01.1 :: 𝙇e système contre lequel on ne pouvait se dresser

nda ― chers lecteurs, bonne année ! c'est avec plaisir que je vous retrouve déjà en 2021, avec cette nouvelle histoire. j'y ai mis tout mon cœur et mon âme, et j'espère que la qualité finale de cette première partie est à la hauteur de vos envies de lecture 💫

voilà deux ans que je n'avais rien publié sur Haikyuu, alors ça me satisfait d'autant plus de revenir enfin, avec une histoire bien plus en accord avec moi-même et mon style actuel que les deux autres datant de 2018.

sans compter que Psycho-Pass est un univers qui m'inspire énormément, et sur lequel écrire représente un défi, car l'anime en lui-même est extrêmement philosophique et sociologique. ce sont deux matières que j'affectionne beaucoup (surtout la sociologie), alors c'est un plaisir de relever le défi implicite et d'essayer de retranscrire l'ambiance du monde dans mon écriture.

comme annoncé, je vous retrouve dans deux semaines, donc le 15 janvier.  d'ici là, passez une excellente rentrée (n'oubliez pas votre masque et vos gestes barrières si vous faites partie des privilégiés encore en présentiel), et j'espère que 2021 sera plein de bonnes choses pour vous <3

CHAPITRE UN — LE SYSTÈME CONTRE LEQUEL ON NE POUVAIT SE DRESSER
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Shôyô prit une profonde inspiration avant de passer la porte de la salle de classe où il allait passer toute sa journée. Immédiatement, des salutations enjouées l'accueillirent, auxquelles il répondit sur le même ton tandis qu'il rejoignait sa place au fond de la salle.

Comment tu vas ? Tu as révisé pour l'examen ? Tu vas au club ce soir ? Toujours les mêmes questions, toujours les mêmes réponses. Super ! Ah, c'est vrai, on a un examen aujourd'hui, j'avais zappé ! Évidemment, on a un match dans une semaine ! Il était arrivé à un moment où les réponses lui venaient naturellement sans qu'il n'y réfléchisse, comme un correcteur orthographique qui retenait les phrases écrites trop souvent.

Shôyô répétait chaque jour les mêmes gestes, les mêmes phrases, les mêmes sourires, comme un disque que l'on faisait tourner en boucle car on ne pouvait pas s'en passer. Ses tourments, ses pensées, il les cachait au fond de lui car il ne pouvait pas se permettre de les montrer. Un jour tout le monde saurait, un jour tout cela s'effondrerait, mais ce jour-là, il ne voulait pas le voir arriver alors il le retardait.

Parfois, il était plus simple de fuir ses problèmes que de s'y confronter. Et même s'il n'était pas un homme qui fuyait devant l'opposant, cet ennemi-là, il ne pouvait rien faire contre lui. Les faits divers le prouvaient sans cesse. On ne gagnait pas contre le système. Quand bien même on essayait de toutes ses forces, quand bien même on y mettait toutes les prières du monde.

« Hinata ! Tu as pensé à t'inscrire sur la liste pour l'examen final ? » La voix de Yamaguchi changea sa routine alors qu'il rejoignait sa place, et il se tourna avec une joie presque non feinte vers son ami aux cheveux verts qui était aussi son voisin de devant.

« Ça ne se fait pas automatiquement ? s'exclama-t-il.

Tu dois envoyer un formulaire pour confirmer ton inscription quand même.

Je ne savais pas, gémit le jeune homme aux cheveux roux.

Dépêche-toi. Ce serait trop bête que tu refasses une année pour rien. Et puis, on a dit qu'on entrerait dans la vie active ensemble, pas vrai Tsukki ? »

Le susnommé « Tsukki », Kei Tsukishima de son nom complet, eut pour toute réponse un reniflement méprisant accompagné d'un regard moqueur en direction de Shôyô. Avec sa grande taille, ses cheveux blond clair et son attitude hautaine à toute épreuve, il était presque la mascotte de leur classe : tout le monde dans leur école le connaissait. De l'autre côté, Tadashi Yamaguchi, avec ses cheveux verts et ses tâches de rousseur, était beaucoup plus banal mais bien plus apprécié et gentil que son ami d'enfance. Combien de fois le rouquin s'était-il demandé comment les deux garçons parvenaient à s'entendre ?

