01.4 :: 𝙎ybille, mon beau Sybille
nda — ça fait deux jours que j'essaye de trouver une accroche intéressante pour entamer cette note, je crois que l'inspiration m'a désertée 👏🏻
sinon, j'espère comme toujours que vous allez bien, que la santé est au rendez-vous pour vos proches et vous et que vous réussissez ce que vous entreprenez en ce moment ❤ et si ce n'est pas le cas, je vous envoie beaucoup de soutien et je vous promets que ça va s'arranger <3
le plot se dévoile enfin dans ce chapitre, j'espère que j'ai réussi à maintenir un semblant de suspens :) petite précision utile : j'ai 100% inventé le déroulé du test d'aptitudes de Sybille. j'espère que cela vous paraîtra quand même crédible, j'ai essayé de le construire comme un test relativement simple à expliquer mais qui me semble en accord avec les variables prises en compte par Sybille pour déterminer le futur de ses citoyens, mais je ne sais pas si le résultat est concluant aha 💫
prochain chapitre le 27 février et merci à tous ceux qui ont lu/voté/commenté <3
ps : oui, les plus chipoteurs d'entre vous remarqueront que les facteurs criminels sont différents entre ce chapitre et l'introduction, c'est normal et parfaitement voulu !
✷
CHAPITRE QUATRE ― SYBILLE, MON BEAU SYBILLE, DIS-MOI DANS QUEL MÉTIER JE RÉUSSIRAI
▬▬▬
𝙇e lundi suivant, tous les élèves de troisième année du lycée Karasuno purent admirer les superbes cernes violacés qui soulignaient les yeux noisette de Shôyô, tandis qu'il se traînait dans les couloirs de leur établissement pour rejoindre sa salle d'examen. Le jeune homme n'avait quasiment pas dormi de la nuit, trop occupé à ressasser ses pensées qui le ramenaient au sort de sa petite sœur, et son moral avait empiré lorsque sa mère lui avait reproché d'être sorti avec Natsu tard les deux soirs précédents, et ainsi d'avoir compromis sa réussite au test d'aptitudes.
Il dut s'y reprendre à cinq fois pour trouver sa salle d'examen et se rangea parmi ses voisins de nom de famille en essayant de ne se cogner à personne et de se réveiller un peu. Autour de lui, tout le monde arborait le même visage inquiet et stressé. Le test d'aptitudes de Sybille était la raison pour laquelle ils avaient fait tous leurs efforts. Aujourd'hui déterminerait le reste de leur vie professionnelle ― et le moindre échec les condamnerait à exercer un poste peu reluisant socialement, ce que peu d'entre eux souhaitaient.
Il aperçut Kageyama un peu plus loin de lui, ils étaient vraisemblablement dans la même salle d'examen. Ceux-ci étaient cependant individuels, alors cela ne changerait pas grand-chose. La centaine d'élèves de troisième année du lycée avait été répartie en petits groupes de cinq étudiants. Dans un premier temps, ils allaient tous passer la même épreuve écrite de quatre heures. Puis, après une pause, ils retourneraient successivement dans la salle pour passer un entretien oral d'une heure en compagnie d'une intelligence artificielle.
En se présentant à l'entrée de son établissement, Hinata avait passé un scanner de psycho-pass ― 67, orange-rouge ― et avait reçu l'heure à laquelle son examen individuel aurait lieu, à treize heure trente. Cela faisait de lui le deuxième de sa salle à passer. Il se demandait quand était celui de Kageyama, dont il était séparé par au moins deux élèves, peut-être même trois. Son camarade allait sûrement passer en fin de journée...
Shôyô l'observa à la dérobée en attendant que les drones prennent place dans la salle pour préparer l'examen écrit. Le jeune homme aux cheveux corbeau arborait son habituel visage fermé et pianotait avec agressivité sur le clavier de son téléphone dernier cri. Il ne semblait nullement préoccupé par l'examen à venir, comme si les résultats de Sybille lui importaient peu. Pourtant, s'il ambitionnait d'entrer à la Sécurité Publique, il allait devoir impressionner le système, ou en tout cas lui prouver qu'il en avait les capacités. Mais peut-être était-il tellement sûr de lui qu'il pouvait se permettre de ne pas stresser.
