01.11 :: 𝙏ourner une page

nda — ce chapitre devait être le dernier d'après mon plan de base, mais je me suis dit qu'arrêter aussi abruptement serait une mauvaise idée, donc j'en ai écrit un dernier, qui sera un petit peu plus court cependant.

j'ai également bientôt fini la deuxième partie, donc on enchaînera sans pause sur mes deux nouveaux souffre-douleurs– ahem, protagonistes.

j'espère dans tous les cas que vous allez bien <3 et que vous tenez le coup jusqu'à la fin de votre année scolaire si elle n'est pas terminée!!

on se retrouve pour le point final de la partie 01 le 05 juin ;) bonne lecture !

CHAPITRE ONZE ―  TOURNER UNE PAGE SIGNIFIE EN OUVRIR UNE AUTRE
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𝙇e clapotis des vagues sur la coque du bateau était le seul bruit audible autour de l'embarcation dans laquelle Tobio, Hinata, Natsu et Aurita étaient installés. Ce dernier pagayait doucement, faisant voguer sur la mer le bateau qu'il semblait énormément chérir et qui représentait leur salut à l'heure actuelle ― la côte était à peine visible de là où ils se trouvaient, et l'eau était gelée, un plongeon aurait été équivalent à un suicide.

Le chalutier se rapprochait doucement, mais la nuit qui avait petit à petit envahi le ciel les empêchait de bien distinguer ce grand bateau étranger. Cela jouait aussi en leur faveur, car tant qu'ils restaient assez loin, les radars du navire ne les repèreraient pas.

« Je me demandais... » Tobio prit la parole, plus de dix minutes après qu'ils aient embarqué. « Comment allez-vous repartir, vous ? Je pensais que personne ne nous emmènerait jusqu'au chalutier, puisque nous sommes supposés être des naufragés.

Cela fait une semaine que vous êtes en fuite grâce à Eitpheil. Je pensais que vous aviez remarqué qu'on change de plan aussi vite que de chemise. » La voix d'Aurita était toujours aussi moqueuse, et Tobio se demandait toujours comment il voyait quoi que ce soit avec ses longs cheveux qui lui tombaient devant les yeux.

« Et c'est quoi, le nouveau plan ? » demanda-t-il après avoir gardé le silence quelques minutes. Sa réaction parut amuser le membre du réseau ― mais tout semblait l'amuser d'un autre côté.

« Il n'est pas très différent de l'ancien. Je vais vous emmener à la limite des radars, et rentrer à la nage. »

Les sourcils de Tobio se froncèrent, alors qu'il se demandait si une telle chose était réellement possible ; Hinata, resté silencieux depuis le début de la conversation, se redressa soudainement et observa Aurita avec surprise et inquiétude.

« Vous allez nager ? Mais l'eau est glacée non ? » Le blond s'esclaffa gentiment, avant de relever le bas de son pull, laissant apparaître non pas sa peau, mais un tissu noir moulant.

« Je suis équipé, rassurez-vous. Et ce n'est pas la première fois que je le fais. » Tobio resta quelques secondes silencieux, avant de déclarer :

« Vous cachez quelque chose dans une des grottes qui borde le port. » C'était plus une affirmation qu'une question. Hinata le dévisagea du coin de l'œil avec surprise, tandis que le membre du réseau ricanait.

« Je ne peux rien dire. Surtout pas à un potentiel membre de la SP. »

Le passeur se raidit sous l'insulte dissimulée. En disant cela, Aurita rappelait non seulement que ses parents travaillaient à la SP, mais insinuait aussi qu'il allait trahir Hinata et les membres du réseau qui les avaient aidés.

« Kageyama n'est pas un membre de la SP. » Il allait répondre, quand Hinata le prit de court. Le jeune homme aux cheveux flamboyants fixait Aurita avec sérieux, et l'autre leva les bras en signe d'apaisement.

« Je ne faisais qu'émettre une hypothèse. On ne sait jamais.

Hypothèse fausse. » Tobio n'avait jamais entendu son compagnon parler aussi sèchement, et cela le surprenait qu'il soit la raison de ce ton sec. Surtout qu'Hinata était loin d'être ravi de sa présence à ses côtés...

