01.10 :: 𝙇'avenir est (in)certain
nda — je ne vous apprends rien du tout mais la semaine prochaine ne fait que trois jours et j'ai extrêmement hâte.
(wdym j'ai mon dernier gros oral à préparer pendant le pont 😔)
bon, sinon j'espère que vous allez bien, que vous tenez le coup et que la situation n'est pas trop dramatique de votre côté ! tenez bon, même si c'est dur, n'oubliez pas que notre cher président nous a teasé la liberté telle une série Netflix 🤓
sinon, chapitre dix aujourd'hui, on arrive dans les derniers, et j'espère que cela continuera à vous plaire! Je vous retrouve le 22 mai pour le chapitre onze et je vous souhaite une excellente lecture ;)
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CHAPITRE DIX ― L'AVENIR EST (IN)CERTAIN
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« 𝙉on ! » Le jeune garçon aux cheveux bruns gonfla les joues, faisant prendre à son visage aux traits fins une expression bien moins esthétique.
« Fais un effort, idiot ! » Un deuxième garçon donna un coup de poing dans l'épaule du premier, tout en le foudroyant du regard.
« Iwa-chan ! » Le premier laissa échapper une protestation en jetant au second un regard peiné et boudeur.
« Arrête avec ce surnom ! »
Tobio les observait faire, sans rien dire. Il ne s'immisçait jamais dans les disputes des deux meilleurs amis, qui tournaient de toute manière souvent en rond et se résolvaient par un acte de violence d'Iwaizumi à l'intention d'Oikawa. D'ailleurs, le plus âgé était justement en train d'essayer de flanquer un coup de pied à son ami d'enfance.
« Désolé Kageyama, déclara ensuite le jeune garçon aux cheveux noirs en se tournant vers lui, c'est un idiot.
― Tu es celui qui me frappe pour résoudre ses problèmes !
― C'est la seule solution que j'ai trouvée pour te mettre du plomb dans la tête ! »
Et ils étaient repartis. Kageyama se demandait parfois comment deux personnes pouvaient sembler aussi proches et aussi opposées en même temps. Quand on voyait Iwaizumi et Oikawa ensemble, on imaginait deux choses, selon l'attitude qu'ils avaient au moment où on les apercevait : soit qu'ils s'adoraient, soit qu'ils se détestaient. (Souvent, on imaginait que c'était la deuxième option ― comment penser autrement quand le plus petit affublait son ami de surnoms plus désobligeants les uns que les autres, tout en essayant de le frapper ?).
Mais Kageyama savait, pour les voir tous les jours s'entraîner dans le gymnase tout neuf de Kitagawa Daiichi, qu'ils avaient beau se disputer sans cesse, ils s'appréciaient beaucoup, et chacun était sans doute celui à qui l'autre faisait le plus confiance.
« Donc, finit-il par demander d'une voix naïve, c'est non ? » Les deux jeunes garçons arrêtèrent de se disputer pour le dévisager. Oikawa lui adressa ensuite un regard ennuyé et hautain.
« Tu sais, Tobio, parfois, j'ignore si ta capacité à outre-passer les sous-entendus est stupide, ou au contraire un atout. » Le collégien en première année inclina la tête sans bien comprendre, ce qui fit lever les yeux au ciel à son aîné. « Sans doute stupide. » marmonna-t-il, avant qu'Iwaizumi ne lui inflige une claque derrière la tête.
« Ne sois pas arrogant. Tu es tout aussi stupide que lui. Et, au moins, cela lui permettra un jour de ne pas se laisser décourager aisément. »
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Près de six ans plus tard, Tobio pensait toujours à cette scène, autrefois presque quotidienne pour lui qui côtoyait chaque jour le duo extravagant formé par Oikawa et Iwaizumi. Lorsqu'il avait un peu de temps pour penser, elle lui revenait souvent en mémoire. Un atout ou simplement un trait de stupidité... Il avait longtemps réfléchi à ce qu'Oikawa voulait dire par ces mots.
Mais, il avait beau l'avoir fait, il ne comprenait pas. Enfin, il commençait juste à comprendre ― ce qui ne suffisait pas à tout résoudre, malheureusement.
