01.2 :: 𝙋our le sourire d'une sœur

nda ― aaah j'ai tellement de motivation pour cette histoire que j'avais vraiment hâte de poster ce chapitre :) mais pour le moment je ne peux pas augmenter le rythme de publication, donc je prends autant mon mal en patience que vous hehe
(notez le pour le moment ;))

sinon, j'espère que vous allez bien. merci pour le soutien que vous m'avez donné pour cette histoire, j'espère que la suite vous plaira autant que ce début ! je ne vous cache pas que c'est un peu mon comfort work actuellement ― ce qui est étrange vu que cette histoire n'est pas franchement heureuse ?? mais j'ai arrêté d'essayer de me comprendre depuis des années donc bon. 

merci à tous ceux qui ont lu, voté et commenté le prologue et le premier chapitre ! ❤ je mets les remerciements détaillés (ma petite tradition pour ceux qui ne me connaissent pas encore haha) dans les commentaires juste ici :

et je vous souhaite une excellente lecture! prochain chapitre le 29 janvier 💫

CHAPITRE DEUX ― POUR LE SOURIRE D'UNE SOEUR
▬▬▬

Lorsque Shôyô poussa la porte de sa maison, près d'une heure plus tard, son exclamation enjouée ― « Je suis rentré ! » ― fut comme d'habitude accueillie par un silence de mort. Il n'avait jamais perdu cette habitude rescapée des jours où tout allait bien, même si plus personne n'y accordait une réelle importance aujourd'hui dans son foyer. Il ne le prenait pas personnellement. Ce n'était de la faute de personne ― sauf de Sybille.

Il posa son sac dans l'entrée, retira ses chaussures et balaya le couloir du regard. Les défauts du mur étaient visibles. Il pouvait même distinguer l'endroit où, sept ans plus tôt, son crâne avait percuté le ciment alors qu'il organisait une course de skate sous les yeux admiratifs de sa petite sœur à peine âgée de trois ans. Il ne s'était pas gravement blessé ― même s'il avait fini à l'hôpital ― mais gardait, comme le mur, une cicatrice de l'impact.

Puisqu'il distinguait sans problème les irrégularités de la peinture blanche qui recouvrait le ciment, il en déduisit que l'hologramme domestique n'était pas allumé. Rien de très étonnant en soit, il y avait des semaines qu'il n'avait pas servi. Depuis que cela avait commencé, ils se méfiaient de tout ce qui était raccordé au système Sybille en permanence. Y compris de la petite pie qui surveillait toute leur maison, de l'apparence des murs et des meubles aux psycho-pass ― malgré son image enfantine, choisie par Natsu, il ne s'agissait que d'une intelligence artificielle conçue par le système.

« Maman ? » appela-t-il doucement en avançant dans le couloir.

Les hologrammes étant toujours éteints, il en déduisit que la situation ne s'était pas améliorée depuis son départ un peu plus tôt dans la journée. Chaque soir, il espérait rentrer au son des rires de sa famille, et à la lumière rassurante des hologrammes avec lesquels il avait grandi. Chaque soir, il n'avait que le silence et l'obscurité pour l'accueillir.

« Shô ? » Ce n'était pas la voix chaleureuse de sa mère qui venait de l'interpeller par son surnom d'enfance, mais la voix plus aiguë de Natsu, sa petite sœur. Du haut de ses dix ans, la fillette était son portrait craché sur de nombreux points, particulièrement la couleur de cheveux. Ils partageaient la même tignasse rousse, parfaitement naturelle.

« Natsu ! » Il l'accueillit avec un grand ― faux ― sourire, sans rien laisser paraître de son inquiétude. « Où est maman ?

Elle est partie chercher des anti-stress à la pharmacie. A son travail aujourd'hui, ils lui ont dit que sa teinte se troublait. » Des larmes vinrent brouiller les yeux brillants de l'enfant. « Est-ce que c'est de ma faute ? »

La question brisa le cœur du lycéen. Il aurait voulu la serrer dans ses bras, lui murmurer que non, ce n'était pas de sa faute et remplacer les larmes qui perlaient aux yeux de sa petite sœur par l'un de ses éclatants sourires. Mais il ne parvint à rien dire, à rien faire d'autre que poser une main sur ses cheveux soyeux et les frotter doucement, dans une vaine tentative de réconfort. Il ne parvenait pas à lui mentir.