« Très bien. »

Le ton intrigué d'Aurita n'échappa pas au passeur, qui pour une fois partageait sa curiosité. Lui aussi se demandait pourquoi une telle fermeté, surtout de la part de ce jeune homme au ton habituellement toujours léger. Natsu, elle, semblait avoir lu en son frère bien mieux qu'eux, car elle se rapprocha de lui comme pour l'apaiser par sa simple présence. Tobio avait remarqué depuis longtemps que le frère et la sœur étaient très proches, bien plus que d'autres frère et sœur de sa connaissance ― lui et Miwa compris.

« Je vous laisse là. » Après avoir ramé en silence pendant encore quelques minutes, Aurita immobilisa le bateau et lâcha ces mots. Il leur tendit ses rames, que Tobio saisit, avant d'enlever son pull et son pantalon sans la moindre pudeur, puis de les rouler en boule et de les laisser dans le bateau. « Servez-vous en comme vous voulez. Vous pourrez prétendre avoir perdu un compagnon de route, ou juste acheter les marins avec ces vêtements de luxe.

Ce sont des vêtements de luxe ? » Natsu parla cette fois-ci ― ni Hinata ni Tobio n'avaient spécialement envie de s'adresser au guide d'Eitpheil apparemment.

« Non, ricana Aurita. Mais ils ne le sauront pas. » Il semblait fier de cette idée, remarqua Tobio, sans trop savoir si c'était une blague ou une proposition sérieuse.

« Merci. » Il devait quand même remercier le membre du réseau pour ce qu'il faisait pour eux, même s'il restait un peu frustré par l'hypothèse qu'il pourrait être un traître.

« Soyez prudents les jeunes. »

Sans crier gare, le guide se jeta à la mer. Tobio observa les alentours de l'océan quelques secondes, avant de voir la tête du jeune homme ressurgir de l'eau. Ses cheveux blonds lui collaient au visage, et il les rassembla rapidement en une queue de cheval négligée. Il se tourna ensuite brièvement vers les trois clandestins, leur permettant de voir son visage ― le premier visage complet d'un membre d'Eitpheil qu'ils apercevaient, celui d'un jeune homme qui devait effectivement avoir leur âge environ, aux yeux noisette rieurs.

« Il a presque l'air sympathique. » Hinata commenta soudainement, se rapprochant de Tobio pour mieux voir leur guide s'éloigner avec des mouvements rapides.

« J'espère que ça ne causera pas de problème qu'on ait vu son visage. » lâcha Tobio en retour. Ils n'étaient pas censés disposer de la moindre information sur les membres d'Eitpheil.

« Tant qu'on ne se fait pas arrêter... » répondit le rouquin en haussant les épaules. Il se tourna ensuite vers lui et lui sourit, revenu à son état normal. « Tu rames ?

Je suppose que tu ne me laisses pas le choix, avec ta petite taille.

Quel rapport ?! » Le rouquin s'agaça légèrement, tandis que le jeune homme aux cheveux noirs saisissait les rames.

« Si on va plus loin, ils nous repèreront. » Hinata resta silencieux une poignée de secondes, puis hocha la tête.

« On ne va pas reculer maintenant. T'as peur, Kageyama ?

Bien sûr que non, idiot ! »

Le jeune homme aux cheveux noirs ne l'admettrait jamais, même sous la torture, mais il ressentait en effet une petite crainte, malgré ce qu'il prétendait. Il savait qu'il était trop tard pour regretter et reculer, et de toute façon il ne le souhaitait pas. Mais pour la première fois depuis le début de cette aventure périlleuse et compliquée, ils allaient agir sans l'aide de qui que ce soit, sans être chaperonnés par le réseau Eitpheil.

Ils jouaient tout sur ce bateau de pêche étranger. La réussite de leur plan, et leur vie entière sans doute. S'ils ne parvenaient pas à convaincre les marins, leurs seules options restantes seraient la mort (soit parce que les marins s'occuperaient de leur sort, soit parce qu'ils les rejetteraient à la mer) ou l'enfermement dans les centres de réhabilitation de Sybille.

Il prit donc une profonde inspiration pour chasser ses doutes et inquiétudes, avant de commencer à ramer. Il eut un peu de mal à prendre le coup de main ― il n'avait jamais fait ça de toute sa vie, lui qui accordait une attention toute particulière à ses mains pour s'assurer un bon contrôle de la balle de volley.

