03.3 :: 𝙐ne raison de partir (ou de rester)
nda - le prochain chapitre sortira le 12 février ! bonne lecture (:
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CHAPITRE TROIS - UNE RAISON DE PARTIR (OU DE RESTER)
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Il s'agit objectivement d'un départ volontaire, qui n'a été soufflé par personne de son entourage à en juger par les entretiens réalisés. Les camarades de classe du disparu, Kei Tsukishima (numéro national 96092719) et Tadashi Yamaguchi (numéro national 96111910) ont tous deux confirmé qu'ils n'avaient jamais entendu leur camarade aborder la plus petite idée de partir, même pour plaisanter. Aucun déplacement inexpliqué n'a été opéré par le jeune homme d'après son téléphone portable, et son historique de teinte montre une dégradation entamée plusieurs semaines avant son départ. Egalement...
Asahi laissa sa phrase en suspens, incertain de comment la continuer. Il détestait devoir rédiger des comptes-rendus, d'autant plus dans une telle situation : quelqu'un avait disparu, sa petite sœur aussi, ils étaient potentiellement en train de collaborer avec d'autres criminels dangereux, et il ne faisait rien d'autre que taper sur son ordinateur portable. C'était risible et parfaitement idiot. Pourtant, il n'avait rien d'autre à faire, assis à l'avant de leur voiture de fonction, attendant que Sugawara et les deux exécuteurs reviennent de leur conversation avec les membres de l'équipe de Karasuno.
Eux avaient eu bien moins de travail : l'entretien avec Tsukishima avait été rapidement expédié puisque le jeune homme se trouvait sur leur lieu de travail, en train de suivre les premiers cours de la formation pour devenir inspecteur. Asahi ignorait qu'il avait obtenu cette affectation au test d'aptitudes, et se doutait qu'il avait ainsi sa réponse à la question qui l'avait tourmenté précédemment : la création de la fameuse quatrième unité semblait en bonne voix. Il y avait un autre jeune homme dans la salle avec Tsukishima, signe que deux inspecteurs avaient été embauchés une fois encore.
(Était-il si rassurant d'embaucher quatre inspecteurs en l'espace de deux ans, quand les précédentes affectations s'effectuaient auparavant tous les cinq ans environ ? Trouver des gens avec le profil psychologique adéquat pour devenir inspecteur était difficile, et c'était auparavant un poste très rare et difficile d'accès. Maintenant que quatre jeunes avaient été sélectionnés en si peu de temps, cela semblait un peu moins vrai...)
L'entretien avec Tsukishima n'avait pas duré longtemps puisqu'il était supposé suivre ses cours ; celui avec Yamaguchi les avaient un peu plus occupés, mais ils avaient ensuite reçu un message les informant qu'il n'était pas pertinent d'interroger Tooru Oikawa et Hajime Iwaizumi : le premier allait prochainement être interné dans un centre de remise en forme en raison d'une dégradation de son psycho-pass et le second serait interrogé par Takahiro Kageyama plus tard. Ils n'avaient apparemment pas encore trouvé de lien direct entre Kageyama et Hinata, et ignoraient si le premier s'était réellement enfui au même titre que le second ; ce qui n'empêchait pas la troisième unité, partie en périphérie de la ville enquêter, de chercher toute trace de lui.
Hyakuzawa, Nishinoya et lui se trouvaient donc quelque peu désœuvrés, et Asahi s'occupait en prenant de l'avance pour le compte-rendu qu'il lui faudrait inévitablement remettre avant la fin de la journée, ou au plus tard le lendemain. Le directeur Omizu avait insisté pour être tenu au courant régulièrement de tout ce qu'ils découvriraient, et tout le monde savait qu'il valait mieux ne pas rester silencieux trop longtemps au risque de se faire soupçonner de tirer au flanc.
« Inspecteur ? » Nishinoya finit par rompre sa monotonie en passant la tête entre le siège arrière et les sièges avant sur lesquels se trouvait Asahi.
« Oui ? répondit-il en observant son interlocuteur, secrètement heureux d'avoir une opportunité de faire autre chose que ce rapport qui l'ennuyait.