Dire que Natsu était responsable de leur teinte qui se troublait était la chose la plus terrible qu'il ait jamais eu à formuler, mais sa famille et lui savaient tous que c'étaient les problèmes rencontrés par Natsu qui avaient entraîné une dégradation de leur facteur criminel ― certes encore minime mais déjà inquiétante, surtout car, si elle continuait, les drones finiraient par s'intéresser à leur foyer, et par découvrir l'état de la teinte de la fillette.

Du haut de ses dix ans à peine passés, Natsu avait l'un des facteurs criminels les plus hauts jamais enregistrés chez les Hinata, et il ne cessait d'augmenter jour après jour. Enfin, ils le supposaient. Par crainte qu'il n'excède la norme, il y avait plusieurs semaines qu'ils ne lui avaient fait aucun scanner et vivaient donc dans l'ignorance. Ils préféraient encore cela à l'idée de voir une enfant si jeune emmenée dans un centre de rééducation d'où elle ne sortirait peut-être jamais.

Le dernier contrôle, daté de trois semaines plus tôt, avait affiché un facteur criminel de 93,8. Il était encore en-dessous du seuil mais bien trop élevé pour son âge, et annonciateur de grands troubles. Un tel facteur criminel à un tel âge... était un signe clair du fait que Natsu deviendrait probablement une criminelle dormante. Shôyô refusait de l'accepter, comme ses parents. Elle avait dix ans. Même s'ils désiraient respecter les lois de la société créée par Sybille, ils ne pouvaient juste pas condamner une enfant aussi jeune, qui n'avait absolument rien fait, à une existence de criminel dormant.

D'une certaine façon, ils n'étaient peut-être pas tant dans la délinquance que cela. Aucun de leurs facteurs criminels n'avait passé le seuil depuis ces trois semaines. Ils étaient montés, mais rien d'autre.

(Cependant, peut-être que ce n'était que parce que Natsu n'était pas encore une criminelle dormante et qu'ils ne faisaient rien de mal pour le moment, susurrait une voix moqueuse dans son esprit).

« Tu as mangé ? demanda-t-il finalement avec douceur.

J'attendais maman, murmura sa petite sœur. Je ne voulais pas commencer alors qu'elle n'est pas de retour. »

Le rouquin se doutait qu'elle avait peur que leur mère ait été emmenée par des drones de la Sécurité Publique entre temps, car son facteur criminel avait excédé la norme par sa faute, mais il ne dit rien. Il se contenta de la prendre dans ses bras et de la guider ensuite jusqu'à leur cuisine pour l'installer sur la grande table et observer ce qu'il y avait de disponible dans le frigo et les placards. Puisque leurs hologrammes et intelligences artificielles étaient désactivés, ils devaient tout faire à la main et ne pouvaient pas calculer facilement les calories de ce qu'ils mangeaient. Honnêtement, c'était le cadet de leurs soucis mais ils devaient être prudents malgré tout ― un surpoids serait encore un facteur pouvant justifier un contrôle de Sybille chez eux.

Il prit son temps pour observer les possibilités qui s'offraient à lui pour cuisiner puis finit par jeter son dévolu sur un plat basique et simple à réaliser : une omerice si classique et presque clichée, mais qui était sans doute exactement ce dont ils avaient besoin. Pendant qu'il préparait le repas chaud, il jeta un coup d'œil à sa sœur pour voir ce qu'elle faisait. La fillette s'était installée à table, mais ses yeux étaient toujours baissés sur le sol, et elle semblait complètement désemparée. Shôyô mourait d'envie de la voir retrouver son sourire, mais il ne savait pas comment faire oublier à sa petite sœur tous les tourments qu'elle leur causait sans le vouloir.

Que Sybille leur causait, se corrigea-t-il mentalement. Il refusait de blâmer la fillette pour tout ce qui se produisait. Ce n'était pas de sa faute. Comment une enfant de dix ans pourrait-elle être blâmée pour cela ? 

