01.7 :: 𝙎ans savoir ce qu'il adviendra
nda — update un chouïa plus tardive que d'habitude, je m'en excuse, ces derniers jours ont été un peu compliqués et j'ai pris du retard dans ma relecture et mise en page 🙃
mais ! me voilà avec le chapitre sept, encore dans les temps, avec une petite surprise dans ce chapitre... je vous laisse découvrir le changement qui s'opère dans l'histoire ;)
comme toujours, j'espère que vous allez bien, et que vous survivez avec tout ce qui se passe. n'oubliez pas de prendre du temps pour vous!! c'est plus important en ces périodes anxiogènes que jamais.
sinon, merci pour les 1K de vues <3 prochain chapitre le 10 avril :)
ps : c'est l'instant auto-promotion, mais j'ai sorti un recueil d'OS sur Haikyuu (première histoire sur mon profil) avec un KuroShou, si ce ship vous plaît ça me ferait très plaisir que vous alliez y jeter un oeil <3
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CHAPITRE SEPT ― SANS SAVOIR CE QU'IL ADVIENDRA
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« Je pars avec vous. Que cela vous plaise ou non. »
𝙏obio prononça ces mots avec fermeté et observa sans ciller les trois individus qui lui faisaient face. Le plus grand, Orru, qui se cachait derrière sa capuche et ce surnom étrange, semblait à deux doigts de lui sauter à la gorge et le dévisageait avec fureur. Hinata, quant à lui, avait l'air sans voix ; seule sa petite sœur n'avait pas réagi de façon particulière à son ordre, et se contentait de se cacher derrière son grand frère pour éviter son regard.
Elle semblait le craindre, comme chaque enfant qu'il côtoyait ces dernières années, sans qu'il ne comprenne la raison de cette peur. Il n'allait pas s'en prendre à eux quand même ! Le pire exemple ― ou le meilleur pour illustrer ce fait, c'était selon ― restait Takeru, le neveu d'Oikawa : non seulement le jeune collégien ne l'approchait pas, mais en plus il se mettait à pleurer dès que leurs regards se croisaient.
(Enfin, dans son cas, Tobio ignorait si ce n'était pas plutôt la faute d'Oikawa : son aîné semblait éprouver un malin plaisir à dresser auprès de ses proches un portrait biaisé de son cadet, et heureusement que le jeune homme aux cheveux noirs pouvait compter sur Iwaizumi pour corriger ses dires lorsqu'il en faisait trop. Même s'il soupçonnait ce dernier de trouver les âneries de son petit ami plus amusantes qu'il ne prétendait...)
« C'est une blague ? » Orru semblait avoir retrouvé le sens de la parole et pointait un doigt tremblant dans sa direction. « Tu t'prends pour qui ?
― Je suis parfaitement sérieux, affirma Tobio en le regardant droit dans les yeux. Vous aidez ceux qui le désirent à fuir Sybille, non ?
― Mais t'as aucune raison de partir toi !
― Il en faut nécessairement une ? » Orru se décomposa à cette question, comme si elle était absurde ― Hinata avait eu la même réaction lorsqu'il avait répondu quelque chose de similaire un peu plus tôt.
« J'sais pas si t'es stupide ou simplement inconscient, laissa finalement tomber le jeune homme en secouant la tête. Mais t'es un cas. »
Il se tourna ensuite vers Hinata, qui n'avait toujours pas prononcé un mot et les avait simplement observés pendant toute leur conversation. Le rouquin semblait être figé dans son mutisme ― c'était d'ailleurs la première fois que Tobio le voyait rester silencieux si longtemps. Puis, soudainement, il explosa ― et ce n'était pas une simple métaphore.
« POURQUOI ? cria-t-il avec un volume sonore épatant pour sa taille. Je t'ai dit de reprendre ta fichue vie normale ! Qu'est-ce qui est si dur là-dedans ? Tu comptes m'accompagner pour le plaisir de me voir me planter ? Pour me dire « je te l'avais bien dit » ? »
Il marqua une petite pause après ces protestations, sans doute pour lui laisser le temps de se défendre et de dire quelque chose d'utile pour expliquer ses actions ; mais Tobio n'avait rien à lui répondre, parce qu'il ignorait lui-même quelles explications donner à son attitude. Il avait juste en lui le besoin irrépressible de faire cela.