― Pourquoi pensez-vous que le réseau Eitpheil agit comme cela ? Je serais curieux d'avoir l'avis d'un inspecteur comme vous. » Dans la bouche d'un exécuteur récalcitrant, cela aurait pu sonner comme une insulte, mais Asahi savait que le jeune homme de petite taille soulignait juste la différence entre leurs visions du monde due à leurs facteurs criminels.
« Je suppose que, puisqu'ils se trouvent en marge de la société, ils trouvent préférable d'essayer de la changer plutôt que de subir sans rien dire.
― Est-on certain qu'ils sont déjà des criminels dormants ? répondit le jeune homme aux cheveux foncés.
― Pourquoi partiraient-ils, si ce n'est pas parce qu'ils sont déjà des criminels dormants ? »
La réponse d'Asahi était franche et porteuse de toutes ses interrogations. Si ces individus rebelles avaient un facteur criminel normal et stable, si aucune raison ne les poussait à s'éloigner de Sybille pour vivre librement leur vie comme ils l'entendaient, pourquoi diable voudraient-ils défier la base de leur société ?
Sa réponse parut laisser Nishinoya songeur, mais le jeune homme ne dit rien d'autre, se contentant de se rasseoir à sa place, visiblement perdu dans ses pensées. Asahi se demandait ce qu'il en pensait lui en temps qu'exécuteur, mais sa montre lui signala un appel entrant avant qu'il ne puisse demander quoi que ce soit, et le nom de Sugawara s'afficha dessus.
« Oui ? répondit immédiatement Asahi, attirant l'attention des deux autres exécuteurs qui se rapprochèrent pour écouter la conversation.
― On a fini d'interroger l'équipe. Ils n'ont rien observé de bizarre, à part l'attitude un peu moins concentrée de Kageyama lors du match contre Aoba Johsai. Et surtout rien sur Hinata, qui se comportait comme d'habitude. Et vous ?
― Ni Tsukishima ni Yamaguchi n'ont remarqué quoi que ce soit de bizarre. Et Oikawa vient d'être hospitalisé, donc on le laisse tranquille pour le moment.
― Je ne pense pas qu'il sache grand-chose de toute façon. Ils n'ont jamais été proches. » Asahi opina. Sans toute savoir des différends qui opposaient les deux joueurs, ils avaient tous bien conscience qu'Oikawa n'aimait pas leur passeur. Il n'y avait pas réellement de raison pour que celui-ci soit informé des faits et gestes de son cadet dans ce cas.
« Que fait-on alors ?
― On devrait retourner à la base. Voir ce que les autres unités ont trouvé. Et aviser sur la suite des opérations avec l'unité trois qui dirige l'affaire.
― Pourquoi doit-on agir sous leurs ordres ? Toutes les unités sont sur un pied d'égalité, fit remarquer Nishinoya avec une pointe d'agacement.
― Parce que c'était leur affaire à l'origine. Ils connaissent mieux le dossier que nous. Et le directeur Omizu leur fait confiance, répondit Sugawara calmement. Et puis, on conserve quand même notre libre arbitre. Je vois plus cela comme une collaboration entre unités. »
Asahi était d'accord avec la vision de son partenaire ― dans cette situation, il n'était pas judicieux pour un sou de se mettre en compétition les uns avec les autres. Ils étaient trois unités d'inspecteurs et d'exécuteurs pour pouvoir protéger efficacement la population, pas pour rivaliser les uns avec les autres. D'un autre côté, il comprenait aussi l'agacement de Nishinoya : si les deux inspecteurs de l'unité trois étaient deux personnes agréables, bien qu'ayant chacun leur excentricité, leurs exécuteurs étaient une autre histoire. Surtout Daishou et Futakuchi ; incapables de travailler sans lancer des piques sarcastiques, et surtout dénués de toute compassion à l'égard des citoyens du Japon, criminels ou non.
Ils étaient l'illustration parfaite de ceux qu'on décrivait péjorativement : les exécuteurs chiens de chasse, bons uniquement à débusquer leurs semblables pour leur infliger la peine qu'ils méritaient, comme si au fond, ils n'étaient pas faits du même bois. Asahi ne savait jamais trop comment agir avec eux : il aurait voulu savoir ce qui les poussait à se comporter de la sorte, parce qu'à ses yeux les exécuteurs n'étaient pas que cela, mais hésitait toujours quand il devait s'adresser à eux. Daishou faisait partie des exécuteurs les plus agressifs envers le système, et il ne cachait jamais son animosité envers les inspecteurs.
