01.9 :: 𝙏out ce qui se reflète dans la mer

nda - j'ai un problème avec l'image de la mer nocturne dans laquelle se reflètent les étoiles, vraiment, si je pouvais la caser dans tous mes textes je le ferais. 

comment allez-vous sinon ? j'espère que tout va bien pour vous, et que vous tenez bon malgré la situation as always. 

j'en profite pour glisser que cette partie est bientôt terminée (il reste trois chapitres supplémentaires) et que notre duo favori Kageyama/Hinata va donc bientôt laisser la place à un autre :) d'ici là, j'espère que vous apprécierez les événements à venir et je vous souhaite une excellente lecture - rendez-vous le 08 mai pour le dixième chapitre !

CHAPITRE NEUF ― TOUT CE QUI SE REFLÈTE DANS LA MER
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𝙏obio cligna des yeux quelques secondes avant de finalement se redresser et profiter de l'état d'aveuglement des deux membres de la Sécurité Publique pour leur fausser compagnie. Son camarade de classe aux cheveux roux le suivit en sautillant de toit en toit ― son agilité était toujours aussi stupéfiante. Le passeur ne parvenait pas à croire que le rouquin venait de jeter une grenade lacrymogène sur des membres de la SP pour lui permettre de s'échapper.

D'ailleurs, où l'avait-il trouvée ? Cette grenade était une arme que seuls les employés de la SP étaient supposés posséder. Et puis, où étaient Corbetti et la petite sœur d'Hinata ? Lorsque le rouquin se laissa tomber sur le sol à son niveau, alors qu'ils atteignaient des bâtiments plus bas et munis d'escaliers, il lui posa ces deux questions.

« Natsu et Corbetti nous attendent à l'extérieur de la ville. J'ai demandé à Corbetti de l'emmener loin d'ici si aucun de nous deux ne revenait. Et on a trouvé la grenade sur l'exécuteur qui était à notre poursuite.

― Vous avez attaqué un exécuteur muni d'un Dominateur ? » s'étrangla Tobio. Comment avaient-ils pu faire une chose pareille ?

« Oui. On l'a pris par surprise, et bam ! Corbetti a fait fshiou et shbam ! » Le passeur jeta un regard d'incompréhension à son interlocuteur. En quelle langue parlait-il ?

« Vous êtes inconscients.

Je te rappelle que sans cela, tu serais de retour à la case départ. D'ailleurs, un « merci » ça t'écorcherait les lèvres ? » bougonna le rouquin.

Tobio le foudroya du regard, mais il admettait en son for intérieur que le jeune homme avait raison : il lui devait une fière chandelle. Sans lui, il aurait été ramené de force à la Sécurité Publique, et aurait dû faire face aux conséquences de ses actes. Cela n'aurait en soi pas été un immense problème : il n'était pas du genre à se défiler, même dans ce type de situation où il avait complètement fauté et risquait une grave sanction. Mais il éprouvait malgré tout une envie d'éviter au maximum de se retrouver devant ses parents, qu'il avait sans doute bien déçus.

« Merci, il marmonna finalement en réponse. Mais je croyais que tu ne voulais pas que je vous accompagne. » Hinata l'observa avec un air presque surpris.

« C'est pas pour autant que je veux que tu finisses en prison ou que tu aies des ennuis. Ça m'aurait ennuyé que tu sois le seul capturé par la SP, pendant qu'on se faisait tranquillement la malle. » Il expliqua doucement, sans le regarder, avec ce petit air buté qu'il prenait lorsqu'il était obligé de dire des gentillesses à une personne qu'il n'appréciait pas.

« Je vois. » fut tout ce que Tobio put répondre.

Même s'il ne l'aurait pas avoué, même sous la torture, il était touché par l'attitude de son compagnon, qui avait exprimé depuis le début toute sa mauvaise humeur vis-à-vis de sa présence ici, et qui avait pourtant pris le risque de se faire arrêter aussi pour l'aider. Il était confus face à cette attitude, mais aussi vaguement heureux. C'était normal après tout, dans ce genre de situation, il ne pouvait que se sentir ainsi... non ?

« Corbetti a flippé quand je lui ai dit que j'allais retourner en arrière pour t'aider, soupira ensuite Hinata, alors qu'ils quittaient enfin la ville au pas de course. Il croyait que je n'allais pas y arriver, et juste me retrouver arrêté aussi.