Dans un premier temps, il avait mis son incapacité à accepter le départ d'Hinata sur le compte du fait que ses actions allaient à l'encontre de ses valeurs. Il avait été élevé par deux inspecteurs de la SP, dans un respect total des règles du système. Imaginer qu'on puisse y contrevenir le sidérait. C'était sur ces sentiments qu'il avait fait peser l'explication de ses actes.
Mais puisqu'il se découvrait désormais la conviction qu'il pouvait quitter leur société sans grands regrets pour partir avec Hinata, il comprenait que cette explication semblait bien légère, voire complètement erronée. Il allait bafouer lui-même et de son plein gré les valeurs qui expliquaient jusqu'alors son attitude, ce qui était complètement incompréhensible. Il y avait sans doute donc une autre explication... qu'il ne connaissait pas encore.
Peut-être étaient-ce les événements d'il y a deux jours qui éveillaient en lui cette attitude irresponsable. Il n'avait même pas osé aborder le sujet avec Iwaizumi. L'événement soigneusement évité avait flotté entre eux pendant chacune de leurs conversations, mais aucun d'eux ne l'avait abordé. Il se doutait cependant que son aîné avait été moins passif que lui ― d'ailleurs, s'il avait aperçu Hinata et sa sœur en train de partir, c'était sans le moindre doute parce qu'il avait été chez Oikawa. Il n'ignorait pas que l'ancien capitaine et passeur de Seijoh et le central de Karasuno étaient voisins.
« Ce ne sont pas tes affaires, finit par murmurer Hinata devant son mutisme qui s'allongeait.
― Je sais. » répondit-il finalement. Son coéquipier l'observa de son regard noisette brûlant. « Je ne le fais pas pour toi. »
Ce n'était pas un véritable mensonge. Si Hinata semblait être la raison pour laquelle il agissait ainsi, c'était surtout son désir de ne rien regretter qui le poussait à se comporter de cette façon. Oikawa disait souvent que c'était à la fois sa plus grande qualité et son plus grand défaut ― et même si cela avait des airs d'insulte quand il le disait sur son ton condescendant, tous savaient qu'il avait raison et qu'il admirait autant ce fait qu'il le détestait.
« Donc, Orru rompit le silence et la tension dans l'air, on part tous. » Ce n'était pas une question, et Tobio apprécia ce fait. Il hocha simplement la tête avant de regarder avec confusion la main que leur guide agita dans sa direction ensuite. « Donne-moi ton portable. À partir du moment où tu seras en fuite, ils chercheront à te localiser. » C'était très probable en effet, aussi il s'exécuta. Il aurait voulu pouvoir tester son facteur criminel une dernière fois ― était-il toujours aussi stable, ou était-il désormais bien plus haut qu'il ne l'avait jamais été ? Venait-il de mettre fin à toutes ses chances d'avoir une vie paisible d'inspecteur ? « Et assure-toi aussi de laisser tout ce qui fonctionne électroniquement. Y compris les vêtements.
― Ce sont des authentiques vêtements, lui assura-t-il. Je n'ai rien d'autre que mon téléphone. »
Orru hocha la tête avant de le jeter sans ménagement sur une pierre et de l'écraser le plus possible. Tobio le regarda faire sans trop d'émotions ― même s'il regrettait un peu de devoir s'en séparer. Il y avait beaucoup de choses sur son portable, et même si elles étaient toutes sauvegardées dans son Cloud personnel, il ne les retrouverait jamais. Il eut une petite pensée pour toutes les photos de sa famille, emplies de souvenirs. Il n'était pas spécialement matérialiste, mais il les affectionnait un peu.
Il pensa aussi à sa famille, et ce qu'ils allaient penser de lui. Miwa allait rire, sans le moindre doute. Il ne la voyait pas avoir une autre réaction en apprenant son départ. Ses parents par contre allaient sans doute être déçus et ne comprendraient pas ses actes. Lui-même ne les comprenant pas, il paraissait impensable que d'autres soient en mesure de le faire. Il s'en voulait un peu à l'idée qu'il allait briser les espoirs que ses parents avaient posé sur lui. Ils étaient si heureux qu'il devienne un inspecteur comme eux... Même sa mère, pourtant actuellement hospitalisée pour suivre un traitement pour éclaircir sa teinte, avait été ravie quand il avait dit qu'il visait la SP.