Il fallait néanmoins admettre que l'unité trois faisait toujours correctement son travail. Ils avaient eu quelques dérapages, mais pas plus que n'importe quelle autre équipe ― ils avaient beau être formés et équipés, il arrivait parfois qu'ils ne soient pas en mesure de gérer les criminels les plus instables. Ces missions ratées restaient le plus gros coup dans le moral des inspecteurs, et Asahi était soulagé de ne compter que des arrestations ratées parmi elles. Les victimes collatérales étaient quelque chose qu'il ne pensait pas pouvoir supporter.
Il enclencha le pilote automatique pour les ramener au quartier général de la Sécurité Publique, puis laissa la voiture les ramener tranquillement jusqu'à leurs bureaux tout en terminant son rapport. Nishinoya et Hyakuzawa en faisaient visiblement de même, avec apparemment moins de sérieux que lui ― il se doutait qu'il allait devoir repasser derrière eux.
La voiture s'arrêta alors qu'il venait de placer le point final de sa phrase, et il ne perdit pas de temps avant de se rendre en salle de briefing. Il y retrouva Sugawara et le reste de leur unité, ainsi que Yaku, de l'unité trois. Ils étaient en grande conversation, et Asahi la prit en cours de route.
« ... Nous avons repéré du mouvement, mais impossible de confirmer la cible et ils se sont retranchés dans les quartiers des immigrants. Il nous sera difficile d'y enquêter, expliquait Yaku à son interlocuteur. Ce sont des quartiers sensibles, et Sybille préfère que nous en restions loin.
― Comment est-ce qu'un système peut préférer quelque chose ? fit remarquer ironiquement Futakuchi ― Asahi ne l'avait même pas remarqué sur le coup, car il se tenait dans un coin de la pièce, pianotant sur une tablette dernier cri avec attention.
― Tu sais ce que je veux dire, le reprit Yaku, avant de poursuivre : Le directeur suggère que nous patientions quelques jours. Ils ne se cacheront pas éternellement dedans.
― A-t-on des précisions sur les personnes qui essayent de fuir, et leurs éventuelles motivations ? intervint Asahi.
― D'après les informations que l'on a récupérées, nous sommes à la recherche de Shôyô Hinata, Natsu Hinata et Tobio Kageyama, éventuellement. Takahiro est parti interroger Hajime Iwaizumi pour savoir s'il a réellement couvert son fils. En attendant, on ouvre l'oeil pour le localiser sur les scanners, mais il n'est pas officiellement suspecté.
― Le groupe localisé en périphérie de la ville comportait quatre personnes, enchaîna Sugawara. Il n'est donc pas exclu qu'ils soient accompagnés de quelqu'un d'autre.
― Aucune disparition inexpliquée n'a été repérée ces derniers jours, conlut Shirofuku, ce qui fait qu'on suppose qu'il s'agit d'un guide d'Eitpheil, ou au moins d'un passeur pour les mettre en contact. » Asahi n'avait jamais entendu le terme passeur dans leur contexte actuel ― on utilisait habituellement ce mot pour ceux qui faisaient passer des immigrants d'autres pays au Japon ― mais il n'eut pas de mal à en déduire qu'il désignait l'inverse ici.
« Il y a des passeurs ? releva-t-il néanmoins, car il trouvait cette information étonnante.
― On ne sait pas si le terme passeur est adapté, expliqua Yaku, mais c'est celui qu'on a adopté. Ce qui est certain, c'est qu'il y a des gens qui ne font pas partie d'Eitpheil qui les aident également. Autrement, certains de leurs méfaits sont inexplicables. Il est parfois arrivé que des courses poursuites aboutissent à des impasses, avec une disparition du suspect, alors même que tout avait été prévu pour anticiper ses gestes et le bloquer.
― Vous pensez donc que des citoyens honnêtes aident les membres d'Eitpheil ? » s'exclama Asahi, estomaqué. Sa remarque déclencha un reniflement méprisant de Futakuchi.