Le rouquin pensa à ses amis et coéquipiers qu'il ne pouvait pas apercevoir car ils n'étaient pas dans la même salle. Ennoshita était au rez-de-chaussée, Tsukishima au même étage que lui mais de l'autre côté du couloir et Yamaguchi au-dessus d'eux. Il avait vaguement aperçu le jeune homme aux cheveux vert foncé en arrivant un peu plus tôt, et avait lu sur son visage un stress palpable. Il était certain en revanche que Tsukishima était toujours aussi insensible.
La porte de la salle de classe coupa soudainement ses pensées en coulissant pour les laisser entrer à l'intérieur. Les bureaux étaient espacés au maximum et simplement ornés de leurs écrans personnels dont le contenu avait entièrement été effacé pour l'équité des candidats. Seuls leurs paramètres d'affichage et de correspondance tactile avaient été conservés ― c'était la raison même pour laquelle ils utilisaient leurs propres écrans et non des équipements fournis par le gouvernement.
Lorsqu'il s'installa et alluma le sien, Shôyô vit apparaître sur l'écran son visage et ses informations « essentielles » : nom, prénom, âge, date de naissance, psycho-pass. Il pressa le bouton de confirmation et attendit que l'horloge digitale indique « 8:00 ». Dès que les chiffres changèrent, une fenêtre s'ouvrit sur son écran, révélant le sujet de la longue épreuve écrite qui les attendait.
Il parcourut les intitulés : littérature classique, littérature contemporaine, anglais, histoire-géographie, sciences physiques, mathématiques, géopolitique et économie générale. Chaque matière avait son exercice détaillé, et il ne put retenir une grimace. Il détestait la majorité de ces cours et ne se sentait pas capable de répondre à la plupart des questions. Comme il s'en doutait, il allait devoir compter sur l'autre épreuve pour compenser...
L'entretien d'une heure qui lui resterait à l'issue de cette épreuve écrite consisterait normalement en un entretien avec un drone doté d'une intelligence artificielle qui consignerait la moindre de ses réactions dans la base de données du système Sybille, lui permettant ainsi de décider où il serait le plus utile. Personne ne savait exactement sur quoi porterait l'entretien, tous étaient différents d'une année sur l'autre, ce qui l'inquiétait un peu, mais il ne pouvait pas plus rater cette épreuve que celle qu'il avait devant lui.
Il fit de son mieux pour répondre aux questions les moins ardues, mais dut admettre au bout des quatre heures d'épreuve que ce n'était pas glorieux. Puisqu'il ne se sentait pas capable de continuer plus longtemps, il balaya la salle du regard discrètement et observa ses camarades, toujours en train de taper leurs réponses sur leurs écrans. Son regard s'arrêta une demi-seconde de trop sur Kageyama, qui releva la tête en même temps que lui.
Leur contact visuel dura peu de temps, car les drones surveillaient la salle en continu et les rappelèrent vite à l'ordre, mais il laissa Shôyô songeur ― et il détestait ça ; réfléchir n'était pas son fort du tout et il avait toujours été du genre à privilégier les actes aux pensées inutiles et superflues. Il semblait cependant que Kageyama aimait forcer les autres à réfléchir à son sujet, parce que le rouquin ne le comprenait pas du tout.
Même avant qu'ils ne deviennent « bons » amis, Shôyô avait vite cerné Tsukishima et Yamaguchi. Bon, Yamaguchi un peu plus rapidement que Tsukishima, il l'admettait, mais c'était surtout parce le blond était du genre à dissimuler ses vraies pensées et que seul un ami de longue date pouvait bien comprendre ce qui lui passait par la tête. Quoiqu'il en soit, il avait vite été en mesure de saisir comment pensaient les deux jeunes hommes : Yamaguchi était le genre de personne sur qui on pouvait toujours compter et qui était d'un naturel très gentil, tandis que Tsukishima était du genre moqueur mais pouvait aussi s'avérer de bon conseil.
Peut-être était-ce simplement lui qui réfléchissait de façon simpliste ― Tsukishima le lui disait un peu trop souvent à son goût ― mais il ne voyait aucune difficulté dans leurs rapports et n'avait pas besoin de se creuser les méninges pour savoir quoi dire ou comment se comporter.