Et maintenant, il allait fuir. Devenir un déserteur, un criminel, un immigré dans un autre pays. Quelque chose lui soufflait qu'il n'allait pas continuer d'être un enfant choyé par ses parents, mais plutôt celui dont on ne parle plus.
Et le pire dans tout ça, c'était sans doute qu'il ne parvenait pas à regretter son choix malgré tout.
« C'est bon ? T'as fini ton introspection ? » La voix d'Orru le tira de ses pensées et il cligna des yeux pour observer le guide.
« Oui. » Il hocha la tête, sans saisir immédiatement l'ironie de son interlocuteur qui soupira en secouant la tête avec consternation.
« Alors on y va. Corbetti risque de s'envoler, même s'il n'a pas d'ailes. »
Orru ricana à sa propre blague obscure pour eux, avant de se redresser et de se diriger d'un pas ferme vers le sud. Hinata entraîna sa sœur à sa suite sans accorder un regard à Tobio, qui ferma la marche en jetant un coup d'œil vers la ville qu'ils quittaient. Plusieurs véhicules filaient sur la route au loin à toute allure, trop rapides pour pouvoir les remarquer heureusement.
Et puis soudain, une sirène retentit.
« C'est moi ou c'est exactement le son des voitures de la SP ? » marmonna Orru, bien qu'il parût déjà connaître la réponse puisqu'il se jeta à terre et leur fit signe de l'imiter.
« Ils doivent être sur la route, objecta Tobio en l'imitant malgré tout.
― Ouais, mais ils vont quadriller toute la zone. Il faut pas qu'on traîne. » Il posa un regard suspicieux sur le passeur. « J'espère que c'est pas toi qui leur a indiqué notre positon..., siffla-t-il sur un ton menaçant.
― Bien sûr que non ! » répliqua sèchement Tobio. Il n'y était pour rien, et avait du mal à croire qu'ils aient déjà ratissé toute la ville.
« Shô, geignit la sœur d'Hinata à l'intention de son grand frère, j'ai peur. »
Le rouquin lui adressa quelques mots de réconfort en la serrant dans ses bras. Il observa ensuite Orru avec intérêt, désireux de connaître leur marche à suivre désormais. Leur guide soupira et leur désigna l'horizon devant eux.
« On continue mais on avance prudemment. Et on va pas chez Corbetti.
― Je croyais que c'est lui qui devait nous aider à fuir ? lâcha Tobio.
― Ouais, mais j'peux pas prendre le risque de faire éclater tout le réseau si on est suivis. On va aller se planquer ailleurs. Si la SP doit nous tomber dessus, je serais le seul membre qu'elle pourra éliminer. »
Visiblement, Orru était convaincu que son facteur criminel excédait les trois cents. Tobio se demandait ce qu'il en était réellement, normalement seuls les tueurs ou les coupables de crime grave excédaient ce seuil. Orru n'était pas supposé en être un... si ?
« Est-ce qu'on a une chance d'y arriver ? murmura-t-il pour ne pas être entendu de la fillette.
― Si la SP évite le secteur, ouais. » Autrement dit, c'était mal parti. Leur seul espoir résidait dans le fait que les voitures n'étaient pas pour eux, mais pour un autre accident ou crime survenu plus loin.
« On continue dans cette direction. »
Orru se releva sur ces mots et reprit son chemin en jetant des regards fréquents autour d'eux. Hinata aida sa sœur à se relever, et le suivit sans un mot ou un regard pour Tobio. Une telle indifférence finissait par agacer un peu le jeune homme aux cheveux noirs. Pourquoi son camarade se montrait-il si agacé par sa présence et son soutien ?
Malgré son envie d'insister et de forcer le jeune homme à lui parler, il ne dit rien et les suivit aussi en silence. Il jetait également des regards derrière eux, s'attendant presque à voir des hommes ou des femmes surgir et leur courir après en pointant leurs dominateurs sur eux. Auquel cas, ils n'auraient vraiment aucune chance de s'en sortir.