« Si c'était le cas, ils ne seraient pas des citoyens honnêtes. On pense à des immigrants qui essayeraient de survivre. »
La remarque avait en effet plus de sens ainsi : si des gens aidaient Eitpheil, ils étaient obligatoirement des criminels dormants. Et si c'était le cas, ils étaient probablement traqués par Sybille. A moins qu'ils ne parviennent à se cacher, mais cela ne durait jamais. Sur le long terme, il paraissait assez probable en effet que des immigrants aident Eitpheil en échange de denrées rares et d'argent.
Mais les relations diplomatiques étaient déjà assez tendues sans que Sybille ne rejette violemment tous les immigrants de façon arbitraire, et il leur était difficile d'agir ainsi sans s'attirer les foudres de nombreuses associations de défense des droits humains. Ce qu'Asahi comprenait totalement ― même s'il faisait partie de ceux qui considéraient que les flux d'immigrants devaient être contrôlés, il ne souhaitait pas pour autant que cela se fasse dans un chaos violent, où tous seraient blessés arbitrairement.
« Le mieux à faire, c'est attendre, conclut à nouveau Yaku en croisant les bras sur sa poitrine. On essaye de repérer des membres d'Eitpheil, mais puisqu'ils ne passent jamais devant les scanners, c'est difficile.
― Ils sont forts pour se cacher, il faut leur accorder ça, opina Sugawara. On n'a jamais attrapé un seul de leurs membres.
― On en a eu un une fois, le détrompa Yaku. Juste après mon arrivée ici. Mais il s'est suicidé avant de dire quoi que ce soit. » Asahi sentit un frisson le parcourir. Pourquoi cet homme en était-il arrivé jusque-là ? Pourquoi la mort lui était-elle à ce point apparue comme un sort plus souhaitable qu'une thérapie ou un centre pour criminels dormants ?
« Il faudra faire attention à ça aussi alors, soupira Sugawara. Je ne veux pas de morts inutiles. Ces individus sont peut-être des criminels, ils ne méritent pas pour autant de mourir.
― Certains ont déjà dépassé le seuil, fit remarque sarcastiquement Futakuchi. Vous refuserez de tirer si c'est le cas ?
― Tirer des conclusions hâtives ne sert à rien, le détrompa l'inspecteur. Puisqu'ils ne sont que rarement scannés, impossible de savoir leur facteur criminel, n'est-ce pas ? » Voyant que l'autre ne répondait rien, Sugawara poursuivit en opinant : « Nous aviserons donc si nous parvenons à en trouver un.
― La priorité n'est-elle pas de retrouver les Hinata ? s'étonna Asahi.
― Si, répondit son ami avec un petit sourire, mais le directeur Omizu veut que l'on creuse la piste d'Eitpheil. Il est déterminé à mettre fin à leur réseau.
― Pourquoi maintenant ? releva Nishinoya, qui avait écouté toute leur discussion en silence. Cela fait des années que le réseau Eitpheil se développe. Pourquoi cherche-t-il maintenant à les démanteler ?
― Il a peut-être reçu des ordres du gouvernement, hasarda Asahi. Les élections du prochain gouverneur sont l'année prochaine. Le gouverneur sortant cherche peut-être à gagner des voix en démantelant un réseau de criminels dormants. »
Il n'aimait pas trop cette idée ― il fallait le démanteler pour le bien des citoyens, pas pour gagner des voix aux élections. Néanmoins, l'expérience lui avait appris que de nombreuses affaires pouvaient traîner en longueur si les politiques n'avaient pas d'intérêt immédiat à ce qu'elles soient résolues ; ainsi, quelle que soit la raison justifiant une telle décision, c'était tout bénéfice pour eux, qui avaient enfin les moyens nécessaires de leur hiérarchie pour avancer.
« Ce n'est pas très important, soupira finalement Yaku, ce qui compte, c'est qu'on fasse notre boulot. » Un petit sourire germa sur ses lèvres alors qu'il ajoutait : « En plus, dans six mois, on aura des nouvelles recrues. Ils ont recruté deux inspecteurs encore cette année. Puisque personne ne part, j'en déduis que l'unité quatre arrive enfin. »
Tous opinèrent de concert : cette nouvelle était une véritable bénédiction à leurs yeux. Ils étaient en sous-effectifs constants, et une équipe de six personnes ne serait pas de trop pour leur venir en aide. Restait à savoir s'il y aurait assez d'exécuteurs au potentiel suffisant pour former définitivement cette nouvelle unité, mais Asahi estimait que le système avait dû prendre en compte cela. Et puis, les compétences requises pour devenir exécuteur étaient moins exigeantes que celles requises pour devenir inspecteur. Il fallait juste avoir envie de se rendre utile à la société et être prêt à tout pour cela.