Tobio savait qu'il ne comprenait pas toujours les sous-entendus les plus subtils ― il n'était pas complètement idiot non plus, et devinait assez bien quand les personnes n'étaient pas honnêtes et cachaient des choses, mais il lui fallait en général plus de temps pour comprendre ce qu'elles cachaient. Il s'en était rendu compte de bien des façons ; et encore plus récemment.
Cela faisait très exactement trente heures qu'ils étaient arrivés au port clandestin, et qu'ils n'avaient pas quitté la pièce dans laquelle on les avait conduits à leur arrivée. Corbetti était le seul à multiplier les allers-retours ― il avait le droit d'aller et venir à sa guise puisqu'il faisait partie d'Eitpheil, mais tenait à rester un peu avec les clandestins pour qu'ils ne s'ennuient pas trop. Kageyama et les deux Hinata se pliaient aux exigences du réseau, et se contentaient de tourner en rond de nouveau dans la petite pièce qu'on leur avait attribuée.
Et cela commençait à se faire sentir ― d'où les interrogations de Tobio, et son absorption dans ses souvenirs.
« Kageyama. » La voix soudaine d'Hinata interrompit ses pensées, et le passeur se tourna légèrement pour observer ― distinguer ― le futon sur lequel le rouquin était installé, à l'autre bout de la pièce, avec sa sœur.
« ... » Il ne répondit rien, désireux de voir comment agissait le jeune homme en premier.
« Je sais que tu ne dors pas.
― J'aimerais bien pourtant. » Il n'était même pas sept heures, il le voyait à l'horloge accrochée au-dessus de la porte.
« J'ai toujours peur que la SP débarque à tout moment, admit Hinata.
― Pourtant, il n'y a pas beaucoup de risques. Nous sommes presque partis. » Il y eut un silence prolongé, au cours duquel Tobio se demanda si son interlocuteur s'était rendormi.
« T'es malade ? » La question le laissa sans voix quelques secondes.
« Non. »
« Alors, où est passé ton pessimisme légendaire ? » Le passeur resta silencieux un instant, levant les yeux au ciel dans l'obscurité.
« Je fais des efforts. » Hinata rit légèrement pendant quelques instants.
« Il faudra l'annoncer à Orru. »
Kageyama ne répondit rien, de nouveau perdu dans ses pensées. Quelques heures plus tôt, Hinata et lui se disputaient aussi violemment qu'avant toute cette histoire, pour une raison que Tobio n'avait pas encore compris, même après une longue réflexion. Ils avaient une conversation banale, comme d'autres qu'ils avaient eu jusqu'alors, et puis, soudainement, ils s'étaient pris le bec pour une stupidité.
« C'est flippant de t'entendre réfléchir.
― Tu ne peux pas m'entendre penser.
― Ne sous-estime pas mes capacités.
― C'est biologiquement impossible !
― Il y a un siècle, on pensait que prévoir les crimes était impossible. Pourtant, regarde-nous maintenant. »
Tobio admit que l'argument était recevable. Après tout, oui, ils avaient accompli en plusieurs décennies des choses que personne n'aurait jamais pu imaginer. Les progrès technologiques du Japon étaient sans doute les plus poussés du monde (même s'il ignorait un peu où le monde en était, puisque les frontières étaient quasiment fermées...)
« Même, ce n'est pas comparable, idiot.
― Un jour, on en sera capables et tu comprendras que j'avais raison. » Tobio roula des yeux, mais un petit sourire se dessinait sur ses lèvres en même temps. Hinata était réellement irrécupérable. Quand il avait une idée en tête, il n'en démordait pas. « Tu penses qu'on va bientôt partir ? reprit Hinata après une seconde.
― Mellori avait dit que ce ne serait pas très long. Elle a parlé de trois jours quand on est arrivés, donc on devrait bientôt avoir des informations. » Un bruit de mouvement lui répondit, et il discerna la silhouette du rouquin dans l'obscurité, qui bougeait dans son futon, sans doute pour se redresser.
« Tu penses qu'on va partir où ? » A l'entendre, on aurait pu croire qu'ils partaient en vacances.
« Probablement dans un pays éloigné du Japon.
― J'espère qu'on ne sera pas complètement perdus. » laissa échapper le central.