― En même temps, c'était très inconscient, répéta Tobio. Les agents de la SP sont entraînés et armés d'une arme qui peut te mettre hors d'état de nuire en moins de deux.

― Ça n'a pas fonctionné sur Corbetti, fit remarquer son interlocuteur.

― Parce qu'il s'est drogué. La fonction paralysante est atténuée quand le cerveau est stimulé par des psychotropes. » Ils restèrent silencieux quelques secondes, avant qu'Hinata ne soupire :

« On est en train de suivre un drogué pour sortir du pays sans se faire arrêter. Est-ce que c'est mauvais signe ?

Oui. » répondit en toute honnêteté le passeur en soupirant de consternation. Cela n'avait rien de très rassurant comme perspective. « Mais en même temps, c'est ce qui nous a sauvés. Si Corbetti n'avait pas été drogué, il se serait effondré au premier coup de Dominateur, et on aurait été fichus nous aussi.

― C'est vrai... Tu crois qu'Orru était sous l'emprise de substances bizarres aussi ? »

Tobio haussa les épaules en signe d'ignorance. C'était plus que probable compte tenu du fait qu'il n'avait pas vu Corbetti se piquer ou avaler une quelconque substance étrange avant leur départ. Cela signifiait qu'il était déjà sous psychotropes bien avant. Et puis, si les membres d'Eitpheil se droguaient pour s'assurer de ne pas s'effondrer en cas de dose paralysante d'un Dominateur, ils étaient obligés de le faire en quasi-permanence dès qu'ils étaient en « mission ».

« Je suppose qu'être rebelle n'est pas aussi simple qu'on le croit. » Il commenta finalement. Hinata laissa échapper un rire un peu désabusé.

« Quand je vois la difficulté pour sortir du pays, je n'ai pas de mal à le croire. » Il fit une pause avant de commenter à voix basse : « Qu'est-ce que ces gens sacrifient pour nous permettre de partir sans encombre ? »

Probablement beaucoup de choses, répondit Tobio dans son esprit. Ils renonçaient à une vie paisible et toute tracée, à un avenir peut-être glorieux, à une famille aimante. Ils renonçaient à tout ce que des gens comme lui tenaient pour acquis de leur plein gré, et passaient le reste de leur existence à se cacher et à craindre le jour où la foudre de Sybille les rattraperait.

Et qu'obtenaient-ils en retour ? La satisfaction d'avoir sauvé des gens ? Mais suffisait-elle vraiment pour compenser toute leur souffrance ? Il n'était pas dans le genre de Tobio d'avoir des pensées aussi philosophiques, mais il ne voulait pas les ignorer non plus. Elles le renvoyaient à sa propre impuissance, lui qui avait passé dix-huit ans dans l'ignorance de tous ces hommes et femmes qui ne trouvaient pas en Sybille leur salut.

Son départ soudain, quelles que puissent en être les raisons profondes, changeait beaucoup de choses dans sa conception pourtant jusqu'à présent simple du monde. Il découvrait à quel point, malgré tout ce que ses parents lui avaient dit, le monde dans lequel ils vivaient n'était pas tout blanc. Il y avait des gens qui se battaient contre des injustices, d'autres qui les subissaient car ils étaient incapables de faire comme les premiers.

Peut-être était-ce pour cela, réalisa-t-il soudainement, qu'il avait pu partir aussi aisément. Depuis plusieurs jours, il était tourmenté par son comportement qu'il ne comprenait lui-même pas. Pourquoi avait-il pu rejeter ses valeurs aussi facilement, et accepter de devenir un criminel en puissance sans que sa conscience ne le rappelle à l'ordre ? Peut-être était-ce tout simplement parce que, en partant à la recherche d'Hinata sur un coup de tête, il avait pris conscience de tout ce qu'il ignorait jusqu'alors.

« Eh ! Stupidyama ! » Il tressaillit au surnom ridicule, et tourna un regard noir vers Hinata. « Si tu continues de réfléchir aussi intensément, tu vas encore trébucher sur le vide. » Le central lui tira la langue puérilement ensuite, dans une mine qui lui rappela désagréablement le neveu d'Oikawa ― et Oikawa lui-même. En guise de réponse, le jeune homme aux cheveux noirs essaya de le frapper.

« Je surveillais nos arrières ! se défendit-il tant bien que mal. Et j'ai trébuché sur un obstacle. » Le rouquin lui offrit une nouvelle mine moqueuse.

