'emmerdait ― Tu peux reconnaître que c'est parce que tu es jaloux, disait parfois Tooru ; d'autres fois il optait plutôt pour J'attirerai toujours les regards avec mon visage, Iwa-chan, mais dans les deux cas cela ne le sauvait pas du coup de poing fermement asséné dans son épaule qui suivait. Tooru était un homme maltraité.)

Une fois que cela fut terminé, il se sentait un peu plus à l'aise, et ponctua sa décoration du coussin alien rapporté par Takeru ― maintenant qu'il l'avait récupéré il ne s'en séparait plus ― et de deux cadres photos. Le premier était un cliché d'Hajime et lui, pris alors qu'ils avaient dix ans environ : l'ancien passeur l'adorait parce qu'on pouvait y voir un sourire sincère de son compagnon dessus, en accord avec le sien.

Le second était une photo prise le jour de leur remise de diplôme ― enfin, ils l'appelaient ainsi, en souvenir des temps qu'ils n'avaient pas connus, mais ce n'en était pas vraiment une. Ils n'avaient pas reçu de diplôme après avoir passé le test d'aptitudes. Juste une liste de postes qui leur conviendraient, et un mail qui attestait qu'ils avaient réussi l'examen. Ce qu'ils appelaient remise de diplôme était en réalité la simple réunion qu'Hajime, Hanamaki, Matsukawa et lui avaient organisée pour recevoir leurs résultats tous ensemble. Les quatre lycéens ― qui ne l'étaient plus officiellement ― posaient sur la photo, tous ravis par leurs affectations.

Enfin, ravis... Tooru pouvait dire rien qu'en s'observant une poignée de secondes que lui forçait son sourire. Cela semblait si apparent que personne ne passait probablement à côté en l'observant. Son sourire n'avait rien de sincère ; il était intérieurement déçu des propositions de Sybille. Ses résultats le hissaient au rang de deuxième de leur promo, il n'avait raté la première place que de quelques points, et pourtant les emplois proposés par Sybille ne lui inspiraient qu'une profonde indifférence. Il n'y voyait que des emplois de bureaux ennuyeux, ou alors des choses qui ne lui correspondaient pas.

Malgré tout, pour ne pas gâcher l'ambiance, il avait forcé son sourire. Il était certain qu'aucun de ses amis n'avait été dupe. Mais personne n'avait rien dit, pas même Iwaizumi, qui s'était contenté de lui serrer la main un peu plus fort ce jour-là ― encore aujourd'hui, le brun était incapable de dire si c'était pour lui intimer d'arrêter de cacher ses émotions ou simplement pour le réconforter.

Il affectionnait pourtant cette photo. Elle était jolie, et elle montrait les personnes les plus chères à ses yeux, sa famille mise de côté. Même si Makki et Mattsun étaient des idiots, il les aimait. Et ils allaient lui manquer aussi ― ils avaient intérêt à venir le voir maintenant qu'il se trouvait ici.

Il poussa ensuite un profond soupir en s'affalant sur son lit. Voilà. C'était fait. Il avait pris sa décision, et il était venu s'enfermer ici de son plein gré. Maintenant, il pouvait faire face à ses pensées. A ses inquiétudes. Sans rien ni personne pour l'en détourner. Serrant contre lui ce foutu coussin alien, il posa les yeux sur le plafond aussi immaculé que le reste de la pièce, récapitulant son existence ces dernières années.

Pendant deux ans, il avait travaillé au poste que sa mère lui avait trouvé, soit un poste de conseiller au ministère des Sports, poste qui lui permettait de garder un contact avec le volley-ball qu'on lui avait enlevé.

Quelques mois plus tôt, son facteur criminel avait commencé à augmenter, progressivement mais de façon constante. Il avait alors décidé de consulter thérapeutes et psychologues, afin de prendre un traitement ― après tout, sans doute était-ce simplement le stress de son travail, les commandes importantes, etc... Les médicaments avaient marché, sa teinte s'était éclaircie et son facteur avait diminué.

Malheureusement, la dégradation était revenue telle une maladie dont on ne parvenait pas à se débarrasser. Et cette fois, les traitements n'avaient pas eu d'effet. En tout cas, pas celui escompté ― ils avaient ralenti la dégradation, mais ne l'avaient pas stoppée. Il était désormais à 94, sans qu'il ne parvienne à expliquer ce changement.