Kageyama l'espérait aussi. Peut-être qu'au fond, le plus dur était encore à venir, et que sortir du pays n'était que le premier obstacle qu'ils devraient surmonter. C'était une pensée inquiétante, mais peut-être plus vraie que jamais.
« Je peux te poser des questions ? » Le silence s'était prolongé pendant de longs instants, puis la voix du rouquin avait retenti de nouveau.
« Des ? releva le passeur.
― Je te préviens tout de suite que je n'en ai pas qu'une. » Le jeune homme aux cheveux noirs se redressa à son tour sur son futon, et attendit la suite. « Déjà, qu'est-ce que tu vas faire une fois sorti du pays ?
― ... Je n'en sais rien. » répondit honnêtement Tobio. Il sentait qu'ils s'engageaient de nouveau sur la pente glissante qui les avait fait se disputer un peu plus tôt.
« Comment tu peux faire tout ça sans savoir ce que tu vas faire ensuite ? On dirait que tu n'avais vraiment aucune raison de partir. »
Le jeune homme resta silencieux quelques secondes, fouillant son esprit à la recherche d'une réponse adéquate. Mais, il ne savait pas ce que son interlocuteur voulait entendre, il ne savait pas ce qu'il devait dire, il ne savait pas comment expliquer son comportement ― alors, en fin de compte, qu'est-ce qu'il savait ?
« Je n'avais jamais considéré cette idée, admit-il ensuite à mi-voix. L'idée de partir. Je ne voyais pas pourquoi qui que ce soit voudrait fuir l'environnement parfait que Sybille nous offre. C'est pour ça que je t'ai poursuivi. Parce que j'étais persuadé que tu faisais une erreur. »
La veille, ils s'étaient emportés sur le même sujet, après que Tobio ait donné quasiment la même réponse. Cette fois-ci cependant, le rouquin ne s'emporta pas, et observa un silence glaçant.
« Je ne sais toujours pas pourquoi je te suis. Je sais juste que c'est ce que je veux faire. Je ne m'imagine pas rester à Tokyo en sachant que toi tu es poursuivi et que tu risques de te faire arrêter à tout moment. » Hinata restait terriblement silencieux, une attitude qui déstabilisait grandement son interlocuteur. Il avait l'habitude de l'entendre, énergique et incapable de rester muet quand il le fallait. « Je ne peux pas te donner de réponse précise sur mes motivations, ajouta-t-il finalement. Je sais juste que je fais ce que je pense juste.
― Ça ne te va pas de dire des choses aussi sérieuses, finit par souffler Hinata. Je crois que je préfère encore quand tu hurles comme un idiot sur tout le monde. » Tobio fronça les sourcils en entendant cette remarque.
« Je ne passe pas mon temps à crier sur tout le monde, soupira-t-il finalement.
― Tu as vraiment besoin d'un miroir. Sur le terrain, tu passais ton temps à nous reprocher nos moindres faits et gestes. »
Les mots n'étaient pas prononcés avec une intention cruelle, mais le passeur grimaça. Il savait qu'on lui avait maintes et maintes fois reproché sa tendance à l'autoritarisme quand il était emporté par le jeu sur le terrain. Il avait essayé de la perdre petit à petit pendant sa scolarité à Karasuno, mais savait qu'elle ressurgissait encore aux pires moments ― surtout face à Oikawa, qu'il désirait dépasser, ou face à d'autres adversaires puissants sur lesquels il voulait triompher.
« D'accord, peut-être, admit-il au bout de quelques longues secondes de silence. Mais en dehors du terrain, non. » Il y eut un nouveau long silence équivoque qui lui fit lever les yeux au ciel.
« Autre question, le rouquin finit par changer le sujet, pourquoi est-ce qu'Iwaizumi t'a aidé ? » Le jeune homme aux cheveux noirs se tourna pour faire vraiment face à son interlocuteur ― chose qui n'était pas aisée dans l'obscurité.
« Je ne sais pas exactement. Mais je pense que cela a un lien avec ce qu'il s'est passé le jour du match. » Il percevait la curiosité d'Hinata même sans que le jeune homme ne prononce un mot. « Je ne devrais pas t'en parler. C'est confidentiel. Et ça ne regarde qu'Oikawa.
― Je ne t'ai rien demandé. Tu parles tout seul là.
― Je sens que tu veux savoir.