Pour Kageyama en revanche, c'était une autre paire de manches.
Shôyô agissait avec le jeune homme comme il agissait avec n'importe qui d'autre mais avait le sentiment perturbant de ne pas saisir son interlocuteur ces derniers temps. Kageyama était irascible, impatient, incapable d'expliquer calmement les choses et de ne pas s'emporter sur les coéquipiers qui rataient un peu trop ses passes (même s'il faisait des efforts depuis que Sugawara l'avait rappelé à l'ordre en première année) et semblait toujours incapable de prendre en compte les relations et émotions des autres.
Alors pourquoi ― et surtout comment ― avait-il remarqué qu'il n'allait pas bien ?
Cela le hantait intérieurement de ne pas comprendre, et c'était sans doute la seule raison pour laquelle il ne pouvait pas se contenter d'agir avec le passeur comme avec n'importe qui d'autre. Parce que celui-ci avait vu plus loin que tout l'entourage de Shôyô réuni : il avait remarqué que quelque chose le troublait.
Ou alors il avait dit ça au hasard ? C'était quand même une explication étrange et peu crédible, même lui pouvait le voir. Kageyama n'aurait pas fait ce genre de remarque à la légère ― d'un autre côté, il était jusqu'à peu persuadé que le jeune homme aux cheveux noirs n'aurait jamais fait ce genre de remarque.
Le brusque son strident de leur sonnerie habituelle le tira de ses pensées ― de toute façon, il commençait à avoir la migraine : trop réfléchir était vraiment mauvais pour lui ― et il se redressa rapidement. Sa feuille d'examen se ferma automatiquement sous ses yeux, et la voix neutre du drone qui les surveillait leur indiqua qu'ils pouvaient quitter la salle pour aller se restaurer avant la seconde partie de l'examen.
Le rouquin ne se fit pas prier pour sortir mais marqua un arrêt au niveau de l'encadrement de la porte de sortie pour observer Kageyama qui était toujours assis, le regard fixé sur son écran désormais éteint.
« Eh Kageyama ! » Il l'interpella sans trop savoir pourquoi, et le jeune homme leva ses yeux foncés vers lui avant de se redresser, comme s'il venait de se souvenir qu'il était dans sa salle d'examen et qu'il pouvait partir désormais.
« Qu'est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il en se plaçant à sa hauteur ― il le dominait particulièrement du haut de son mètre quatre-vingt ainsi, mais le rouquin avait l'habitude et répondit simplement :
« Tu as réussi ? » Il l'avait juste interpellé pour le tirer de ses pensées, mais il pouvait en profiter pour lui poser cette question, plutôt normale dans ces circonstances ; il entendait d'ailleurs nombre de leurs camarades la poser à leur tour.
« Plus ou moins. »
C'était sans doute la pire réponse que l'on pouvait donner à cette question, et Shôyô tenta de le lui faire comprendre en le dévisageant longuement sans rien dire ― mais cela n'eut pour seul effet que d'agacer un peu plus le passeur qui aboya la question « Quoi ? » au bout d'un instant.
« Tu pourrais détailler un peu, marmonna le plus petit en quittant la salle.
― Ça ne sert à rien, lâcha le jeune homme en haussant les épaules. Cet examen écrit ne déterminera pas mon futur de toute manière.
― Toi aussi tu mises tout sur l'entretien ? Remarque, si tes notes sont aussi faibles que le racontent les autres du club, je comprends...
― Tais-toi ! répliqua le jeune homme aux cheveux noirs. Je t'ai vu bailler aux corneilles pendant l'épreuve.
― Je ne comprenais rien !
― C'est bien la preuve que tu n'as aucune leçon à me donner ! » Ils se dévisagèrent en chiens de faïence pendant quelques minutes, tandis que les autres élèves passaient en les regardant et en chuchotant entre eux.
« Mais, reprit finalement le rouquin au bout de quelques instants de silence, il ne faut pas des résultats excellents pour entrer à la SP ? » Il avait posé la même question à Tsukishima plusieurs jours auparavant, mais continuait de penser qu'il était étrange que seules les capacités mentales ouvrent les portes de ces postes à hautes responsabilités.