Autrefois, il considérait le système comme juste et bon. Si leur société était aussi tranquille et paisible, c'était parce que les criminels étaient interpellés dès qu'ils étaient identifiés, et qu'il ne leur était ensuite plus possible de commettre leurs crimes puisqu'ils étaient enfermés presque pour toujours dans l'un des centres pour criminels dormants. Mais aujourd'hui, sa vision avait changé.

Que l'on enferme des adultes, il parvenait à le comprendre, mais des enfants... De plus, il était inconcevable pour lui que sa chère petite sœur commette un crime. Avoir des prédispositions caractérielles pour les crimes ne signifiait sûrement pas que l'on allait en commettre ! Quand il se souvenait qu'elle avait toujours été d'une gentillesse exemplaire avec tout le monde, qu'elle n'avait jamais rien fait de mal, il ne pouvait juste pas comprendre pourquoi Sybille avait classé Natsu dans les criminels dormants.

Sybille était supposé être infaillible, mais plus le temps passait, plus la foi de Shôyô en ce précepte vacillait. N'y avait-il aucune erreur dans ce jugement ? Cela lui semblait bien peu probable. Il essaya de chasser ces pensées pour ne pas faire brûler l'omerice qu'il préparait, mais il espérait réellement que la situation finirait par s'arranger... même si cela semblait improbable.

Pour le moment, ils cachaient Natsu et lui faisaient éviter le plus possible les scanners de rue. Ils avaient désactivé tous les appareils électroniques qui mesuraient le psycho-pass chez eux. Ils se comportaient comme si tout allait bien, et que la cadette de la famille était juste indisposée. Mais personne ne serait dupe pendant très longtemps encore, ils le savaient tous. Tôt ou tard, il leur faudrait faire revenir Natsu dans la vie quotidienne. La faire passer sous un scanner. Et peut-être découvrir que son facteur avait dépassé le seuil.

Cette pensée était intolérable pour le rouquin. Dans un premier temps, si le dépassement était minime, elle serait envoyée en thérapie dans un centre de réinsertion. Mais si rien ne changeait et que la situation s'aggravait... Elle serait irrémédiablement enfermée dans un centre où elle ne serait pas libre de ses mouvements.

Et dans le pire des cas...

Il ne parvint pas au bout de cette dernière pensée, tant elle le terrifiait. Il devait penser à son propre facteur. Ils suivaient tous un traitement censé éclaircir leur teinte, mais les effets étaient difficiles à constater quand ils étaient soumis à un tel stress.

Alors qu'il venait d'achever la préparation du repas, il entendit une clé tourner dans la serrure, et, quelques instants plus tard, sa mère fit irruption dans la cuisine. Elle avait les traits tirés et ses cernes étaient de plus en plus profonds, mais elle leur adressa un grand sourire.

« Bonsoir vous deux ! Vous avez bien fait de ne pas m'attendre. » En voyant sa mère entrer, Natsu retrouva partiellement son grand sourire d'enfant.

« Maman ! Tu as mis du temps à revenir !

― Pardonne-moi ma chérie. Il y avait tant de monde à la pharmacie ! »

Elle agissait comme si de rien n'était, mais Shôyô n'était pas dupe : les mains de sa mère tremblaient légèrement et son regard était fuyant. Il laissa cependant de côté ses inquiétudes et ses questions, et servit le repas sans plus attendre. Ils parlèrent de tout et de rien, comme avant, comme si tout n'était qu'un cauchemar ou un mensonge ridicule. Ils laissèrent la réalité sur le banc, et s'enfoncèrent dans l'illusion que tout allait bien, qu'ils revenaient juste tous les trois d'une journée plus ou moins éprouvante et que leur père allait rentrer d'une minute à l'autre, simplement retardé par les aléas de la route.

Mais en réalité, Natsu n'avait pas été à l'école et leur père n'allait pas rentrer de sitôt, car il surveillait sa fille la journée et travaillait désormais une partie de la nuit pour faire ses heures et ramener l'argent. Shôyô était le seul à avoir gardé son quotidien parce qu'il ne devait pas mettre son avenir de côté, il fallait qu'il réussisse.