« De toute façon, lâcha Tsukishima sur son ton moqueur habituel, vu les résultats d'Hinata, je ne pense pas qu'il reçoive beaucoup de propositions. Même Sybille ne saura pas quoi faire de lui.

Tais-toi ! s'insurgea le concerné. Ce n'est pas parce que tu as été major de promo aux derniers examens que tu dois prendre tout le monde de haut !

Je ne peux pas faire autrement tu sais, vu la taille des autres et surtout la tienne. »

La petite taille de Shôyô était son plus grand complexe et faire des critiques dessus suffisait en général à l'énerver, mais l'entrée de la salle de leur professeur principal l'empêcha de répliquer quelque chose. Il sortit vite ses affaires pour ne pas attirer sur lui la foudre du professeur Takeda et essaya de prêter attention à son cours de japonais malheureusement très ennuyeux. Le jeune homme n'était pas une tête en classe, et la majorité des cours l'ennuyait. Il préférait courir et faire des activités physiques et il espérait que Sybille s'en rendrait compte au moment de déterminer quel travail était fait pour lui.

Contrairement à nombre de ses camarades, le résultat global qu'il allait avoir au test d'aptitudes du système Sybille ne lui importait pas tant que ça. Il visait juste un score assez élevé en éducation physique afin d'obtenir des propositions d'emploi qui ne consisteraient pas à rester enfermé dans un bureau pendant de longues journées de travail. Si jamais il se retrouvait forcé de travailler comme fonctionnaire, il ne s'en remettrait pas.

La seule fois où il s'était confié à quelqu'un sur ces inquiétudes vis-à-vis du futur que Sybille lui réserverait, c'était quelques semaines plus tôt, lors de la rencontre obligatoire avec les conseillers-psychologues dépêchés par le ministère de l'éducation dans les établissements scolaires japonais chaque année. Cet entretien visait à contrôler le psycho-pass des élèves, et également à aborder des sujets personnels pouvant potentiellement affecter celui-ci et impacter leur résultat final, et leur avenir à long terme.

La jeune femme qu'il avait rencontré ce jour-là ― et qui semblait à peine plus âgée que lui avait-il remarqué avec étonnement ― l'avait écouté pendant qu'il lui expliquait qu'il craignait que Sybille ne lui propose pas d'emplois qui lui seraient adapté. Elle n'avait répondu qu'une chose, une seule phrase prononcée sur un ton monocorde : Sybille est infaillible, il ne se trompera pas.

Mais quelle foi pouvait-il accorder à ces mots, à ce système informatique, quand il était la cause de tous ses problèmes ? Comment parvenir à y croire quand chaque soir, en rentrant chez lui, il était témoin de la cruauté et de l'injustice du système ? Même s'il essayait de fermer les yeux dessus pour ne pas aggraver la situation, son facteur criminel avait grimpé de dix points en l'espace de deux mois. La frustration accumulée chaque jour finissait par se faire ressentir sur son état psychologique, tandis qu'il était dans un conflit permanent avec lui-même pour déterminer si c'était une mauvaise chose ou non.

Il fit de son mieux pour se concentrer sur chacune des heures de cours qu'il enchaîna dans la matinée, mais y parvint difficilement et abandonna en général au bout d'une dizaine de minutes. Lorsque la pause déjeuner arriva enfin, il poussa un long soupir de soulagement en s'affalant sur sa table, déclenchant les rires de ses camarades.

« Voilà ce qui arrive lorsqu'un homme au cerveau trop petit essaye de réfléchir, se moqua comme à son habitude Tsukishima.

Tais-toi ! bougonna Shôyô. Tout le monde sait qu'on te proposera un poste important vu tes notes, pas la peine de t'en vanter autant.

Tsukki est en compétition permanente pour le poste qu'il désire tu sais ! » fit observer Yamaguchi joyeusement. Son ami blond détourna le regard en marmonnant quelque chose qui devait être une injonction de ne pas raconter ça à tout le monde, mais l'autre continua comme si de rien n'était.

« Le poste qu'il désire ? répéta le rouquin. C'est quoi ?

Un poste d'inspecteur à la Sécurité Publique ! » À voir l'enthousiasme du jeune homme aux cheveux verts, on aurait presque pu croire qu'il parlait de son propre cas.