« Si, admit le jeune homme, mais je sais déjà que je n'égalerai pas une grande partie des candidats. Ce qui fera la différence entre moi et les autres, ce seront mes aptitudes psychiques !
― Elles sont si impressionnantes ? » bougonna Shôyô.
Le jeune homme aux cheveux noirs lui montra son téléphone pour toute réponse : le chiffre 40 brillait sur l'écran, accompagné d'une teinte bleu ciel. Pour un peu, le rouquin aurait presque voulu l'insulter. Lui n'avait jamais été très stable du point de vue du psycho-pass. Sa teinte changeait de couleur au gré de ses humeurs, et le moindre événement négatif qui pouvait lui arriver avait pour conséquence directe de dégrader son facteur criminel de quelques points. Ce n'était pas un véritable défaut en soi, de nombreuses personnes dans leur société étaient dans le même cas que lui, mais cela s'accompagnerait pour son futur de nombreuses interrogations sur les meilleurs moyens de maintenir sa teinte claire en toutes circonstances s'il ne voulait pas être envoyé en thérapie.
Mais, d'un autre côté, vu ce qu'il s'apprêtait à faire, c'était probablement le cadet de ses soucis.
« C'est l'un des plus bas facteurs criminels enregistrés parmi ceux de notre année, commenta Kageyama, sans doute plus pour expliquer son atout que par vantardise ― mais cela n'avait rien de différent pour quelqu'un d'extérieur au final, donc oui je compte me reposer sur lui pour décrocher mon poste.
― Pourquoi tu veux devenir inspecteur ? s'enquit finalement le rouquin en décidant de laisser tomber le sujet de ce psycho-pass faible. Parce que tes parents le sont ? » L'espace d'un instant, le regard du passeur s'obscurcit et le rouquin eut un mouvement de recul inconscient devant la colère qu'il vit briller dans ses yeux pendant quelques secondes. Mais, le jeune homme répondit d'un ton paisible quelques instants plus tard :
« Parce que c'est l'un des seuls métiers pour lesquels mon psycho-pass stable sera un avantage. »
Sur le coup, Shôyô ne comprit pas ce qu'il voulait dire. Avoir un psycho-pass aussi stable ― et faible apparemment ! ― que le sien était un atout en permanence, peu importe son métier ou ses circonstances. Tout était attribué plus vite à ceux qui étaient d'une teinte claire, et tous les avantages leur arrivaient directement. Il ne comprenait donc pas ce qu'il voulait dire par cette réponse.
Puis, il se souvint d'une conversation qu'il avait surpris entre Tsukishima et Yamaguchi ― il le répèterait autant de fois qu'il le faudrait : il n'aimait pas espionner les gens. Cependant, il avait vraisemblablement un don pour toujours se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment et ainsi entendre des discussions plutôt personnelles ― ou en tout cas, qui ne le concernaient nullement.
C'était comme ça qu'il avait entendu, un jour de leur deuxième année, les deux amis d'enfance discuter du projet d'avenir du plus grand, et qu'il avait entraperçu pour la première fois l'inquiétude sincère que Yamaguchi éprouvait pour son ami, malgré tous ses encouragements pour qu'il atteigne son but.
« Tu n'as pas peur pour ton psycho-pass ? avait-il demandé à Tsukishima. On dit que rester trop longtemps aux côtés de criminels dormants peut le dégrader...
― Je ne suis pas stupide, l'avait coupé son ami, je saurais conserver ma teinte même en travaillant avec ces bêtes sauvages. »
Son ton supérieur avait un peu agacé le rouquin, mais il réalisait désormais la portée de ce qu'ils disaient ce jour-là. Il était vrai que de nombreuses théories allaient bon train sur la transmission possible du facteur criminel, encore de leurs jours, même si cela faisait des décennies que le système Sybille régissait la société. On avait encore beaucoup de mal à savoir s'il y avait des prédispositions génétiques qui pouvaient entraîner une teinte plus trouble ou un facteur criminel plus élevé ; en d'autres termes, on s'interrogeait sur l'hérédité potentielle de la criminalité. Les enfants de criminels devenaient-ils des criminels à leur tour à cause de leurs gènes ? Telle était la question qui avait pris de l'ampleur avec l'essor du système Sybille.