Son facteur criminel, sa stabilité, cela n'avait jamais été son plus grand point fort. Tooru se laissait facilement dominer par ses émotions, pour le meilleur et pour le pire. Il avait expérimenté de nombreuses teintes et de nombreuses variations de psycho-pass, sans que cela ne soit aussi significatif que cette fois-ci. C'était pour cela qu'il ne parvenait pas à s'expliquer ce changement brutal.

Il n'était pas particulièrement stressé par son travail. Il avait une famille aimante, un petit-ami parfait sous tous les points de vue ― il était parfaitement objectif, tout le monde adorait Hajime, et le brun se targuait d'être le plus chanceux de l'histoire ― et une vie paisible, plutôt aisée, et tranquille. Il ne présentait aucun facteur caractéristique des dégradations brutales ― il n'avait perdu personne récemment, n'avait pas vécu d'événement traumatique ou été témoin de scènes brutales, et n'avait sûrement pas trempé dans des histoires illégales.

Alors ― pourquoi ?

Il se redressa soudainement, frotta nerveusement ses cheveux, et soupira longuement. Il se faisait des nœuds au cerveau à force de ressasser tout cela. Il savait qu'il était vain pour un simple type comme lui d'essayer de comprendre Sybille ― tous ses médecins le lui avaient seriné. Si votre teinte se dégrade, c'est qu'il y a quelque chose, répétaient-ils encore et encore. Tooru avait envie de le leur hurler une bonne fois pour toute : il n'y avait rien qui expliquait ce changement. C'était tout bonnement inexplicable.

Mais dans le même temps, le nier était vain. Il n'était pas stupide et savait lire. La hausse de son facteur criminel était une évidence que tout le monde constatait. Et il n'était pas assez paranoïaque et névrosé pour estimer que Sybille lui-même était contre lui. Ça, c'était impensable. Sybille était un système ― Dieu savait comment il marchait, mais il restait un système électronique. Infaillible.

Toutes ces réflexions donnaient la migraine au jeune homme à chaque fois qu'il se penchait dessus. L'impossibilité de comprendre le rendait fou ― et paradoxalement, peut-être, n'améliorait pas son état. C'était une autre des rengaines favorites de ses médecins ― ne ressassez pas, monsieur Oikawa. C'est le meilleur moyen d'empirer les choses.

Ben voyons. Il était censé sourire et accepter sa condition sans ciller ? Comment voulaient-ils qu'il ne ressasse pas dans cette situation ? Parfois, le jeune homme avait l'impression d'avoir mis sa teinte entre les mains de gens qui étaient incapables de réellement l'aider. Sans offense pour eux, bien entendu.

Il ne se releva pas de son lit avant que le drone médical vienne lui rappeler son rendez-vous imminent avec l'ensemble du personnel du centre ― auquel il se traîna de mauvaise grâce, bien qu'une pointe d'espoir frétillât dans son cœur. Il espérait se tromper en imaginant qu'ils n'allaient rien lui apprendre de nouveau...

Ou non.

« Je suppose que vous avez essayé de ne pas y penser du tout ? » Tooru faillit lever les yeux au ciel à cette question, posée par le directeur.

« J'ai essayé de m'occuper l'esprit, oui. Sans évolutions.

Il est quand même curieux que vous n'ayez pas d'idée de ce qui ait pu provoquer cette dégradation, intervint l'un des thérapeutes dont il ne s'était pas donné la peine de retenir le nom.

Peut-être avons-nous affaire à une dégradation inconsciente ? renchérit un de ses collègues. J'ai déjà vu un cas de la sorte.

Une dégradation inconsciente ? répéta le jeune homme aux cheveux bruns.

Oui. Comment vous l'expliquer simplement... C'est une dégradation causée par votre inconscient, en réaction à quelque chose qui s'est produit mais qui y est enfermé. Comme... Un traumatisme ? Le mot est à employer avec modération bien sûr, mais, vous voyez l'idée. Quelque chose que votre inconscient aurait refoulé, mais qui a quand même un impact sur votre état psychique.