« Si tu le dis. » s'amusa-t-il.

Hinata l'entraîna en direction des bois qui bordaient la ville dont ils venaient miraculeusement de sortir pour la seconde fois ― Tobio jeta un dernier regard aux murs de tôle du bidonville, s'attendant presque à voir les deux agents de la Sécurité Publique sortir d'une rue et les prendre de nouveau en chasse, mais ne vit rien, heureusement.

« Qu'est-ce que vous avez fait de l'autre exécuteur ?

― On l'a assommé et ligoté, avant de le laisser là où on l'a piégé. On lui a pris toutes ses grenades mais on n'a pas pu prendre le Dominateur.

― Évidemment. Seuls les membres de la SP sont habilités à les utiliser. Tu imagines les conséquences si tout un chacun pouvait tirer sur des criminels ?

― On se retrouverait avec un psycho-syndrome collectif, parce que les personnes psychologiquement assez stables pour accepter l'idée de tuer des gens sont rares, récita le jeune homme, comme s'il était un manuel scolaire. Je ne suis pas si ignorant non plus. On a étudié l'histoire de la SP.

― Ce cours était incomplet, commenta simplement Tobio.

― Pff. Qu'est-ce que tu en sais ?

― ... Je te rappelle que mes parents sont de la SP. »

Était-ce seulement possible d'être aussi idiot ? songea-t-il avec consternation. Il ne le pensait pas, pourtant Hinata le lui prouvait par bien des façons. Le jeune homme ne répondit rien, se contentant de bouder face à sa réplique. Il n'avait sans doute pas d'argument à y opposer.

Ils terminèrent leur trajet en silence, n'ayant de toute manière plus que quelques mètres à parcourir pour rejoindre la forêt où devaient se cacher Corbetti et la sœur d'Hinata. Ils avaient à peine fait un pas dans les bois qu'un cri les accueillit, et ils virent une fille rousse accourir dans leur direction. Elle semblait aussi rapide que son frère, songea Tobio.

« Shô ! Tu es revenu !

Évidemment ! » rit son frère, comme s'il était juste parti faire quelques courses. Il la serra fortement dans ses bras, et Tobio devina que, malgré son attitude assurée au moment de le tirer d'affaire, il avait eu tout aussi peur de ne pas revoir sa petite sœur de sitôt.

« Vous êtes vraiment des cas, vous deux, lâcha Corbetti en les rejoignant à son tour. Attaquer un membre armé de la SP, lui voler une grenade et en attaquer deux autres... Quand j'vais raconter ça aux autres, ils vont pas en revenir. » Il esquissa un petit sourire. « Pour un peu, j'vous proposerai bien de rejoindre Eitpheil.

J'ai peur que ce ne soit pas dans nos objectifs, répondit Hinata avec un petit rire. Même si vous aviez trop la classe contre l'exécuteur ! » Corbetti eut à son tour un petit rire gêné.

« On s'forme aux arts martiaux quand on intègre Eitpheil. »

Tobio était curieux de savoir s'ils disposaient d'un quartier général ou non, pour se former. Cela ne serait pas en accord avec tout ce qu'ils faisaient pour échapper à la Sécurité Publique, mais s'ils se formaient, ils devaient bien le faire quelque part... non ?

« Bon, j'suppose qu'on peut repartir. » Le membre du réseau changea vite de sujet. « Je vais prévenir Orru que tout s'est bien passé.

Vous pouvez ? s'étonna Hinata.

Tu nous as bien vus échanger tout à l'heure avec le boîtier.

C'est une sorte de téléphone non ? » intervient Tobio. Il avait remarqué des similitudes avec le modèle qu'il possédait lui-même avant sa fuite ― même si ces similitudes étaient très, très vagues.

« Ça ? s'étonna Hinata.

Oui. C'est un des premiers modèles. Il date d'la fin du vingtième siècle. » De plus d'un siècle plus tôt ? Les deux jeunes hommes échangèrent un regard stupéfait.

« Et il marche encore ?