La soirée s'étira lentement aux yeux du rouquin qui attendait le bon moment pour interroger sa mère. Lorsque sa cadette fut finalement couchée et endormie, il rejoignit sa mère dans le salon et l'observa verser dans un verre d'eau un médicament anti-stress.

« Ma teinte est vert forêt, soupira-t-elle. Et mon psycho-pass a augmenté de six points.

Mais il va se rétablir non ? » La voix de Shôyô s'était brisée sur la fin de la question, et elle sonna comme celle d'un enfant perdu qui a peur de voir sa mère partir.

« Sans doute, répondit sa mère en esquissant un sourire peu convaincant. Mes collègues veulent que je débute une thérapie. Ils commencent à voir les effets de tout ça.

Il y a un contrôle de teinte lors de l'examen, avoua le lycéen, une boule dans la gorge. Je ne sais pas si...

Tu as contrôlé ta teinte récemment ? s'inquiéta immédiatement sa mère.

Orange vif. » Il vit l'inquiétude réapparaître sur le visage de son interlocutrice, et elle fouilla dans son sac pour lui tendre une plaquette de médicaments anti-stress.

« Prends-les. Il faut que tu passes l'examen.

Mais... » Il voulait protester, dire que cela ne résoudrait pas le cœur du problème, mais aucun mot ne s'échappa de sa bouche. Il saisit la plaquette avant de l'observer longuement.

« On ne peut pas continuer ainsi, finit par déclarer sa mère. Ce n'est pas une vie. »

Shôyô leva son regard vers elle. Oui, il était d'accord pour dire que la vie était devenue très difficile pour eux depuis la découverte du facteur criminel de sa petite sœur, mais ce n'était pas comme si la situation allait se résoudre en un claquement de doigts. À moins que...

« Maman, tu ne vas pas... » Il n'arriva pas à finir sa phrase en croisant le regard résigné de celle qui lui avait donné la vie dix-huit ans plus tôt.

« On n'a plus le choix, Shô. On ne peut pas échapper au système éternellement.

Tu comptes abandonner Natsu ? » Il eut toutes les peines du monde à ne pas élever la voix tant sa stupéfaction était grande. Il ne pouvait pas croire que sa mère, si gentille et prévenante, émettait l'hypothèse de laisser sa fille de dix ans être enfermée dans un de ces centres pour criminels dormants.

« Pas l'abandonner. On pourra toujours aller la voir, et peut-être que la thérapie l'aidera à aller mieux... Quelle autre solution nous reste-t-il ?

On pourrait... » Fuir. C'était la seule hypothèse qui lui venait, mais il avait conscience qu'elle était ridicule. Comment pourraient-ils fuir Sybille, qui avait des yeux partout ? C'était une utopie de croire qu'ils s'en sortiraient. Les scanners étaient à tous les coins de rue, et les entrées et sorties du pays étaient sévèrement contrôlées par le système. « Elle ne sortira peut-être jamais, murmura-t-il. Elle a dix ans, maman.

Je sais ! s'emporta légèrement sa mère. Mais regarde-nous, Shô. Si ça continue, on finira tous dans ces centres.

Au moins, on serait avec elle !

À quoi penses-tu ? Tu es à l'aube de ta nouvelle vie ! Tu as la chance d'avoir un futur et un avenir !

Tu comptes priver Natsu de cette chance !

C'est déjà trop tard ! Même si on ne la livre pas, elle devra rester cloîtrée pour toujours. Elle n'a pas d'avenir sans thérapie, et peut-être qu'elle se remettra. Autrement, il existe des métiers honorables pour les criminels dormants.

Tu veux qu'elle devienne exécuteur ? »

Les mots claquèrent quelques instants dans le silence, et le rouquin vit avec effroi sa mère rester de marbre malgré l'horreur de la suggestion qu'il venait de faire ― pour être honnête, il ne jugeait pas si sévèrement les exécuteurs habituellement, car il savait qu'ils faisaient partie intégrante de la machine bien huilée qu'était la Sécurité Publique qui les protégeait. Mais il ne pouvait pas se résoudre à imaginer sa petite sœur, si souriante et innocente, effectuer ce travail dangereux et si mal vu par la société.