Une chose était certaine en revanche : fréquenter des criminels dormants pouvait affecter le facteur criminel. Les chercheurs se disputaient fréquemment sur les raisons de ce phénomène ― certains disaient que c'était entièrement psychologique et dû à l'inquiétude collective concernant les criminels dormants, tandis que d'autres parlaient d'une véritable maladie qui se transmettait d'individus en individus.
Et les inspecteurs étaient amenés à côtoyer sans cesse des criminels dormants : c'était la base même de leur travail, qui faisait s'associer de brillants étudiants perspicaces à des criminels chargés de traquer leurs semblables. Il comprenait donc un peu mieux la réflexion de Kageyama : son psycho-pass particulièrement stable lui garantirait un risque très faible de finir criminel dormant à son tour.
« Eh. » Il s'était complètement absorbé dans sa réflexion et avait oublié qu'il se trouvait toujours avec Kageyama, debout dans le couloir désormais vidé de ses élèves. Le jeune homme aux cheveux foncés venait de l'interpeller sans ménagement. « Réfléchis pas autant, on dirait que ton cerveau va exploser. » Shôyô gonfla les joues dans une moue boudeuse sans doute très puérile ― mais tant pis pour l'idée de maturité qu'il voulait commencer à renvoyer.
« Je pourrais te dire la même chose ! Ton cerveau semble être aussi limité que le mien ! » Le passeur leva un sourcil circonspect devant l'insulte.
« Moi au moins j'ai pas complètement raté cette épreuve, idiot ! »
S'en suivirent de longues minutes de dispute sans aucun sens et dépourvue de la moindre maturité ― mais ces quelques instants procurèrent au rouquin beaucoup de bien étrangement. Ils finirent par arrêter lorsque leurs estomacs gargouillèrent de concert ; ils avaient sans doute bien mérité de manger avant de poursuivre leurs épreuves.
« Je suis sûr que Tsukishima et Yamaguchi ne m'ont pas attendu, se lamenta Shôyô en prenant conscience de l'heure avancée. Ils ont déjà dû finir de manger.
― Tu as besoin de manger avec eux ? commenta le passeur avec son indifférence habituelle.
― Ce sont mes amis ! lâcha le rouquin. Et puis je n'aime pas manger seul, admit-il à voix basse, plus pour lui-même que pour Kageyama, certain que l'autre allait se moquer de lui.
― Mange avec moi alors. » répondit à sa grande surprise ce dernier.
Shôyô en resta quelques instants bouche-bée. Il n'avait qu'une envie, crier Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de Kageyama ? à la personne face à lui. Non seulement le jeune homme s'était révélé perspicace depuis quelques semaines mais en plus il agissait gentiment ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Ils étaient dans la même équipe depuis trois ans, mais n'avaient jamais agi comme des amis ― d'ailleurs ils se connaissaient à peine.
« Quoi ? lâcha Kageyama au bout de quelques secondes de silence.
― Rien... Je veux bien alors. » marmonna le rouquin.
Cela valait mieux que manger seul, non ? Et puis, il ne voyait aucune raison de décliner puisqu'il venait de dire que ses amis ne l'avaient pas attendu et qu'il ne voulait pas déjeuner en solitaire. Il emboîta donc le pas au passeur qui était parti d'un pas déterminé dès qu'il avait entendu l'assentiment de son interlocuteur. Ils descendirent à la cafétéria et commandèrent leurs repas sur la machine hautement perfectionnée qui préparait les plats en fonction de leurs souhaits. Shôyô ne résista pas à l'envie de prendre un repas un peu au-dessus de sa dose de calories autorisées ― il avait besoin de réconfort ! ― et choisit un arôme occidental, tandis que Kageyama suivait les conseils du drone-nutritionniste et prenait un arôme traditionnel.
En cherchant une table libre, le rouquin aperçut justement Tsukishima et Yamaguchi qui s'en allaient ― il avait donc bien eu raison en supposant que ses amis ne l'avaient pas attendu ― et se dirigea vers eux pour au moins leur demander des nouvelles et savoir quand ils passaient leur entretien.