― C'est toi qui fais des mystères pour attiser ma curiosité ! » Ils auraient pu continuer longtemps, aussi le passeur baissa les bras de son plein gré pour une fois.
« Sache juste qu'il s'est passé quelque chose de similaire de leur côté. Je pense que c'est pour ça qu'Iwaizumi m'a aidé à te rejoindre. Après... » Il hésita quelques instants avant de souffler, plus pour lui-même : « Je ne sais pas s'il attendait que je te ramène ou que je te suive. »
Après tout, quand il était allé s'enquérir de l'aide de son aîné, il avait dit vouloir arrêter Hinata avant qu'il ne soit trop tard. Il avait beau être relativement proche de l'ancien champion de Seijoh, il ne savait pas toujours comprendre ce qu'il ressentait en son for intérieur, et il ne savait pas vraiment quel rôle il avait joué dans les événements passés qui avaient frappé Oikawa. Il savait juste que le jeune homme aux cheveux noirs avait été là pour son petit ami, et l'avait soutenu dans toutes ses décisions. Le reste ne regardait qu'eux...
« Je vois... » souffla finalement le rouquin. Il bougea légèrement dans son futon, et Tobio profita de ce probable changement de position qui le contraignait à rester silencieux pour poser une question qui lui brûlait les lèvres depuis un bon bout de temps.
« Pourquoi être parti avant de connaître les résultats de ton test d'aptitudes ? »
Il n'avait eu de cesse de se poser cette question depuis ce qui s'était produit quelques jours plus tôt. Certes, ils allaient quitter ce pays, le seul où les résultats de Sybille valaient quelque chose, mais cela n'enlevait rien au fait que le système était capable de leur dire quelle voie était faite pour eux. Du point de vue du jeune passeur, cela semblait infiniment plus logique, tant qu'à partir, d'attendre au moins de savoir quelle piste suivre pour réussir.
Dans les autres pays, et dans leur ancienne société également, les gens ne se fiaient qu'à eux-mêmes pour trouver le métier qui leur correspondait. Tobio ne voyait pas quel attrait résidait là-dedans. N'était-ce pas infiniment plus sûr et plus logique de laisser Sybille leur donner les réponses, maintenant que cela leur était disponible ? Au moins étaient-ils certains de ne pas faire d'erreur, de ne pas se retrouver, dans quelques années, face à une impasse absolue. Leur situation était déjà assez compliquée.
« Pourquoi ? » La voix du rouquin s'était parée d'accents légèrement sarcastiques. « Parce que cela n'a aucune importance » Il laissa quelques secondes de silence s'étirer avant d'ajouter : « Je ne veux plus rien attendre de Sybille. Aurais-je pu vraiment croire en ces résultats ? » La question laissa le passeur coi. « Peut-être que Sybille m'aurait dit que j'étais promis à un avenir glorieux de joueur de volley, ou de sportif. Mais est-ce que ç'aurait été la vérité ? Maintenant que je doute de tout ce système, je ne peux plus y croire aveuglément. » Sa voix trembla légèrement sur ces derniers mots.
« Sybille ne peut pas mentir, fut tout ce que le jeune homme aux cheveux noirs put répondre.
― Vraiment ?
― Bien sûr que oui ! Toute la société est fondée sur son jugement. S'il s'avérait qu'il était incorrect, qu'est-ce qu'il nous resterait ?
― Mais si le jugement de Sybille était aussi correct que tout le monde aime le dire, pourquoi ma sœur a-t-elle été jugée criminelle dormante ? »
Tobio manquait souvent de jugeote, il finissait par le comprendre, mais il estimait aussi s'améliorer : la preuve, il réalisa immédiatement qu'ils s'aventuraient sur un terrain miné. Il était borné, au moins autant que son interlocuteur, mais il accepta pour une fois de battre en retraite et n'insista pas. Il avait bien retenu de leurs précédentes altercations que le sujet « Natsu » était de ceux qu'il ne fallait pas prendre à la légère avec le rouquin et qui risquaient de le faire exploser ― littéralement.