« SÉRIEUX ? »

Hinata était assez surpris par cette nouvelle information. Connaissant le caractère de Tsukishima, il ne le voyait pas du tout risquer sa vie pour protéger les honnêtes citoyens et mettre en péril son facteur criminel en côtoyant les criminels dormants de la Sécurité Publique. Mais, d'un autre côté, tout le monde savait que le jeune homme était intelligent et perspicace, alors il décrocherait probablement de nombreuses propositions de postes dans des ministères, dont peut-être celui des Affaires Sociales.

« Le problème, c'est que c'est très difficile d'entrer à la SP, poursuivit Yamaguchi en observant son ami d'enfance à la dérobée. Le profil requis est très strict et il faut des résultats optimaux.

Je n'aime pas trop dire ça mais je pense que tu peux y arriver Tsukishima ! s'exclama Shôyô. Tu es le meilleur élève du lycée ! » Malgré ses encouragements sincères, l'autre le toisa sans rien dire pendant quelques secondes.

« Le meilleur, peut-être, mais il y a un autre élève qui pourrait très bien recevoir une proposition d'admission à la SP, lâcha-t-il finalement.

Qui ?

Un élève de l'autre classe. Tobio Kageyama. »

Le nom n'était pas inconnu au jeune homme énergique et il se souvint vite pourquoi : c'était l'un de ses coéquipiers ! Ils se parlaient rarement ― Shôyô n'aimait pas ses airs supérieurs ― mais il voyait bien de qui il s'agissait. Il était très talentueux, mais il gâchait quelque peu ce talent avec son agressivité naturelle dont il ne se détachait jamais. En plus...

« Je croyais qu'il avait des résultats scolaires faibles ? » Il avait souvent entendu ses camarades vanner le jeune homme sur ce sujet.

« D'un point de vue scolaire, il ne brille pas, mais sur le plan physique, il a une forme excellente. Et il est aussi observateur il paraît. Sans compter que ses parents sont aussi de la SP. Et que son psycho-pass est extrêmement stable. »

La liste de qualité que déblatérait Yamaguchi sur un ton blasé fit se rembrunir les deux jeunes hommes : l'un probablement parce qu'il voyait en Kageyama un immense rival, l'autre parce qu'il n'appréciait pas spécialement celui dont il était question. Un psycho-pass extrêmement stable... Le rêve de tous les concitoyens japonais aujourd'hui. Malheureusement, rares étaient ceux qui disposaient du calme à toute épreuve nécessaire au maintien d'un psycho-pass clair, et la plupart se ruinaient juste en traitements médicaux et en thérapies pour faire illusion.

« Mais ! reprit Tadashi en pointant un doigt déterminé vers son ami. Tu le surpasseras aussi Tsukki, j'ai confiance en toi ! » Le blond susnommé dévisagea son ami de son regard impénétrable avant de hocher la tête :

« Évidemment. »

La confiance dont il faisait preuve avait le don d'énerver Hinata, mais cette fois, il tint sa langue. Dans ce genre de situation, Tsukishima essayait probablement plus de se convaincre lui-même en même temps que les autres. À sa place en tout cas, c'était ce qu'il ferait. Face à un tel rival, le rouquin se serait battu de toutes ses forces lui aussi, d'autant plus qu'il détestait la défaite. Il ne savait pas ce que signifiait le mot « renoncer », on le lui disait souvent en le lui présentant comme une qualité ou un défaut selon les circonstances.

Son ventre gargouilla soudainement de façon très sonore et il réalisa qu'il mourait de faim. Il se leva d'un bond sous les regards surpris et amusés de ses camarades et détala vers la cafétéria, réalisant que sa conversation avec Tsukishima et Yamaguchi lui avait fait prendre du retard et qu'il risquait de ne pas trouver son bonheur pour se sustenter. Il slaloma à toute vitesse entre les élèves et atteignit ainsi l'endroit de restauration quelques minutes à peine après son départ.

Il avisa un dernier sandwich au jambon pas encore acheté par un élève et se dépêcha de l'attraper pour en faire son déjeuner. Une autre main fut cependant plus rapide et se saisit de l'aliment sans la moindre compassion pour le rouquin qui comptait le manger.

« C'est injuste ! » gémit-il, s'attirant alors l'attention de celui qui lui avait dérobé son précieux repas.