« Quoiqu'il en soit, reprenons si vous le voulez bien, soupira Yaku. Aone est parti avec trois exécuteurs enquêter sur les alentours de l'endroit où ils ont aperçu le groupe de fugitifs. L'unité deux est en train de passer en revue les caméras, mais ils ont du mal à repérer les Hinata. Jusqu'à son retour chez lui, aucun problème, mais ensuite, rien ne montre qu'il soit reparti.
― Les caméras sont équipées de scanners de teinte, soupira Sugawara, donc les chances qu'il soit passé devant sont faibles.
― On attend des nouvelles de Takahiro Kageyama parti interroger Hajime Iwaizumi pour savoir si on a une piste. Sinon, on est dans une impasse.
― Et en ce qui concerne le réseau Eitpheil, vous avez du concret ? » s'enquit l'inspecteur aux cheveux gris.
Son interlocuteur pianota sur sa montre et lui montra un visage, celui d'une personne d'âge mûr à l'air sévère. Asahi déchiffra son nom tant bien que mal, inscrit au-dessus aux côtés de ses données psychologiques : Ikkei Ukai, 289, gris anthracite.
« De qui s'agit-il ? demanda-t-il en l'observant attentivement.
― Un criminel dormant qui a été arrêté il y a quelques années. On le considère comme le fondateur du réseau Eitpheil.
― Le fondateur a été arrêté, mais le réseau n'a pas été démantelé ? releva Sugawara.
― Il a refusé de parler jusqu'à ce que la maladie l'emporte il y a quelques années, soupira Yaku. C'est ce qui est inscrit dans le dossier en tout cas. Beaucoup supposent que son petit fils... » Il fit apparaître une seconde photographie d'un homme beaucoup plus jeune, lycéen probablement, tout en poursuivant : « ... a pris la suite. Il a disparu juste après l'arrestation de son grand-père. Cette photo date d'il y a sept ans. Il avait dix-neuf ans à l'époque.
― Donc vingt-six aujourd'hui, calcula Asahi. Il a disparu depuis tout ce temps ?
― Oui. Impossible de mettre la main sur lui. Peut-être qu'il a juste quitté le pays, mais le fait que le réseau existe encore malgré l'arrestation de son fondateur laisse supposer qu'il en a pris la suite.
― Je vois. Vous connaissez d'autres membres actuels ?
― Seulement leurs surnoms, d'après les dossiers. » poursuivit Yaku ― il semblait mettre un point d'honneur à rappeler que lui aussi était arrivé récemment, et qu'il n'avait fait que lire les précédents rapports sur Eitpheil. « Il y aurait un Orru, un Corbetti et un Capensis. Ils utilisent des pseudonymes pour ne pas être identifiés. On n'a jamais pu avoir d'informations plus concrètes sur eux que ces surnoms, et quelques caractéristiques physiques au niveau de la corpulence.
― Comment font-ils pour se cacher aussi bien ? s'interrogea Hyakuzawa. Qu'ils soient aidés par des émigrants est une chose, mais qu'ils parviennent à ce point à se dissimuler du système tout en venant en aide à des criminels dormants me laisse songeur.
― Une grande partie d'entre eux a fui la civilisation de Sybille, répondit Yaku, donc il est normal qu'ils sachent s'y repérer. Néanmoins, je trouve aussi ça étrange. Je suis persuadé qu'ils reçoivent beaucoup d'aide, mais cela semble compliqué pour de simples émigrants. »
Un silence songeur emplit la pièce. Y avait-il tout une base d'Eitpheil qui se cachait au sein même de leur ville ? Mais leurs mouvements étaient forcément limités, car il n'y avait aucun moyen pour que Sybille ne les considère pas comme des criminels dormants et ne les répèrent pas au scanner de teinte. Tout ceci était extrêmement étrange, et Asahi aurait pu y songer pendant un long moment si la montre de Yaku n'avait pas soudainement vibré, remplaçant les visages de Ikkei et Keishin Ukkai par celui de Takahiro.