Il a été trafiqué mais oui. Ils faisaient des modèles super résistants avant. Il en a vu d'belles, mais il marche encore. »

Corbetti semblait très heureux de son petit appareil, et souriait comme un enfant qui s'amusait avec son nouveau jouet tandis qu'il pianotait sur le « téléphone » pour contacter Orru. Tobio ne comprenait pas vraiment ce que cet appareil archaïque avait de si plaisant. Sans doute constituait-il un engin impossible à détecter par Sybille en raison de son ancienneté, mais il ne devait pas servir à grand-chose d'autre. Enfin, le jeune homme ne s'y connaissait pas spécialement en technologie. Ses connaissances étaient déjà limitées quand elles concernaient les technologies actuelles de leur société, alors celles vieilles de plus d'un siècle...

« C'est bon, Orru a bien reçu le message. On peut repartir.

Il vous a dit pourquoi la diversion n'a pas fonctionné ? s'enquit Hinata.

Non. On limite nos échanges au strict minimum. Y a une faible probabilité que Sybille puisse quand même capter le signal qu'émettent ces téléphones s'ils s'mettent sur la bonne fréquence. Alors on s'donne que des informations concises, et on envoie peu de messages. Je poserai la question à Orru la prochaine fois que j'le croiserai, ou je demanderai à quelqu'un d'autre. »

Hinata hocha la tête, apparemment convaincu par la réponse. Corbetti le regarda faire avec un petit sourire, puis leur fit signe de se redresser et de reprendre leur route. Avant cela, Tobio jeta un dernier coup d'œil à la capitale derrière eux. Il réalisa soudainement qu'il ne reviendrait probablement jamais ― en tout cas, si tout se passait comme prévu, il n'y retournerait pas. Cela le fit se sentir étrange.

Il eut une pensée brève pour sa sœur et ses parents. Comment agiraient-ils en apprenant les événements de la journée ? Quelle serait leur réaction lorsqu'on leur dirait que leur fils avait fui la SP sans saisir la chance de revenir en arrière qu'on lui avait donné. Il était quasiment certain que les Dominateurs de Sybille étaient restés bloqués face à lui, signe que le système même lui avait accordé sa chance de faire machine arrière. Mais maintenant qu'il avait fui, il n'avait plus aucun espoir de pouvoir continuer d'échapper au jugement implacable du système Sybille...

« C'est ça ? C'est le port clandestin ? » La voix d'Hinata était bien trop forte comparée aux propos qu'il tenait, et Corbetti et Tobio se tournèrent vers lui dans un même geste pour lui intimer le silence.

« Ne nous fais pas repérer ! » le sermonna doucement le membre du réseau. Malgré son ton épuisé, nul doute qu'il ne plaisantait pas avec son injonction et qu'il valait mieux lui obéir. D'ailleurs, le central baissa la voix pour ajouter :

« On est arrivés ? » Corbetti hocha la tête positivement.

« Oui. Mais ne te réjouis pas trop vite... » C'était peine perdue. Hinata ne l'écoutait déjà plus, trop occupé à sautiller d'impatience avec sa petite sœur. Il était totalement imperméable au pessimisme, songea Tobio en les regardant faire.

« La SP connaît cet endroit ? » s'enquit-il ensuite à l'intention de Corbetti.

« Oui. Mais pas son adresse exacte, heureusement. Si on ignore par où passer, on ne peut pas trouver l'embarcadère. Même les drones leur seront inutiles : la zone est composée de trop d'obstacles pour qu'ils soient efficaces. »

Le membre d'Eitpheil balaya les environs du regard, puis coupa à travers les broussailles. Tobio avait l'impression d'avoir passé ces derniers jours uniquement dans les bois : il ignorait qu'il y en avait encore autant au Japon. Pendant de nombreuses années, il avait étudié les politiques d'urbanisation massive du gouvernement et les réclamations des défenseurs de l'environnement, mais il avait l'impression que les zones boisées ne manquaient pas du tout.

Normalement, ils auraient dû être emmenés jusque-là par Capensis, un autre membre du réseau, mais les plans avaient encore changé en cours de route. Apparemment, Eitpheil aidait d'autres citoyens en même temps qu'eux, et une de leurs missions avait commencé à mal tourner. Ils avaient donc continué leur route avec Corbetti, qui avait maintes fois protesté mais n'avait pas eu le choix ― de toute façon, ils savaient qu'il disait surtout cela pour la forme (ils l'espéraient en tout cas).

« Qu'est-ce qu'on fait alors ? » demanda Hinata, après s'être visiblement calmé. Il continuait cependant de trépigner un peu d'excitation. Il paraissait avoir complètement oublié qu'ils étaient loin d'être tirés d'affaires.