Lorsqu'il croisa deux yeux bleus glacés, il réalisa que son interlocuteur n'était autre que Tobio Kageyama, le fameux rival de Tsukishima. Le jeune homme aux cheveux noir corbeau le dévisagea, visiblement perplexe ― et Shôyô se demanda si c'était parce qu'il ne comprenait pas sa remarque ou parce qu'il ne parvenait pas à se souvenir de son prénom.

« Tu ne veux pas me laisser ce sandwich ? tenta-t-il d'implorer.

Non, répliqua l'autre en fronçant les sourcils. C'est le mien.

S'il te plait !

Tu peux prendre autre chose, regarde, il reste des sandwichs là !

Je suis allergique à ceux-là ! »

(Cette remarque était parfaitement fausse, il ne les aimait juste pas. Mais cet argument n'aurait pas pesé dans la balance face à son interlocuteur visiblement buté, alors il avait un peu brodé autour. Un mensonge aussi petit n'allait sûrement pas faire augmenter son facteur criminel de toute façon.)

Kageyama le dévisagea longuement de son regard gelé et le jeune homme crut pendant quelques instants qu'il avait gagné la partie et qu'il allait pouvoir savourer son délicieux sandwich au jambon. Mais l'autre secoua la tête avant de se détourner pour aller payer son repas, le laissant immobile au milieu de la cafétéria, les mains vides.

Lorsqu'il remonta dans sa salle de classe quelques minutes plus tard, la faim dans les talons et rien pour la satisfaire, il songea que, pour une fois, il était vraiment du côté de Tsukishima. Il avait intérêt à décrocher une place à la SP tandis que Kageyama n'en aurait pas : il ne méritait pas d'être inspecteur, il lui avait volé un sandwich !

Il se rassit à sa place la mort dans l'âme, prêt à attendre la fin des cours et de son entraînement quelques heures plus tard pour rentrer chez lui et se faire un bon repas. Il aurait pu acheter l'un des sandwich restants, mais il ne les aimait vraiment pas et préférait encore s'affamer que de dépenser son argent pour un repas en demi-teinte. Heureusement, il pouvait compter sur la bonté de Yamaguchi, qui se préparait ses propres repas et qui lui offrit une part de son bentô, sous le regard réprobateur de Tsukishima.

En mâchonnant un bout d'omelette, le rouquin laissa son regard dériver par-delà la fenêtre, sur la cour de l'école, et observa les élèves qui avaient bravé le froid pour sortir profiter des premiers rayons de soleil. Ils apparaissaient particulièrement tôt cette année, ils étaient à peine en février, en attestait la température encore glaciale qui régnait dehors. Le gymnase où s'entraînait son club, le club de volley, était tout aussi froid et ils mettaient souvent un bon moment avant de se réchauffer et de jouer correctement.

La saison était terminée de toute manière, même s'ils avaient encore un match amical à disputer juste avant l'examen de Sybille. Il aurait lieu la semaine prochaine, deux jours avant la date fatidique du test, et les opposerait à leur plus grand rival. Les affiches étaient déjà disposées dans leur établissement, invitant tous les élèves à s'y rendre et honorant la réputation du lycée Karasuno de prioriser le sport.

Venez assister au dernier affrontement entre Karasuno et Seijoh ! annonçaient les jolis prospectus colorés réalisés par le club d'arts plastiques. Le club de volley-ball était le deuxième club le plus important du lycée, après celui de base-ball, et à égalité avec celui de basket. Ils avaient leur propre gymnase et jouissaient d'une réputation assez importante parmi les clubs nationaux. C'était en grande partie grâce à leurs aînés, qui avaient laissé un héritage de coupes et de titres nationaux important, ainsi que des conseils avisés.

Il se demandait d'ailleurs si Suga et Asahi viendraient assister au dernier match de leurs anciens cadets. Ils étaient sans doute très occupés avec leurs emplois respectifs, mais peut-être parviendraient-ils à se libérer malgré tout. Shôyô aurait vraiment voulu jouer ce dernier match en sachant qu'ils étaient là pour le voir. Ses deux aînés lui avaient beaucoup appris : c'était grâce aux passes de Suga qu'il avait pu considérablement améliorer ses attaques et en mettre au point des redoutables, et grâce aux conseils d'Asahi qu'il avait pu compenser sa petite taille par la puissance.