« Tsukishima ! Yamaguchi ! » Plusieurs têtes se tournèrent vers lui alors qu'il s'écriait leurs noms, et il vit clairement Tsukishima froncer les sourcils devant cette attention non désirée.
« Hinata ! l'accueillit au contraire chaleureusement le jeune homme aux cheveux verts. On se demandait où tu étais passé.
― Ne me dis pas que tu t'es endormi sur ta table, se moqua Tsukishima en masquant son sourire moqueur avec sa main.
― Pas du tout ! protesta le rouquin, piqué par cette remarque. Je discutais avec Kageyama. » Les yeux de ses deux interlocuteurs se déportèrent sur le jeune homme susnommé, qui était parti s'acheter une brique de lait en complément de son repas.
« Vous êtes amis finalement ? s'enquit Yamaguchi, sans quitter son sourire.
― Est-ce que ce type a seulement des amis ? » releva Tsukishima d'un ton blasé. Puisqu'il ignorait quoi répondre à cette question, Shôyô changea de sujet.
« Vous avez réussi l'examen écrit ? » Le grand blond lui adressa un regard condescendant ponctué d'un petit sourire.
« Bien sûr, contrairement à toi. »
Son ami d'enfance aux cheveux verts lui donna un coup de coude, sans doute pour lui intimer d'être un peu plus sympathique avec Shôyô, mais cela ne sembla faire ni chaud ni froid au jeune homme blond. Le central, lui, décida d'ignorer cette remarque malheureusement vraie et les interrogea sur leurs heures d'entretien. Yamaguchi passait à quatorze heures trente et Tsukishima deux heures plus tard.
« Je viendrai vous attendre alors ! s'exclama le rouquin qui était donc le premier à passer de leur groupe.
― Pas la peine, rétorqua Tsukishima en se détournant et en prenant les devants sans attendre d'autre remarque.
― Ne fais pas attention à lui, l'excusa son ami d'enfance, et bonne chance à toi ! »
Il emboîta ensuite le pas au plus grand, tandis que Shôyô les regardait s'éloigner. En se retournant finalement, il tomba sur Kageyama qui l'attendait visiblement, debout avec la paille de sa brique de lait dans la bouche et son plateau dans la main. Il avait presque l'air d'un enfant ainsi, songea le rouquin en secouant la tête avec consternation et en allant s'installer à la table précédemment occupée par ses amis.
« Pourquoi est-ce que Tsukishima veut devenir inspecteur ? demanda Kageyama après qu'ils eurent commencé à manger.
― Je ne sais pas trop, répondit Shôyô, la bouche pleine ― ce qui manqua de le faire s'étouffer et fit râler Kageyama. Je crois que ç'a un lien avec son grand frère. » ajouta-t-il après avoir avalé. Il avait déjà entendu Yamaguchi évoquer Akiteru, le frère ainé de Tsukishima, dans une conversation qui tournait autour des inspecteurs de la SP. Il ne se souvenait cependant pas du lien exact entre ces deux points.
« Je vois. » fut la seule réponse du jeune homme en face de lui. Il reprit bruyamment une gorgée de lait.
« Tu as des frères et sœurs ? » demanda ensuite Shôyô qui trouvait le silence autour d'eux trop gênant.
Il ne réalisa que trop tard que, si Kageyama lui retournait la question, il allait devoir évoquer Natsu. Sa chère petite sœur dont la vie allait changer après son examen à lui... Il avait été bien maladroit d'amener ce sujet sur la table quand il s'agissait du seul dont il ne voulait pas parler à qui que ce soit ― a fortiori si c'était à un futur inspecteur de la SP.
« Une grande sœur, répondit le passeur. Elle travaille comme coiffeuse et maquilleuse dans un studio de cinéma.
― C'est super ! » s'enthousiasma le rouquin, impressionné. Tous les membres de sa famille avaient des bons emplois ou quoi ?
« Et toi ?
― ... Une petite sœur, répondit Shôyô après une hésitation peut-être un peu trop marquée. Elle est encore en primaire. » Heureusement, Kageyama se contenta d'hocher la tête sans poser la moindre question, et il lui en fut très reconnaissant.
« J'espère pour elle qu'elle sera plus scolaire que son frère.