« Ce n'est pas la pire solution. » finit par murmurer sa mère.

Shôyô la foudroya du regard et quitta la pièce sans ajouter un mot. Comment pouvait-elle dire une chose pareille ? Même en sachant tout ce qu'ils avaient et allaient endurer, protéger Natsu n'était-il pas ce qui importait le plus ? Lui était prêt à tous les sacrifices pour elle, pour protéger ce sourire à toute épreuve. Il se fichait de son avenir ou de sa carrière prometteuse dans il ne savait quel domaine ; pourquoi la vie devrait-elle lui sourire à lui et pas à sa sœur ?

Il n'était pas toujours un grand-frère exemplaire : lui aussi, il avait blâmé sa sœur pour ce qu'était devenue leur vie ces dernières semaines, et même avant, il avait parfois désiré qu'elle ne soit pas là, lorsque sa mère la privilégiait à lui, lorsqu'elle l'empêchait de jouer tranquillement au volley parce qu'elle voulait absolument jouer avec lui. Mais jamais, jamais, il ne voudrait vivre une vie où elle n'était pas là. Il ne croyait pas à l'hypothèse de la thérapie, et il était certain que sa mère aussi. Dans le cas de Natsu, où aucun traumatisme n'expliquait la hausse de son facteur criminel, il y avait peu de chances que la thérapie réussisse.

Il s'enferma dans sa chambre pour s'isoler, ne désirant pas voir sa mère venir lui parler ou sa sœur lui demander un câlin. Il avait juste besoin de penser, surtout à autre chose. Il avait assez ressassé ses pensées sombres, songea-t-il, et il regrettait l'insouciance d'avant. Reviendrait-elle une fois Natsu partie ? Même cette idée ne faisait que le dégoûter si cela impliquait la présence de sa sœur au milieu de criminels dormants ― peut-être de vrais criminels dont le facteur n'avait juste jamais excédé le dernier seuil car ils n'étaient pas passés à l'acte assez rapidement. Il avait beau avoir entendu maintes et maintes histoires sur des gens qui avaient vu leur facteur criminel grimper sans explication apparente, et qui en réalité avaient simplement des idéaux dangereux ― mais quels idéaux dangereux pouvait bien avoir sa petite sœur ?

Il finit par se laisser tomber sur son lit, et chercha vainement un autre sujet sur lequel focaliser ses pensées. L'examen de Sybille à venir, auquel il devait encore s'inscrire, semblait être une bonne idée. Il se mit en quête des documents à fournir, songeant qu'il pourrait enfin promettre à Yamaguchi le lendemain qu'il passerait l'épreuve avec eux. Il venait de trouver les principaux dossiers lorsqu'une question lui revint en mémoire.

« Qu'est-ce qu'il t'arrive ? »

Il se laissa tomber sur le sol, au milieu de toutes les affaires disposées dessus par son absence totale d'organisation, les mots de Kageyama résonnant encore dans son esprit. Il ne parvenait pas à oublier cette question, pour une raison inconnue. Sans doute était-ce parce qu'il n'aurait jamais cru que cet imbécile remarquerait quoi que ce soit. Ils ne se parlaient presque jamais, comment avait-il pu s'apercevoir de son changement d'attitude ?

Il repensa à ce que lui avaient expliqué Tsukishima et Yamaguchi, sur le fait qu'il était un des favoris pour accéder à un poste d'inspecteur. Peut-être qu'il avait réellement un instinct ? Cela semblait stupide, mais Shôyô était convaincu de faire illusion même auprès de ses amis. Une simple connaissance n'aurait pas dû être en mesure de le percer à jour.

Ce fut sur ces pensées qu'il finit par sombrer dans le sommeil, rattrapé par sa journée épuisante. Sur ces pensées, et sur les orbes bleus de Tobio Kageyama, dont il sentait presque encore le poids sur lui.

Shôyô affronta les jours suivants avec l'attitude parfaite d'un zombie : il effectua chaque jour le même rituel, sans réellement prêter attention à ce qu'il se passait. Il venait en cours, essayait d'écouter mais finissait souvent par se perdre dans ses pensées, rendait ses travaux presque à l'heure et s'entraînait au club comme à son habitude. Ainsi, il ne vit presque pas passer la semaine qui le séparait de son dernier match de lycéen, et ils arrivèrent à la veille sans même qu'il le réalise.