Il décida d'envoyer un message au gris pour lui poser la question et ainsi savoir s'il pouvait espérer les voir. Il avait à peine envoyé son message interrogateur qu'il recevait déjà une réponse affirmative de son aîné, qui lui promettait que Asahi et lui seraient présents pour assister aux derniers instants de leur cadet sur le terrain. Évidemment, Shôyô trouverait un moyen de continuer le volley après le lycée, mais il allait réaliser ses dernières attaques en tant que central de Karasuno. Il se sentait triste à cette pensée, il ne voulait pas dire adieu à ce lycée qu'il avait tant aimé, à son équipe talentueuse aussi, avec qui il s'entendait si bien. Il ne voulait pas remettre son avenir entre les mains de Sybille.

Mais quel choix avait-il ? Rien de ce qu'il ne pouvait penser ne changerait quelque chose. Sybille était la fatalité de leur monde, la chose à laquelle ils ne pouvaient échapper. Qu'il l'accepte ou non, sa vie était entre les mains de ce système. Aujourd'hui, comme jusqu'à son dernier souffle.

Ou jusqu'à ce que le système s'effondre.

« Belle réception !

Attention, elle sort !

Plus fort, tu peux y arriver ! »

Les cris énergiques des coéquipiers de Shôyô l'accueillirent lorsqu'il posa un pied dans le gymnase de l'équipe de volley-ball. Ils avaient déjà commencé à s'entraîner, ce qui était normal puisque le rouquin était un peu en retard comparé à son habitude. Il avait dû rester plus longtemps dans sa salle de classe car il était de corvée de ménage.

Alors qu'il rejoignait ses camarades en essayant de s'intégrer discrètement au groupe qui pratiquait ses services, il sentit un regard insistant peser sur lui et se retourna pour croiser une nouvelle fois les orbes bleus de Kageyama. Le jeune homme pratiquait ses réceptions avec les premières années mais son regard était fixé sur le rouquin, qui fit de son mieux pour l'ignorer. Il n'avait toujours pas digéré l'événement survenu le midi même.

Chikara Ennoshita, un autre troisième année aux yeux rieurs, toujours sympathique, lui adressa un petit signe de main avant de lui faire signe qu'il pouvait y aller. Malgré tous les efforts du monde, les services smashés donnaient toujours du fil à retordre à Shôyô et il les ratait un peu trop souvent au goût de ses coéquipiers. Mais il avait beau s'entraîner, il ne parvenait absolument pas à trouver le coup de main. Sans doute sa petite taille l'handicapait trop ― mais jamais il ne le reconnaîtrait.

Après plusieurs essais plus ou moins fructueux, il décida d'aller chercher sa gourde d'eau et d'en profiter pour saluer leur manager, Hitoka Yachi. La jeune femme aux cheveux blonds comme les blés était à leurs côtés depuis la première année également. Avec Kageyama et Ennoshita, ils étaient le petit bloc des anciens qui allaient disputer leur dernier match. Sauf si l'un d'eux redoublait, comme cela avait été le cas d'Ennoshita l'année précédente, mais c'était une situation extrêmement rare.

« Hinata, le salua la jeune femme en lui tendant sa gourde, tu as l'intention de réussir tous tes services smashés pour le dernier match ?

Sugawara et Asahi seront là ! Je veux les épater ! » s'exclama-t-il en sautillant. Il sentait toujours peser sur lui le regard de Kageyama de temps à autre, et cela commençait à l'agacer. Il se pencha vers son amie pour murmurer : « Kageyama agit bizarrement non ?

Pas plus que d'habitude, répondit la jeune femme sur le même ton.

J'ai l'impression qu'il n'arrête pas de me fixer... » Yachi resta silencieuse quelques instants, ses yeux marrons passant de l'un à l'autre des deux joueurs.

« Tu lui as fait quelque chose ? souffla-t-elle ensuite.