Pour autant, en son for intérieur, il n'admettait pas entièrement la défaite. Certes, il reconnaissait que la petite sœur du central était très adorable, tant et si bien qu'il avait lui aussi du mal à imaginer que cette petite puisse réellement avoir un facteur criminel élevé. Mais en même temps, il ne concevait pas réellement que Sybille puisse se tromper. Il savait que sa position était confuse pour tout le monde, et surtout pour lui-même ; après tout, il était en train de fuir un système dans lequel il avait pourtant encore foi. Cela n'avait véritablement aucun sens, même lui le voyait.
« Quel plaisir de vous voir de si bonne humeur de bon matin. » Corbetti entra dans la pièce sans crier gare, en conservant malgré tout un ton assez bas pour ne pas réveiller la cadette de leur groupe ― c'était d'ailleurs un miracle que leur dispute ne l'ait pas tirée du sommeil.
« Vous avez des nouvelles du bateau ? » s'enquit immédiatement Hinata en changeant encore de position. Leur guide sembla hésiter à allumer la lumière pour mieux les voir, mais se ravisa et s'assit à même le sol devant la porte.
« Il a pris de la vitesse ces derniers jours, alors il passe ce soir. C'est le grand jour. » Le rouquin parut se retenir de toutes ses forces de sautiller d'impatience, puis sembla se souvenir de tout ce qui leur resterait à traverser ensuite.
« Vous ne serez plus là pour nous aider après...
― T'inquiète pas, petit. Vous vous en sortirez seuls, j'en suis sûr. Si vous parvenez à monter à bord de ce bateau, le plus dur sera passé.
― Mais ne risque-t-on pas de se faire arrêter par la police une fois sur le continent ? Voire de se faire jeter à l'eau par les marins à bord une fois qu'ils nous auront vu monter clandestinement ? » L'obscurité l'empêchait de bien discerner les traits de son interlocuteur, mais il devina que Corbetti lui jetait un regard noir.
« Est-ce que monsieur pessimisme pourrait, pour une fois, faire comme si tout allait bien se passer ? »
Je pose de véritables questions, marmonna en son for intérieur le susnommé. Il avait l'habitude de voir ses hypothèses se faire rejeter en bloc sous le prétexte de l'optimisme, mais s'en offusquait toujours. Il n'ajouta rien cependant, bien conscient qu'il n'aurait pas plus de réponse.
« On viendra vous chercher à dix-neuf heures et on vous expliquera tout. » conclut Corbetti, en lui jetant un regard appuyé après ces derniers mots. Alors qu'il allait ajouter quelque chose, sans doute une dernière parole d'encouragement, la porte derrière lui s'ouvrit subitement, le heurtant violemment par la même occasion dans le dos.
« Aïe ! » Son cri fit tressaillir Hinata et Kageyama, et réveilla en même temps la plus jeune. Le nouveau venu ― ou plutôt la nouvelle venue puisqu'il s'agissait de Mellori ― resta figée quelques secondes sur le pas de la porte, avant de ricaner.
« Corby, qu'est-ce que tu fiches planté devant cette porte ? J'ai failli renverser leur petit-dej' sur toi.
― Je prenais de leurs nouvelles sans réveiller Natsu. Grâce à toi, c'est chose faite. »
La jeune femme ne parut pas se soucier de cette remarque, et vint poser le plateau-repas sur la petite table basse.
« Ce n'est pas grand-chose, mais vous devez prendre des forces. A compter de ce soir, vous êtes des expatriés. » Le terme fit tressaillir les deux concernés. Ils avaient du mal à le réaliser.
« Le bateau va passer ? » Natsu semblait bien réveillée désormais, et observa la jeune femme toujours masquée avec son habituelle innocence enfantine. Celle-ci lui adressa un pouce en l'air ― à défaut d'un sourire qu'on ne pouvait pas voir.
« Avec un peu d'avance, ce soir. Il devrait passer au large de la côte vers dix-neuf heures. Vous embarquerez à bord d'un radeau à dix-huit heures pour être sûr qu'il n'y ait pas de décalage. Une fois que le bateau sera à proximité, vous grimperez à bord. Vous ne pourrez compter sur personne, n'oubliez pas. On vous donnera des vêtements déchirés, et vous vous ferez passer pour des naufragés. Normalement, les marins vous apporteront de l'aide. Et, une fois arrivé dans votre nouveau pays, vous oubliez tout, et vous recommencez de zéro. Des questions ?
― Oui, Tobio prit la parole, comment vous savez qu'un bateau va passer aussi précisément ?