― Évidemment ! Et je suppose que ta sœur est plus intelligente que toi, vu son travail. »
Le jeune homme aux cheveux noirs grimaça ― et il sut qu'il avait visé juste. Kageyama laissa donc tomber le sujet des sœurs ― honnêtement, ce n'était pas l'objectif de Shôyô avec cette remarque, mais cela l'arrangeait grandement. Alors que le silence s'installait de nouveau, il se reperdit dans ses pensées concernant Natsu. La veille et le jour d'avant, ils s'étaient bien amusés en jouant jusqu'à l'épuisement total à se faire des passes. Il avait encore plus compris l'importance de sa sœur pour lui. Ils étaient comme tous les frères et sœurs : ils se disputaient parfois pour des raisons stupides et appréciaient lorsque l'autre ne les embêtait pas et les laissait tranquille.
Mais, ils s'aimaient parce qu'ils avaient toujours été tous les deux. Parfois leur mère s'occupait d'eux, parfois leur père prenait la relève, mais eux deux étaient toujours ensemble. Chaque matin, chaque soir, ils étaient tous les deux dans leur grande maison. Quand il avait appris qu'il allait avoir une petite sœur, Shôyô se souvenait avoir été mitigé quant à cette nouvelle. Il ne savait pas si l'idée de partager ses parents lui faisait plaisir.
Pourtant, aujourd'hui, c'était l'idée de ne plus les partager qu'il ne pouvait pas accepter.
« Eh ! Abruti ! » La voix de Kageyama le tira de ses pensées.
« Qui est-ce que tu traites d'abruti ? s'offusqua-t-il.
― Toi. » Kageyama termina sa brique de lait en le fixant, puis recommença à faire sans s'en rendre compte ce qui troublait bien trop le rouquin : lire en lui aisément. « Tu agis de nouveau bizarrement. » Shôyô tressaillit et fit la moue.
« Qu'est-ce que tu racontes ?
― On dirait que tu caches quelque chose. »
Finalement, le rouquin pouvait comprendre pourquoi Kageyama avait l'étoffe d'un inspecteur. Il faisait preuve, apparemment sans s'en rendre compte, d'un instinct effrayant. Heureusement, puisqu'il ne s'apercevait pas de la véracité désarmante de ses dires, Shôyô arrivait à peu près à faire illusion.
« Je ne cache rien. Je me demande juste pourquoi tu m'as invité alors qu'on ne s'est jamais parlé en trois ans. » Ce n'était pas un mensonge, en plus.
« Tu as dit que tu ne voulais pas manger seul, lâcha l'autre en haussant les épaules. Moi je m'en fiche. Et puis, on se connaît un minimum quand même. On a été coéquipiers pendant trois ans.
― Et je peux compter sur les doigts des mains le nombre de fois où tu m'as fait la passe quand Sugawara était encore là ! » Le jeune homme aux cheveux noirs l'observa en faisant la moue.
« Je fais la passe à ceux susceptibles de nous faire gagner. Sugawara était indulgent avec toi, c'est pour ça qu'il acceptait de te les faire. »
Shôyô soupira avec consternation et secoua la tête négativement. Là, il retrouvait le Kageyama normal. Celui qu'il ne pouvait pas supporter à cause de son arrogance digne des monarques qui régnaient autrefois au Japon. Celui qui était indéniablement talentueux au volley mais qui pouvait agir comme un véritable idiot condescendant.
Il avait envie de protester et de répliquer quelque chose mais avait appris au fil du temps que faire remarquer à Kageyama son attitude insupportable était vain et suicidaire, alors il se contenta de terminer son repas silencieusement. Le regard bleu du passeur se posait de temps en temps sur lui, mais il ne dit plus rien non plus.
Le silence devenant un peu trop pesant, Shôyô décida d'utiliser son excuse de l'entretien qui approchait pour s'éclipser. Kageyama ne lui lâcha aucun encouragement, se contentant de hocher la tête une fois qu'il eut dit qu'il s'en allait. Le rouquin remonta donc seul dans le couloir où allait se dérouler la dernière partie de son examen, et consulta l'heure. 13:19. Il allait devoir attendre un peu.