Il n'avait pas adressé la parole à Kageyama depuis leur échange sur le trottoir, préférant soigneusement éviter de se retrouver à nouveau seul avec lui. Il n'avait jamais beaucoup aimé la compagnie du jeune homme aux cheveux noirs, et il l'appréciait d'autant moins maintenant qu'il savait que l'autre se doutait de quelque chose. Il voulait échapper aux questions gênantes auxquelles il ne voulait pas répondre, et il se débrouillait plutôt bien... jusqu'au dernier soir d'entraînement avant le match.

Ils avaient procédé à leur entraînement habituel avant de rentrer chez eux, essayant d'agir naturellement, bien qu'ils ressentaient un certain stress. Ils voulaient quitter la scène du volley-ball lycéen avec panache, sur une dernière victoire, et il en était sûrement de même pour Seijoh. Ils allaient devoir se défendre efficacement pour gagner. Shôyô ne s'en plaignait pas vraiment : se concentrer sur ses réceptions et surtout sur ses attaques lui permettait de penser à autre chose qu'à sa situation familiale. Depuis le soir où il avait parlé avec sa mère, elle n'avait pas ramené sur la table le sujet de Natsu et de son avenir, mais il savait qu'elle n'avait pas entièrement renoncé à son projet. Il comptait sur son père pour la faire changer d'avis.

Après le match d'entraînement qu'ils avaient effectué, Shôyô n'était pour une fois pas resté s'entraîner en plus ― il se reposait le plus possible avant un match ― mais avait été retenu par le coach qui lui avait redonné quelques conseils pratiques. Et, en sortant de longues minutes plus tard dans le froid de février, il tomba une nouvelle fois sur Kageyama.

Le jeune homme était adossé à un mur de briques face à la sortie de leur établissement, et apparemment en grande conversation téléphonique avec quelqu'un. Shôyô ne souhaitait pas commettre d'indiscrétion en écoutant sa conversation ; malheureusement, la grille du lycée ayant été fermée automatiquement un peu plus tôt, il devait attendre qu'un drone passe pour lui ouvrir, et n'avait donc pas vraiment d'autre choix que d'écouter la conversation.

« ...dans trois jours, oui, disait son coéquipier, et demain j'ai mon dernier match. (...) Non, je ne vais pas annuler pour réviser ! C'est bon, papa, je vais gérer. On a révisé ensemble pour ce test, tu le sais. (...) Oui, oui. (...) Va voir mamie demain plutôt. Tu n'as pas besoin de venir ; ce n'est qu'un match amical pour clôturer la saison. (...) Je ne sais pas s'il sera là, non. Sans doute. (...) Non, je ne vais pas lui demander, tu sais qu'on ne se parle plus depuis des années ! (...) Non. Je ne lui demanderai pas, et même s'il est là, je ne lui parlerai pas. (...) Arrête d'essayer de m'amadouer ! »

Le rouquin n'entendit plus rien après ces mots, et en conclut que l'autre avait mis fin à la communication. Il se sentait un peu mal d'avoir surpris son camarade en pleine conversation personnelle. Même s'il n'avait pas vraiment compris de quoi ils parlaient ― surtout sur la fin ―, il avait quand même écouté (bien malgré lui) quelque chose qui ne le regardait pas. Tant que Kageyama ne l'apprenait pas, cela ne lui porterait pas préjudice, mais quand même...

Il dut attendre encore cinq minutes avant qu'un drone de sécurité ne passe, et dix de plus pour qu'il puisse justifier sa présence tardive sur le campus de son établissement. Au moins était-il certain que Kageyama était parti, songea-t-il pour se réconforter en courant dans le froid pour essayer d'attraper son train. Il ne parvenait pas à cesser de repenser à la communication qu'il avait partiellement entendue. Il savait qu'il ne devait pas s'en préoccuper, car les problèmes du passeur ne le regardaient nullement, mais ne pouvait pas s'empêcher de se demander qui était ce « il » à qui Kageyama ne parlait plus et qui serait peut-être là le lendemain. Un ex ? Il savait que le jeune homme refusait toutes les déclarations d'amour des filles, peut-être parce qu'il aimait les hommes ?

