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J'aurais aimé dire que je me foutais de toute cette histoire, mais en vrai, ça me préoccupais. Pas dans le sens ouh là là! je vais me faire un ami ; plutôt du genre à me demander si il manquait une case à ce Mikael. Est-ce que c'était normal de venir comme ça devant quelqu'un, de lui dire « eh dis donc, tu serais pas un gros asocial? Parce que je t'ai trouvé vraiment bizarre tout à l'heure » ? Peut-être. J'avais perdu l'habitude qu'on me parle. Mais n'empêche, il me semblais que la majorité des gens n'étaient pas si directs. 

Bref, j'ai plus ou moins fait une nuit blanche, et je me suis levé à sept heures et demi du mat', à la bourre. Je me suis brossé les dents, je me suis habillé, puis j'ai foutu mon sac sur l'épaule. Comme rien ne me faisait envie dans le frigo (Joie! Des fruits pourris et du lait caillé!), j'ai enfilé mes chaussures le ventre vide. Au moment de partir, j'ai lancé:


— M'man?


Pas de réponse. Je me dis que j'aurai bien aimé rester ici, seul. Mais non. De toute façon, le lycée pouvait appeler mes parents et je n'avais aucune envie que ma mère rapplique là pour m'en coller une.


— J'y vais, soupirai-je pour moi-même.



*


C'est comme ça que se sont déroulées la plupart de mes journées, pendant un mois. Comme prévu, Mikael m'a bel et bien foutu la paix. Parfois, je me tournais vers lui, et je le voyais rire à ce que disait un gars ou une fille dont je ne connaissais pas le nom.

Tant mieux.

À contrario du collège, personne ne venait me faire chier, et je dois l'avouer, c'était génial. Cela me renforçait dans l'idée que c'était grâce à mon isolement volontaire que je devais ma tranquillité. 

Le fait était que mes années de collège ne s'étaient pas vraiment déroulées ainsi. Alors que j'avais passé une primaire plutôt solitaire, arrivé au collège, j'ai essayé de me faire des amis. Je ne sais pas vraiment ce que les autres gamins ont vu en moi. Ils se sont peut être dits que je ne paraissais pas à l'aise. Que je n'avais pas les mêmes centres d'intérêts qu'eux. Toujours est-il que, dès la sixième, ils se sont mit à me raquetter. Et quand j'ai commencé à riposter, à me frapper. En conséquence, j'ai commencé un programme intensif : durant les grandes vacances, je m'étais inscrit dans un camp très dur d'arts martiaux, puis j'avais pratiqué la boxe toute l'année. J'ai continué ce programme jusqu'en fin troisième ce qui fait que, même si j'ai arrêté cette année, je suis plutôt rodé, question self-défense. À partir de la quatrième, quand les gars se sont rendus compte que venir me chercher des noises n'était pas une bonne idée, ils ont arrêté de me côtoyer... Mais le problème, c'est qu'ils en connaissaient assez sur moi pour me blesser autrement que par des coups. Ils ont répandu des informations malheureusement vraies sur moi. Que mon père était violent. Que ma mère était alcoolique. Puis, comme je l'ai déjà dit, ils sont venus jusqu'à chez moi pour venir mettre notre maison sans dessus dessous. Les flics n'avaient trouvé aucune preuve mais je savais que c'était eux, alors je les ai frappés.      

Après cet épisode, la rumeur comme quoi j'avais moi même tout cassé chez moi et accusé à tort ces connards a couru sur tous les toits et personne ne m'a plus approché.     

Et, je dois l'admettre, la période où plus personne ne me parlait était la meilleure de toute ma scolarité. Tout mon échec scolaire venait de là : avoir adressé la paroles à ces gens. C'est pour ça que je me suis inscrit dans ce lycée où personne n'a jamais entendu parlé de moi. Mon collège étant privé, pratiquement tous les élèves se sont inscrits au lycée pour riches de notre petite bourgade, une soit-disante « élite ». Celui-là me convenait bien mieux, à vrai dire. 

Enfin, le prof - renommé le CST  (Connard Sadique Tortionnaire) par mes soins - s'est trouvé l'envie de foutre en l'air tous mes plans. Il a décrété que des binômes devaient être formés pour un exposé. Ce qui signifiait que j'étais dans la merde, car on était une classe au nombre pair. Assis seul à ma table, les mêmes symptômes désagréables me reprirent. Ma respiration devint plus saccadée et je me suis mis à trembler malgré moi.