« On attend un signal positif, répondit Corbetti en détaillant les broussailles autour d'eux.

― De la part de qui ? interrogea Tobio. Un autre membre du réseau ?

― Oui ! J'vais enfin me débarrasser de vous, ricana Corbetti.

― On sait que tu ne le penses pas ! » s'exclama Natsu. Elle avait pris de l'assurance depuis le début de leur périple, et Tobio admettait qu'il s'était beaucoup attaché à elle ― enfin, il ne l'admettait qu'en son for intérieur.

« En effet, soupira le membre du réseau avec un petit sourire, vous allez me manquer. Mais vous m'avez quand même attiré un peu trop de problèmes. J'vais pas entièrement vous regretter, désolé. » Les deux Hinata affichèrent simultanément une mine offusquée identique qui fit sourire Tobio.

« Il ne s'est rien passé depuis qu'on a quitté Tokyo ! »

Corbetti répondit à leur remarque avec un sourire, toujours en partie dissimulé par sa capuche qu'il ne quittait pas. Malgré les jours entiers passés ensemble, le membre du réseau n'avait pas commis l'imprudence de révéler son visage entier. Si les liens entre eux s'étaient resserrés au fur et à mesure de leur avancée lente au travers de l'île d'Honshu, ils n'avaient pas aboli les distances nécessaires à la bonne réussite de leur mission.

« Ce sera le fameux Capensis ? demanda le passeur après quelques secondes.

― Non, j'crois pas. J'ai pas eu de nouvelles d'Albus depuis plusieurs jours, mais j'pense que Capensis est pas encore disponible. » Le ton du jeune homme était inhabituellement sérieux, et Tobio se demanda s'il avait eu des informations sur la mission qui avait détourné Capensis de leur chemin. « J'espère que ce ne sera pas Albus lui-même, ajouta Corbetti à mi-voix, probablement plus pour lui-même.

― Pourquoi ? s'enquit Natsu en penchant la tête.

― Parce qu'il va me remonter les bretelles pour plein de raisons. » répondit le membre du réseau en frissonnant. Qui que fusse Albus, il semblait terrifiant.

« Tu as de la chance Corby, c'est pas Alby ! »

Une voix énergique et féminine résonna à proximité d'eux, et le petit groupe sursauta. Une silhouette s'était glissée à leurs côtés sans qu'ils ne la remarquent ― surprenant, compte tenu de son volume sonore.

« Mellori ! » s'exclama Corbetti. Il semblait soulagé.

« Salut ! Bravo pour être arrivés jusqu'ici, s'amusa la nouvelle venue. On avait parié avec les autres que vous vous feriez prendre par la SP.

― Sympa, merci, soupira son interlocuteur. Vous aviez tous parié contre nous ou certains avaient foi en mes capacités ?

Honnêtement ? Dans notre petit groupe ici, personne. Mais à l'échelle d'Eitpheil, y en a qui devaient y croire quand même. Enfin, j'espère. » Corbetti eut un nouveau sourire désespéré.

« J'vous déteste tous. »

Son interlocutrice ricana, et s'avança un peu plus près d'eux pour qu'ils puissent distinguer ses traits. Enfin, distinguer... Le mot était fort, puisque non seulement il faisait nuit noire en raison de l'heure tardive, mais en plus elle portait un masque traditionnel presque effrayant qui masquait entièrement ses traits et ne laissait apparaître que ses yeux. Tobio fut surpris par cet accoutrement surprenant ― mais il était au fond logique d'utiliser ce procédé, plus simple et plus efficace qu'une capuche.

« Donc, c'est vous qu'on fait sortir bientôt ? » leur demanda-t-elle sur un ton toujours enjoué. Elle semblait, aux yeux de Tobio, trop peu sérieuse pour être membre d'un réseau d'une telle ampleur ― mais peut-être était-il juste médisant.

« Enchanté ! » s'exclama Hinata, vite imité par sa petite sœur. Tobio se contenta d'hocher la tête ― même s'il n'était pas sûr qu'elle l'ait bien vue. Cela le perturbait, on voyait moins bien ses yeux à cause du masque, et il n'était pas certain de bien savoir quand elle le regardait ou non.

« Bon, du coup, on va prendre les choses en main, déclara Mellori à l'intention de Corbetti. Tu restes avec nous ?