Une telle chose est-elle possible ? » L'un des psychologues semblait sceptique ― et Tooru le comprenait. Si lui-même ne se rendait pas compte qu'il allait mal, comment Sybille pouvait-il le déceler ?

« C'est rare, mais oui, j'en ai vu. Cela expliquerait la dégradation lente et l'inefficacité des traitements ils n'ont pas d'effet car on ne sait pas ce qu'ils doivent guérir. Si on avait une idée de ce qui provoque la dégradation, il serait bien plus aisé de soigner le patient. » L'ancien capitaine se sentit soudainement très invisible face à cette armée de médecins.

« Dans ce cas, il faudrait centrer le traitement sur des cures par la parole, pour libérer la mémoire.

Pourquoi pas de l'hypnose ? J'ai un confrère qui s'y connaît bien.

Voyons cher ami, de l'hypnose ? Nous sommes entre experts ici.

Je le sais bien. Mais je vous assure que cela fonctionne j'en ai été témoin.

Nous testerons tout, approuva le directeur. Il est de notre devoir d'aider monsieur Oikawa à aller mieux, quelles que soient les raisons de son mal-être. »

Ledit monsieur Oikawa se sentait quelque peu mal à l'aise, toujours aussi invisible apparemment. A les entendre discuter ainsi de son avenir et de son sort, il avait plus l'impression d'être un rat de laboratoire qu'un patient. D'un autre côté, entendre une hypothèse, aussi folle soit-elle, sur son mal-être et les raisons de l'inefficacité du traitement le réconfortait. Elle ramenait un espoir, aussi vain soit-il.

En fin de compte, les médecins se mirent d'accord sur les débuts de son traitement ― des séances de thérapie par la parole deux fois par semaine, ainsi que des consultations plus privées avec un psychologue. Le but étant, bien évidemment, de mettre à jour un quelconque traumatisme passé, ou tout simplement une pensée négative refoulée. Les choses se corsèrent quelques peu lorsqu'ils décidèrent de mettre tout de suite en pratique leurs idées.

« Pouvez-vous nous parler de votre famille ? Vous avez une sœur ainée je crois. Vous avez beaucoup d'années d'écart ? » Tooru ne voyait pas franchement en quoi cela avait un lien avec son état d'esprit, mais il acquiesça.

« Onze ans d'écart. » Les gens étaient toujours interloqués quand il révélait ce chiffre ― à les voir se chamailler comme deux enfants, on oubliait parfois que Miyuko avait déjà trente-et-un.

« Cela fait beaucoup d'années. Vos parents ne comptaient plus avoir d'enfant après elle ?

Ils ont eu Miyuko assez jeunes vingt-deux ans et ma mère voulait ensuite se concentrer sur sa carrière. Elle ne pensait pas retomber enceinte ensuite.

Donc, vous n'étiez pas désiré ? » Les yeux des médecins brillaient presque ― croyaient-ils sincèrement avoir mis le doigt sur quelque chose ?

« Non, admit-il, je ne l'étais pas. Mais je n'ai jamais ressenti la moindre chose à ce sujet. Ma mère n'a pas voulu avorter, alors même qu'elle n'avait pas prévu d'avoir un autre enfant. Je n'étais peut-être pas désiré, mais ma mère m'a élevé comme elle a élevé ma sœur.

Votre différence d'âge avec votre sœur a-t-elle eu un impact sur votre relation ?

Pas vraiment. Nous n'étions pas très proches enfants, mais nous le sommes aujourd'hui. »

Évidemment, quand il n'était qu'un bébé, sa sœur était, elle, une adolescente pleine de vie. Ils n'avaient pas été très proches à cette époque ― elle sortait beaucoup, profitait de sa jeunesse, laissant son petit frère avec leurs parents. Et puis, il y avait eu cette nuit où elle était rentrée en pleurant alors qu'elle dormait chez son petit ami, et les choses avaient doucement évolué. Elle avait vingt ans, il en avait neuf, et il avait appris qu'il allait être tonton.

(Il s'en était vanté à toute sa classe. Cela sonnait si adulte. Après tout, les oncles étaient, dans l'imaginaire collectif d'enfants de primaire, des gens adultes et matures. Tooru était bien loin de l'être bien sûr, mais un peu d'enjolivement ne faisait de mal à personne.)