Ils avancèrent en se frayant un passage dans les bois épais, et Tobio finit par remarquer qu'ils prenaient la direction de la capitale. Ils s'éloignaient de sa sortie principale par la route, mais se rapprochaient malgré tout des quartiers en périphérie. Était-il vraiment prudent d'y retourner ? La SP était peut-être partie du principe que les deux fugitifs avaient quitté la capitale, mais ils n'allaient pas pour autant abandonner les fouilles, s'ils étaient cohérents. Et puis, il y avait tant de scanners de rue là-bas que cela lui semblait complètement inconsidéré.
Il comprenait l'idée de changer de direction pour tromper les enquêteurs qui allaient surveiller avec attention les sorties de la capitale maintenant qu'ils avaient établi les intentions d'Hinata, mais revenir en ville était aussi un excellent moyen de tous les faire prendre. Un seul radar, un seul facteur criminel au-dessus de la norme ― et il était impensable qu'aucun d'eux ne l'ait excédée un minimum alors qu'ils tentaient de fuir de façon illégale ― et une alerte serait envoyée à la Sécurité Publique. Et à ce moment-là, ce serait une pluie de drones et des inspecteurs et exécuteurs qui leur tomberaient dessus.
Il décida malgré tout de partir du principe qu'Orru savait ce qu'il faisait. En dépit de ses valeurs attachées au système, il était assez curieux et impressionné par ce que le réseau accomplissait depuis sa création. Même après cinq années, le groupe n'avait pas été démantelé, ce qui ne tenait clairement pas du miracle mais plutôt du talent indéniable de ses créateurs et membres. Il n'était pas un expert, le sujet du réseau était assez tabou même dans sa famille, mais il savait que très peu de membres du réseau avaient été attrapés depuis que les inspecteurs de la SP avaient eu vent de leur existence.
Ils étaient peu nombreux, prudents et bien organisés. Tobio s'était même plusieurs fois demandé s'ils n'avaient pas d'anciens hauts placés au sein de leurs membres, parce qu'ils étaient apparemment très familiers avec le fonctionnement des ministères. Aucun membre confirmé du réseau ne semblait l'être, mais ses parents lui avaient déjà confié qu'ils ne connaissaient qu'une poignée de membres. Ils cachaient tous leur identité avec des masques ou des capuches comme Orru, enterraient leur nom derrière un pseudonyme pour tromper les taupes et évitaient soigneusement les scanners de rue de Sybille pour disparaître des bases de données.
Ils utilisaient le point faible de Sybille : le système ne prêtait pas attention à tous ses citoyens. Seuls ceux qui excédaient la norme du facteur criminel lui étaient signalés. Aussi, un citoyen qui évitait soigneusement tous les scanners de rue et objets informatiques analysant le psycho-pass ne lui était pas montré, même si son contrôle de teinte remontait à plusieurs mois voire années. Eux-mêmes utilisaient cette défaillance pour s'enfuir : tant qu'ils ne seraient pas contrôlés comme criminels latents, Sybille ne pourrait pas les localiser.
« Où est-ce qu'on va ? » La petite sœur d'Hinata finit par briser le silence de mort qui s'était installé en posant la question implicite.
« Dans les quartiers d'immigrés, répondit Orru sans se retourner. Là où Sybille n'a pas autant de pouvoir qu'ailleurs.
― Mais les immigrés feraient tout pour obtenir rapidement la nationalité japonaise et le droit de séjour, objecta Tobio en ne pouvant dissimuler la critique dans sa voix. Ils n'hésiteront pas à nous vendre pour accélérer la procédure.
― Tu n'as pas tort, admit le membre du réseau, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Et, si jamais on nous cherche des noises, je sais quel nom invoquer pour qu'ils nous laissent tranquilles. »
La remarque était sans appel et Tobio n'avait de toute manière rien à répliquer ― si ce n'était les très nombreuses questions qui hantaient son esprit quant au réseau. Ce n'étaient pas des interrogations particulièrement destinées à faciliter leur arrestation ensuite, mais plus cette curiosité presque enfantine encore une fois. Plus il côtoyait Orru, plus il admirait et comprenait l'organisation parfaite de ce groupe de rebelles. Et il comprenait comment, cinq ans après leurs débuts, le mystère planait encore autant sur leurs fondateurs et le nombre de personnes qu'ils étaient soupçonnés d'avoir fait sortir du pays se rallongeait fréquemment.