Il fit en l'espace de dix minutes deux allers-retours aux toilettes et joua à cinq jeux différents sur son téléphone. Lorsque la porte coulissa enfin, il sursauta et manqua de faire tomber son portable par terre. L'élève qui le précédait sortit avec une mine inquiète qui accentua son stress.
« Shôyô Hinata. Avancez-vous. » La voix désincarnée le fit sursauter et il s'avança en tremblant. Un drone l'observa de ses yeux ― enfin, il supposait que les deux orifices circulaires symbolisaient ses yeux ― alors qu'il s'installait face à lui sur la chaise laissée par le précédent candidat.
« Euh... Bonjour ? » déclara le central, un peu mal à l'aise face à cette intelligence artificielle avec qui il allait discuter pendant une heure. L'IA domestique dont ils disposaient avant chez lui était bien plus avenante.
« Vous êtes ici pour passer l'examen obligatoire des lycéens en troisième année. À l'issue de cet examen, vous recevrez dans quelques jours vos résultats d'affectation. Il s'agit de propositions faites par le système Sybille pour des métiers dans lesquels vous vous épanouirez pleinement. Avez-vous besoin que je répète ?
― Non...
― Nous allons donc commencer. »
Lorsqu'on avait dit à Shôyô qu'il allait passer un entretien d'une heure avec un drone, sa première pensée avait été qu'une heure semblait très longue pour ce qu'il pensait être une poignée de questions destinées à cerner sa personnalité. Pourtant, la liste des interrogations semblait sans fin et il avait la vague impression de faire l'un de ces tests de personnalité que l'on trouvait dans les magazines autrefois, quand les informations se lisaient encore sur un support papier, mais en beaucoup plus difficile.
Entre les questions obscures auxquelles il semblait difficile de bien répondre (« Vous estimez-vous être capable d'endosser les responsabilités d'une entreprise ? ») et celles qui semblaient absurdes puisque le système devait déjà connaître la réponse (« Quelles sont vos moyennes des précédents semestres ? »), Shôyô avait du mal à comprendre où cet examen voulait en venir. Lorsque le drone annonça la dernière question, il avait l'impression qu'il avait passé la journée dans la salle de classe et qu'il était déjà tard.
« Si vous découvriez que votre petite sœur était une criminelle dormante, quelle serait votre réaction ? »
Sur le coup, le central se sentit pâlir violemment devant cette question. Sybille savait-il déjà depuis longtemps qu'ils cachaient Natsu pour cette raison ? Avait-il juste attendu sournoisement ce moment pour le piéger, lui annoncer que sa sœur allait être emmenée et ses parents et lui jugés pour leur « crime » ?
Il tenta ensuite de se raisonner. Cela ne devait être qu'une question de routine. Une question destinée à tester si le futur citoyen serait un citoyen modèle qui blâmerait les criminels dormants pour tout et resterait loin d'eux, quitte à dénoncer ses proches pour garder une teinte claire. Une question à laquelle la bonne réponse semblait évidente, si bien qu'il n'en comprenait pas vraiment l'intérêt.
« Je... Je l'inscrirais à une thérapie pour qu'elle aille mieux. Je laisserais les psychologues du système Sybille s'occuper d'elle. »
Mensonge, criait sa voix intérieure. Tu ne fais rien de tout cela. Tu défies le système. Tu crois pouvoir t'opposer à lui. Tu ne les laisses pas te prendre ta sœur. Voilà ce que tu devrais répondre.
Il y eut un long silence, et le jeune homme crut pendant quelques instants que le drone envoyait un message à sa base pour avertir le système Sybille que Shôyô Hinata était un traître et une menace. Mais, finalement, il entrouvrit ce qui devait symboliser sa bouche et une carte SD en sortit.
« Voici votre confirmation de passage de l'examen. Les résultats vous seront envoyés dans trois jours. Passez une bonne journée. »
Je ne serai pas là pour les voir, songea Shôyô en quittant la pièce, le cœur battant. Il ne cessait de jeter des coups d'œil autour de lui, s'attendant presque à voir des inspecteurs de la SP arriver pour l'arrêter. Malgré sa peur, il sentait que sa détermination était renforcée par cet incident qui n'en était pas vraiment un.
Ce soir, il allait quitter la ville avec Natsu.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top