Leur embarcation avançait doucement, balayée par des vagues qui prenaient de l'ampleur alors que le chalutier se rapprochait. Pour le moment, aucun mouvement ne paraissait agiter le pont, comme si les marins à bord ne les avaient pas remarqués. À moins qu'ils ne soient en train de les mettre en joue... Non, c'était un bateau de pêche, pas un navire de guerre.

« Tu crois qu'il est abandonné ? » Hinata souffla avec inquiétude au bout d'un instant, mais le passeur le détrompa vite.

« Il avance. Donc impossible. » La coque du bateau se mouvait doucement sur les flots, il en était donc d'autant plus certain. Il le voyait progresser doucement depuis qu'il était placé face à lui pour ramer.

« Il vaut mieux pour nous... »

Le silence s'installa encore un instant, puis un rayon de lumière les éblouit soudainement, et fit perdre à Tobio son rythme de rame enfin trouvé. Il cligna des yeux en espérant que cela ne durerait pas, mais le faisceau de lumière resta fixe.

« On est des naufragés ! »

Hinata cria dans un anglais hésitant. Il leva les bras en signe d'apaisement, espérant sans doute que les marins ne seraient pas trop hostiles. Il n'y eut aucune réaction du côté du bateau, ce qui accentua les inquiétudes du jeune homme aux cheveux noirs. En plus, il n'y voyait plus rien avec cette lumière intense.

« Ils n'ont pas l'air des plus accueillants. » marmonna-t-il. Il ne savait pas trop s'il pouvait continuer d'avancer la barque ou non. Il ne voulait pas prendre le risque de les insulter ou il ne savait quoi, mais il ne savait même pas ce qu'ils attendaient !

« Non, souffla Hinata, et Tobio perçut toute l'inquiétude cachée dans sa voix à cette constatation.

Qu'est-ce qu'on est supposés faire ? » murmura le passeur, autant pour lui que pour son compagnon. Le silence s'étira encore une poignée de secondes, puis une voix amplifiée par un mégaphone retentit soudainement :

« Approchez votre coquille de noix. »

Tobio haussa un sourcil au qualificatif quelque peu négatif, leur barque n'était pas si pitoyable, elle était juste un peu petite ― mais à côté du grand chalutier, tout était petit, sauf un navire de guerre. Il s'exécuta cependant, trop content d'avoir une autorisation et une réaction de la part des marins. Bon, cela ne signifiait pas qu'ils étaient tirés d'affaire, mais c'était déjà un soulagement de savoir qu'ils avaient une chance.

Une fois que la barque ne fut qu'à quelques centimètres de la coque de métal du chalutier, il leva les yeux vers le pont qu'on devinait vaguement au-dessus d'eux, attendant d'autres indications. Une échelle de fortune leur fut déroulée ; le vent qui s'était levé la faisait claquer de façon inquiétante au vent.

« Ils veulent nous sauver ou nous tuer ? » s'enquit Hinata à mi-voix, inhabituellement sarcastique. Tobio admettait que la perspective de monter cette échelle fine que la moindre bourrasque faisait s'agiter de façon inquiétante n'était pas des plus palpitantes. Mais quel choix avaient-ils ?

« Passe devant. Je passerai en dernier pour surveiller ta soeur. » Il proposa à son compagnon, qui secoua la tête négativement.

« Natsu passera en premier.

On ne sait pas encore ce qui nous attend en haut, il expliqua à son interlocuteur. Ces marins ont l'air de vouloir nous aider, mais pour ce qu'on en sait, ils pourraient aussi avoir l'intention de nous dépouiller de nos biens. »

Ses arguments semblèrent faire leur bout de chemin dans l'esprit d'Hinata, qui finit par hocher la tête. Il s'engagea ensuite sur l'échelle brinquebalante, après une hésitation. Tobio l'observa comme il le pouvait dans cette obscurité, tandis qu'il avançait doucement, s'immobilisant de force à chaque coup de vent. Il aida ensuite la fillette de dix ans à grimper à son tour sur le bois mouillé, et l'observa alors qu'elle avançait d'un pas peu rassuré.