C'est lui qui m'a fait quelque chose ! Il a refusé de me laisser le dernier sandwich au jambon à midi ! »

Yachi le dévisagea quelques secondes avant de pouffer d'amusement. Face à cette réaction, Shôyô affecta une mine boudeuse et voulut protester : ce n'était pas marrant ! Sans la gentillesse de Yamaguchi, il serait en train de mourir de faim. Mais avant qu'il ne puisse formuler sa protestation, une voix les interpella :

« Eh ! Vous comptez rester là à bavarder longtemps ? » Kageyama les toisait depuis sa place. Hinata lui rendit son regard mauvais mais ne répliqua rien, se contentant de le fixer intensément avec agacement. Qu'est-ce qu'il lui prenait à celui-là aujourd'hui ? Soucieux de détendre l'ambiance et de répondre à ses obligations de capitaine, Ennoshita intervint :

« On se rassemble ! On va faire un match d'entraînement en petit comité. Juste pour pratiquer notre spécialité à tous. »

On reconnaissait dans sa façon de détendre l'atmosphère et de parler calmement, l'influence du précédent capitaine dont il avait été le coéquipier pendant deux ans, Kôchi Sugawara. Le jeune homme aux cheveux argentés était connu de tous pour son calme olympien et effrayant à la fois, et sa capacité à apaiser toute son équipe très aisément, là où même les professeurs peinaient à s'en sortir. Ennoshita avait dignement pris sa relève, avait plaisanté Suga la première fois qu'il avait vu son cadet à l'œuvre.

Sans protester, les membres de l'équipe masculine de volley de Karasuno se répartirent sur le terrain. Yachi lança la balle en direction du groupe plus proche d'elle, et le jeu en même temps. Ils effectuaient ces petits matchs régulièrement, en un set seulement. Il s'agissait juste pour eux de s'entraîner brièvement dans les conditions d'un match, certes très détendu mais quand même.

Ils étaient tous impatients de disputer leur match contre Seijoh. L'équipe du lycée privé Aoba Johsai, situé non loin du leur, avait toujours été leur principale rivale lors des tournois inter-lycées. Elle n'était pas l'équipe la plus forte de la capitale ― bien que très douée ―, mais ses membres entretenaient une aversion particulière à l'égard de Karasuno depuis de longues années, après une histoire de trophée étrange et difficile à comprendre tant les détails différaient selon ceux qui la racontaient.

Les plus redoutables avaient quitté le lycée deux années plus tôt ― Tooru Oikawa et Hajime Iwaizumi pour les nommer, entre autres évidemment car l'équipe de Seijoh était puissante et talentueuse ― mais ils leur avaient quand même donné du fil à retordre au cours des tournois précédents. Ce qui n'avait pas empêché Karasuno de les vaincre à deux reprises au cours de la saison, pour leur plus grande satisfaction. Et ils comptaient bien continuer sur cette lancée la semaine suivante.

Lorsque l'entraînement s'acheva, Shôyô resta un peu pour pratiquer ses réceptions. Tu fais du zèle comme toujours ! plaisantèrent ses coéquipiers en le laissant seul dans le gymnase. Le rouquin répondit à ces phrases avec un sourire amusé, mais en réalité, il voulait surtout retarder le moment de rentrer chez lui. Il n'avait pas envie de retourner dans l'ambiance lugubre de sa maison autrefois si chaleureuse, d'entendre les pleurs et les sanglots de sa chère famille auparavant si joyeuse et de voir les visages désespérés qui avaient remplacé les sourires.

Il fuyait le cauchemar qu'était devenu son havre de paix, le plus longtemps possible en tout cas.

Il continua ses réceptions jusqu'à ce que le drone-concierge vienne lui dire de rentrer chez lui car il allait fermer l'établissement. Shôyô se changea en vitesse et quitta le lycée à toute allure pour attraper son train et ainsi ne pas geler sur le quai de la gare pendant dix minutes. Mais alors qu'il passait le parvis du lycée, il manqua de heurter une personne sur le trottoir d'en face. Qui pouvait donc se trouver encore là à cette heure tardive ? Étonnamment, à croire que c'était un coup du destin, il s'agissait encore de Tobio Kageyama.

Le jeune homme reposa sur lui un regard bleu toujours aussi froid mais empreint d'une intensité qui finissait par mettre Shôyô mal à l'aise. Il avait envie de confronter son camarade sur son comportement étrange, mais son train n'allait pas l'attendre, aussi il se contenta de marmonner une excuse avant de filer à toute allure. La voix du jeune homme aux cheveux noirs le retint cependant dans sa fuite :

« Hinata ! » Le nom de famille du rouquin résonna dans le silence nocturne et le susnommé se retourna avec méfiance vers Kageyama. Il était à la fois surpris d'entendre le jeune homme l'appeler par son nom et agacé par l'intonation impérieuse sur laquelle il l'avait prononcé.

