Les mots sont morts. Ils gisent tous les jours à huit heures sur la place du tribunal, les passants font semblant de ne pas les voir en les écrasant.

"Vous n'existez pas. Personne ne vous a jamais prononcés. ", pense trop fort une petite fille apeurée.

Un des cadavres frémit, à demi-étouffé sous une semelle.
Il y a des gens qui les ont mal utilisés, qui les ont éventrés, fracassés, égorgés en les balançant dans le monde. Il y en a qui leur ont fait mal en crachant de la haine, qui les ont déchirés si petits qu'on ne peut plus que les murmurer.

"Vous ne voulez rien dire. Vous êtes dangereux."

Mais ce ne sont pas leurs mots. Ce sont des mots qui se prêtent, s'échangent. Des mots qui dansent de bouche en bouche et qui parfois se heurtent au fer d'une langue sanglante. Il y a support et symbolique, entité et propriété.

"Vous êtes sales. Vous êtes méchants. "

Mais aucun d'eux n'est taché, ceux qui se les approprient égoïstement sont esclavagistes, et la liberté ne s'acquiert qu'en les renversant.

Les mots sont morts. Et pourtant, recroquevillés sur les pavés, ils pleurent.