Bien sûr, les choses n'avaient pas été au beau fixe à partir de ce moment. Miyuko venait à peine d'entrer dans le monde du travail et son compagnon ne voulait pas devenir père. Il avait voulu qu'elle avorte. Qu'ils ne parlent plus de cet enfant issu d'une erreur. Mais sa sœur, sa chère sœur, avait refusé. C'était son enfant aussi. Elle voulait l'élever, quand bien même elle était jeune. Et Tooru savait qu'elle n'avait jamais regretté cette décision.

Étonnement ― ou peut-être pas ―, c'était le jeune garçon qu'il était à l'époque qui avait été le plus fort soutien de sa sœur. Leurs parents ne voulaient pas interférer dans la vie de leur fille, mais ils n'étaient pas favorables à sa maternité précoce. Lui ne voyait que les bons côtés : il allait être tonton et cesser d'être le plus jeune de la famille. Même si sa vision était trop simpliste, Miyuko lui avait confié qu'elle était heureuse de voir une personne se réjouir entièrement de la naissance de son enfant. C'était à partir de là qu'ils s'étaient réellement rapprochés.

En fin de compte, les choses avaient pris une meilleure tournure : Miyuko avait donné naissance sans la moindre encombre à un fils en parfaite santé, et elle avait rencontré grâce à son travail un homme qui avait été plus qu'enthousiaste à l'idée d'être père, même si son fils ne devait pas être biologiquement le sien. Aujourd'hui, Takeru et sa mère vivaient toujours dans la maison familiale ― Aruto, le mari de Miyuko, avait eu une promotion importante peu après leur mariage, et passait désormais beaucoup de temps à voyager, rendant compliqué l'établissement d'un foyer pour eux. Mais cela ne saurait sans doute tarder ― même s'il fallait admettre que cela devait être compliqué pour Takeru d'expliquer qu'il vivait avec sa mère, son oncle et ses grands-parents dans la même maison.

Enfin, pour en revenir au principal sujet dont il s'était éloigné... Il s'entendait bien avec sa sœur. Leur relation n'était pas à l'origine de ses problèmes de facteur criminel, il le savait.

« Nous sommes proches, répéta-t-il fermement.

Très bien... Vous fréquentez quelqu'un, si ce n'est pas indiscret ? » Le jeune homme aux cheveux bruns fit la moue ― il priait intérieurement pour qu'aucune question sur leur vie privée ne soit posée, parce qu'il voulait bien être coopératif mais il y avait des limites.

« Oui.

― Et tout va bien entre vous ? » Oh, pitié. L'ancien passeur leva yeux au ciel devant cette question, avant de se faire violence pour répondre posément :

« Oui. Parfaitement bien. Nous sommes ensemble depuis quatre ans et heureux. »

Il n'avait franchement pas l'intention de tout déballer ; il savait que c'était le rôle d'un psy, mais il y avait des limites à sa propension à aimer étaler sa relation personnelle avec Iwaizumi ― était-il légitime de dire cela quand tous ses comptes de réseaux sociaux formaient une formidable mosaïque de selfies pris plus ou moins discrètement avec son compagnon ?

« Comment a-t-il réagi en apprenant votre dégradation de facteur criminel ? » Tooru réprima un soupir d'agacement.

« Il a accepté la nouvelle. C'est tout. C'est sa façon d'être.

Rien dans votre relation n'est survenu avant le début de cette dégradation ?

Rien d'inhabituel. »

Il aurait même été incapable de dire ce qu'ils faisaient spécifiquement à l'époque où son facteur avait montré des signes d'augmentation. Peut-être venaient-ils d'avoir une de leurs innombrables prises de tête, ou peut-être connaissaient-ils un moment de lune de miel ― le terme était de Makki et Mattsun pour qualifier les périodes où ils ne se disputaient miraculeusement pas ― paisible. Dans tous les cas, Tooru était certain que ses disputes avec Hajime n'étaient pas responsables non plus de sa dégradation. Les deux garçons se connaissaient depuis leurs huit ans. Ils se disputaient depuis toujours ― et jamais sa teinte ne s'était dégradée significativement après l'une de leurs prises de bec. Même celle qui avait failli ruiner sa relation avec Iwaizumi n'avait pas troublé sa teinte de façon inquiétante.