L'un des seuls points positifs dans la nouvelle société de Sybille était bien le fait que les gens étaient plus ouverts sur la sexualité des autres. Shôyô avait parfois lu des livres d'histoire qui racontaient la façon dont les homosexuels ou autres membres de ce qui s'appelait « la communauté LGBT+ » étaient traités un siècle plus tôt. Sur ce point, il était plus que ravi de vivre dans leur société. Les tests de compatibilité effectués par Sybille pouvaient vous associer aussi bien avec une personne du sexe opposé qu'avec une personne du même sexe que vous, et, si certains conservateurs avaient encore du mal à accepter ce changement de la société, ils étaient désormais peu nombreux.

Shôyô se considérait lui-même comme attiré par des personnes des deux sexes, avec une préférence pour les hommes. Il n'avait jamais vraiment pensé aux préférences de ses amis dans ce domaine ― et ils abordaient rarement le sujet de leur vie amoureuse. Il savait que son ancien aîné, Sugawara, était attiré par les hommes, mais aucune de ses relations n'avait jamais abouti. Quant à Yamaguchi et Tsukishima, il ne s'était jamais vraiment posé la question. A sa connaissance, les deux hommes n'avaient jamais eu de relation amoureuse avec qui que ce soit, il savait juste que Tsukishima déclinait sans cesse les déclarations de leurs camarades ― tout comme Kageyama. Mais cela ne voulait peut-être rien dire.

Il eut un petit sursaut en réalisant qu'il venait de passer les cinq dernières minutes à disserter intérieurement sur la question « Tobio Kageyama est-il attiré par les hommes ? ». Cela devait être le cadet de ses soucis normalement ; d'ailleurs, ce type maussade et désagréable était bien loin d'être son style. Il songea ensuite avec plus de nostalgie qu'il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas rêvassé sur des choses aussi futiles. Ces dernières semaines, tout avait toujours tourné autour de Natsu.

« Hinata ! »

Il sursauta encore une fois en entendant son nom de famille crié dans la gare qu'il venait d'atteindre ― plus par automatisme que parce qu'il avait réfléchi au chemin qu'il empruntait. En se retournant, il eut un air de déjà-vu : Tobio Kageyama venait vers lui, son visage toujours aussi bougon, en agitant ce qui ressemblait à un téléphone portable... Son téléphone, réalisa-t-il en posant une main sur sa poche de pantalon.

« Tu fais pas attention franchement, l'accueillit le passeur en lui tendant l'appareil une fois à son niveau. Tu l'as laissé tomber en partant.

― Tu- Tu étais encore là ? bégaya le rouquin en récupérant son bien.

― Ouais. » La réponse, laconique, ne laissait pas transparaître ce que pensait le jeune homme aux cheveux noirs du fait que Shôyô avait probablement tout entendu de sa conversation téléphonique. Il se contenta de l'observer quelques secondes avant de déclarer : « Tu cours vraiment vite. Si le drone ne m'avait pas donné ton identité, je ne l'aurais pas devinée. » Le concerné rougit quelque peu devant ce compliment inattendu.

« Tu aurais pu attendre demain pour me le rapporter. D'ailleurs, comment tu savais où j'allais ?

 La dernière fois qu'on s'est vus, tu as dit que tu avais un train à prendre. J'ai supposé que tu venais là, mais j'avais peur que tu sois déjà monté dans un train. » Le train en question passait dans quatre petites minutes d'après l'affichage, Shôyô n'aurait donc pas à endurer la présence de son coéquipier trop longtemps.

« Merci alors. » Que dire d'autre ? Il n'était pas très doué pour faire la conversation ― en tout cas, pas avec des personnes aussi inexpressives que Tobio Kageyama. Celui-ci le fixa quelques instants avant de déclarer :

« Tu as l'air de nouveau toi-même. » La phrase laissa Shôyô pantois. Qu'est-ce que cela signifiait au juste ? « Les autres jours tu avais l'air à l'ouest. Là non. » L'explication simpliste manqua de le faire s'esclaffer. Si c'était cela, les capacités de Kageyama pour devenir inspecteur, ils devaient sérieusement s'inquiéter.