Il s'engagea en dernier, gardant comme promis un œil sur l'enfant devant lui ; il ne doutait pas qu'Hinata l'étranglerait si jamais quelque chose arrivait à sa petite soeur alors qu'il lui avait promis de faire attention à elle. Il avait laissé le rouquin passer en premier non pas par lâcheté, mais parce qu'il faisait confiance à ses réflexes, et qu'il ferait sans doute une bien meilleure première impression aux marins que lui-même.

Lorsqu'il atteignit enfin le pont auquel l'échelle était attachée, il avait la nausée en raison des mouvements brusques qu'il avait subi à cause du vent, mais il était en un seul morceau, comme ses deux compagnons. Il se laissa vaguement tomber sur le pont, puis le balaya du regard, cherchant leurs « sauveurs ». Son regard ne rencontra cependant personne d'autre que Natsu, qui était arrivée juste avant lui. Où était passé Hinata ― et les autres occupants du bateau ?

« Shô ? » La fillette de dix ans interpella son frère, cherchant apparemment autant que lui son grand frère. Un bref silence lui répondit, puis une tête rousse surgit subitement du sol ― ou plus précisément, d'une ouverture dans le sol.

« Ici ! » Le duo s'approcha du jeune homme aux cheveux roux, qui leur faisait de toute manière signe de s'approcher. « Venez vous mettre à l'abri. Ils ont un chauffage. » Les yeux d'Hinata brillaient, et il semblait avoir oublié toute son appréhension précédente ― ainsi que le fait qu'ils se trouvaient encore dans une situation compliquée.

« Sois prudent quand même. »

Il marmonna ces quelques mots avant de descendre par l'ouverture dont provenait le jeune homme. Elle était pourvue d'une échelle tout aussi instable que celle qu'il avait déjà montée, mais au moins le vent n'était plus là pour le déséquilibrer. Il atterrit alors dans une cale bien plus chaude qu'il ne le pensait en comparaison à la température extérieure.

« Installez-vous. » Une voix bourrue le fit tressaillir, et un homme d'un certain âge se planta devant lui. Avec son visage tiré par les rides et son visage fermé, il rappelait vaguement au jeune homme aux cheveux noirs son grand-père.

« Merci... »

Il lâcha en prenant place sur la chaise proposée par le marin. Il observa en même temps les alentours : quatre autres hommes s'affairaient dans la cale, fouillant dans des coffres et nettoyant ce qui devait être un filet de pêche. Tobio avait l'impression d'avoir remonté le temps : il ne voyait là que des objets dépourvus de toute technologie, un spectacle étonnant pour lui qui avait grandi en étudiant des bateaux construits par son pays, entièrement automatisés.

« Alors, qu'est-ce qui vous est arrivé ? »

Le marin qui lui avait parlé précédemment repris la parole. Il semblait plutôt sympathique, aussi les japonais lui parlèrent sans trop d'hésitation, si ce n'était celle causée par le changement de langue qui les déstabilisait ― d'ailleurs, seuls Hinata et Tobio parlaient, car Natsu n'avait évidemment pas un assez bon niveau d'anglais ; ils prétendraient qu'elle était trop timide.

« On était partis pour une balade en mer avec nos amis... Mais le vent s'est levé, et une tempête s'est déclenchée sans crier gare. » répondit doucement Hinata. Tobio opina, en rajoutant :

« On a cru qu'on allait y rester.

Vos amis sont décédés ? » La question manquait de délicatesse, mais elle était posée sur un ton compatissant.

« Oui. » Tobio hocha la tête en prenant une mine grave, et les quatre marins qui s'affairaient s'arrêtèrent pour les regarder.

« C'est moche. » souffla l'un d'eux ― en des termes moins polis. Tobio était presque surpris de voir qu'ils les croyaient sans mal ; il n'avait cessé de penser que personne n'avalerait leur mensonge sans doute pas assez crédible, mais il constatait qu'il s'était trompé. Leurs interlocuteurs semblaient vraiment désolés pour eux.

« Où allez-vous ? » s'enquit ensuite Hinata, pour changer un peu le sujet ― ils n'avaient pas vraiment confiance en leurs capacités de mensonge à long terme.

« Aux Etats-Unis. »

Tiens ? Le jeune homme aux cheveux noirs haussa un sourcil. Mellori n'avait-elle pas dit plus tôt que les Etats-Unis n'envoyaient jamais de navires aux abords du Japon ? Apparemment, ses informations n'étaient plus à jour... Ou alors, ils avaient affaire à des menteurs, mais puisqu'ils parlaient parfaitement bien anglais et que la plupart des objets qu'il voyait étaient dans cette même langue, il penchait pour la première option.