« Tu fais partie de ces japonais élitistes qui pensent que notre pays est souillé par les émigrés ? » Hinata lui adressa ses premiers mots depuis qu'ils avaient quitté la ruine, alors qu'ils arrivaient au niveau des logements délabrés qui abritaient ceux qui attendaient la validation de leur visa pour pouvoir obtenir un emploi.
« Non, répondit-il, un peu vexé par l'image que semblait se faire de lui le garçon. Je trouve que notre gouvernement a eu raison d'ouvrir nos frontières aux autres pays. Mais cela a cristallisé des tensions, c'est certain. »
Ils retombaient dans les problèmes d'autrefois, ceux d'avant la fermeture de leurs frontières : certains accusaient les émigrés d'accaparer les postes et d'être responsables de leur propre infortune, tandis que les émigrés protestaient devant leurs conditions de vie bien en-dessous de ce qu'on leur avait promis.
Tobio songeait que leur colère dans les deux camps était justifiable. Lui estimait que leur pays se portait mieux avant l'ouverture aux autres, mais il reconnaissait que les émigrés méritaient d'avoir accès un minimum à leur société parfaite.
« On y est. »
Orru s'arrêta devant un immeuble délabré dans lequel le passeur n'aurait séjourné pour rien au monde, même pour sauver sa vie. Il était certain que des criminels les y attendaient avec un couteau pour leur trancher la gorge.
« Ça a l'air un peu... » Même Hinata semblait un peu réticent à l'idée d'entrer là-dedans. Sa sœur se cachait derrière lui.
« J'sais que ça semble pas fiable, convint le membre du réseau, mais la SP viendra pas ici.
― Sauf s'ils viennent expulser les émigrés illégaux.
― C'est vraiment un plaisir d'être avec toi, commenta Orru en levant les yeux au ciel. T'es d'un optimisme indéfectible. »
Tobio grimaça en devinant l'insulte à peine dissimulée sous une couche de sarcasme. Il n'était pas venu pour mettre de l'ambiance. Il ne savait même pas pourquoi il était venu. Il ne tenait juste pas désormais à se faire attraper par la SP.
« Quel est ce bâtiment ? demanda Natsu avec innocence.
― Un vieil immeuble abandonné, répondit Orru. Personne y'habite. On pourra attendre tranquillement quelques jours. Et on sera en sécurité. »
Tobio avait du mal à le croire, mais il n'était pas franchement en position de protester et de trouver une alternative. Il gravit donc les escaliers instables en priant pour que leur cavale ne prenne pas subitement fin par une chute brutale sur le béton et les débris. Il peinait à croire que cet immeuble n'ait pas encore été réhabilité par les programmes de reconstruction du système Sybille.
Ils gravirent quelques étages dans un silence presque religieux, restant attentifs ― en tout cas, dans le cas de Tobio ― au moindre bruit suspect. Il n'était pas trouillard, c'était lui qui traînait toujours Miwa dans les maisons hantées des fêtes foraines, mais ce bâtiment le mettait extrêmement mal à l'aise. Il avait le sentiment que les légers grincements qui résonnaient de temps à autre n'étaient pas uniquement dus à l'humidité. Mais puisque personne ne semblait vouloir l'écouter...
Ils s'arrêtèrent subitement au milieu d'une marche lorsqu'un cri déchira le silence. Il semblait un peu éloigné d'eux, mais il fut suivi par d'autres cris et détonations ― de vraies armes sans doute, comme celles qu'on voyait dans les documents anciens, celles qu'on ne trouvait qu'à l'étranger. Le jeune homme aux cheveux noirs réprima la bouffée d'inquiétude qui tentait de le submerger tant bien que mal.
Le vacarme se poursuivit, de plus en plus fort. Le passeur se demanda ce qui se produisait, avant de réaliser qu'il valait peut-être mieux ne pas savoir. Son psycho-pass ne s'en porterait que mieux.
« Si on meurt, vous avez l'droit d'me blâmer, lâcha Orru en rabattant sa capuche sur sa tête.