Albus m'a dit de m'assurer qu'ils partaient bien, oui. De toute façon... » Il baissa la voix, mais Tobio perçut quand même ce qu'il dit ensuite : « Il vaut mieux qu'on se cache apparemment. »

Le passeur ne fit aucun commentaire, mais cette remarque l'inquiéta. Il se doutait déjà vaguement que Corbetti avait minimisé les choses lorsqu'il leur avait expliqué que Capensis ne se joindrait pas à eux à cause d'une urgence, et cette remarque semblait le conforter dans cette hypothèse. Le réseau était-il menacé par la Sécurité Publique ? Cela semblait peu probable ― après tant d'années passées à leur échapper, pouvaient-ils vraiment être menacés désormais ?

Il aurait voulu demander des précisions, mais il savait que ni Corbetti ni Mellori ne répondraient à ses interrogations. Cela ne le concernait pas en soi, surtout qu'il allait bientôt quitter le pays si tout se passait bien ― mais, et si tout se passait mal justement parce que le réseau Eitpheil était inquiété par la SP ? La petite voix dans sa tête prenait un malin plaisir à étaler tout son pessimisme.

« Par mesures de précaution, reprit Mellori après leur avoir désigné la direction qu'ils allaient suivre, on va vous emmener dans une pièce dont vous ne pourrez pas sortir. On cherche pas à vous enfermer, s'excusa-t-elle ensuite, mais on veut pas que vous sachiez à quoi ressemble notre base exactement. C'est aussi pour ça qu'on vous fait venir de nuit. Vous avez l'air réglo, mais on ne peut pas faire confiance à tous ceux qu'on aide. » Le jeune homme aux cheveux noirs comprenait sans mal, même si cela ne le satisfaisait pas dans la mesure où il aurait voulu en savoir plus sur le réseau. Mais puisqu'il n'aspirait pas à les rejoindre, cette curiosité ne pouvait être assouvie.

« Et comment ça va se passer maintenant ? » s'enquit Natsu. Le ton innocent de sa question sembla amuser Mellori.

« On va attendre que la voie soit libre. » La fillette pencha la tête, sans vraiment comprendre. « En gros, ici, vous êtes sur un petit port clandestin. On affrète régulièrement des petits bateaux pour faire monter en secret sur des navires plus imposants les clandestins qui veulent passer la frontière. Mais, évidemment, on ne peut pas le faire sur n'importe quels navires, et il faut se méfier aussi bien de la Sécurité Intérieure que des Affaires Étrangères. »

Le portrait brossé par la femme n'était pas franchement encourageant, songea Tobio. Son pessimisme lui dictait que cela avait été trop simple jusqu'à présent ― si on omettait la partie à Tokyo où ils avaient failli finir entre les mains de la SP ― et que si on quittait le pays aussi aisément, cela se saurait.

Mais, ces derniers temps, il admettait avoir eu envie de voir leur situation se résoudre aussi aisément et paisiblement. Ils avaient passé quelques jours relativement calmes, à simplement avancer lentement au travers du pays pour rejoindre la côte et ce port clandestin. La tension entre Hinata et lui s'était apaisée depuis que le rouquin l'avait tiré d'affaire dans la capitale, et ils avaient échangé des conversations presque cordiales ― presque, car ils s'étaient toujours pris la tête sur des détails et que cela ne changeait pas même dans une situation critique.

« Attention où vous mettez les pieds, déclara soudainement Mellori, le terrain est accidenté par ici. » Ils s'étaient pour le moment orientés progressivement en slalomant entre les arbres qu'on distinguait assez bien, mais ralentirent considérablement à cette déclaration.

« On ne peut pas utiliser une lampe ou une torche ? s'enquit Hinata en prenant la main de sa sœur.

Je vous l'ai dit, répondit Corbetti, on ne peut pas trouver cet endroit si on ne connaît pas le chemin. Vous aussi vous aurez du mal à revenir si jamais vous deviez être rattrapés et qu'on vous demandait d'indiquer le chemin du port.

Mais on risque de se manger le sol. » marmonna Hinata à voix basse pour qu'il ne l'entende pas ; Tobio, juste devant lui, perçut malgré tout ces mots.

Vu son agilité, il n'avait pas grand-chose à craindre, songea-t-il cependant. Il marcha au même moment sur un tas de feuille qui reposait sur un bout de sol qui se déroba sous ses pieds, et se rattrapa de justesse à un tronc d'arbre. Heureusement. Il n'aurait pas supporté une nouvelle humiliation de ce genre, surtout qu'Hinata n'aurait rien manqué du spectacle, étant juste derrière lui.