« Après, le capitaine reprit, on peut toujours essayer de vous déposer d'où vous venez. Mais j'ai peur que ce ne soit pas sur notre route, et si on dérive, on va prendre du retard et je vais me faire taper sur les doigts...

Ne vous inquiétez pas, intervint soudainement Hinata. On se débrouillera très bien aux Etats-Unis. J'ai de la famille là-bas. »

Tobio lui jeta un regard intrigué. Il se doutait bien que c'était un mensonge destiné à rassurer leurs sauveurs, mais il se demandait ce que le rouquin avait en tête. Ils n'avaient aucune connaissance en géographie l'un et l'autre. Pour ce qu'ils en savaient, les Etats-Unis pouvaient être devenus une dictature parfaite.

« Oh, vraiment ? Quelle aubaine. » lâcha le capitaine. Il fit signe à ses acolytes de s'approcher et leur donna quelques ordres à l'oreille, avant de les laisser partir. Tobio les suivit du regard en se demandant s'il devait être paranoïaque ou non ― il espérait que non. « Je vais essayer de vous trouver une cabine pour que vous puissiez vous reposer un peu. Cela n'a pas dû être facile, n'est-ce pas ? »

Il les observa avec attention après ces mots, et ils opinèrent rapidement pour masquer leur gêne. Tobio avait l'impression désagréable que l'homme les fixait plus que de raison, et qu'il n'était pas complètement dupe. Il semblait cependant n'avoir aucune mauvaise intention à leur égard, aussi il s'autorisa à se détendre un peu ― au moins pour trouver un peu de repos.

Ils suivirent donc l'un des marins jusque sur le pont extérieur, où le vent soufflait toujours énormément, et purent atteindre tant bien que mal une cabine de l'autre côté de la cale dans laquelle ils se trouvaient. C'était un minuscule habitacle ― presque plus petit que la chambre dans laquelle ils avaient séjourné au port clandestin ― muni d'un matelas posé à même le sol et recouvert d'une simple couverture élimée, ainsi que d'une sorte de tissu tendu de part et d'autre de la pièce et pourvu d'un oreiller. Une petite table était adossée à un mur, accompagnée d'une chaise.

« Elle était occupée, donc excusez-nous pour le bazar. » marmonna leur guide en les laissant entrer. Tobio voulut lui demander son nom ― il n'était pas évident de ne se référer à eux que par le terme « marin » ― mais il repartit aussi sec se mettre à l'abri ailleurs.

« Je suppose que cela aurait pu se passer bien plus mal. » Hinata souffla ces mots en s'affalant sur le lit ― l'unique lit, comme le constaterait Tobio un peu plus tard ― et en guidant sa sœur avec lui.

« Oui. Ils auraient pu nous jeter à l'eau, commenta son interlocuteur, pince-sans-rire.

Ou nous livrer aux autorités de Sybille. » Ce qui aurait probablement été pire en fin de compte.

« Tu es sûr, pour les Etats-Unis ? reprit Tobio après une seconde, en s'asseyant sur la chaise après avoir déplacé les objets qui y traînaient.

Pourquoi pas ? C'est un endroit comme un autre pour recommencer sa vie.

On ne sait rien sur ce pays.

On ne sait rien sur le reste du monde. Peu importe l'endroit choisi, ce sera la même affaire. Je pense même que les Etats-Unis sont le pays sur lequel on en sait le plus.

Ouais, convint Tobio, mais pas forcément pour les mêmes raisons. Je n'étais peut-être pas un élève attentif en histoire, mais je me souviens qu'une guerre a failli éclater entre le Japon et les Etats-Unis lorsque notre pays a décidé de se refermer sur lui-même avec le système Sybille. Ils n'approuvent pas ce qu'il s'est passé. Et ils repèreront vite qu'on est japonais.