(Et pourtant, tout le monde se souvenait qu'il n'en menait pas large à l'époque. Jamais Hajime et lui n'avaient eu pareille dispute ― tout cela à cause de verres d'alcool en trop et de non-dits qui leur avaient empoisonné l'existence. Lors d'une soirée au lycée, ils s'étaient embrassés une fois, alors que l'alcool dans leurs veines avait envoyé valdinguer la retenue qu'ils s'étaient chacun imposée. Baiser qui avait tout fait s'envoler ― aussi bien leurs belles promesses d'amitié éternelle que leur capacité à se contrôler en face de l'autre. Iwaizumi ― ironiquement bien plus empli de doutes que lui ― avait voulu prétendre que rien ne s'était passé ; et Oikawa lui avait envoyé son poing dans la figure pour qu'il arrête de déblatérer des idioties. De là était partie la plus mémorable de leurs disputes ― celle dont tout le monde se souvenait à Aoba Johsai car ils s'étaient battus tous les deux dans un couloir, manquant de se faire suspendre de l'équipe de volley ― et leur période de froid la plus longue : près de trois semaines.)

« C'est vraiment étonnant, murmura le directeur assez fort pour que Tooru l'entende. Je ne comprends pas ce qui peut provoquer cette dégradation.

Il nous reste l'hypothèse de la dégradation inconsciente, appuya un autre. Il faut creuser cela.

Il y a aussi... » Un troisième médecin commença une phrase, mais s'interrompit après lui avoir jeté un regard discret. Après quelques secondes d'un inconfortable silence, le directeur se racla la gorge et reprit la parole.

« Merci d'avoir répondu à nos questions, monsieur Oikawa. Vous pouvez retourner vous reposer. Votre planning de thérapie vous sera envoyé dans quelques heures, il sera effectif dès demain. »

L'ancien capitaine n'avait pas spécialement envie de s'en aller ― il voulait connaître cette hypothèse que l'autre n'avait pas souhaité formuler. Il ne fit cependant pas d'esclandre, se contentant de remercier les docteurs et de se lever pour quitter la salle. Néanmoins, après avoir refermé la porte, il se pencha pour faire croire au drone qui comptait le raccompagner qu'il refaisait son lacet, et tendit l'oreille.

« On ne peut pas exclure cette hypothèse. C'est la plus plausible.

Il ne semble pas mentir d'une manière ou d'une autre. Ce genre de choses se remarque.

Certes, mais je ne crois pas à toutes ces histoires d'inconscient ou je ne sais quoi. Pour moi, si son facteur se gâte et qu'on n'en trouve pas l'explication, c'est qu'il ment. »

Tooru contracta sa mâchoire, mais se redressa, sa besogne terminée, en essayant de ne rien laisser paraître. Il mentait ? L'hypothèse l'outrageait. Il ne mentait pas, et ne simulait rien. Il était parfaitement honnête quand il disait ne pas pouvoir expliquer la dégradation de son facteur. Pourquoi personne ne voulait-il le comprendre ? Pourquoi étaient-ils plus disposés à croire qu'il mentait et cachait quelque chose de grave plutôt qu'il ne savait pas les raisons de sa dégradation ?

Il ruminait encore son agacement quand il retourna dans sa chambre peu accueillante. D'ailleurs, celui-ci ne le quitta pas de la semaine ― car en plus de ses séances de thérapie par la parole, qu'il trouvait somme toute plutôt agréables car les autres résidents étaient accueillants, il avait des séances personnalisées avec plusieurs thérapeutes, dont celui qui avait émis l'hypothèse de son mensonge. Et l'homme n'essayait même pas de cacher qu'il continuait de penser ainsi, orientait ostensiblement ses questions dans cette direction par moments. Pour un peu, si cela n'avait pas été contre-productif, Tooru aurait pu lui sauter au cou.