« J'ai pu m'entretenir avec Hajime, déclara-t-il sans préambule une fois que Yaku eut décroché. Il m'a confirmé que Tobio lui avait demandé de prétendre qu'il dormait chez lui pour le couvrir, mais il ignorait ce qu'il avait prévu de faire exactement. Son facteur criminel n'a pas monté depuis hier, donc je ne pense pas qu'il mente. » Malgré le ton professionnel qu'il avait adopté, nul doute que Takahiro se sentait très confus et perturbé par ces nouvelles.
« Dans ce cas, où est votre fils ? lâcha Futakuchi sur un ton suspicieux.
― J'aimerais aussi le savoir. » L'exécuteur aux cheveux bruns pianota sur le clavier d'ordinateur devant lui, puis grimaça.
« Son portable est hors réseau visiblement. Sans doute détruit.
― Ou simplement en panne, objecta Takahiro.
― Difficile de croire à une coïncidence. Votre fils est parti, c'est tout. Lui et Hinata étaient des camarades d'équipe. Peut-être même plus que cela, vu cette attitude. »
Plus que cela ? Asahi échangea un regard avec Sugawara. Jamais ils n'auraient imaginé Kageyama et Hinata comme étant plus que des camarades d'équipe, loin de là. Ils passaient leur temps à se disputer et interagissaient peu en fin de compte. Kageyama refusait souvent de faire des passes à Hinata sous prétexte qu'il n'était pas assez bon pour les faire gagner, et ils devaient le réprimander et le forcer à s'ouvrir aux autres pour ne pas qu'il entraîne vers le bas leur équipe avec ses tendances autoritaires. Malgré tout, c'était un bon joueur et un bon garçon. Simplement, Hinata et lui avaient toujours parus incapables de s'entendre.
« Impossible, reprit Takahiro. Il n'aurait pas fui le Japon. Il n'a aucune raison de le faire.
― Ne tirons pas de conclusions hâtives, répéta Sugawara. Attendons d'en savoir plus sur le groupe de fugitifs repérés.
― Et comment on fait ça ? demanda Shirofuku. On ne peut pas enquêter là-bas.
― Je propose qu'on envoie une équipe d'inspecteurs sous couverture surveiller la zone. S'ils pouvaient rassembler au moins quelques informations, on pourrait peut-être identifier l'endroit où se cachent désormais les fugitifs. Même s'ils n'y parviennent pas, en surveillant les sorties de la ville, on devrait pouvoir les repérer. »
Tout le monde opina après les explications de Sugawara, et Asahi se sentit fier de voir que son ami était autant respecté par les autres inspecteurs et exécuteurs malgré son statut de nouveau ― une fois Tsukishima et l'autre inspecteur arrivé, ils ne seraient plus tous les deux les bleus de la SP, mais bien des inspecteurs avec une petite ancienneté, mais ce n'était pas encore pour tout de suite.
Chacun reprit progressivement ses tâches : Yaku décida d'envoyer Futakuchi rejoindre Aone pour la surveillance, et les accompagna ― un exécuteur ne pouvait après tout pas circuler sans la supervision d'un inspecteur ― tandis que Sugawara et Asahi essayaient de deviner quel trajet pourrait emprunter le petit groupe une fois qu'ils seraient partis de la capitale. La SP n'avait jamais pu établir précisément la localisation d'un port appartenant au réseau, mais il semblait logique qu'ils utilisent un endroit abrité, difficile à trouver, mais aussi à proximité des lignes de bateau commerciales. Cela semblait être la solution la plus sûre dont ils disposaient pour faire sortir du pays leurs clients.
Ils passèrent un bon moment à observer les cartes, envoyant des drones aériens survoler les zones qu'ils trouvaient suspectes. Les exécuteurs leur venaient en aide en analysant les images avec l'aide de leur analyste, Satori Tendô, qui avait fini de passer en revue avec l'unité deux les communications de Hinata et Kageyama. Ils n'avaient rien trouvé d'intéressant ou de notable, aussi l'unité deux était repartie s'occuper d'un cas de psycho-syndrome collectif. Il fallait bien continuer de s'occuper des affaires quotidiennes, même si leur priorité était le réseau Eitpheil. Heureusement, aucun crime de grande ampleur n'avait eu lieu récemment, encore une preuve de l'efficacité du système. Tant que cela durerait, ils pourraient enquêter sur les actes du réseau.