Et alors ? On ne sera sûrement pas les seuls japonais là-bas. » L'optimisme d'Hinata semblait inébranlable. « Même si, depuis que Sybille a été mis en place, personne n'a quitté le Japon pour émigrer officiellement ailleurs, avant le système, il y avait déjà des personnes de toutes origines dans tous les pays du monde non ? Je suis certain que nous ne serons pas les seuls japonais là-bas. »

Tobio voulait arguer qu'ils n'en savaient rien justement, et qu'un pays asiatique aurait été plus sûr, mais il sentait que son interlocuteur ne voudrait rien entendre. Il voulait aussi parler d'autres problèmes importants, du fait qu'ils n'auraient ni papier ni argent à leur arrivée, qu'ils ne connaissaient personne là-bas et qu'ils ne sauraient même pas où aller. Mais il ne dit rien, soudainement perdu dans les orbes brillants de son interlocuteur.

Hinata semblait impossible à déprimer maintenant qu'ils étaient à bord de ce bateau de pêche américain, et qu'ils naviguaient probablement en eaux internationales. Ils n'étaient plus au Japon, enfin. Ils venaient de quitter leur patrie, l'endroit où ils avaient grandi. Tobio venait de tourner le dos au système qu'il avait admiré pendant tout ce temps.

C'était une page entière de leur histoire personnelle qui se tournait, songea-t-il. Ils avaient défié la base même de leur société quelques jours plus tôt en prenant la fuite, et maintenant ils étaient parvenus jusqu'au bout de leur démarche. Ils étaient parvenus à quitter le Japon sans l'accord de Sybille. Quelques semaines auparavant, Tobio aurait ri au nez de tous ceux qui auraient osé émettre l'hypothèse qu'il était possible de fuir. Aujourd'hui, il venait d'accomplir cette hypothèse invraisemblable.

Il laissa échapper un profond soupir, regrettant qu'il n'y ait pas au moins un hublot à leur cabine. Il ne savait pas s'il souffrait du mal de mer ― pour le moment, son estomac semblait supporter le roulis des vagues ― mais aurait bien voulu pouvoir observer une dernière fois son pays qui s'éloignait. Encore que... La nuit était bien tombée désormais, aussi il n'était pas certain qu'ils auraient pu distinguer quoi que ce soit, même avec un hublot.

Il reporta son attention sur les Hinata, affalés sur le lit. La plus jeune semblait s'être assoupie, gagnée par l'épuisement de tout ce qu'ils avaient traversé, tandis que son aîné l'observait à la dérobée, apparemment heureux. Il avait fait tout cela pour elle en même temps. Il finit par lever les yeux vers Kageyama, sans doute en sentant son regard sur lui, et lui offrit son habituel sourire ― pas si habituel que cela en présence de Tobio, car le rouquin semblait sans cesse changer d'opinion sur lui, acceptant parfois sans protester sa présence imprévue à leurs côtés, le rejetant avec une colère inhabituelle à d'autres moments.

« J'ai une question. » Hinata parla soudainement ― pas trop fort pour ne pas réveiller sa cadette qui s'était visiblement assoupie.

« Quoi ?

Tu ne sais toujours pas ce que tu vas faire une fois arrivé aux Etats-Unis, pas vrai ? » Le jeune homme aux cheveux noirs opina ― malheureusement. Il avait encore du mal à réaliser qu'ils étaient réellement partis. « Alors... Pourquoi tu ne resterais pas avec nous ? »

Tobio en resta quelques secondes sans voix. Il ne s'attendait pas du tout à cela ; surtout pas vu les conditions dans lesquelles il s'était mêlé à l'aventure des deux rouquins. Pourquoi Hinata lui faisait-il soudainement cette proposition ?

« Tu peux refuser si ça t'embête, reprit le rouquin, mais cela ne me dérangerait pas que tu restes.

Je croyais que ma présence avec vous t'emmerdait.

Au début oui. Mais c'est surtout parce que je n'arrivais pas à comprendre ce que tu pensais.

Et maintenant tu y arrives ? » Tobio avait noté l'emploi du passé.

« Je ne crois pas, s'esclaffa le rouquin. Je crois juste que t'es stupide. » L'insulte lui fit froncer les sourcils. Pardon ?

« T'es tout aussi stupide que moi !

C'est pas moi qui me suis lancé dans une fuite qui défiait toutes les lois sans raison !

J'avais une raison !

Vraiment ?