― Qui est très peu rassurant maintenant ? » marmonna Kageyama.
Ils grimpèrent encore quelques étages avant de s'arrêter net lorsqu'une silhouette se découpa dans la pénombre face à eux. Tous les membres du petit groupe retinrent immédiatement leur souffle. Il leur était inutile d'essayer de se cacher, ils étaient au milieu d'un escalier, environ au septième étage du bâtiment.
Tobio observa le nouveau venu avec attention. Enfin, les nouveaux venus puisque trois autres silhouettes émergèrent de l'obscurité. La situation tournait en un quatre contre quatre apparemment ; le problème, c'était qu'il était absolument certain que seul Orru avait des notions de défense dans leur camp. Et il ne savait même pas si le membre du réseau avait une arme quelconque.
« Vous être qui ? » La question fusa, lâchée sur un ton agressif, dans un mauvais japonais mâtiné d'un accent prononcé. Le passeur n'y connaissait pas grand-chose, mais il devait venir d'un des pays nordiques d'Europe.
« On cherche pas d'ennuis, riposta Orru sans laisser paraître la moindre peur. On veut juste un endroit pour rester quelques jours.
― Nous être déjà là ! Dégagez ! » Les inconnus ne semblaient pas ouverts à la discussion, et Hinata, sa sœur et lui reculèrent un peu en voyant celui qui parlait agiter une barre en métal rouillé. Orru, en revanche, ne cilla pas.
« Pas la peine d'être violent. L'immeuble est assez grand pour nous. On empiètera pas sur votre territoire. On touchera pas à vos possessions.
― On s'en fout ! cria un autre homme. Notre bâtiment ! » Ils devenaient de plus en plus agressifs, et Tobio ne pouvait même pas les blâmer. Ces hommes devaient vivre dans la peur du système ― tout indiquait qu'ils étaient des immigrés illégaux ― et voir d'un mauvais œil leur intrusion soudaine.
« On est des amis d'Alisa. » La réplique d'Orru fit tressaillir les quatre hommes.
« Alisa Haiba ? » souffla l'un d'eux d'un ton subitement respectueux. Orru hocha la tête et ils semblèrent se calmer immédiatement.
« Fallait le dire... » marmonna le premier homme en reculant, imité par les autres.
Un soupir de soulagement les parcourut tous, et Kageyama remercia le ciel pour les avoir gardés en vie. Il ignorait qui était cette Alisa Haiba, mais elle semblait être respectée par tous, y compris les immigrés clandestins pourtant prêts à tout. Ils les laissèrent passer sans plus protester et Orru les entraîna encore plus haut, loin d'eux.
« Qui est Alisa Haiba ? s'enquit finalement Hinata, formulant à voix haute la question qui intriguait Tobio.
― Quelqu'un, répondit de façon évasive Orru. Son nom parle beaucoup aux émigrants, comme vous avez pu l'voir. Enfin, heureusement qu'ils venaient d'Europe, quand même. S'ils venaient d'ailleurs, ils l'auraient peut-être pas connue.
― C'est une émigrée aussi ?
― De Russie ouais. Elle est arrivée y a longtemps avec son p'tit frère. Pour certaines raisons, elle est devenue un modèle pour ceux qui émigrent aujourd'hui. C'qui nous est bien utile.
― C'est un membre du réseau ? s'enquit Tobio.
― Si c'était le cas, j'vous aurais pas dit tout ça sur elle. C'est une citoyenne modèle de Sybille. »
Tobio était dubitatif. Est-ce que le réseau utilisait le nom de cette femme sans son accord ? Si c'était le cas, il voulait bien croire qu'elle n'avait rien à voir avec eux. Mais le réseau aurait-il vraiment agi de la sorte ? Cela semblait un peu contraire à leurs actions, utiliser ― même indirectement ― des innocents. Cependant, il savait que toutes ses questions supplémentaires resteraient sans réponse, aussi il ne demanda rien. Il aimait comprendre ce qui se passait autour de lui, mais avait bien enregistré le fait qu'il valait mieux ne pas être trop curieux avec Orru. Il conservait les secrets du réseau avec attention.