― On a nos contacts. En tout cas, l'info est solide si c'est ce qui t'inquiète.
― D'accord. J'en ai une autre. Les marins ne vont-ils pas se méfier ? Il est clair que nous sommes jeunes et asiatiques, et ils vont nous trouver à proximité des côtes japonaises. Ils risquent de vite comprendre qu'on est du Japon non ?
― On aurait dû travailler ton optimisme, railla Corbetti, mais Mellori hocha la tête.
― Il a raison de penser à tout. Pour te répondre, eh bien, on ne sait pas exactement comment réagissent les marins puisque nous n'avons plus de contact avec les expatriés ensuite. Mais, si ça te rassure, on n'a jamais repêché le cadavre noyé de l'un de ceux qu'on a fait sortir ainsi, et ils n'ont pas été arrêtés par la SP non plus à ce qu'on sache, donc ils ont dû réussir ainsi. »
Tobio ne le formula pas à voix haute, mais il ne trouvait pas cette réponse particulièrement rassurante. Parce que, si Eitpheil n'avait plus de contacts avec ceux qu'il faisait s'échapper du Japon, cela signifiait qu'il n'avait aucun moyen de s'assurer qu'ils s'en sortaient vraiment. Pour ce qu'ils en savaient, ceux qui quittaient le pays finissaient peut-être par se faire prendre malgré tout, et par périr dans des circonstances terribles.
(Certes, il avait peut-être besoin de pratiquer son optimisme.)
« Si cela vous rassure, vous pouvez mettre au point un mensonge, reprit Mellori. Dites que votre bateau a coulé au large des côtes japonaises alors que vous vous baladiez en mer, et que vous n'avez pas pu accoster sur les ports japonais à cause de Sybille. Ils n'auront pas de mal à vous croire je pense.
― Mais comment va-t-on se faire passer pour des étrangers alors qu'on ne connaît rien du monde ? » Hinata prit soudainement la parole, avec raison. Ni lui ni Tobio ne connaissaient bien le monde extérieur apparemment. Si les marins les interrogeaient, ils ne sauraient pas quoi dire.
« Vous ne vous simplifiez pas la tâche hein, soupira la jeune femme. Corby, donne-moi un pays où on parle anglais.
― Les...
― Pas les États-Unis. Trop loin. Et tout le monde sait qu'ils n'approuvent pas le système du Japon, et qu'ils refusent d'envoyer des bateaux près d'ici. » Tout le monde savait ça ? songea Tobio, critique. Il ne se souvenait pas avoir jamais entendu qui que ce soit dire cela.
« Pourquoi pas l'Inde ? finit par dire Corbetti. C'est pas si loin du Japon j'crois. Après j'te rappelle que j'ai pas fini le lycée.
― Vous êtes tous des cancres, soupira Mellori. Mais bon, va pour l'Inde. J'espère que vous parlez anglais par contre. »
Tobio songea que tout cela s'annonçait bien plus compliqué que tout ce qu'ils avaient fait jusqu'à présent. Dans quelle mesure seraient-ils capables de berner leurs interlocuteurs ? Ne risquaient-ils pas de voir leurs efforts réduits à néant aussi près du but ? Il se posait sérieusement la question, mais ne la souffla pas à haute voix.
À la place, il regarda Hinata et sa sœur, qui échangeaient des sourires excités. Ils semblaient si heureux à la perspective d'être enfin libres. Alors, pour une fois, il ravala ses pensées négatives et se joignit à eux. Leur avenir était encore incertain, le sien bien plus que le leur, mais ils pouvaient prendre encore un peu de temps pour profiter de la paix... non ?
.::.
Quelques heures plus tard, ils purent enfin prendre l'air et découvrir le port clandestin dans lequel ils se trouvaient. Le soleil se couchait lentement, parant le ciel de couleurs aussi chaudes que les cheveux d'Hinata, et la mer semblait calme. Le port clandestin n'était ni grand ni impressionnant, bien au contraire. Deux embarcations de fortune flottaient doucement, amarrées à un pont en bois miteux qui ne semblait tenir debout que par un miracle divin quelconque.