Ouais ! »

Le passeur réalisa ensuite de quelle raison il parlait, et s'interrompit. Finalement, il n'était plus si sûr de vouloir tenir tête à Hinata. Parce que la seule raison qu'il avait identifiée pour expliquer sa fuite soudaine aux côtés du rouquin... C'était justement pour rester aux côtés de ce dit rouquin.

« Et c'est quoi cette raison ? » Hinata le défia légèrement du regard en croisant les bras sur sa poitrine. Il s'était redressé sur le lit pour lui faire face, son regard noisette fixé dans celui plus sombre de Tobio.

« Ça n'avait pas de sens, finit-il par murmurer.

Quoi donc ? Fuir le système ? » Le central semblait de nouveau à deux doigts d'imploser après cette remarque, alors le passeur se força à corriger :

« Toi qui n'étais plus là. »

Les yeux de son interlocuteur s'écarquillèrent légèrement, et il sembla s'appuyer au rebord du lit sur lequel il était toujours installé. Il parut être, pendant un court instant, sans voix ― au moins, sa colère s'était envolée. Tobio, lui, esquiva le plus possible son regard stupéfait. Il ne savait pas trop ce qu'il venait d'avouer à voix haute, même si c'était la pure vérité.

« Je... » Le rouquin chercha ses mots pendant quelques secondes avant de se relever et de se planter debout devant Tobio ― c'était assez surprenant pour le jeune homme aux cheveux noirs de voir son interlocuteur le surplomber légèrement. « Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? » Le passeur soutint le regard noisette d'Hinata, essayant de garder en lui le courage d'aller jusqu'au bout de la vérité.

« Je n'avais pas envie de rester au Japon si toi tu n'y étais plus. » Les yeux d'Hinata brillèrent légèrement, et ses joues prirent une teinte rosée inhabituelle.

« Et qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ? » Il répéta, sur un ton un peu plus bas.

« Que t'as vraiment ruiné mon cerveau à force de m'envoyer des ballons dans la tête. »

Il s'attendait à ce que son interlocuteur s'agace de nouveau, mais le jeune homme continua de le fixer avec ses yeux aussi brillants que le sourire qu'il lui avait parfois adressé. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Il n'en savait rien. Il ne savait pas comment le formuler autrement qu'ainsi.

« Tu m'aimes ? »

La soudaine déclaration d'Hinata manqua de le faire s'étouffer avec sa propre salive, tant il ne s'y attendait pas. Qu'est-ce que...

« Non ! »

Il s'exclama, un peu trop fort cependant ― Natsu bougea légèrement mais ne se réveilla heureusement pas. Les deux jeunes hommes continuèrent donc de se dévisager ― la mine défaite d'Hinata n'échappa d'ailleurs pas au jeune homme aux cheveux noirs. Mais il avait été pris de court et puis, et puis... De l'amour ? Pour Hinata ? Ce qu'il ressentait ?

Il resta encore un instant silencieux. Qu'est-ce que c'était, de l'amour ? Ce qu'il ressentait pour le volleyball ? Quand il jouait, il était content, il savait qu'il aimait ça. Mais il ne ressentait pas cela pour Hinata. Il était plus... exaspéré oui. Quand le rouquin courait partout juste pour avoir le droit à une passe, cela lui tapait sur les nerfs.

Et puis, quand il utilisait l'argument imparable du « Suga me soutient », juste parce qu'il savait que même Tobio craignait leur capitaine, cela l'énervait aussi. Oui, la plupart du temps, Hinata l'énervait.

Mais il l'admirait aussi, quelque part au fond de son cœur. Parce qu'il avait un talent pour le volley différent du sien, et que, quand il sautait pour frapper l'une des rares passes que Tobio lui faisait, il donnait l'impression de s'envoler.

Parce que peu importe le nombre de fois où ses attaques étaient bloquées et où il ne parvenait pas à marquer, il ne se laissait pas démonter et continuait.

Parce que son sourire ne perdait jamais de son intensité, même dans les moments les plus difficiles ― combien de fois s'en était-il rendu compte depuis leur départ ?

« Oui, corrigea-t-il finalement, alors que son silence avait tant duré qu'Hinata avait semblé vouloir se terrer sous le lit.

T'es vraiment stupide. » souffla le rouquin. Ils échangèrent un long regard et un sourire.

« Oui. »

Et leurs lèvres finirent par se rencontrer. 

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