« Je ne sais pas ce que tu essayes de dire, mais d'accord. Et euh... » Il hésita mais les mots finirent par sortir de sa bouche : « Désolé d'avoir écouté ta conversation. » Kageyama haussa les épaules.

« Ce n'était pas vraiment de ta faute. Je m'en fiche. »

Shôyô était presque surpris de la tournure prise par la situation. Il s'attendait presque à ce que son coéquipier ne lui adresse pas la parole ou lui en veuille pour l'avoir espionné, parce qu'il pensait que cela lui ressemblait plus. Mais il réalisa qu'en réalité, il ne connaissait pas vraiment Kageyama. Il ne savait pas du tout comment il réagirait peu importe la situation. Ils avaient passé trois ans dans le même lycée et dans la même équipe, mais ils étaient de purs étrangers l'un pour l'autre.

« Je suis excité pour le match de demain, finit-il par dire pour meubler les deux minutes qu'il lui restait à attendre. J'ai hâte d'affronter une dernière fois nos plus grands rivaux. » Kageyama mit quelques secondes à lui répondre :

« Ce sera intéressant je pense. Sais-tu si Sugawara et Asahi seront là ?

Oui ! Ils me l'ont confirmé.

Ils doivent être occupés avec leur métier maintenant. J'espère bientôt les rejoindre. » Shôyô tourna un regard intrigué vers lui.

« Les rejoindre, dans la vie professionnelle tu veux dire ?

Les rejoindre à la Sécurité Publique. Ils sont tous les deux devenus inspecteurs là-bas, tu ne le savais pas ? »

Non, en effet, il ne le savait pas. Shôyô admettait que, même les années précédentes, il n'était pas toujours concentré sur ce que faisaient les autres, mais plutôt sur son entraînement de volley et les matchs à venir. Il savait que Sugawara avait réussi l'examen haut la main et que Asahi s'était bien débrouillé aussi, mais avouait n'avoir jamais su où ils avaient été travailler.

« Ils sont à la SP ? s'exclama-t-il. Ils sont trop forts ! » Décidément, il était entouré de personnes talentueuses qui avaient les capacités nécessaires pour ces postes à hautes responsabilités. Même s'il avait ses réserves face à Sybille et qu'il n'éprouvait aucune envie de travailler pour ce système, il était fier de ses camarades et amis qui faisaient partie de l'élite du système.

« Il paraît qu'un de tes amis veut rejoindre la SP aussi, commenta platement Kageyama.

― Oui, Tsukishima. » Il ne sut pas quoi dire d'autre, ignorant où son interlocuteur voulait en venir.

« Je ne suis pas sûr qu'ils prennent de nouveau deux personnes. »

Avant que Shôyô ne trouve quoi répondre à cette phrase plus qu'obscure, son train arriva à toute vitesse dans la gare routière, lui sauvant indirectement la mise. Il salua le jeune homme sur ces mots, et monta promptement dans un wagon tout en ressassant cette conversation sans queue ni tête avec ce type qu'il ne portait pas dans son cœur et qui avait des réactions plus qu'étonnantes parfois à ses yeux. Où avait-il voulu en venir ? Essayait-il vainement de faire la conversation ? Shôyô était perplexe et réfléchissait à une explication quand une pensée inquiétante le traversa.

Kageyama était un fils d'inspecteurs de la SP et aspirait lui-même à y rentrer. Si Shôyô voulait continuer de protéger sa sœur, il avait tout intérêt à ne pas trop s'approcher de lui non ? Le moindre scanner pouvait mettre en péril sa famille et la chose qu'il s'était juré de protéger : le sourire de sa petite sœur.

Lorsqu'il regarda la silhouette du jeune homme qui était encore debout sur le quai de la gare devenir de plus en plus petite, et sentit son cœur se serrer étrangement, il songea qu'il était encore plus perdu qu'avant, peu importe ce que Kageyama pouvait bien penser.

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