« On va rester ici quelques jours, lâcha-t-il ensuite en leur désignant l'étage inhabité et insalubre. C'est pas du grand luxe, mais on sera à l'abri de la SP. J'peux pas prendre le risque de compromettre Corbetti en vous emmenant à lui. J'vais juste lui faire parvenir un message, pour qu'il sécurise les alentours.
― Vous pouvez le contacter ? » s'étonna Hinata. Il semblait recommencer à s'animer et à poser une multitude de questions.
« On a nos moyens de le faire en cas d'urgence. On va dire que c'en est une ― même si j'risque de m'faire taper sur les doigts par le vieux...
― Merci encore pour tout... » déclara le central en baissant les yeux.
Leur guide balaya ses remerciements d'un éclat de rire franc, avant de redescendre les escaliers en leur intimant de rester ici. Les trois lycéens se retrouvèrent donc les bras ballants, à observer les alentours sans trop savoir quoi faire. Il n'y avait rien à cet étage, juste des restes de bouts de bois humides et du verre brisé. Hinata installa sa sœur contre un mur exempt de décombres, et s'assit à ses côtés. Tobio, lui, s'approcha d'une des fenêtres brisées pour observer la capitale de haut.
De leur point de vue assez élevé, il parvenait à voir plusieurs ministères : celui de l'Économie, le mieux gardé de toute la ville, mais aussi celui des Armées et celui des Affaires Sociales. Ils dominaient la ville, pas de beaucoup néanmoins puisque les bâtiments s'étaient considérablement étirés avec les années et les avancées dans le domaine de l'architecture. La ville entière se composait de buildings plus hauts les uns que les autres, et seuls les quartiers résidentiels en périphérie semblaient avoir été épargnés par la folie des grandeurs qui avait pris les constructeurs ces dernières décennies.
« Pourquoi tu compliques toujours tout ? » La question d'Hinata le prit par surprise ; il ne s'attendait pas à ce que le jeune homme lui adresse la parole aussi soudainement.
« Qu'est-ce que je suis censé répondre ? De mon point de vue, je n'ai rien compliqué. » Il répondit en se tournant vers son coéquipier. Celui-ci le dévisageait depuis le mur contre lequel il s'était adossé. Sa petite sœur s'était apparemment assoupie à ses côtés.
« À part révéler notre localisation en scannant ton psycho-pass et en nous suivant alors qu'on ne t'avait rien demandé ?
― ... » Le passeur ne trouva rien à répondre à cette question passive-agressive.
« Je fais juste ce que j'ai envie de faire.
― Mettre la vie de ma sœur en l'air ?
― T'empêcher de mettre vos deux vies en l'air, corrigea-t-il.
― Pourquoi tu tiens tant à nous faire rester ici ? Tu t'es potentiellement condamné à être criminel dormant juste pour m'empêcher d'en devenir un ?
― Je cherche plus à t'arrêter. Je vous accompagne juste pour vous aider.
― Nous aider ? Et comment ? » Tobio roula des yeux.
« Tu ne connais rien à la vie dans les autres pays et tu comptes t'y établir avec ta sœur.
― Parce que tu t'y connais toi ?
― Ma mère bossait aux Affaires Étrangères avant la SP ! » Cette fois, cette réplique transforma l'agressivité d'Hinata en curiosité.
« Sérieux ? »
Il changeait d'humeur à une vitesse effrayante, songea Tobio. Quelques secondes plus tôt, il lui criait à demi dessus.
« Oui. C'est rare de changer de ministère ainsi, mais elle l'a fait avec la bénédiction de Sybille.
― Sybille autorise les personnes à changer de voie ?
― Si elles en ont les compétences oui. Ce n'est pas une dictature non plus. » Son interlocuteur fit la moue, apparemment sceptique quant à cet argument. Cela n'étonnait pas trop le jeune homme pour être honnête ; lui-même n'était pas un fervent défenseur de Sybille sur tous les points.
« Je me demande où Sybille m'aurait placé. »
Hinata lâcha ces mots d'une voix faible après plusieurs secondes de silence. Aux yeux de Tobio, poser la question n'avait plus beaucoup de sens puisqu'il avait sciemment et de son plein gré pris la décision de tout quitter. Mais il se retint de prononcer une réponse aussi cinglante et désagréable, et préféra simplement garder le silence, se plongeant dans ses pensées.