« J'ai un train à prendre, répliqua-t-il en faisant la moue et en jetant un coup d'œil à l'heure. Qu'est-ce que tu veux ?

Qu'est-ce qu'il t'arrive ? »

La question laissa Shôyô sans voix ― chose extrêmement inhabituelle pour lui qui s'exprimait toujours avec un débit rapide sans jamais s'interrompre ― tant il ne s'y attendait pas. Il fixa quelques secondes son interlocuteur, hébété ; celui-ci haussa un sourcil devant le silence prolongé du rouquin.

« Q-Qu'est-ce que tu veux dire ? » demanda-t-il d'une voix qui vacilla légèrement, pour son plus grand malheur ― cela ne lui ressemblait tellement pas, mais la question de Kageyama venait de le figer.

« Tu agis bizarrement depuis quelques jours. Je trouve. » lâcha le jeune homme aux cheveux noirs en guise de réponse. Shôyô déglutit et répliqua d'une voix plus assurée :

« C'est toi qui es bizarre. Je vais parfaitement bien ! »

Il ponctua sa déclaration d'un saut enjoué pour essayer de convaincre le jeune homme, qui le dévisagea sans rien dire, visiblement dubitatif. Le rouquin resta aussi silencieux pendant quelques instants, légèrement anxieux. Il ne pensait pas que quelqu'un le percerait à jour, et que ce quelqu'un serait Tobio Kageyama.

« J'ai un train à prendre, souffla-t-il finalement en masquant du mieux possible sa détresse, et désireux de se soustraire à cette situation catastrophique. Alors, à demain ! »

Sans attendre de réponse, il décampa à toute allure. Il avait intérêt à courir bien vite pour attraper son train ― d'ailleurs il n'allait probablement pas l'avoir quand il y pensait, il avait perdu trop de temps à discuter avec Kageyama. Il allait devoir affronter le froid aujourd'hui, songea-t-il. Au moins, la course le réchaufferait.

Sa vue se brouilla quelques secondes, conséquences des larmes qui commençaient à monter ― était-ce le froid glacial ou les mots de Kageyama qui faisaient remonter les mauvais souvenirs ? Sans le vouloir, le jeune homme avait remémoré à son camarade tout ce qu'il essayait d'oublier pendant qu'il était au lycée. Il lui avait rappelé la rude réalité qui l'attendait chez lui.

Il ralentit un peu le rythme en arrivant au niveau des galeries marchandes, et se surprit à observer les boutiques illuminées. La nuit était obscure, la lune voilée par les nuages noirs annonçant l'orage à venir, mais les hommes et femmes qui s'y trouvaient riaient joyeusement. C'était comme une bulle dans un autre monde, une fenêtre ouverte sur l'autrefois, quand les gens étaient encore libres de penser ce qu'ils voulaient sans craindre d'être enfermés, et quand personne n'avait à se soucier de sa santé mentale ou de son psycho-pass.

« Monsieur ? » La voix déshumanisée d'un drone le fit sursauter. Le robot s'était arrêté à quelques centimètres de lui et le dévisageait avec ses « yeux lumineux ». « Votre teinte est un peu trouble. N'hésitez pas à prendre rendez-vous avec un spécialiste. Le bien-être de tous est notre priorité ! »

En même temps, il affichait sur lui les données relatives au rouquin : un psycho-pass orange vif et un facteur criminel de 71. Il était encore loin du seuil heureusement. Il se contenta donc de hocher la tête avec une fausse gratitude, et reprit son chemin sans s'arrêter. Sa rêverie était terminée, la réalité l'avait rattrapé. Sybille était partout, Sybille voyait tout. Et il verrait sans aucun doute la vérité, quand plus personne ne pourrait la cacher.

Il recommença à courir une fois qu'il se fut suffisamment éloigné des rues peuplées, et se mordit la lèvre jusqu'au sang pour ne pas céder au désespoir et à la tristesse. Il sentit le goût métallique du liquide se répandre dans sa bouche, mais l'ignora et poussa encore plus loin ses limites physiques. Il voulait juste que tout s'arrête... pas sa vie, certainement pas, mais la société et la façon dont elle tournait. Il savait que ce genre de pensées ne faisait qu'empirer son cas et son psycho-pass déjà trouble, mais il ne pouvait s'en empêcher.

Il voulait juste que sa sœur soit heureuse. En quoi était-ce un crime ?

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