Ils avancèrent encore un bon moment dans la pénombre avant de s'arrêter à proximité de ce qui ressemblait à une grotte, ou au moins à un passage sous la roche. Tobio ne se sentait pas très en confiance face à ce passage sans doute abrupt dont il ne distinguait pas grand-chose, si ce n'était les pics acérés qui s'élevaient tout autour.

« C'est le seul chemin ? » Hinata semblait aussi peu enthousiaste que lui à l'idée de traverser cette grotte.

« Navrée, mais oui, répondit Mellori. Rassurez-vous, ce n'est pas aussi accidenté qu'on peut le croire ! Aucun de nos autres clandestins n'a jamais succombé en la traversant. » Ce n'était pas exactement rassurant quand même, songea Kageyama. Mais il ravala ses remarques ― trois jours avaient suffi pour qu'il se rende compte que ses phrases trop réalistes (et donc pessimistes) ne faisaient qu'attirer sur lui des remarques désobligeantes.

« Haut les cœurs ! s'exclama Corbetti. Vous n'avez pas été aussi loin pour vous laisser impressionner par de la roche. Contrairement à Sybille, elle ne vous tirera pas dessus arbitrairement. »

Il prit la tête sur ces mots, d'une démarche assurée qui fit penser à Tobio que c'était peut-être en effet plus simple qu'il n'y paraissait. Mais à peine eut-il posé un pied en avant qu'il songea que cela n'allait pas être simple : les rochers sous ses pieds étaient de taille inégale et très instables. Il était passeur, pas acrobate, songea-t-il en levant les yeux au ciel et en avançant prudemment.

Heureusement, à l'exception de ces rochers un peu instables, le passage fut en effet assez simple : les parois de la roche étaient assez lisses, bien plus qu'il ne l'aurait cru au premier abord, et le chemin était rectiligne. Il leur fallut un bon moment pour traverser malgré tout : Hinata, sa sœur et Tobio n'étant pas rassurés malgré les conseils de leurs guides, ils prirent leur temps pour traverser.

Lorsqu'ils ressortirent du passage souterrain, ils furent accueillis par la lueur de la lune qui se reflétait sur la vaste étendue d'eau qui s'étendait soudainement devant eux. La mer était à portée de main, et Tobio la fixa quelques instants avec un léger ébahissement. Il l'avait déjà vue, en vrai comme reproduite avec des hologrammes, mais il avait oublié le phénomène étrange dont il s'agissait, cette vaste étendue d'eau qui se mouvait sous l'influence d'une force qui les dépassait.

Les deux Hinata semblaient aussi sous le charme de la vue, et la plus jeune se fendit même d'un sourire aussi éclatant que les étoiles au-dessus d'eux.

« C'est trop beau ! » Elle se serait élancée pour se rapprocher si son frère ne l'avait pas retenue par le coude.

« On doit rester enfermés, tu te souviens ?

― Mais j'ai envie de la voir de plus près !

Tu en auras l'occasion après, la rassura Mellori. Vous allez embarquer dessus après tout. »

Cela sembla rassurer un peu l'enfant, qui retrouva son sourire tandis qu'ils entraient dans un bâtiment plongé dans l'obscurité, adjacent au passage dont ils venaient de déboucher. Mellori les laissa monter comme ils pouvaient à l'étage ― ils allaient devenir des chats à ce rythme, capables de voir dans le noir ! ― tandis qu'elle se renseignait sur la situation maritime.

Le petit groupe atteignit finalement une grande pièce dont la lumière était allumée ― miracle ! Ce n'était pas du grand luxe, loin de là : des futons usés, une table basse porteuse de nombreuses traces de coupures et une vieille lampe à pétrole ― sans doute ? C'était une telle vieillerie que Tobio n'en était pas certain.

« Ne vous inquiétez pas trop, lâcha Mellori en les rejoignant et en voyant leurs mines déconfites devant cette chambre rudimentaire. Vous allez pas y rester longtemps. » Elle soutint leurs regards intrigués avec un sourire ― ils ne voyaient pas sa bouche, mais ses yeux souriaient. « Normalement, dans trois jours vous aurez quitté le pays. Un bateau va passer au large des côtes japonaises. »

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