Ressaisis-toi, Yuu. Ressaisis-toi.

Mais ce n'était que des mots. Je ne pouvais pas dévier mon regard de mon bureau.

Surtout, ne te mets pas à pleurer. Ne refais pas les mêmes erreurs qu'au collège.

Pourtant, c'est ce que je m'apprêtais à faire. Le monde tanguait autour de moi. J'avais la nausée. J'ai plaqué une main sur ma bouche, mes cheveux cachant mon visage. J'étais foutu. J'entendais quelqu'un parler à côté de moi, mais cette voix ne me parvenait que par vagues échos. Je m'apprêtais à me lever pour m'enfuir hors de la salle quand une main se posa sur mon épaule.


— Je vous assure, monsieur, on est super potes! 

 — Hum.


Reprenant mes esprits, j'ai relevé la tête pour voir... Mikael, une main posée sur mon épaule, tout sourire. Le CST le fixait d'un regard subjectif.


— D'ailleurs, on est vraiment branché - euh - énergies solaires tous les deux! Hein, Yuu-chan?


YUU-CHAN? C'EST QUOI CE SURNOM?

Je me suis empourpré avant de regarder le prof.


— Euh... Ouais, dis-je sans savoir le moins du monde ce dont parlait l'autre illuminé. 

— Bon... Très bien. Ça va Yuuichiro? Tu as l'air un peu pâle.


J'avais littéralement envie de dégueuler.


— Ça va.


Il s'en alla non moins sans nous jeter un regard suspicieux.


— N'importe quoi. Sous prétexte qu'il me saque depuis la rentrée, et qu'il me considère comme une racaille... Tu le crois, ça? Il me soupçonne de te faire du- 

— C'est quoi ton problème, à toi? m'exclamai-je. Je peux savoir ce qui t'as pris de décider de te mettre avec moi sans ma permission? 


Il resta muet quelques instants, ses grands yeux me détaillant. L'espace d'une seconde, ses sourcils se froncèrent imperceptiblement, puis son expression redevint celle qu'il arborait tous les jours. Un regard amical, un sourire un peu figé, mais chaleureux.


 — Quoi? Il t'aurait obligé à te mettre avec quelqu'un, de toute façon. Tu aurais préféré que ce soit quelqu'un d'autre que moi?


Bonne question. Enfin,  je ne voyais pas du tout ce qu'il y gagnait, lui.


*


— Pourquoi les énergies solaires?


Nous étions tous les deux en haut du toit de l'école, chacun un appareil à la main censé mesurer l'intensité solaire ou quelque chose comme ça. Comme il gribouillait pleins de trucs sur son carnet, et que j'étais une brêle en sciences, je recopiais tout sans rien comprendre. 

 « Le soleil est à une auteur approximative du zénith, certainement car nous sommes proche de midi. Le solaromètre indique précisément 12,3 AM, comme à la norme. Si des perturbations venaient à apparaitre, je suppose que l'effet sur l'atmosphère serait- », ce genre de conneries. 

 Il haussa les épaules. 

— J'aime bien le toit de l'école. Malheureusement, il y a toujours le club de photo qui est niché ici. Sûrement à cause de l'éclairage. Pour une fois que je peux être presque seul ici!


Je lui ai jeté un coup d'œil mauvais.


— T'aurais pu y aller avec quelqu'un d'autre. 


Il releva la tête de ses notes, la pencha légèrement en arrière pour prendre le soleil. Je le revis le premier jour avec les cerisiers. En fait, il était vraiment très beau. J'étais pas un expert en la matière, et je ne pouvais rien avancer mais quand on le regardait... Ouais. Beau.


— Comme qui? 

— Je sais pas, dis-je. Ta petite copine, ou un de tes amis.


Il se tourna vers moi et sourit.


— Tu as un avis méchamment négatif de moi, hein? 


Je l'ai scruté avec des yeux ronds. C'était bizarre. Il était trop direct. 


— Qu'est ce qui te fais dire ça? 

— Venant de toi, le fait de supposer que j'ai une petite amie est péjoratif. 