Il se remémora les enseignements de ses parents sur le système, quand il était plus jeune. Ils lui avaient toujours juré que le système Sybille était la meilleure chose qui leur était arrivée. Que désormais, l'incertitude n'avait plus sa place dans leur société et leur avenir. Ils étaient toujours libres de choisir leur voie, parmi les propositions que faisait Sybille, selon leurs capacités. Et en cela, c'était une bénédiction, à n'en plus douter.
Subitement, un souvenir lui revint en mémoire, avec tant de force qu'il eut l'impression que l'espace autour de lui avait changé. Le vieux bâtiment était devenu sa chambre, et Hinata, son père.
« Il n'a pourtant rien fait de mal, ce sont les mots qu'il prononçait dans ce souvenir fugace qui venait de lui revenir. À part saisir une opportunité.
― Le système a sa façon de concevoir la chose. Pour lui, ce n'était pas un acte honorable.
― Mais pourquoi ? Il a réalisé son rêve ainsi.
― Rêver ne signifie plus rien dans notre monde. »
Le souvenir se terminait sur cette phrase triste mais vraie. Ce n'est pas un si vieux souvenir, loin de là, il remontait à quelques semaines auparavant à peine. Mais il venait de lui revenir avec une telle puissance, qu'il resta déstabilisé quelques secondes, complètement confus entre le passé et le présent.
« Kageyama ? » Le central l'interpella et le tira de ses pensées.
« Je repensais à quelque chose. Désolé.
― Une excuse de Kageyama, railla le rouquin, quel miracle.
― Tss, c'est pas si rare !
― Si ? La plupart du temps, même quand tu rates tes passes, tu ne t'excuses pas. »
Le passeur grimaça à cette remarque en se remémorant leur dernier match qu'il avait à demi saboté en ratant un grand nombre de passes. Il s'en voulait toujours un peu, parce qu'il avait été complètement non professionnel en se laissant dominer par ses inquiétudes personnelles.
La vérité était qu'il avait été bien plus atteint par la situation d'Oikawa qu'il ne le montrait, et que s'il n'avait rien fait vis-à-vis de celle-ci, c'était parce qu'il ignorait comme réagir pour ne pas froisser son aîné. Ils avaient toujours eu une relation un peu complexe à définir ― en tout cas à ses yeux ― et il ne savait pas comment le brun fonctionnait exactement. Que voulait-il entendre de sa part ? Sans doute rien.
Cela ne l'empêchait pas de s'inquiéter un peu pour le jeune homme qui, derrière ses remarques mesquines et ses provocations puériles à son égard, avait été un modèle qu'il était fier d'avoir eu. L'ancien capitaine de Seijoh avait beau agir souvent comme un parfait idiot, il était une personne très intelligente qui ne méritait nullement ce qui lui arrivait.
« Je me suis excusé pour le dernier match, marmonna-t-il finalement.
― C'est vrai, admit le rouquin. Ça devient donc un peu moins exceptionnel. C'est un grand progrès ! » Il s'adressait de nouveau à lui sur un ton amical, ce qui perturbait le passeur. Quelques instants plus tôt, il l'agressait à demi, et maintenant il se comportait comme avant. Hinata était une vraie énigme vivante à ses yeux.
« Je ne vois pas d'utilité à m'excuser quand ce n'est objectivement pas de ma faute. » lâcha-t-il.
― Et ce n'est jamais de ta faute bien évidemment. » Tobio fit la moue et ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Orru revint à ce moment précis. Il les observa quelques secondes les yeux plissés, avant de se mettre à égale distance l'un de l'autre.
« Bon, j'ai contacté le réseau. Corbetti va se cacher quelques temps, juste au cas où, et ceux qui sont libres de leurs mouvements vont ouvrir l'œil pour nous. Ils vont observer la SP et nous faire signe quand ils auront sécurisé une voie de repli. »
Tobio échangea un petit regard avec Hinata, qui semblait soulagé d'apprendre qu'ils contrôlaient toujours la situation, malgré le détour forcé dont ils avaient été victimes. Tobio ne put cependant s'empêcher de songer que Orru avait un air un peu soucieux lorsqu'il conclut :
« Maintenant, on peut plus qu'attendre. »
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