Deux préfabriqués faisaient également office de bâtiment : celui où ils avaient passé la nuit, qui servait apparemment aussi de base de coordination des opérations pour les occupants du port, et un autre qui servait d'entrepôt. Tobio se demandait ce qu'abritait ce second bâtiment, en plus évidemment du matériel nécessaire pour naviguer ― l'entrepôt était trop grand pour ne contenir que cela.
« Prêts ? »
Mellori, qui les avait guidés jusque-là, se tourna vers eux. Elle désigna en même temps de la main le bateau qui allait les accueillir, une petite embarcation étroite. Un jeune homme qu'ils n'avaient jamais vus les y attendait, son visage dissimulé par les longs cheveux blonds qui lui tombaient devant les yeux ― voyait-il seulement quelque chose ?
« Je vous présente Rita. » déclara-t-elle ensuite. Le nouveau venu parut redresser la tête, et esquisser un sourire.
« Aurita. Tu es la seule à m'affubler de ce surnom, corrigea-t-il sur un ton rieur. Enchanté de vous rencontrer les jeunes ! » Étonnamment, Corbetti et Mellori se mirent à rire à cette remarque, et l'autre croisa les bras sur sa poitrine en fronçant les sourcils.
« Quoi encore ?
― Tu as leur âge, non ? » se moqua Mellori. Son interlocuteur soupira.
« Non. D'ailleurs, tu ne connais pas mon âge.
― Justement, de mon point de vue, vous avez le même. » Aurita sembla vouloir rajouter quelque chose, mais se ravisa et se reconcentra sur Hinata, Natsu et Tobio.
« Bon. Je vais vous emmener en bateau jusqu'au chalutier qui va passer. Ensuite, bon vent ! »
La décontraction avec laquelle il dit ces mots laissa Tobio songeur ― à l'entendre, il ne s'agissait que d'une formalité enfantine qu'il n'aurait aucun mal à accomplir. Sans doute avait-il l'habitude, mais quand même...
« Rita est un pro, vous en faites pas. » Corbetti sembla lire dans ses pensées, puisqu'il ajouta ces mots soudainement, faisant grimacer l'autre au surnom.
« Et en bon pro que je suis, je ne vais pas les mettre en retard. Allez, montez dans le bateau. »
Tobio esquissa le geste de monter dans l'embarcation, mais il remarqua ensuite qu'Hinata et sa sœur avaient marqué une pause. Ils observaient tous les deux Corbetti et Mellori, et l'aîné finit par s'incliner doucement et inciter sa sœur à en faire de même.
« Merci pour tout, vraiment. » Les deux membres d'Eitpheil échangèrent un regard, avant de lui sourire. Mellori frotta affectueusement les cheveux du jeune homme devant elle et l'incita à se redresser.
« Ne nous remercie pas. C'est normal.
― Aider les gens qui en ont besoin, c'est un peu le but de notre vie, ajouta Corbetti, inhabituellement sérieux. Et puis, tu n'avais pas besoin d'en baver seul pour t'en sortir. » Tobio songea, à ces mots, qu'en effet, le rouquin avait dû malgré tout porter sur ses épaules de lourdes responsabilités en embarquant sa sœur dans cette folie.
« C'est bientôt fini, ajouta finalement Aurita. Tu vas pouvoir souffler. »
Hinata s'inclina une nouvelle fois pour les remercier, sa sœur également, et Tobio remercia aussi à son tour ceux qui les avaient aidés. Il finissait presque par se sentir illégitime, car il réalisait soudainement que, contrairement à Hinata, il n'avait porté sur ses épaules aucune lourde responsabilité. Il s'était jeté dans toute cette histoire sans la moindre hésitation, et sans en souffrir particulièrement.
Contrairement à son camarade, qui avait tout fait pour sauver sa sœur et renoncé à son avenir pour cela.
« Soyez prudents. » Natsu s'exclama subitement, à l'intention des membres d'Eitpheil. Ils l'observèrent avec surprise, avant de sourire.
« Toi aussi. »
Le petit groupe grimpa ensuite sur le bateau que leur avait désigné Aurita. Le jeune homme fut le dernier à y monter, et leur sourit ensuite largement.
« Faites vos adieux au Japon chers amis. » Il leur désigna au bout de quelques secondes l'horizon face à lui. « Et dites bonjour à votre nouvelle vie. »
Un bateau se détachait vaguement, au loin.
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