Les journées s'écoulaient cependant sans incident majeur. Le brun s'était vu prescrire un traitement médical en plus de ses cures, et il apparut au bout d'une semaine que sa dégradation ralentissait de nouveau. Cependant, il restait dans un seuil critique, et aucun mouvement de diminution de son facteur ne s'était amorcé jusque-là.

Ce constat replongeait Tooru dans son pessimisme. Rien ne semblait indiquer qu'il serait bientôt en mesure de constater un véritable effet positif de sa thérapie. Sa seule lueur de satisfaction résidait dans les visites quotidiennes de sa famille : sa sœur, malgré la reprise de son travail, venait plusieurs fois par semaine, souvent accompagnée par leurs parents. Hajime venait aussi tous les deux ou trois jours, les soirs où il n'avait pas d'heures sup' à effectuer pour dépanner ses collègues.

Ces visites étaient strictement encadrées avec une séparation entre eux et un drone qui surveillait leurs faits et gestes ― pour un peu, il se serait cru en prison. Mais il appréciait leurs conversations, aussi futiles qu'elles soient, qui le coupaient de sa monotonie. Elles lui rappelaient qu'il y avait toujours un monde extérieur qui attendait son rétablissement. Depuis son entrée au centre, il avait le sentiment de se trouver dans une bulle temporelle. Les journées se succédaient les unes aux autres, toujours identiques, à l'exception des questions de ses thérapeutes qui changeaient parfois.

Il savourait d'autant plus donc les nouvelles apportées par ses proches. Takeru réussissait parfaitement bien en classe, mais il se faisait toujours discret sur la personne qui l'intéressait. Ses parents avaient repris leur train de vie habituel, et les affaires de sa mère restaient florissantes ― l'ancien passeur ne savait pas exactement comment réagir à cette information, pour être honnête. Devait-il se sentir désolé que la nouvelle de son hospitalisation ait pu potentiellement impacter le business de sa mère ?

Hajime, lui, était celui qui en disait le moins quand il venait ― ce qui n'était honnêtement pas très surprenant. C'était surtout Tooru qui parlait lors de ses visites. Il lui racontait son quotidien au centre ― et son état, principalement, qui semblait être la chose qui retenait le plus l'attention de son petit ami. Bien évidemment, il ne lui posait jamais la question directement, sans doute parce qu'il ne voulait pas lui donner l'impression de ne venir que dans l'attente de sa sortie, mais il n'avait pas fallu très longtemps à Tooru pour remarquer les réactions qu'il pensait parvenir à dissimuler.

Ce qui ne changeait pas en revanche, c'était leur habitude de se prendre le bec sur des bêtises. Même dans cette situation, Hajime arrivait à s'emporter contre son compagnon, et celui-ci parvenait toujours avec un brio impeccable à le faire sortir de ses gonds ― pauvre Hajime, faisait toujours remarquer Miyuko, tu lui causeras un ulcère précoce.

(Tooru se défendait de ces accusations, il montrait juste son amour à son petit ami. A la manière d'un emmerdeur, certes, mais tout de même.)

« Oh, tu ne devineras jamais qui te souhaite un bon rétablissement, lui déclara un beau matin ― ou plutôt un beau soir ― son compagnon en arrivant dans leur salle de rencontre.

Qui donc ?

Ushijima. » Tooru grimaça. Il aurait dû s'en douter. Même maintenant, l'homme parvenait à le poursuivre.

« Trop aimable de sa part. Vous vous êtes croisés récemment ?

Il a commencé à fréquenter l'entreprise qui m'emploie comme coach sportif, expliqua le jeune homme aux cheveux noirs. Ce n'est pas moi qui m'occupe de lui, mais forcément, on se croise. »

Du coin de l'œil, Tooru observa le visage de son compagnon alors qu'il lui expliquait tout cela. L'agacement brillait dans son regard alors qu'il devait repenser à cette rencontre fortuite. Le jeune homme aux cheveux bruns était content de voir qu'il n'était pas le seul rancunier à conserver un grief contre le sportif de haut niveau malgré les années qui passaient. Il ne put cependant s'empêcher de penser que son cher petit ami avait décidemment les nerfs toujours trop à cran pour sembler aussi agacé par un simple souvenir.

Puis, deux jours plus tard, Hajime ne vint pas à leur rendez-vous habituel. 

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