— Pourquoi? Tu n'en as pas une? 

— Et non, marmonna-t-il. Dis-moi, tu ne trouves pas que les gens qui sortent avec leur espéré « grand amour » au lycée puis qui se séparent au bout de deux semaines sont ridicules?


Je le trouvais.


— Non. 

— Menteur.


Il y eut un blanc. Le seul bruit qu'on entendait était la brise qui faisait voler la poussière du sol. Il me fixa de son regard bleu perçant et son expression redevint plus sérieuse. C'était vraiment étrange. Sa façon de se comporter, de penser, d'agir. Ses mimiques contrôlées, et celles qui ne l'étaient pas. Il prit une inspiration et commença: 


— Je ne suis pas complètement honnête, moi non plus. En fait, si j'ai demandé à ce qu'on fasse les énergies solaires, c'était pour qu'on se retrouve seuls à seuls.


Attends une seconde...

Okay. C'était somptueusement ridicule, mais sans que je comprenne pourquoi, mon cœur manqua un battement. 


— Voilà, je sais que ça va te paraître vraiment bizarre, mais j'aimerais te faire une demande. 


QUOI? Je me mis à rougir. Bon sang, Yuu, merde! De un, c'est un mec, et de deux... Je n'ai pas compris si il avait noté ma réaction, mais il fit son petit rictus moqueur et finit par dire: 


— Est-ce que tu voudrais être mon ami?


J'ai senti mon sang se glacer dans mes veines.

Ami? Avec moi? Qu'est ce qui cloche chez ce type? Que me veut-il? Il a pitié de moi?


— On ne peut pas être amis.


Il pencha la tête sur le côté et son regard se fit inquiet.


— Pourquoi ça? On te fait du chantage? Ou non, c'est tes parents qui veulent que tu ne t'intéresses qu'à tes études? À moins que tu penses que tu n'es pas à la hauteur de mon splendide charisme?


Je lui ai tourné le dos.


— Rien à voir. On ne peut pas, c'est tout.


La brise continuait de souffler, et je me mordais les ongles, me demandant ce qu'il allait répondre.


— Tu es quelqu'un d'entêté, hein? soupira-t-il. Bon... Si on ne peut pas être amis, est-ce qu'on pourrait au moins déjeuner ensembles? Ça te va?


Je me suis levé brusquement.


— Okay, c'est quoi ton problème? Pourquoi tu veux t'approcher de moi comme ça?


Il sourit.


— C'est à cause des gens.


Devant ma réaction déconcertée, il se remit à regarder le solaromachin. Tout en notant ses résultats, il m'expliqua :


— Les gens sont des hypocrites. Ce n'est un scoop pour personne, bien sûr. L'être humain est fait ainsi, et je le suis aussi, quelque part. Je ris à leurs blagues pourries. Je vais à leurs soirées karaoké. Mais tu sais, aucun d'eux ne se préoccupent de ce qui importe vraiment. Les filles ne pensent qu'à sortir avec moi, les mecs sont envieux, stupides, ou ne pensent qu'à coucher avec des filles.


« Les gens aspirent ce qu'il y a de bon en toi. »

Ces paroles raisonnaient en écho, par dessus les paroles de Mikael. D'un côté, j'étais d'accord avec ce qu'il disait, mais de l'autre? Je n'avais aucune envie d'entendre à nouveau ce discours qui tournait en boucle dans ma tête.


— Et qu'est ce qui importe vraiment? dis-je en regardant le sol. 

— Tu le sais très bien. C'est pour ça que tu évites les autres, n'est ce pas? Tu les évites, tu es presque terrifié par eux car tu es on ne peut plus conscient de la cupidité humaine, non?


J'eus envie de nier. Quelque chose me disait que si je lui avais répondu qu'il se trompait, qu'en réalité, j'étais juste un connard égoïste qui se croit supérieur à tout le monde, il m'aurait foutu la paix pour de bon. Mais quelque chose, une force comparable à celle qui m'empêchait d'aller vers les autres, me poussait vers lui. Alors même si j'essayais de le repousser, je ne pouvais pas.

 Je finis par baisser les yeux à nouveau et par dire: 


— D'où te viens cette perspicacité? 


Il ferma son cahier et, debout, me fit un grand sourire. 


— La pratique, Yuu-chan.

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