« Vous êtes sûr de votre coup ? soupira finalement Tendô en s'étirant après plusieurs heures passées à observer les vidéos des drones, en vain.
― La mer est le seul moyen de quitter le Japon. Les navettes et avions sont proscrits pour le réseau, ils ne pourraient jamais trouver une piste pour s'envoler et seraient repérés par les radars aériens, expliqua Asahi. Ils ont forcément un port secret quelque part. » Le criminel dormant aux cheveux rouges les observa en plissant les yeux.
« Peut-être utilisent-ils une caverne. Si c'est le cas, on ne pourra jamais identifier l'endroit ave les drones. » Les inspecteurs échangèrent un regard. Ce n'était pas exclu mais...
« Ce serait dangereux de procéder ainsi, non ? » Tendô haussa les épaules.
« Pas plus que d'avoir un port repérable depuis les airs. Ils savent que la SP dispose de drones pour survoler les environs. S'ils sont un minimum prudents, ils ont choisi un endroit difficile d'accès, qu'on ne peut pas survoler.
― Si c'est le cas, on devra se déplacer partout, soupira Sugawara. Cela va nous prendre des jours. »
Asahi opina. Faite le tour de l'île pour chercher, peut-être en vain, un endroit où pourraient se cacher un groupe de rebelles, qui devaient être habitués et les repéreraient sans doute bien avant eux, ne servirait à rien et leur ferait inutilement perdre du temps. Il allait leur falloir un meilleur plan, parce que le jeune homme aux cheveux bruns n'était vraiment pas déterminé à faire cela pendant une semaine, voire plus s'ils ne trouvaient rien.
« Sinon, on devrait s'intéresse aux points stratégiques, soupira Yaku. Tout ce qui peut permettre de rencontrer des criminels dormants et des gens qui veulent fuir Sybille.
― Tu veux dire, des bars ou autres fréquentés par des criminels ?
― La plupart sont démantelés rapidement parce que les capteurs ne mentent pas, mais je sais que mes prédécesseurs ont toujours suspecté qu'il y en ait qui se cachent dans les quartiers mal fâmés en périphérie. Des recoins où la pègre fait sa loi, parce qu'ils continuent de rejeter l'existence de Sybille.
― Depuis que j'ai intégré la SP, j'ai appris que nombreux sont les gens qui rejettent Sybille, soupira Sugawara à son tour. Je peine quand même toujours à croire qu'il y en ait autant qui nous échappent encore. »
Asahi voyait ce qu'il voulait dire : on leur enseignait que Sybille était parfaitement intégré à la société depuis des années, et que tout le monde avait accepté sa présence ; pourtant, un an d'expérience dans la SP avait fait rencontrer à Asahi plus de gens rejetant le système qu'il n'aurait pu l'imaginer autrefois. Bien sûr, il était conscient que cela restait des minorités, et que s'il ne croisait plus grand-monde qui ne remettait pas en cause le système, c'était uniquement parce que ces gens-là n'étaient jamais inquiétés par Sybille et la SP.
Cela n'en restait pas moins bizarre ― après avoir grandi dans une société qui adulait Sybille, il en découvrait l'envers du décor. Par son travail, mais aussi par ses relations avec les exécuteurs.
Son regard se promena sur ceux qui travaillaient dans leur coin, cherchant toujours des images sur les drones. Que ressentaient-ils vis-à-vis du réseau Eitpheil ? Comment se sentaient-ils, quand ils pensaient à ces gens qui parvenaient réellement à s'échapper ? Étaient-ils envieux de ce sort qui ne leur avait pas été proposé ? Ou acceptaient-ils la réalité de leur situation, certains que c'était pour le mieux ?
Asahi voyait les exécuteurs comme des criminels dormants qui n'avaient pas eu de chance, mais qui avaient une opportunité de faire amende en travaillant pour la société.
Mais il avait du mal à s'empêcher de songer désormais que faire amende pour quelque chose qu'on n'avait même pas encore l'intention de commettre était une destinée bien rude.
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